Dans le quartier, la nouvelle boutique produisit une grosse émotion. On accusa les Coupeau d'aller trop vite et de faire des embarras. Ils avaient, en effet, dépensé les cinq cents francs des Goujet en installation, sans garder même de quoi vivre une quinzaine, comme ils se l'étaient promis. Le matin où Gervaise enleva ses volets pour la première fois, elle avait juste six francs dans son porte-monnaie. Mais elle n'était pas en peine, les pratiques arrivaient, ses affaires s'annonçaient très bien. Huit jours plus tard, le samedi, avant de se coucher, elle resta deux heures à calculer, sur un bout de papier; et elle réveilla Coupeau, la mine luisante, pour lui dire qu'il y avait des mille et des cents à gagner, si l'on était raisonnable.

— Ah bien! criait madame Lorilleux dans toute la rue de la Goutte-d'Or, mon imbécile de frère en voit de drôles!… Il ne manquait plus à la Banban que de faire la vie. Ça lui va bien, n'est-ce pas?

Les Lorilleux s'étaient brouillés à mort avec Gervaise. D'abord, pendant les réparations de la boutique, ils avaient failli crever de rage; rien qu'à voir les peintres de loin, ils passaient sur l'autre trottoir, ils remontaient chez eux les dents serrées. Une boutique bleue à cette rien-du-tout, si ce n'était pas fait pour casser les bras des honnêtes gens! Aussi, dès le second jour, comme l'apprentie vidait à la volée un bol d'amidon, juste au moment où madame Lorilleux sortait, celle-ci avait-elle ameuté la rue en accusant sa belle-soeur de la faire insulter par ses ouvrières. Et tous rapports étaient rompus, on n'échangeait plus que des regards terribles, quand on se rencontrait.

— Oui, une jolie vie! répétait madame Lorilleux. On sait d'où il lui vient, l'argent de sa baraque! Elle a gagné ça avec le forgeron… Encore, du propre monde, de ce côté-là! Le père ne s'est-il pas coupé la tête avec un couteau, pour éviter la peine à la guillotine? Enfin, quelque sale histoire dans ce genre!

Elle accusait très carrément Gervaise de coucher avec Goujet. Elle mentait, elle prétendait les avoir surpris un soir ensemble, sur un banc du boulevard extérieur. La pensée de cette liaison, des plaisirs que devait goûter sa belle-soeur, l'exaspérait davantage, dans son honnêteté de femme laide. Chaque jour, le cri de son coeur lui revenait aux lèvres:

— Mais qu'a-t-elle donc sur elle, cette infirme, pour se faire aimer!
Est-ce qu'on m'aime, moi!

Puis, c'étaient des potins interminables avec les voisines. Elle racontait toute l'histoire. Allez, le jour du mariage, elle avait fait une drôle de tête! Oh! elle avait le nez creux, elle sentait déjà comment ça devait tourner. Plus tard, mon Dieu! la Banban s'était montrée si douce, si hypocrite, qu'elle et son mari, par égard pour Coupeau, avaient consenti à être parrain et marraine de Nana; même que ça coûtait bon, un baptême comme celui-là. Mais maintenant, voyez-vous! la Banban pouvait être à l'article de la mort et avoir besoin d'un verre d'eau, ce ne serait pas elle, bien sûr, qui le lui donnerait. Elle n'aimait pas les insolentes, ni les coquines, ni les dévergondées. Quant à Nana, elle serait toujours bien reçue, si elle montait voir son parrain et sa marraine; la petite, n'est-ce pas? n'était point coupable des crimes de la mère. Coupeau, lui, n'avait pas besoin de conseil; à sa place, tout homme aurait trempé le derrière de sa femme dans un baquet, en lui allongeant une paire de claques; enfin, ça le regardait, on lui demandait seulement d'exiger du respect pour sa famille. Jour de Dieu! si Lorilleux l'avait trouvée, elle, madame Lorilleux, en flagrant délit! ça ne se serait pas passé tranquillement, il lui aurait planté ses cisailles dans le ventre.

Les Boche, pourtant, juges sévères des querelles de la maison, donnaient tort aux Lorilleux. Sans doute, les Lorilleux étaient des personnes comme il faut, tranquilles, travaillant toute la sainte journée, payant leur terme recta. Mais là, franchement, la jalousie les enrageait. Avec ça, ils auraient tondu un oeuf. Des pingres, quoi! des gens qui cachaient leur litre, quand on montait, pour ne pas offrir un verre de vin; enfin, du monde pas propre. Un jour, Gervaise venait de payer aux Boche du cassis avec de l'eau de Seltz, qu'on buvait dans la loge, quand madame Lorilleux était passée, très raide, en affectant de cracher devant la porte des concierges. Et, depuis lors, chaque samedi, madame Boche, lorsqu'elle balayait les escaliers et les couloirs, laissait les ordures devant la porte des Lorilleux.

— Parbleu! criait madame Lorilleux, la Banban les gorge, ces goinfres! Ah! ils sont bien tous les mêmes!… Mais qu'ils ne m'embêtent pas! J'irais me plaindre au propriétaire… Hier encore, j'ai vu ce sournois de Boche se frotter aux jupes de madame Gaudron. S'attaquer à une femme de cet âge, qui a une demi-douzaine d'enfants, hein? c'est de la cochonnerie pure!… Encore une saleté de leur part, et je préviens la mère Boche, pour qu'elle flanque une tripotée à son homme… Dame! on rirait un peu.

Maman Coupeau voyait toujours les deux ménages, disant comme tout le monde, arrivant même à se faire retenir plus souvent à dîner, en écoutant complaisamment sa fille et sa belle-fille, un soir chacune. Madame Lerat, pour le moment, n'allait plus chez les Coupeau, parce qu'elle s'était disputée avec la Banban, un sujet d'un zouave qui venait de couper le nez de sa maîtresse d'un coup de rasoir; elle soutenait le zouave, elle trouvait le coup de rasoir très amoureux, sans donner ses raisons. Et elle avait encore exaspéré les colères de madame Lorilleux, en lui affirmant que la Banban, dans la conversation, devant des quinze et des vingt personnes, l'appelait Queue-de-vache sans se gêner. Mon Dieu! oui, les Boche, les voisins maintenant l'appelaient Queue-de-vache.

