—Arrêtez, dit Bruno.
Et prenant Placido, pâle et tremblant, par le bras, il descendit avec lui dans une cave située juste au-dessous de la chambre où la table était dressée, et lui montrant, à la lueur de la lampe qu'il tenait de l'autre main, trois tonneaux de poudre, communiquant les uns aux autres par une mèche commune, laquelle grimpant le long du mur communiquait à travers le plafond avec la chambre du souper:
—Maintenant, dit Bruno, va trouver le chef de la troupe, et dis-lui que s'il essaie de me prendre d'assaut, je me fais sauter, moi et tous ses hommes. Tu me connais, tu sais que je ne menace pas inutilement; va, et dis ce que tu as vu.
Et il ramena Tommaselli dans la cour.
—Mais par où vais-je sortir? demanda celui-ci, qui voyait toutes les portes barricadées.
—Voici une échelle, dit Bruno.
—Mais ils croiront que je veux me sauver, et ils tireront sur moi, s'écria Tommaselli.
—Dam, ceci, c'est ton affaire, dit Bruno; que diable! quand on fait le commerce, on ne spécule pas toujours à coup sûr.
—Mais j'aime mieux rester ici, dit Tommaselli.
Pascal, sans répondre une seule parole, tira un pistolet de sa ceinture, d'une main le dirigea sur Tommaselli, et de l'autre lui montra l'échelle.
Tommaselli comprit qu'il n'y avait rien à répliquer, et commença son ascension, tandis que Bruno détachait ses trois chiens corses.
Le traître ne s'était pas trompé; à peine eut-il dépassé la muraille de la moitié du corps que quinze ou vingt coups de fusil partirent, et qu'une balle lui traversa le bras.
Tommaselli voulut se rejeter dans la cour, mais Bruno était derrière lui le pistolet à la main.
—Parlementaire! cria Tommaselli, parlementaire! je suis Tommaselli; ne tirez pas, ne tirez pas.
—Ne tirez pas, c'est un ami, dit une voix qu'à son accent de commandement on n'eut pas de peine à reconnaître pour celle d'un chef.
Il prit alors à Pascal Bruno une terrible envie de lâcher dans les reins du traître le coup de pistolet dont il l'avait déjà trois fois menacé, mais il réfléchit que mieux valait lui laisser accomplir la commission dont il l'avait chargé que d'en tirer une vengeance inutile. Au reste, Tommaselli, qui avait jugé qu'il n'y avait pas pour lui de temps à perdre, sans se donner la peine de tirer l'échelle de l'autre côté du mur, venait de sauter du haut en bas.
Pascal Bruno entendit le bruit de ses pas qui s'éloignaient, et remontant aussitôt vers ses compagnons:
—Maintenant, dit-il, nous pouvons combattre tranquillement, il n'y a plus de traîtres parmi nous.
En effet, dix minutes après, le combat commença. Grâce à l'avis donné par Tommaselli, les miliciens n'osaient risquer un assaut, dans la crainte qu'ainsi que l'avait dit Bruno, il ne les fit tous sauter avec lui; on se borna donc à une guerre de fusillade: c'était ce que désirait le bandit, qui ainsi gagnait du temps, et qui, grâce à son adresse et à celle de ses compagnons, espérait obtenir une capitulation honorable.
Tous les avantages de la position étaient pour Bruno. Abrités par les murailles, lui et ses compagnons tiraient à coup sûr, tandis que les miliciens essuyaient le feu à découvert: aussi chaque balle portait-elle; et quoiqu'ils répondissent par des feux de peloton à des coups isolés, une vingtaine d'hommes des leurs étaient déjà couchés sur le carreau, que pas un des quatre assiégés n'avait encore reçu une seule égratignure.
Vers les onze heures du matin, un des miliciens attacha son mouchoir à la baguette de son fusil et fit signe qu'il avait des propositions à faire. Pascal se mit aussitôt à une fenêtre et lui cria d'approcher.
Le milicien approcha: il venait proposer, au nom des chefs assiégeants, à la garnison de se rendre. Pascal demanda quelles étaient les conditions imposées: c'étaient la potence pour lui et les galères pour ses quatre compagnons: il y avait déjà amélioration dans la situation des choses, puisque, s'ils avaient été pris sans capitulation, ils ne pouvaient manquer d'être pendus tous les cinq. Cependant la proposition ne parut pas assez avantageuse à Pascal Bruno pour être reçue avec enthousiasme, et il renvoya le parlementaire avec un refus.
Le combat recommença et dura jusqu'à cinq heures du soir. A cinq heures du soir, les miliciens comptaient plus de soixante des leurs hors de service, tandis que Pascal Bruno et un de ses compagnons étaient encore sains et saufs et que les deux autres n'avaient encore reçu que de légères blessures.
Cependant les munitions diminuaient: non pas en poudre, il y en avait pour soutenir un siége de trois mois; mais les balles commençaient à s'épuiser. Un des assiégés ramassa toutes celles qui avaient pénétré par les fenêtres dans l'intérieur de l'appartement, et, tandis que les trois autres continuaient de répondre au feu de la milice, il les refondit au calibre des carabines de ses compagnons.
Le même parlementaire se représenta: il venait proposer les galères à temps au lieu des galères à vie, et proposait, séance tenante, de débattre le chiffre. Quant à Pascal Bruno, son sort était fixé, et aucune transaction, comme on le comprend bien, ne pouvait l'adoucir.
Pascal Bruno répondit que c'était déjà mieux que la première fois, et que si l'on voulait promettre liberté entière à ses compagnons, il y aurait peut-être moyen de s'entendre.
Le parlementaire regagna les rangs des miliciens, et la fusillade recommença.
La nuit fut fatale aux assiégeants. Pascal, qui voyait ses munitions s'épuiser, ne tirait qu'à coup sûr et recommandait à ses compagnons d'en faire autant. Les miliciens perdirent encore une vingtaine d'hommes. Plusieurs fois les chefs avaient voulu les faire monter à l'assaut; mais la perspective qui les attendait dans ce cas, et que leur avait énergiquement dépeinte Tommaselli, les maintint toujours à distance, et ni promesses ni menaces ne parvinrent à les décider à cet acte de courage, qu'ils appelaient, eux, un acte de folie.
Enfin, le matin, vers six heures, le parlementaire reparut une troisième fois: il offrait grâce entière, complète, irrévocable, aux quatre compagnons de Pascal Bruno; quant à lui, il n'y avait rien de changé à son avenir: c'était toujours la potence.
Les compagnons de Pascal voulaient tirer sur le parlementaire, mais
Pascal les arrêta d'un geste impérieux.
—J'accepte, dit-il.
—Que fais-tu? s'écrièrent les autres.
—Je vous sauve la vie, dit Bruno.
—Mais toi? reprirent les autres.
—Moi, dit Bruno en riant, ne savez-vous point que je me transporte où je veux, que je me fais invisible à ma volonté, et que je suis toujours invulnérable? Moi, je sortirai de prison, et dans quinze jours je vous aurai rejoints dans la montagne.
—Parole d'honneur? demandèrent les compagnons de Bruno.
—Parole d'honneur, répondit celui-ci.
—Alors c'est autre chose, dirent-ils, fais comme tu voudras.
Bruno reparut à la fenêtre.
—Ainsi, tu acceptes? lui demanda le parlementaire.
—Oui, mais à une condition.
—Laquelle?
—C'est qu'un de vos chefs me servira d'otage ici même, et que je ne le relâcherai que lorsque je verrai mes quatre amis parfaitement libres dans la campagne.
—Puisque tu as la parole des chefs, dit le parlementaire.
—C'est sur une parole semblable que mes six oncles ont été envoyés aux galères; ne vous étonnez donc pas de ce que je prends mes précautions.
—Mais…, dit le parlementaire.
—Mais, interrompit Bruno, c'est à prendre ou à laisser.
Le parlementaire retourna vers les assiégeants. Aussitôt les chefs se formèrent en conseil: une délibération eut lieu; cette délibération eut pour résultat que les trois capitaines de milice tireraient au sort, et que celui que le sort désignerait se constituerait l'otage de Bruno.
Les trois billets furent mis dans un chapeau; deux de ces billets étaient blancs, le troisième était noirci intérieurement avec de la poudre. Le billet noir était le billet perdant.
Les Siciliens sont braves, j'ai déjà eu occasion de le dire, et je te répète: le capitaine auquel tomba le billet noir donna une poignée de main à ses camarades, déposa à terre son fusil et sa giberne, et, prenant à son tour la baguette de fusil ornée du mouchoir blanc, pour ne laisser aucun doute sur sa mission pacifique, il s'achemina vers la porte du château qui s'ouvrit devant lui. Derrière la porte, il trouva Bruno et ses quatre compagnons.
—Eh bien! dit l'otage, acceptes-tu les conditions proposées? Tu vois que nous les acceptons, nous, et que nous comptons les tenir, puisque me voilà.
—Et moi aussi je les accepte, et je les tiendrai, dit Bruno.
—Et vos quatre compagnons libres, vous vous rendrez à moi?
—A vous, et pas à un autre.
—Sans conditions nouvelles?
—A une seule.
—Laquelle?
—C'est que j'irai a pied à Messine ou à Palerme, soit qu'on veuille me pendre dans l'une ou dans l'autre de ces deux villes; et qu'on ne me liera ni les jambes, ni les bras.
—Accordé.
—A merveille.
Pascal Bruno se retourna vers ses quatre amis, les embrassa les uns après les autres, et, en les embrassant, leur donna à chacun rendez-vous à quinze jours de là, dans la montagne; car, sans cette promesse peut-être, ces braves gens n'eussent-ils pas voulu le quitter. Puis, saisissant l'otage par le poignet pour qu'il n'essayât point de s'échapper, il le fit monter avec lui dans la chambre dont les fenêtres donnaient sur la montagne.
Bientôt les quatre compagnons de Bruno parurent; selon la promesse faite, ils sortaient armés et parfaitement libres. Les rangs des miliciens s'ouvrirent devant eux, et ils franchirent sans empêchement le cordon vivant qui enfermait la petite forteresse; puis ils continuèrent à s'avancer vers la montagne. Bientôt ils s'enfoncèrent dans un petit bois d'oliviers qui s'étendait entre le château et la première colline de la chaîne des monts Pelores; puis ils reparurent gravissant cette colline, puis enfin ils arrivèrent à son sommet. Là, tous quatre, les bras enlacés, se retournèrent vers Pascal, qui les avait suivis d'un long regard, et lui firent un signe avec leurs chapeaux. Pascal répondit à ce signe avec son mouchoir. Ce dernier adieu échangé, tous quatre prirent leur course et disparurent de l'autre côté de la colline.