Au milieu de ces cancans, Gervaise, tranquille, souriante, sur le seuil de sa boutique, saluait les amis d'un petit signe de tête affectueux. Elle se plaisait à venir là, une minute, entre deux coups de fer, pour rire à la rue, avec le gonflement de vanité d'une commerçante, qui a un bout de trottoir à elle. La rue de la Goutte-d'Or lui appartenait, et les rues voisines, et le quartier tout entier. Quand elle allongeait la tête, en camisole blanche, les bras nus, ses cheveux blonds envolés dans le feu du travail, elle jetait un regard à gauche, un regard à droite, aux deux bouts, pour prendre d'un trait les passants, les maisons, le pavé et le ciel: à gauche, la rue de la Goutte-d'Or s'enfonçait, paisible, déserte, dans un coin de province, où des femmes causaient bas sur les portes; à droite, à quelques pas, la rue des Poissonniers mettait un vacarme de voitures, un continuel piétinement de foule, qui refluait et faisait de ce bout un carrefour de cohue populaire. Gervaise aimait la rue, les cahots des camions dans les trous du gros pavé bossué, les bousculades des gens le long des minces trottoirs, interrompus par des cailloutis en pente raide; ses trois mètres de ruisseau, devant sa boutique, prenaient une importance énorme, un fleuve large, qu'elle voulait très-propre, un fleuve étrange et vivant, dont la teinturerie de la maison colorait les eaux des caprices les plus tendres, au milieu de la boue noire. Puis, elle s'intéressait à des magasins, une vaste épicerie, avec un étalage de fruits secs garanti par des filets à petites mailles, une lingerie et bonneterie d'ouvriers, balançant au moindre souffle des cottes et des blouses bleues, pendues les jambes et les bras écartés. Chez la fruitière, chez la tripière, elle apercevait des angles de comptoir, où des chats superbes et tranquilles ronronnaient. Sa voisine, madame Vigouroux, la charbonnière, lui rendait son salut, une petite femme grasse, la face noire, les yeux luisants, fainéantant à rire avec des hommes, adossée contre sa devanture, que des bûches peintes sur un fond lie de vin décoraient d'un dessin compliqué de chalet rustique. Mesdames Cudorge, la mère et la fille, ses autres voisines qui tenaient la boutique de parapluies, ne se montraient jamais, leur vitrine assombrie, leur porte close, ornée de deux petites ombrelles de zinc enduites d'une épaisse couche de vermillon vif. Mais Gervaise, avant de rentrer, donnait toujours un coup d'oeil, en face d'elle, à un grand mur blanc, sans une fenêtre, percé d'une immense porte cochère, par laquelle on voyait le flamboiement d'une forge, dans une cour encombrée de charrettes et de carrioles, les brancards en l'air. Sur le mur, le mot: Maréchalerie, était écrit en grandes lettres, encadré d'un éventail de fers à cheval. Toute la journée, les marteaux sonnaient sur l'enclume, des incendies d'étincelles éclairaient l'ombre blafarde de la cour. Et, au bas de ce mur, au fond d'un trou, grand comme une armoire, entre une marchande de ferraille et une marchande de pommes de terre frites, il y avait un horloger, un monsieur en redingote, l'air propre, qui fouillait continuellement des montres avec des outils mignons, devant un établi où des choses délicates dormaient sous des verres; tandis que, derrière lui, les balanciers de deux ou trois douzaines de coucous tout petits battaient à la fois, dans la misère noire de la rue et le vacarme cadencé de la maréchalerie.

Le quartier trouvait Gervaise bien gentille. Sans doute, on clabaudait sur son compte, mais il n'y avait qu'une voix pour lui reconnaître de grands yeux, une bouche pas plus longue que ça, avec des dents très blanches. Enfin, c'était une jolie blonde, et elle aurait pu se mettre parmi les plus belles, sans le malheur de sa jambe. Elle était dans ses vingt-huit ans, elle avait engraissé. Ses traits fins s'empâtaient, ses gestes prenaient une lenteur heureuse. Maintenant, elle s'oubliait parfois sur le bord d'une chaise, le temps d'attendre son fer, avec un sourire vague, la face noyée d'une joie gourmande. Elle devenait gourmande; ça, tout le monde le disait; mais ce n'était pas un vilain défaut, au contraire. Quand on gagne de quoi se payer de fins morceaux, n'est-ce pas? on serait bien bête de manger des pelures de pommes de terre. D'autant plus qu'elle travaillait toujours dur, se mettant en quatre pour ses pratiques, passant elle-même les nuits, les volets fermés, lorsque la besogne était pressée. Comme on disait dans le quartier, elle avait la veine; tout lui prospérait. Elle blanchissait la maison, M. Madinier, mademoiselle Remanjou, les Boche; elle enlevait même à son ancienne patronne, madame Fauconnier, des dames de Paris logées rue du Faubourg-Poissonnière. Dès la seconde quinzaine, elle avait dû prendre deux ouvrières, madame Putois et la grande Clémence, cette fille qui habitait autrefois au sixième; ça lui faisait trois personnes chez elle, avec son apprentie, ce petit louchon d'Augustine, laide comme un derrière de pauvre homme. D'autres auraient pour sûr perdu la tête dans ce coup de fortune. Elle était bien pardonnable de fricoter un peu le lundi, après avoir trimé la semaine entière. D'ailleurs, il lui fallait ça; elle serait restée gnangnan, à regarder les chemises se repasser toutes seules, si elle ne s'était pas collé un velours sur la poitrine, quelque chose de bon dont l'envie lui chatouillait le jabot.

Jamais Gervaise n'avait encore montré tant de complaisance. Elle était douce comme un mouton, bonne comme du pain. A part madame Lorilleux, qu'elle appelait Queue-de-vache pour se venger, elle ne détestait personne, elle excusait tout le monde. Dans le léger abandon de sa gueulardise, quand elle avait bien déjeuné et pris son café, elle cédait au besoin d'une indulgence générale. Son mot était: « On doit se pardonner entre soi, n'est-ce pas, si l'on ne veut pas vivre comme des sauvages. » Quand on lui parlait de sa bonté, elle riait. Il n'aurait plus manqué qu'elle fût méchante! Elle se défendait, elle disait n'avoir aucun mérite à être bonne. Est-ce que tous ses rêves n'étaient pas réalisés? est-ce qu'il lui restait à ambitionner quelque chose dans l'existence? Elle rappelait son idéal d'autrefois, lorsqu'elle se trouvait sur le pavé: travailler, manger du pain, avoir un trou à soi, élever ses enfants, ne pas être battue, mourir dans son lit. Et maintenant son idéal était dépassé; elle avait tout, et en plus beau. Quant à mourir dans son lit, ajoutait-elle en plaisantant, elle y comptait, mais le plus tard possible, bien entendu.