Alors Pascal lâcha le bras de son otage, qu'il avait fortement serré jusque-là, et se retournant vers lui:
—Tenez, lui dit-il, vous êtes un brave; j'aime mieux que ce soit vous qui héritiez de moi que la justice. Voici ma bourse, prenez-la; il y a dedans trois cent quinze onces. Maintenant je suis à vos ordres.
Le capitaine ne se fit pas prier; il mit la bourse dans sa poche, et demanda à Pascal s'il n'avait pas quelque dernière recommandation à lui faire.
—Non, dit Pascal, sinon que je voudrais que mes quatre pauvres chiens fussent bien placés. Ce sont de bonnes et nobles bêtes qui rendront en services à leur maître bien au-delà du pain qu'ils lui mangeront.
—Je m'en charge, dit le capitaine.
—Eh bien! voilà tout, répondit Pascal. Ah! quant à ma chienne Lionna, je désire qu'elle reste avec moi jusqu'au moment de ma mort; c'est ma favorite.
—C'est convenu, répondit le capitaine.
—Voilà. Il n'y a plus rien que je sache, continua Pascal Bruno avec la plus grande tranquillité.—Maintenant marchons.
En montrant le chemin au capitaine, qui ne pouvait s'empêcher d'admirer ce froid et tranquille courage, il descendit le premier; le capitaine le suivit, et tous deux arrivèrent, au milieu du plus profond silence, au premier rang des miliciens.
—Me voilà, dit Pascal. Maintenant où allons-nous?
—A Messine, dirent les trois capitaines.
—A Messine, soit, reprit Bruno. Marchons donc.
Et il prit la route de Messine entre deux haies de miliciens, tenant le milieu de la route avec ses quatre chiens corses qui le suivaient la tête basse, et comme s'ils eussent deviné que leur maître était prisonnier.
Comme on le comprend bien, son procès ne fut pas long. Lui-même alla au-devant de l'interrogatoire en racontant toute sa vie. Il fut condamné à être pendu.
La veille de l'exécution, un ordre arriva de transporter le condamné à Palerme. Gemma, la fille du comte de Castel-Novo qui avait été tué par le père de Bruno; était fort bien en cour; et, comme elle désirait assister à l'exécution, elle avait obtenu que Pascal fût pendu à Palerme.
Comme il était indifférent à Pascal d'être pendu à un endroit ou à un autre, il ne fit aucune réclamation.
Le condamné fut conduit en poste, escorté d'une escouade de gendarmerie, et en deux jours il fut arrivé à sa destination. L'exécution fut fixée au lendemain, qui était un mardi, et l'on donna congé aux colléges et aux tribunaux, afin que chacun pût assister à cette solennité.
Le soir, le prêtre entra dans la prison et trouva Bruno très-pâle et très-faible. Il ne s'en confessa pas moins d'une voix calme et ferme; seulement, à la fin de la confession, il avoua qu'il venait de s'empoisonner et qu'il commençait à sentir les atteintes du poison. C'est ce qui causait cette pâleur et cette faiblesse dont le prêtre s'était étonné dans un homme comme lui.
Le prêtre dit à Bruno qu'il était prêt à lui donner l'absolution de tous ses crimes, mais non de son suicide. Pour que ses crimes lui fussent remis, il fallait l'expiation de la honte. Il avait voulu échapper par orgueil à cette expiation. C'était un tort aux yeux du Seigneur.
Bruno frémit à l'idée de mourir sans absolution. Cet homme, auquel aucune puissance humaine n'eût pu faire baisser les yeux, tremblait comme un enfant devant la damnation éternelle.
Il demanda au prêtre ce qu'il fallait faire, et dit qu'il le ferait. Le prêtre appela aussitôt le geôlier, et lui ordonna d'aller chercher un médecin et de le prévenir qu'il eût à prendre avec lui les contre-poisons les plus efficaces.
Le médecin accourut. Les contre-poisons, administrés à temps, eurent leur effet. A minuit, Pascal Bruno était hors de danger; à minuit et demi, il recevait l'absolution.
Le lendemain, à huit heures du matin, il sortit de l'église de Saint-François-de-Sales, où il avait passé la nuit en chapelle ardente, pour se rendre à la place de la Marine, où l'exécution devait avoir lieu. La marche était accompagnée de tous les accessoires terribles des exécutions italiennes; Pascal Bruno était lié sur un âne marchant à reculons, précédé du bourreau et de son aide, suivi de la confrérie de pénitents qui portaient la bière où il devait reposer dans l'éternité, et accompagné d'hommes revêtus de longues robes trouées aux yeux seulement, tenant à la main une tirelire qu'ils agitaient comme une sonnette, et qu'ils présentaient pour recevoir l'aumône des fidèles, destinée à faire dire des messes pour le condamné.
L'encombrement était tel dans la rue del Cassero, que le condamné devait longer dans toute son étendue, que plus d'une fois le cortége fut forcé de s'arrêter. A chaque fois, Pascal étendait son regard calme sur toute cette foule qui, sentant que ce n'était pas un homme ordinaire qui allait mourir, le suivait avec une curiosité croissante, mais pieuse, et sans qu'aucune insulte fût proférée contre le condamné; au contraire, beaucoup de récits circulaient dans la foule, traits de courage ou de bonté attribués à Pascal, et dont les uns exaltaient les hommes, tandis que les autres attendrissaient les femmes.