C'était surtout pour Coupeau que Gervaise se montrait gentille. Jamais une mauvaise parole, jamais une plainte derrière le dos de son mari. Le zingueur avait fini par se remettre au travail; et, comme son chantier était alors à l'autre bout de Paris, elle lui donnait tous les matins quarante sous pour son déjeuner, sa goutte et son tabac. Seulement, deux jours sur six, Coupeau s'arrêtait en route, buvait les quarante sous avec un ami, et revenait déjeuner en racontant une histoire. Une fois même, il n'était pas allé loin, il s'était payé avec Mes-Bottes et trois autres un gueuleton soigné, des escargots, du rôti et du vin cacheté, au Capucin, barrière de la Chapelle; puis, comme ses quarante sous ne suffisaient pas, il avait envoyé la note à sa femme par un garçon, en lui faisant dire qu'il était au clou. Celle-ci riait, haussait les épaules. Où était le mal, si son homme s'amusait un peu? Il fallait laisser aux hommes la corde longue, quand on voulait vivre en paix dans son ménage. D'un mot à un autre, on en arrivait vite aux coups. Mon Dieu! on devait tout comprendre. Coupeau souffrait encore de sa jambe, puis il se trouvait entraîné, il était bien forcé de faire comme les autres, sous peine de passer pour un mufe. D'ailleurs, ça ne tirait pas à conséquence; s'il rentrait éméché, il se couchait, et deux heures après il n'y paraissait plus. Cependant, les fortes chaleurs étaient venues. Une après-midi de juin, un samedi que l'ouvrage pressait, Gervaise avait elle-même bourré de coke la mécanique, autour de laquelle dix fers chauffaient, dans le ronflement du tuyau. A cette heure, le soleil tombait d'aplomb sur la devanture, le trottoir renvoyait une réverbération ardente, dont les grandes moires dansaient au plafond de la boutique; et ce coup de lumière, bleui par le reflet du papier des étagères et de la vitrine, mettait au-dessus de l'établi un jour aveuglant, comme une poussière de soleil tamisée dans les linges fins. Il faisait là une température à crever. On avait laissé ouverte la porte de la rue, mais pas un souffle de vent ne venait; les pièces qui séchaient en l'air, pendues aux fils de laiton, fumaient, étaient raides comme des copeaux en moins de trois quarts d'heure. Depuis un instant, sous cette lourdeur de fournaise, un gros silence régnait, au milieu duquel les fers seuls tapaient sourdement, étouffés par l'épaisse couverture garnie de calicot.

— Ah bien! dit Gervaise, si nous ne fondons pas, aujourd'hui! On retirerait sa chemise!

Elle était accroupie par terre, devant une terrine, occupée à passer du linge à l'amidon. En jupon blanc, la camisole retroussée aux manches et glissée des épaules, elle avait les bras nus, le cou nu, toute rose, si suante, que les petites mèches blondes de ses cheveux ébouriffés se collaient à sa peau. Soigneusement, elle trempait dans l'eau laiteuse des bonnets, des devants de chemises d'homme, des jupons entiers, des garnitures de pantalons de femme. Puis, elle roulait les pièces et les posait au fond d'un panier carré, après avoir plongé dans un seau et secoué sa main sur les corps des chemises et des pantalons qui n'étaient pas amidonnés.

— C'est pour vous, ce panier, madame Putois, reprit-elle. Dépêchez-vous, n'est-ce pas? Ça sèche tout de suite, il faudrait recommencer dans une heure.

Madame Putois, une femme de quarante-cinq ans, maigre, petite, repassait sans une goutte de sueur, boutonnée dans un vieux caraco marron. Elle n'avait pas même retiré son bonnet, un bonnet noir garni de rubans verts tournés au jaune. Elle restait raide devant l'établi, trop haut pour elle, les coudes en l'air, poussant son fer avec des gestes cassés de marionnette. Tout d'un coup, elle s'écria:

— Ah! non, mademoiselle Clémence, remettez votre camisole. Vous savez, je n'aime pas les indécences. Pendant que vous y êtes, montrez toute votre boutique. Il y a déjà trois hommes arrêtés en face.

La grande Clémence la traita de vieille bête, entre ses dents. Elle suffoquait, elle pouvait bien se mettre à l'aise; tout le monde n'avait pas une peau d'amadou. D'ailleurs, est-ce qu'on voyait quelque chose? Et elle levait les bras, sa gorge puissante de belle fille crevait sa chemise, ses épaules faisaient craquer les courtes manches. Clémence s'en donnait à se vider les moelles avant trente ans; le lendemain des noces sérieuses, elle ne sentait plus le carreau sous ses pieds, elle dormait sur la besogne, la tête et le ventre comme bourrés de chiffons. Mais on la gardait quand même, car pas une ouvrière ne pouvait se flatter de repasser une chemise d'homme avec son chic. Elle avait la spécialité des chemises d'homme.

— C'est à moi, allez! finit-elle par déclarer, en se donnant des claques sur la gorge. Et ça ne mord pas, ça ne fait bobo à personne.

— Clémence, remettez votre camisole, dit Gervaise. Madame Putois a raison, ce n'est pas convenable… On prendrait ma maison pour ce qu'elle n'est pas.

Alors, la grande Clémence se rhabilla en bougonnant. En voilà des giries! Avec ça que les passants n'avaient jamais vu des nénais! Et elle soulagea sa colère sur l'apprentie, ce louchon d'Augustine, qui repassait à côté d'elle du linge plat, des bas et des mouchoirs; elle la bouscula, la poussa avec son coude. Mais Augustine, hargneuse, d'une méchanceté sournoise de monstre et de souffre-douleur, cracha par derrière sur sa robe, sans qu'on la vît, pour se venger.

Gervaise pourtant venait de commencer un bonnet appartenant à madame Boche, qu'elle voulait soigner. Elle avait préparé de l'amidon cuit pour le remettre à neuf. Elle promenait doucement, dans le fond de la coiffe, le polonais, un petit fer arrondi des deux bouts, lorsqu'une femme entra, osseuse, la face tachée de plaques rouges, les jupes trempées. C'était une maîtresse laveuse qui employait trois ouvrières au lavoir de la Goutte-d'Or.

— Vous arrivez trop tôt, madame Bijard! cria Gervaise. Je vous avais dit ce soir…. Vous me dérangez joliment, à cette heure-ci!

Mais comme la laveuse se lamentait, craignant de ne pouvoir mettre couler le jour même, elle voulut bien lui donner le linge sale tout de suite. Elles allèrent chercher les paquets dans la pièce de gauche où couchait Étienne, et revinrent avec des brassées énormes, qu'elles empilèrent sur le carreau, au fond de la boutique. Le triage dura une grosse demi-heure. Gervaise faisait des tas autour d'elle, jetait ensemble les chemises d'homme, les chemises de femme, les mouchoirs, les chaussettes, les torchons. Quand une pièce d'un nouveau client lui passait entre les mains, elle la marquait d'une croix au fil rouge pour la reconnaître. Dans l'air chaud, une puanteur fade montait de tout ce linge sale remué.

— Oh! la, la, ça gazouille! dit Clémence, en se bouchant le nez.

— Pardi! si c'était propre, on ne nous le donnerait pas, expliqua tranquillement Gervaise. Ça sent son fruit, quoi!…. Nous disions quatorze chemises de femme, n'est-ce pas, madame Bijard?… quinze, seize, dix-sept….