A la place des Quatre-Cantons, comme le cortége subissait une de ces haltes nombreuses que lui imposait l'encombrement des rues, quatre nouveaux moines vinrent se joindre au cortége de pénitents qui suivaient immédiatement Pascal. Un de ces moines leva son capuchon, et Pascal reconnut un des braves qui avaient soutenu le siége avec lui; il comprit aussitôt que les trois autres moines étaient ses trois autres compagnons, et qu'ils étaient venus là dans l'intention de le sauver.
Alors Pascal demanda à parler à celui des moines avec lequel il avait échangé un signe de reconnaissance, et le moine s'approcha de lui.
—Nous venons pour te sauver, dit le moine.
—Non, dit Pascal, vous venez pour me perdre.
—Comment cela?
—Je me suis rendu sans restriction aucune, je me suis rendu sur la promesse qu'on vous laisserait la vie, et on vous l'a laissée. Je suis aussi honnête homme qu'eux; ils ont tenu leur parole, je tiendrai la mienne.
—Mais…, reprit le moine, essayant de convaincre le condamné.
—Silence, dit Pascal, ou je vous fais arrêter.
Le moine reprit son rang sans mot dire; puis, lorsque le cortége se fut remis en marche, il échangea quelques paroles avec ses compagnons, et à la première rue transversale qui se présenta ils quittèrent la file et disparurent.
On arriva sur la place de la Marine: les balcons étaient chargés des plus belles femmes et des plus riches seigneurs de Palerme. L'un d'eux surtout, placé juste en face du gibet, était, comme aux jours de fêtes, tendu d'une draperie de brocart; c'était celui qui était réservé à la comtesse Gemma de Castel-Novo.
Arrivé au pied de la potence, le bourreau descendit de cheval et planta sur la poutre transversale le drapeau rouge, signal de l'exécution: aussitôt on délia Pascal, qui sauta à terre, monta de lui-même et à reculons l'échelle fatale, présenta son cou pour qu'on y passât le lacet, et, sans attendre que le bourreau le poussât, s'élança lui-même de l'échelle.
Toute la foule jeta un cri simultané; mais si puissant que fût ce cri, celui que poussa le condamné le domina de telle sorte, que chacun en conçut cette idée, que ce cri était celui que jetait le diable en lui sortant du corps; si bien qu'il y eut dans la foule une terreur telle, que les assistants se ruèrent les uns sur les autres, et que dans la bagarre l'oncle de notre capitaine, qui était chef de milice, perdit, comme nous le raconta celui-ci, ses boucles d'argent et sa cartouchière.
Le corps de Bruno fut remis aux pénitents blancs, qui se chargèrent de l'ensevelir; mais, comme ils l'avaient rapporté au couvent où ils s'occupaient de ce pieux office, le bourreau se présenta et vint réclamer la tête. Les pénitents voulurent d'abord défendre l'intégralité du cadavre, mais le bourreau tira de sa poche un ordre du ministre de la justice qui décrétait que la tête de Pascal Bruno serait, pour servir d'exemple, exposée dans une cage de fer le long des murailles du château baronial de Bauso.
Ceux qui désireront de plus amples renseignements sur cet illustre bandit, pourront recourir au roman que j'ai publié sur lui en 1837 ou 38, je crois; ceci étant son histoire pure et simple, telle que me l'a racontée, et telle que je l'ai encore signée de sa main dans mon album, son excellence don Cesare Alletto, notaire à Calvaruso.
Aussitôt cette histoire terminée, écrite sur mon album et revêtue du seing authentique du digne fonctionnaire qui me l'avait racontée, et que la force de son esprit mettait, comme on le voit, au-dessus des traditions superstitieuses auxquelles croyaient si aveuglément les gens de notre équipage, nous nous levâmes et nous acheminâmes vers les lieux où s'était passée une partie des événements qui viennent de se développer sous les yeux de nos lecteurs.
Le premier point de notre investigation était la maison paternelle de Pascal: cette maison, dont la porte fermée par lui n'a jamais été rouverte par personne, est empreinte d'un cachet de désolation qui va bien aux souvenirs qu'elle rappelle; les murs se lézardent, le toit s'affaisse, le volet du premier, décroché, pend à un de ses gonds. Je demandai une échelle pour regarder dans l'intérieur de la chambre par un des carreaux brisés; mais don César me prévint que ma curiosité pourrait être mal interprétée par les habitants du village et m'attirer quelque mauvaise affaire. Comme cette susceptibilité des Bausiens tenait au fond à un sentiment de piété, je ne voulus le heurter en rien; et après avoir, tant bien que mal et pour mes souvenirs particuliers, jeté sur mon album un petit croquis de cette maison, dont les murs avaient enfermé tant de malheurs différents et tant de passions diverses, je repris mon chemin vers le château baronial.
Il est situé à l'extrémité droite de la rue, si l'on peut appeler rue une suite de jardins, ou plutôt de champs et de maisons que rien ne rattache ensemble, et qui montent sur une petite pente. Cependant, il faut le dire, les touffes énormes de figuiers et de grenadiers semés tout le long du chemin, et du milieu desquelles s'élance le jet flexible de l'aloès, donnent à tout ce paysage un caractère particulier qui n'est pas sans charmes: à mesure que l'on monte, on voit, au-dessus des toits d'une rue transversale, apparaître d'abord le sommet fumant de Stromboli, puis les îles moins élevées que lui, puis enfin la mer, vaste nappe d'azur qui se confond avec l'azur du ciel.