Elle continua à compter tout haut. Elle n'avait aucun dégoût, habituée à l'ordure; elle enfonçait ses bras nus et roses au milieu des chemises jaunes de crasse, des torchons raidis par la graisse des eaux de vaisselle, des chaussettes mangées et pourries de sueur. Pourtant, dans l'odeur forte qui battait son visage penché au-dessus des tas, une nonchalance la prenait. Elle s'était assise au bord d'un tabouret, se courbant en deux, allongeant les mains à droite, à gauche, avec des gestes ralentis, comme si elle se grisait de cette puanteur humaine, vaguement souriante, les yeux noyés. Et il semblait que ses premières paresses vinssent de là, de l'asphyxie des vieux linges empoisonnant l'air autour d'elle.

Juste au moment où elle secouait une couche d'enfant, qu'elle ne reconnaissait pas, tant elle était pisseuse, Coupeau entra.

— Cré coquin! bégaya-t-il, quel coup de soleil!… Ça vous tape dans la tête!

Le zingueur se retint à l'établi pour ne pas tomber. C'était la première fois qu'il prenait une pareille cuite. Jusque-là, il était rentré pompette, rien de plus. Mais, cette fois, il avait un gnon sur l'oeil, une claque amicale égarée dans une bousculade. Ses cheveux frisés, où des fils blancs se montraient déjà, devaient avoir épousseté une encoignure de quelque salle louche de marchand de vin, car une toile d'araignée pendait à une mèche, sur la nuque. Il restait rigolo d'ailleurs, les traits un peu tirés et vieillis, la mâchoire inférieure saillant davantage, mais toujours bon enfant, disait-il, et la peau encore assez tendre pour faire envie à une duchesse.

— Je vais t'expliquer, reprit-il en s'adressant à Gervaise. C'est Pied-de-Céleri, tu le connais bien, celui qui a une quille de bois… Alors, il part pour son pays, il a voulu nous régaler… Oh! nous étions d'aplomb, sans ce gueux de soleil… Dans la rue, le monde est malade. Vrai! le monde festonne…

Et comme la grande Clémence s'égayait de ce qu'il avait vu la rue soûle, il fut pris lui-même d'une joie énorme dont il faillit étrangler. Il criait:

— Hein! les sacrés pochards! Ils sont d'un farce!… Mais ce n'est pas leur faute, c'est le soleil…

Toute la boutique riait, même madame Putois, qui n'aimait pas les ivrognes. Ce louchon d'Augustine avait un chant de poule, la bouche ouverte, suffoquant. Cependant, Gervaise soupçonnait Coupeau de n'être pas rentré tout droit, d'avoir passé une heure chez les Lorilleux, où il recevait de mauvais conseils. Quand il lui eut juré que non, elle rit à son tour, pleine d'indulgence, ne lui reprochant même pas d'avoir encore perdu une journée de travail.

— Dit-il des bêtises, mon Dieu! murmura-t-elle. Peut-on dire des bêtises pareilles!

Puis, d'une voix maternelle:

— Va te coucher, n'est-ce pas? Tu vois, nous sommes occupées; tu nous gênes… Ça fait trente-deux mouchoirs, madame Bijard; et deux autres, trente-quatre…

Mais Coupeau n'avait pas sommeil. Il resta là, à se dandiner, avec un mouvement de balancier d'horloge, ricanant d'un air entêté et taquin. Gervaise, qui voulait se débarrasser de madame Bijard, appela Clémence, lui fit compter le linge pendant qu'elle l'inscrivait. Alors, à chaque pièce, cette grande vaurienne lâcha un mot cru, une saleté; elle étalait les misères des clients, les aventures des alcôves, elle avait des plaisanteries d'atelier sur tous les trous et toutes les taches qui lui passaient par les mains. Augustine faisait celle qui ne comprend pas, ouvrait de grandes oreilles de petite fille vicieuse. Madame Putois pinçait les lèvres, trouvait ça bête, de dire ces choses devant Coupeau; un homme n'a pas besoin de voir le linge; c'est un de ces déballages qu'on évite chez les gens comme il faut. Quant à Gervaise, sérieuse, à son affaire, elle semblait ne pas entendre. Tout en écrivant, elle suivait les pièces d'un regard attentif, pour les reconnaître au passage; et elle ne se trompait jamais, elle mettait un nom sur chacune, au flair, à la couleur. Ces serviettes-là appartenaient aux Goujet; ça sautait aux yeux, elles n'avaient pas servi à essuyer le cul des poêlons. Voilà une taie d'oreiller qui venait certainement des Boche, à cause de la pommade dont madame Boche emplâtrait tout son linge. Il n'y avait pas besoin non plus de mettre son nez sur les gilets de flanelle de M. Madinier, pour savoir qu'ils étaient à lui; il teignait la laine, cet homme, tant il avait la peau grasse. Et elle savait d'autres particularités, les secrets de la propreté de chacun, les dessous des voisines qui traversaient la rue en jupes de soie, le nombre de bas, de mouchoirs, de chemises qu'on salissait par semaine, la façon dont les gens déchiraient certaines pièces, toujours au même endroit. Aussi était-elle pleine d'anecdotes. Les chemises de mademoiselle Remanjou, par exemple, fournissaient des commentaires interminables; elles s'usaient par le haut, la vieille fille devait avoir les os des épaules pointus; et jamais elles n'étaient sales, les eût-elle portées quinze jours, ce qui prouvait qu'à cet âge-là on est quasiment comme un morceau de bois, dont on serait bien en peine de tirer une larme de quelque chose. Dans la boutique, à chaque triage, on déshabillait ainsi tout le quartier de la Goutte-d'Or.

— Ça, c'est du nanan! cria Clémence, en ouvrant un nouveau paquet.

Gervaise, prise brusquement d'une grande répugnance, s'était reculée.

— Le paquet de madame Gaudron, dit-elle. Je ne veux plus la blanchir, je cherche un prétexte… Non, je ne suis pas plus difficile qu'une autre, j'ai touché à du linge bien dégoûtant dans ma vie; mais, vrai, celui-là, je ne peux pas. Ça me ferait jeter du coeur sur du carreau… Qu'est-ce qu'elle fait donc, cette femme, pour mettre son linge dans un état pareil!

Et elle pria Clémence de se dépêcher. Mais l'ouvrière continuait ses remarques, fourrait ses doigts dans les trous, avec des allusions sur les pièces, qu'elle agitait comme les drapeaux de l'ordure triomphante. Cependant, les tas avaient monté autour de Gervaise. Maintenant, toujours assise au bord du tabouret, elle disparaissait entre les chemises et les jupons; elle avait devant elle les draps, les pantalons, les nappes, une débâcle de malpropreté; et, là dedans, au milieu de cette mare grandissante, elle gardait ses bras nus, son cou nu, avec ses mèches de petits cheveux blonds collés à ses tempes, plus rose et plus alanguie. Elle retrouvait son air posé, son sourire de patronne attentive et soigneuse, oubliant le linge de madame Gaudron, ne le sentant plus, fouillant d'une main dans les tas pour voir s'il n'y avait pas d'erreur. Ce louchon d'Augustine, qui adorait jeter des pelletées de coke dans la mécanique, venait de la bourrer à un tel point, que les plaques de fonte rougissaient. De soleil oblique battait la devanture, la boutique flambait. Alors, Coupeau, que la grosse chaleur grisait davantage, fut pris d'une soudaine tendresse. Il s'avança vers Gervaise, les bras ouverts, très ému.