Le château baronial, en face duquel s'élève une de ces belles croix de pierres du seizième siècle pleines de caractère, dans sa fruste nudité est une petite bâtisse à qui ses créneaux donnent un air de crânerie qui fait plaisir à voir. Sur la face qui regarde la croix sont deux cages, ou plutôt, et pour donner une idée plus exacte de la chose, deux lanternes sans verres. L'une de ces deux cages est vide; c'est celle où était la tête du père de Pascal Bruno, et que son fils, dans un moment d'étrange piété, enleva avec la balle de sa carabine: l'autre contient un crâne blanchi par trente-cinq ans de soleil et de pluie; ce crâne est celui de Pascal Bruno.
Une fenêtre voisine de la cage a été murée pour que le crâne ne fût point enlevé; mais Pascal était le seul de sa famille, et aucune tentative ne fut faite pour soustraire ce dernier débris à son dernier châtiment.
Du reste, le souvenir du bandit était aussi vivant dans le village que s'il était mort de la veille. Une douzaine de paysans, ayant appris la cause de notre voyage à Bausio, nous accompagnaient dans notre exploration, et, paraissant tout fiers que la réputation de leur compatriote eût traversé la mer, ajoutaient, chacun selon ses souvenirs personnels ou les traditions orales, quelques traits caractéristiques de cette vie aventureuse et excentrique, et qui venaient se joindre comme une broderie fantasque et bariolée à la sévère esquisse historique tracée sur mon album par le notaire de Calvaruso. Parmi cette suite que nous traînions après nous, était un vieillard de soixante-quatorze ans: c'était le même à qui Pascal Bruno avait fait rendre les 25 onces; aussi parlait-il du bandit avec enthousiasme et nous assura-t-il que, depuis l'époque de sa mort, il faisait dire tous les ans une messe pour fui. Non pas, ajouta-t-il, qu'il en ait besoin; car, à son avis, si celui-là n'était pas en paradis, personne n'avait le droit d'y être.
Du château baronial nous nous enfonçâmes à gauche et à travers terres, en suivant un sentier tracé au milieu d'une plantation d'oliviers; au bout d'un quart d'heure de marche à peu près, nous nous trouvâmes dans une petite plaine circulaire dont la forteresse de Castel-Novo formait le centre. C'était là le palais de Pascal Bruno.
La forteresse est dans un état de délabrement qui correspond à peu près à celui où se trouve la maison de Pascal Bruno. Abandonnée par l'intendant du comte, elle ne fut jamais, depuis la mort du bandit, occupée par aucun membre ni aucun serviteur de cette noble famille. Aujourd'hui, une pauvre femme en baillons et quelques enfants à moitié nus y ont trouvé un asile et en habitent un coin; vivant là, comme des animaux sauvages dans leur tanière, de racines, de fruits et de coquillages; quant à un loyer quelconque, il est bien entendu qu'il n'en est pas question.
La vieille femme nous fit voir l'appartement qu'habitait Pascal et la chambre dans laquelle lui et ses quatre compagnons avaient soutenu un siége de près de trente-six heures: les murs extérieurs étaient criblés de balles; les contrevents de chaque fenêtre, les parois de la chambre étaient mutilés. Je comptai celles qui avaient frappé dans un seul contrevent, il y en avait dix-sept.
En descendant on me montra la niche où étaient enfermés les quatre fameux chiens corses qui ont laissé dans le village un souvenir presque aussi terrible que celui de leur maître.
Nous retournâmes à l'hôtel: il était trois heures de l'après-midi, je n'avais donc pas de temps à perdre pour revenir à Messine.
A huit heures du soir j'étais à Messine: c'était une demi-heure trop tard pour sortir du port et m'en aller coucher à San-Giovanni; d'ailleurs mes rameurs n'étaient pas prévenus, et chacun d'eux sans doute avait déjà pris pour sa soirée des arrangements que ma nouvelle résolution aurait fort contrariés; je remis donc mon départ au lendemain matin.
A six heures du matin Pietro était à ma porte avec Philippe, le reste de l'équipage attendait dans la barque. Le maître de l'hôtel me remit mon passe-port visé à neuf, précaution qu'il ne faut jamais négliger quand on passe de Sicile en Calabre ou de Calabre en Sicile, et nous prîmes congé, probablement pour toujours, de Messine-la-Noble; nous étions restés un peu plus de deux mois en Sicile.
Notre retour à San-Giovanni fut moins rapide que ne l'avait été notre départ pour La Pace: la traversée était la même, mais elle se faisait d'un cœur bien différent; j'avais prévenu mes hommes que je les emmenais encore pour un mois à peu près, et, à part Pietro, que sa joyeuse humeur ne quittait jamais, tout l'équipage était assez triste.
En arrivant je trouvai une lettre de Jadin, laquelle lettre me prévenait, qu'ayant commencé la veille un dessin de Scylla, il était parti au point du jour avec Milord et le mousse, afin d'achever, s'il était possible dans la journée, le susdit dessin. Je prévins le capitaine que je désirais partir le lendemain au point du jour; il me demanda alors mon passe-port pour y faire apposer un nouveau visa, et me promit d'être prêt, lui et tout son monde, pour le moment que je désirais. Quant à moi, n'ayant rien de mieux à faire, je pris la route de Scylla pour me mettre en quête de Jadin.
La distance de San-Giovanni à Scylla est de cinq milles à peu près, mais cette distance est fort raccourcie par le pittoresque du chemin, qui côtoie presque toujours la mer et se déploie entre des haies de cactus, de grenadiers et d'aloès; que domine de temps en temps quelque noyer ou quelque châtaignier à l'épais feuillage, sous l'ombre duquel étaient presque toujours assis un petit berger et son chien, tandis que les trois ou quatre chèvres dont il avait la garde grimpaient capricieusement à quelque rocher voisin, ou s'élevaient sur leurs pattes de derrière pour atteindre les premières branches d'un arbousier ou d'un chêne vert. De temps en temps aussi je rencontrais sur la route, et par groupes de deux ou trois, des jeunes filles de Scylla, à la taille élevée, au visage grave, aux cheveux, ornés de bandelettes rouges et blanches, comme celles que l'on retrouve sur les portraits des anciennes Romaines; qui allaient à San-Giovanni, portant des paniers de fruits ou des cruches de lait de chèvre sur leur tête; qui s'arrêtaient pour me regarder passer, comme elles auraient fait d'un animal quelconque qui leur eût été inconnu, et qui, pour la plupart du temps, se mettaient à rire tout haut, et sans gêne aucune, de mon costume, qui, entièrement sacrifié a ma plus grande commodité, leur paraissait sans doute fort hétéroclite en comparaison du costume élégant que porte le paysan calabrais, A trois ou quatre cents pas en avant de Scylla, je trouvai Jadin établi sous son parasol, ayant Milord à ses pieds et son mousse à côté de lui; ils formaient le centre d'un groupe de paysans et de paysannes calabrais, qu'on avait toutes les peines du monde à tenir ouvert du côté de la ville, et qui, se rapprochant toujours par curiosité, finissait de dix minutes en dix minutes par former un rideau venant entre le peintre et le paysage. Alors Jadin faisait ce que fait le berger: il envoyait Milord dans la direction où il désirait que la solution de continuité s'établit, et les paysans, qui avaient une terreur profonde de Milord, s'écartaient aussitôt, pour se reformer, il est vrai, dix minutes après. Cependant, comme tout cela s'opérait de la façon, la plus bienveillante du monde, il n'y avait rien à dire.
La route m'avait aiguisé l'appétit, aussi offris-je à Jadin d'interrompre sa besogne pour venir déjeuner avec moi à la ville; mais Jadin, qui voulait terminer son croquis dans la journée, avait pris ses précautions pour ne point bouger de la place où il était établi: le mousse avait été lui chercher du pain, du jambon et du vin, et il venait d'achever sa collazione au moment où j'arrivais. Je me décidai donc à déjeuner seul, et je m'acheminai vers la ville, moins prudent qu'Énée, mais croyant sur la foi de l'antiquité que Scylla n'était à craindre que lorsqu'on s'en approchait par mer. On va voir que je me trompais grossièrement, et que, quoique donnés il y a trois mille ans et à un autre qu'à moi, j'aurais bien fait de suivre les conseils d'Anchise.
J'arrivai à la ville tout en admirant son étrange situation. Bâtie sur une cime, elle descend comme un long ruban sur le versant occidental de la montagne, puis en tournant comme un S elle vient s'étendre le long de la mer, qui trouve dans le cintre que forme sa partie inférieure une petite rade où ne peuvent guère, à ce qu'il m'a paru, aborder que les bateaux pêcheurs et des bâtiments légers du genre des speronare. Cette rade est protégée par un haut promontoire de rochers, au haut duquel et dominant la mer est une forteresse bâtie par Murat. Au pied du rocher, et à une centaine de pas autour de lui, une foule d'écueils aux formes bizarres, et dont quelques-uns ont la forme de chiens dressés sur leurs pattes de derrière, sortent capricieusement de l'eau: de là sans doute la fable qui a donné à l'amante du dieu Glaucus sa terrible célébrité.
J'avais avisé de loin, grâce à la position ascendante de la rue, une maison entre les fenêtres de laquelle pendait une enseigne représentant un pélican rouge: l'emblème de cet oiseau, qui se déchire le sein pour nourrir ses enfants, me sembla une allusion trop directe à l'engagement que prenait le maître de l'auberge vis-à-vis des voyageurs, pour que j'hésitasse un instant à me laisser prendre à cet appât. J'aurais dû cependant songer qu'il y a pélican et pélican, comme il y a fagot et fagot, et qu'un pélican rouge n'est pas un pélican blanc; mais la prudence du serpent qu'on m'avait tant recommandée à l'égard des Calabrais m'abandonna pour cette fois, et j'entrai dans la souricière. J'y fus merveilleusement reçu par l'hôte, qui, âpres m'avoir demandé des ordres pour le déjeuner et m'avoir répondu par l'éternel subito italien, me fit monter dans une chambre où l'on s'empressa effectivement de mettre mon couvert. Une demi-heure après, l'hôte entra lui-même, un plat de côtelettes à la main, et lorsqu'il m'eut vu attablé et piquant en affamé sur la préface de la collation, il me demanda toujours du même ton mielleux, si je n'avais pas un passe-port. Ne comprenant pas l'importance de la question, je lui répondis négligemment que non, que je ne voyageais pas pour le moment, mais me promenais purement et simplement; qu'en conséquence, j'avais laissé mon passe-port à San-Giovanni, où j'avais momentanément élu mon domicile. Mou hôte me répondit par un benone des plus tranquillisants, et je continuai d'expédier mon déjeuner, qu'il continua, de son côté, de me servir avec une politesse croissante.