— T'es une bonne femme, bégayait-il. Faut que je t'embrasse.

Mais il s'emberlificota dans les jupons, qui lui barraient le chemin, et faillit tomber.

— Es-tu bassin! dit Gervaise sans se fâcher. Reste tranquille, nous avons fini.

Non, il voulait l'embrasser, il avait besoin de ça, parce qu'il l'aimait bien. Tout en balbutiant, il tournait le tas de jupons, il butait dans le tas de chemises; puis, comme il s'entêtait, ses pieds s'accrochèrent, il s'étala, le nez au beau milieu des torchons. Gervaise, prise d'un commencement d'impatience, le bouscula, en criant qu'il allait tout mélanger. Mais Clémence, madame Putois elle-même, lui donnèrent tort. Il était gentil, après tout. Il voulait l'embrasser. Elle pouvait bien se laisser embrasser.

— Vous êtes heureuse, allez! madame Coupeau, dit madame Bijard, que son soûlard de mari, un serrurier, tuait de coups chaque soir en rentrant. Si le mien était comme ça, quand il s'est piqué le nez, ce serait un plaisir!

Gervaise, calmée, regrettait déjà sa vivacité. Elle aida Coupeau à se remettre debout. Puis, elle tendit la joue en souriant. Mais le zingueur, sans se gêner devant le monde, lui prit les seins.

— Ce n'est pas pour dire, murmurait-il, il chelingue rudement, ton linge! Mais je t'aime tout de même, vois-tu!

— Laisse-moi, tu me chatouilles, cria-t-elle en riant plus fort.
Quelle grosse bête! On n'est pas bête comme ça!

Il l'avait empoignée, il ne la lâchait pas. Elle s'abandonnait, étourdie par le léger vertige qui lui venait du tas de linge, sans dégoût pour l'haleine vineuse de Coupeau. Et le gros baiser qu'ils échangèrent à pleine bouche, au milieu des saletés du métier, était comme une première chute, dans le lent avachissement de leur vie.

Cependant, madame Bijard nouait le linge en paquets. Elle parlait de sa petite, âgée de deux ans, une enfant nommée Eulalie, qui avait déjà de la raison comme une femme. On pouvait la laisser seule; elle ne pleurait jamais, elle ne jouait pas avec les allumettes. Enfin, elle emporta les paquets de linge un à un, sa grande taille cassée sous le poids, sa face se marbrant de taches violettes.

— Ce n'est plus tenable, nous grillons, dit Gervaise en s'essuyant la figure, avant de se remettre au bonnet de madame Boche.

Et l'on parla de ficher des claques à Augustine, quand on s'aperçut que la mécanique était rouge. Les fers, eux aussi, rougissaient. Elle avait donc le diable dans le corps! On ne pouvait pas tourner le dos sans qu'elle fit quelque mauvais coup. Maintenant, il fallait attendre un quart d'heure pour se servir des fers. Gervaise couvrit le feu de deux pelletées de cendre. Elle imagina en outre de tendre une paire de draps sur les fils de laiton du plafond, en manière de stores, afin d'amortir le soleil. Alors, on fut très bien dans la boutique. La température y était encore joliment douce; mais on se serait cru dans une alcôve, avec un jour blanc, enfermé comme chez soi, loin du monde, bien qu'on entendît, derrière les draps, les gens marchant vite sur le trottoir; et l'on avait la liberté de se mettre à son aise. Clémence retira sa camisole. Coupeau refusant toujours d'aller se coucher, on lui permit de rester, mais il dut promettre de se tenir tranquille dans un coin, car il s'agissait à cette heure de ne pas s'endormir sur le rôti.

— Qu'est-ce que cette vermine a encore fait du polonais? murmurait
Gervaise, en parlant d'Augustine.

On cherchait toujours le petit fer, que l'on retrouvait dans des endroits singuliers, où l'apprentie, disait-on, le cachait par malice. Gervaise acheva enfin la coiffe du bonnet de madame Boche. Elle en avait ébauché les dentelles, les détirant à la main, les redressant d'un léger coup de fer. C'était un bonnet dont la passe, très ornée, se composait d'étroits bouillonnés alternant avec des entre-deux brodés. Aussi s'appliquait-elle, muette, soigneuse, repassant les bouillonnés et les entre-deux au coq, un oeuf de fer fiché par une tige dans un pied de bois.

Alors, un silence régna. On n'entendit plus, pendant un instant, que les coups sourds, étouffés sur la couverture. Aux deux côtés de la vaste table carrée, la patronne, les deux ouvrières et l'apprentie, debout, se penchaient, toutes à leur besogne, les épaules arrondies, les bras promenés dans un va-et-vient continu. Chacune, à sa droite, avait son carreau, une brique plate, brûlée par les fers trop chauds. Au milieu de la table, au bord d'une assiette creuse pleine d'eau claire, trempaient un chiffon et une petite brosse. Un bouquet de grand lis, dans un ancien bocal de cerises à l'eau-de-vie, s'épanouissait, mettait là un coin de jardin royal, avec la touffe de ses larges fleurs de neige. Madame Putois avait attaqué le panier de linge préparé par Gervaise, des serviettes, des pantalons, des camisoles, des paires de manches. Augustine faisait traîner ses bas et ses torchons, le nez en l'air, intéressée par une grosse mouche qui volait. Quant à la grande Clémence, elle en était, depuis le matin, à sa trente-cinquième chemise d'homme.

— Toujours du vin, jamais de casse-poitrine! dit tout d'un coup le zingueur, qui éprouva le besoin de faire cette déclaration. Le casse-poitrine me fait du mal n'en faut pas!

Clémence prenait un fer à la mécanique, avec sa poignée de cuir garnie de tôle, et l'approchait de sa joue, pour s'assurer s'il était assez chaud. Elle le frotta sur son carreau, l'essuya sur un linge pendu à sa ceinture, et attaqua sa trente-cinquième chemise, en repassant d'abord l'empiècement et les deux manches.

— Bah! monsieur Coupeau, dit-elle, au bout d'une minute, un petit verre de cric, ce n'est pas mauvais. Moi, ça me donne du chien… Puis, vous savez, plus vite on est tortillé, plus c'est drôle. Oh! je ne me monte pas le bourrichon, je sais que je ne ferai pas de vieux os.