Au dessert, il sortit pour m'aller chercher lui-même, me dit-il, les plus beaux fruits de son jardin. Je fis signe de la tête que je l'attendis avec la patience d'un homme qui a convenablement mangé, et, allumant ma cigarette, je me lançai, tout en suivant de l'œil les capricieuses décompositions de la fumée, dans ces rêves sereins et fantasques qui accompagnent d'ordinaire les digestions faciles.
J'étais au beau milieu de mon Eldorado, lorsque j'entendis trois ou quatre sabres qui retentissaient sur les marches de l'escalier. Je n'y fis point d'abord attention, mais, comme ces sabres s'approchaient de plus en plus de ma chambre, je finis cependant par me retourner. Au moment où je me retournais, ma porte s'ouvrit, et quatre gendarmes entrèrent: c'était le dessert que mon hôte m'avait promis.
Je dois rendre justice aux milices Urbaines de S. M. le roi Ferdinand, ce fut en portant la main à leur chapeau à trois cornes et en m'appelant excellence, qu'elles me demandèrent le passe-port qu'elles savaient bien que je n'avais pas. Je leur fis alors la même réponse que j'avais faite à mon hôte, et, comme si elles ne s'y attendaient pas, les susdites milices se regardèrent d'un air qui voulait dire: Diable! diable! voilà une méchante affaire qui se prépare. Puis ces signes échangés, le brigadier se retourna de mon côté, et, toujours la main au chapeau, signifia à mon excellence qu'il était obligé de la conduire chez le juge.
Comme je me doutais bien que ses politesses aboutiraient à cette sotte proposition, et que je ne me souciais pas de traverser toute la ville entre quatre gendarmes, je fis signe au brigadier que j'avais une confidence à lui faire tout bas; il s'approcha de moi, et sans me lever de ma chaise:
—Faites sortir vos soldats, lui dis-je.
Le brigadier regarda autour de lui, s'assura qu'il n'y avait aucune arme à ma portée, et, se retournant vers ses acolytes, il leur fit signe de nous laisser seuls. Les trois gendarmes obéirent aussitôt, et je me trouvai en tête à tête avec mon homme.
—Asseyez-vous là, dis-je au brigadier en lui montrant une chaise en face de moi. Il s'assit.
—Maintenant, lui dis-je en posant mes deux coudes sur la table et ma tête sur mes deux mains; maintenant que nous ne sommes que nous deux, écoutez, lui dis-je.
—J'écoute, me répondit mon Calabrais.
—Écoutez, mon cher maréchal des logis, car vous êtes maréchal des logis, n'est-ce pas?
—Je devrais l'être, excellence, mais les injustices…
—Vous le serez; laissez-moi donc vous donner un titre qui ne peut vous manquer d'un jour à l'autre et que vous méritez si bien sous tous les rapports. Maintenant, dis-je, mon cher maréchal des logis, vous n'êtes pas ennemi, lorsque la chose ne peut en rien vous compromettre, n'est-ce pas, d'un cigare de la Havane, d'une bouteille de Muscato-Calabrese, et d'une petite somme de deux piastres?
A ces mots, je tirai deux écus de mon gousset, et je les fis briller aux yeux de mon interlocuteur qui, par un mouvement instinctif, avança la main.
Ce mouvement me fit plaisir: cependant je ne parus pas le remarquer, et, renfonçant les deux piastres dans ma poche, je continuai.
—Eh bien, mon cher maréchal, tout cela est à votre service, si vous voulez seulement me permettre, avant de me conduire chez le juge, d'envoyer chercher mon passe-port à San-Giovanni; pendant ce temps vous me tiendrez une agréable compagnie, nous fumerons, nous boirons, nous jouerons même aux cartes si vous aimez le piquet ou la bataille; vos hommes, pour plus grande sûreté, resteront à la porte, et, pour qu'ils ne s'ennuient pas trop de leur côté, je leur enverrai trois bouteilles de vin; ah! voilà une proposition, j'espère; vous va-t-elle?
—D'autant mieux, me répondit le brigadier, qu'elle s'accorde parfaitement avec mon devoir.
—Comment donc! est-ce que vous croyez que je me serais permis une proposition inconvenante? Peste! je n'aurais eu garde, je connais trop bien la rigidité des troupes de S. M. Ferdinand. A la santé de S. M. Ferdinand, maréchal; ah! vous ne pouvez pas refuser ou je dirai que vous êtes un sujet rebelle.
—Aussi je ne refuse pas, dit le brigadier.
Et il tendit son verre.
—Maintenant, me dit-il après avoir fait honneur au toast royal proposé par moi, maintenant, excellence, si on ne vous apportait pas de passe-port?
—Oh! alors, lui dis-je, vous auriez les deux piastres tout de même, et la preuve c'est que les voilà d'avance, tant j'ai confiance en vous, et vous serez parfaitement libre de me faire reconduire de brigade en brigade jusqu'à Naples.