— Êtes-vous tannante avec vos idées d'enterrement! interrompit madame
Putois, qui n'aimait pas les conversations tristes.

Coupeau s'était levé, et se fâchait, en croyant qu'on l'accusait d'avoir bu de l'eau-de-vie. Il le jurait sur sa tête, sur celles de sa femme et de son enfant, il n'avait pas une goutte d'eau-de-vie dans le corps. Et il s'approchait de Clémence, lui soufflant dans la figure pour qu'elle le sentît. Puis, quand il eut le nez sur ses épaules nues, il se mit à ricaner. Il voulait voir. Clémence, après avoir plié le dos de la chemise et donné un coup de fer des deux côtés, en était aux poignets et au col. Mais, comme il se poussait toujours contre elle, il lui fit faire un faux pli; et elle dut prendre la brosse, au bord de l'assiette creuse, pour lisser l'amidon.

— Madame! dit-elle, empêchez-le donc d'être comme ça après moi!
— Laisse-la, tu n'es pas raisonnable, déclara tranquillement
Gervaise. Nous sommes pressées, entends-tu?

Elles étaient pressées, eh bien! quoi? ce n'était pas sa faute. Il ne faisait rien de mal. Il ne touchait pas, il regardait seulement. Est-ce qu'il n'était plus permis de regarder les belles choses que le bon Dieu a faites? Elle avait tout de même de sacrés ailerons, cette dessalée de Clémence! Elle pouvait se montrer pour deux sous et laisser tâter, personne ne regretterait son argent. L'ouvrière, cependant, ne se défendait plus, riait de ces compliments tout crus d'homme en ribotte. Et elle en venait à plaisanter avec lui. Il la blaguait sur les chemises d'homme. Alors, elle était toujours dans les chemises d'homme. Mais oui? elle vivait là dedans. Ah! Dieu de Dieu! elle les connaissait joliment, elle savait comment c'était fait. Il lui en avait passé par les mains, et des centaines, et des centaines! Tous les blonds et tous les bruns du quartier portaient de son ouvrage sur le corps. Pourtant, elle continuait, les épaules secouées de son rire; elle avait marqué cinq grands plis à plat dans le dos, en introduisant le fer par l'ouverture du plastron; elle rabattait le pan de devant et le plissait également à larges coups.

— Ça, c'est la bannière! dit-elle en riant plus fort.

Ce louchon d'Augustine éclata, tant le mot lui parut drôle. On la gronda. En voilà une morveuse qui riait des mots qu'elle ne devait pas comprendre! Clémence lui passa son fer; l'apprentie finissait les fers sur ses torchons et sur ses bas, quand ils n'étaient plus assez chauds pour les pièces amidonnées. Mais elle empoigna celui-là si maladroitement, qu'elle se fit une manchette, une longue brûlure au poignet. Et elle sanglota, elle accusa Clémence de l'avoir brûlée exprès. L'ouvrière, qui était allée chercher un fer très chaud pour le devant de la chemise, la consola tout de suite en la menaçant de lui repasser les deux oreilles, si elle continuait. Cependant, elle avait fourré une laine sous le plastron, elle poussait lentement le fer, laissant à l'amidon le temps de ressortir et de sécher. Le devant de chemise prenait une raideur et un luisant de papier fort.

— Sacré mâtin! jura Coupeau, qui piétinait derrière elle, avec une obstination d'ivrogne.

Il se haussait, riant d'un rire de poulie mal graissée. Clémence, appuyée fortement sur l'établi, les poignets retournés, les coudes en l'air et écartés, pliait le cou, dans un effort; et toute sa chair nue avait un gonflement, ses épaules remontaient avec le jeu lent des muscles mettant des battements sous la peau fine, la gorge s'enflait, moite de sueur, dans l'ombre rose de la chemise béante. Alors, il envoya les mains, il voulut toucher.

— Madame! madame! cria Clémence, faites-le tenir tranquille, à la fin!… Je m'en vais, si ça continue. Je ne veux pas être insultée.

Gervaise venait de poser le bonnet de madame Boche sur un champignon garni d'un linge, et en tuyautait les dentelles, minutieusement, au petit fer. Elle leva les yeux juste au moment où le zingueur envoyait encore les mains, fouillant dans la chemise.

— Décidément, Coupeau, tu n'es pas raisonnable, dit-elle d'un air d'ennui, comme si elle avait grondé un enfant s'entêtant à manger des confitures sans pain. Tu vas venir te coucher.

— Oui, allez vous coucher, monsieur Coupeau, ça vaudra mieux, déclara madame Putois.

— Ah bien! bégaya-t-il sans cesser de ricaner, vous êtes encore joliment toc!… On ne peut plus rigoler, alors? Les femmes, ça me connaît, je ne leur ai jamais rien cassé. On pince une dame, n'est-ce pas? mais on ne va pas plus loin; on honore simplement le sexe… Et puis, quand on étale sa marchandise, c'est pour qu'on fasse son choix, pas vrai? Pourquoi la grande blonde montre-t-elle tout ce qu'elle a? Non, ce n'est pas propre…

Et, se tournant vers Clémence:

— Tu sais, ma biche, tu as tort de faire ta poire… Si c'est parce qu'il y a du monde…

Mais il ne put continuer. Gervaise, sans violence l'empoignait d'une main et lui posait l'autre main sur la bouche. Il se débattit, par manière de blague, pendant qu'elle le poussait au fond de la boutique, vers la chambre. Il dégagea sa bouche, il dit qu'il voulait bien se coucher, mais que la grande blonde allait venir lui chauffer les petons. Puis, on entendit Gervaise lui ôter ses souliers. Elle le déshabillait, en le bourrant un peu, maternellement. Lorsqu'elle tira sur sa culotte, il creva de rire, s'abandonnant, renversé, vautré au beau milieu du lit; et il gigottait, il racontait qu'elle lui faisait des chatouilles. Enfin, elle l'emmaillotta avec soin, comme un enfant. Était-il bien, au moins? Mais il ne répondit pas, il cria à Clémence:

— Dis donc, ma biche, j'y suis, je t'attends.

Quand Gervaise retourna dans la boutique, ce louchon d'Augustine recevait décidément une claque de Clémence. C'était venu à propos d'un fer sale, trouvé sur la mécanique par madame Putois; celle-ci, ne se méfiant pas, avait noirci toute une camisole; et comme Clémence, pour se défendre de ne pas avoir nettoyé son fer, accusait Augustine, jurait ses grands dieux que le fer n'était pas à elle, malgré la plaque d'amidon brûlé restée dessous, l'apprentie lui avait craché sur la robe, sans se cacher, par devant, outrée d'une pareille injustice. De là, une calotte soignée. Le louchon rentra ses larmes, nettoya le fer, en le grattant, puis en l'essuyant, après l'avoir frotté avec un bout de bougie; mais, chaque fois qu'elle devait passer derrière Clémence, elle gardait de la salive, elle crachait, riant en dedans, quand ça dégoulinait le long de la jupe.