Et je lui donnai les deux piastres, qu'il mit dans sa poche avec un laisser-aller qui prouvait l'habitude qu'il avait de ces sortes de négociations.
—Votre excellence a-t-elle une préférence quelconque pour le messager qui doit aller chercher son passe-port? me demanda alors le brigadier.
—Oui, maréchal; avec votre permission, je désirerais qu'un de vos hommes… Venez ici. Je le conduisis à la fenêtre et lui montrai de loin, sur la grande route, Jadin qui, sans se douter le moins du monde de l'embarras où je me trouvais, continuait à lever son croquis à l'ombre de son parasol.—Je désirerais, continuai-je, qu'un de vos hommes allât me chercher ce mousse que vous apercevez là-bas, près de ce gentilhomme qui peint. Le voyez-vous, là-bas, là-bas, tenez?
—Parfaitement.
—Il a de bonnes jambes, et, s'il y a trois ou quatre carlins à gagner, j'aime mieux qu'il les gagne qu'un autre.
—Je vais l'envoyer chercher.
—A merveille, maréchal, dites en même temps qu'on nous monte une bouteille du meilleur muscat, qu'on donne trois bouteilles de syracuse sec à vos hommes, et apportez-moi une plume, de l'encre et du papier.
—A l'instant, excellence.
Cinq minutes après j'étais servi; j'écrivis au capitaine:
«Cher capitaine, je suis, faute de passe-port, prisonnier dans l'auberge du Pélican-Rouge à Scylla; ayez la bonté de m'apporter vous-même le papier qui me manque, afin de pouvoir donner aux autorités calabraises tous les renseignements, moraux et politiques, qu'elles peuvent désirer sur votre serviteur
«GUICHARD.»
Au bout de dix minutes le mousse était introduit près de moi. Je lui donnai ma lettre, accompagnée de quatre carlins, et lui recommandai d'aller toujours courant jusqu'à San-Giovanni, et surtout de ne pas revenir sans le capitaine.
Le bonhomme, qui n'avait jamais eu une pareille somme à sa disposition, partit comme le vent. Un instant après je le vis de la fenêtre qui gagnait consciencieusement ses quatre carlins; il passa près de Jadin au pas gymnastique; Jadin voulut l'arrêter, mais il lui montra la lettre et continua son chemin.
Et Jadin, qui tenait à finir son croquis, se remit à la besogne avec sa tranquillité ordinaire.
Quant à moi, j'entamai avec mon brigadier une conversation morale, scientifique et littéraire, dont il parut on ne peut plus charmé. Cette conversation durait depuis une heure et demie à peu près, ce qui faisait que, si intéressante quelle fût, elle commençait à tirer un peu en longueur, lorsque j'aperçus sur la route, non pas le capitaine seul, mais tout l'équipage, qui arrivait au pas de course; à tout hasard, chacun s'était muni d'une arme quelconque, afin de me délivrer par force si besoin était. Nunzio seul était resté pour garder le bâtiment.
Le groupe fit une halte d'un instant près de Jadin; mais comme il était infiniment moins instruit de mon aventure que le capitaine qui avait reçu ma lettre, ce fut lui qui se fit interrogateur. Le capitaine alors, pour ne pas perdre de temps, lui remit mon billet et continua sa route; Jadin le lut, fit un mouvement de tête qui voulait dire: Bon, bon, ce n'est que cela? mit soigneusement le billet dans une des nombreuses poches de sa veste, afin d'en augmenter sa collection d'autographes, et se remit à piocher.
Cinq minutes après, l'auberge du Pélican-Rouge était prise d'assaut par mon équipage, et le capitaine se précipitait dans ma chambre mon passe-port à la main.
Nous étions devenus si bons compagnons, mon brigadier et moi, qu'en vérité je n'en avais presque plus besoin.
Je n'en fus pas moins enchanté de ne pas avoir à mettre son amitié naissante à une trop rude épreuve; je lui tendis donc fièrement mon passe-port. Il jeta négligemment les yeux dessus, puis, ouvrant lui-même la porte:
—Son excellence le comte Guichard est en règle, dit-il, qu'on le laisse passer.
Toutes les portes s'ouvrirent. Moyennant mes deux piastres j'étais devenu comte.
—Dites donc, mon cher maréchal, lui demandai-je, si par hasard je rencontre sur mon chemin le maître de l'hôtel, est-ce que cela vous contrarierait que je l'assommasse?
—Moi, excellence? dit mon brave brigadier, pas le moins du monde, seulement prenez garde au couteau.
—Cela me regarde, maréchal.
—Et je descendis dans la douce espérance de régler mon double compte avec l'aubergiste du Pélican-Rouge; malheureusement, comme il se doutait sans doute de la chose, ce fut son premier garçon qui me présenta la carte; quant à lui, il était devenu parfaitement invisible.
Nous reprîmes Jadin en passant, et je rentrai triomphalement à
San-Giovanni à la tête de mon équipage.
CHAP. Ier. La maison des fous
II. Mœurs et anecdotes siciliennes
III. Excursion aux îles Éoliennes: Lipari
IV. Vulcano
V. Stromboli
VI. La sorcière de Palma
VII. Une trombe
VIII. La cage de fer
IX. Scylla
*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK, LE CAPITAINE ARENA ***
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