Gervaise se remit à tuyauter les dentelles du bonnet. Et, dans le calme brusque qui se fit, on distingua, au fond de l'arrière-boutique, la voix épaisse de Coupeau. Il restait bon enfant, il riait tout seul, en lâchant des bouts de phrases.

— Est-elle bête, ma femme!… Est-elle bête de me coucher!… Hein! c'est trop bête, en plein midi, quand on n'a pas dodo!

Mais, tout d'un coup, il ronfla. Alors, Gervaise eut un soupir de soulagement, heureuse de le savoir enfin en repos, cuvant sa soulographie sur deux bons matelas. Et elle parla dans le silence, d'une voix lente et continue, sans quitter des yeux le petit fer à tuyauter, qu'elle maniait vivement.

— Que voulez-vous? il n'a pas sa raison, on ne peut pas se fâcher. Quand je le bousculerais, ça n'avancerait à rien. J'aime mieux dire comme lui et le coucher; au moins, c'est fini tout de suite et je suis tranquille… Puis, il n'est pas méchant, il m'aime bien. Vous avez vu tout à l'heure, il se serait fait hacher pour m'embrasser. C'est encore très gentil, ça; car il y en a joliment, lorsqu'ils ont bu, qui vont voir les femmes… Lui, rentre tout droit ici. Il plaisante bien avec les ouvrières, mais ça ne va pas plus loin. Entendez-vous, Clémence, il ne faut pas vous blesser. Vous savez ce que c'est, un homme soûl; ça tuerait père et mère, et ça ne s'en souviendrait seulement pas… Oh! je lui pardonne de bon coeur. Il est comme tous les autres, pardi!

Elle disait ces choses mollement, sans passion, habituée déjà aux bordées de Coupeau, raisonnant encore ses complaisances pour lui, mais ne voyant déjà plus de mal à ce qu'il pinçât, chez elle, les hanches des filles. Quand elle se tut, le silence retomba, ne fut plus troublé. Madame Putois, à chaque pièce qu'elle prenait, tirait la corbeille, enfoncée sous la tenture de cretonne qui garnissait l'établi; puis, la pièce repassée, elle haussait ses petits bras et la posait sur une étagère. Clémence achevait de plisser au fer sa trente-cinquième chemise d'homme. L'ouvrage débordait; on avait calculé qu'il faudrait veiller jusqu'à onze heures, en se dépêchant. Tout l'atelier, maintenant, n'ayant plus de distraction, bûchait ferme, tapait dur. Les bras nus allaient, venaient, éclairaient de leurs taches roses la blancheur des linges. On avait encore empli de coke la mécanique, et comme le soleil, glissant entre les draps, frappait en plein sur le fourneau, on voyait la grosse chaleur monter dans le rayon, une flamme invisible dont le frisson secouait, l'air. L'étouffement devenait tel, sous les jupes et les nappes séchant au plafond, que ce louchon d'Augustine, à bout de salive, laissait passer un coin de langue au bord des lèvres. Ça sentait la fonte surchauffée, l'eau d'amidon aigrie, le roussi des fers, une fadeur tiède de baignoire où les quatre ouvrières, se démanchant les épaules, mettaient l'odeur plus rude de leurs chignons et de leurs nuques trempées; tandis que le bouquet de grands lis, dans l'eau verdie de son bocal, se fanait, en exhalant un parfum très pur, très fort. Et, par moments, au milieu du bruit des fers et du tisonnier grattant la mécanique, un ronflement de Coupeau roulait, avec la régularité d'un tic-tac énorme d'horloge, réglant la grosse besogne de l'atelier.

Les lendemains de culotte, le zingueur avait mal aux cheveux, un mal aux cheveux terrible qui le tenait tout le jour les crins défrisés, le bec empesté, la margoulette enflée et de travers. Il se levait tard, secouait ses puces sur les huit heures seulement; et il crachait, traînaillait dans la boutique, ne se décidait pas à partir pour le chantier. La journée était encore perdue. Le matin, il se plaignait d'avoir des guibolles de coton, il s'appelait trop bête de gueuletonner comme ça, puisque ça vous démantibulait le tempérament. Aussi, on rencontrait un tas de gouapes, qui ne voulaient pas vous lâcher le coude; on gobelottait malgré soi, on se trouvait dans toutes sortes de fourbis, on finissait par se laisser pincer, et raide! Ah! fichtre non! ça ne lui arriverait plus; il n'entendait pas laisser ses bottes chez le mastroquet, à la fleur de l'âge. Mais, après le déjeuner, il se requinquait, poussant des hum! hum! pour se prouver qu'il avait encore un bon creux. Il commençait à nier la noce de la veille, un peu d'allumage peut-être. On n'en faisait plus de comme lui, solide au poste, une poigne du diable, buvant tout ce qu'il voulait sans cligner un oeil. Alors, l'après-midi entière, il flânochait dans le quartier. Quand il avait bien embêté les ouvrières, sa femme lui donnait vingt sous pour qu'il débarrassât le plancher. Il filait, il allait acheter son tabac à la Petite Civette, rue des Poissonniers, où il prenait généralement une prune, lorsqu'il rencontrait un ami. Puis, il achevait de casser la pièce de vingt sous chez François, au coin de la rue de la Goutte-d'Or, où il y avait un joli vin, tout jeune, chatouillant le gosier. C'était un mannezingue de l'ancien jeu, une boutique noire, sous un plafond bas, avec une salle enfumée, à côté, dans laquelle on vendait de la soupe. Et il restait là jusqu'au soir, à jouer des canons au tourniquet; il avait l'oeil chez François, qui promettait formellement de ne jamais présenter la note à la bourgeoise. N'est-ce pas? il fallait bien se rincer un peu la dalle, pour la débarrasser des crasses de la veille. Un verre de vin en pousse un autre. Lui, d'ailleurs, toujours bon zigue, ne donnant pas une chiquenaude au sexe, aimant la rigolade, bien sûr, et se piquant le nez à son tour, mais gentiment, plein de mépris pour ces saloperies d'hommes tombés dans l'alcool, qu'on ne voit pas dessoûler! Il rentrait gai et galant comme un pinson.

— Est-ce que ton amoureux est venu? demandait-il parfois à Gervaise pour la taquiner. On ne l'aperçoit plus, il faudra que j'aille le chercher.

L'amoureux, c'était Goujet. Il évitait, en effet, de venir trop souvent, par peur de gêner et de faire causer. Pourtant, il saisissait les prétextes, apportait le linge, passait vingt fois sur le trottoir. Il y avait un coin dans la boutique, au fond, où il aimait à rester des heures, assis sans bouger, fumant sa courte pipe. Le soir, après son dîner, une fois tous les dix jours, il se risquait, s'installait; et il n'était guère causeur, la bouche cousue, les yeux sur Gervaise; ôtant seulement sa pipe de la bouche pour rire de tout ce qu'elle disait. Quand l'atelier veillait le samedi, il s'oubliait, paraissait s'amuser là plus que s'il était allé au spectacle. Des fois, les ouvrières repassaient jusqu'à trois heures du matin. Une lampe pendait du plafond, à un fil de fer; l'abat-jour jetait un grand rond de clarté vive, dans lequel les linges prenaient des blancheurs molles de neige. L'apprentie mettait les volets de la boutique; mais, comme les nuits de juillet étaient brûlantes, on laissait la porte ouverte sur la rue. Et, à mesure que l'heure avançait, les ouvrières se dégrafaient, pour être à l'aise. Elles avaient une peau fine, toute dorée dans le coup de lumière de la lampe, Gervaise surtout, devenue grasse, les épaules blondes, luisantes comme une soie, avec un pli de bébé au cou, dont il aurait dessiné de souvenir la petite fossette, tant il le connaissait. Alors, il était pris par la grosse chaleur de la mécanique, par l'odeur des linges fumant sous les fers; et il glissait à un léger étourdissement, la pensée ralentie, les yeux occupés de ces femmes qui se hâtaient, balançant leurs bras nus, passant la nuit à endimancher le quartier. Autour de la boutique, les maisons voisines s'endormaient, le grand silence du sommeil tombait lentement. Minuit sonnait, puis une heure, puis deux heures. Les voitures, les passants s'en étaient allés. Maintenant, dans la rue déserte et noire, la porte envoyait seule une raie de jour, pareille à un bout d'étoffe jaune déroulé à terre. Par moments, un pas sonnait au loin, un homme approchait; et, lorsqu'il traversait la raie de jour, il allongeait la tête, surpris des coups de fer qu'il entendait, emportant la vision rapide des ouvrières dépoitraillées, dans une buée rousse.

Goujet, voyant Gervaise embarrassée d'Étienne et voulant le sauver des coups de pied au derrière de Coupeau, l'avait embauché pour tirer le soufflet, à sa fabrique de boulons. L'état de cloutier, s'il n'avait rien de flatteur en lui-même, à cause de la saleté de la forge et de l'embêtement de toujours taper sur les mêmes morceaux de fer, était un riche état, où l'on gagnait des dix et des douze francs par jour. Le petit, alors âgé de douze ans, pourrait s'y mettre bientôt, si le métier lui allait. Et Étienne était ainsi devenu un lien de plus entre la blanchisseuse et le forgeron. Celui-ci ramenait l'enfant, donnait des nouvelles de sa bonne conduite. Tout le monde disait en riant à Gervaise que Goujet avait un béguin pour elle. Elle le savait bien, elle rougissait comme une jeune fille, avec une fleur de pudeur qui lui mettait aux joues des tons vifs de pomme d'api. Ah! le pauvre cher garçon, il n'était pas gênant! Jamais il ne lui avait parlé de ça; jamais un geste sale, jamais un mot polisson. On n'en rencontrait pas beaucoup de cette honnête pâte. Et, sans vouloir l'avouer, elle goûtait une grande joie à être aimée ainsi, pareillement à une sainte vierge. Quand il lui arrivait quelque ennui sérieux, elle songeait au forgeron; ça la consolait. Ensemble, s'ils restaient seuls, ils n'étaient pas gênés du tout; ils se regardaient avec des sourires, bien en face, sans se raconter ce qu'ils éprouvaient. C'était une tendresse raisonnable, ne songeant pas aux vilaines choses, parce qu'il vaut encore mieux garder sa tranquillité, quand on peut s'arranger pour être heureux, tout en restant tranquille.

Cependant, Nana, vers la fin de l'été, bouleversa la maison. Elle avait six ans, elle s'annonçait comme une vaurienne finie. Sa mère la menait chaque matin, pour ne pas la rencontrer toujours sous ses pieds, dans une petite pension de la rue Polonceau, chez mademoiselle Josse. Elle y attachait par derrière les robes de ses camarades; elle emplissait de cendre la tabatière de la maîtresse, trouvait des inventions moins propres encore, qu'on ne pouvait pas raconter. Deux fois, mademoiselle Josse la mit à la porte, puis la reprit, pour ne pas perdre les six francs, chaque mois. Dès la sortie de la classe, Nana se vengeait d'avoir été enfermée, en faisant une vie d'enfer sous le porche et dans la cour, ou les repasseuses, les oreilles cassées, lui disaient d'aller jouer. Elle retrouvait là Pauline, la fille des Boche, et le fils de l'ancienne patronne de Gervaise, Victor, un grand dadais de dix ans, qui adorait galopiner en compagnie des toutes petites filles. Madame Fauconnier, qui ne s'était pas fâchée avec les Coupeau, envoyait elle-même son fils. D'ailleurs, dans la maison, il y avait un pullulement extraordinaire de mioches, des volées d'enfants qui dégringolaient les quatre escaliers à toutes les heures du jour, et s'abattaient sur le pavé, comme des bandes de moineaux criards et pillards. Madame Gaudron, à elle seule, en lâchait neuf, des blonds, des bruns, mal peignés, mal mouchés, avec des culottes jusqu'aux yeux, des bas tombés sur les souliers, des vestes fendues, montrant leur peau blanche sous la crasse. Une autre femme, une porteuse de pain, au cinquième, en lâchait sept. Il en sortait des tapées de toutes les chambres. Et, dans ce grouillement de vermines aux museaux roses, débarbouillés chaque fois qu'il pleuvait, on en voyait de grands, l'air ficelle, de gros, ventrus déjà comme des hommes, de petits, petits, échappés du berceau, mal d'aplomb encore, tout bêtes, marchant à quatre pattes quand ils voulaient courir. Nana régnait sur ce tas de crapauds; elle faisait sa mademoiselle jordonne avec des filles deux fois plus grandes qu'elle, et daignait seulement abandonner un peu de son pouvoir à Pauline et à Victor, des confidents intimes qui appuyaient ses volontés. Cette fichue gamine parlait sans cesse de jouer à la maman, déshabillait les plus petits pour les rhabiller, voulait visiter les autres partout, les tripotait, exerçait un despotisme fantasque de grande personne ayant du vice. C'était, sous sa conduite, des jeux à se faire gifler. La bande pataugeait dans les eaux de couleur de la teinturerie, sortait de là les jambes teintes en bleu ou en rouge, jusqu'aux genoux; puis, elle s'envolait chez le serrurier, où elle chipait des clous et de la limaille, et repartait pour aller s'abattre au milieu des copeaux du menuisier, des tas de copeaux énormes, amusants tout plein, dans lesquels on se roulait en montrant son derrière. La cour lui appartenait, retentissait du tapage des petits souliers se culbutant à la débandade, du cri perçant des voix qui s'enflaient chaque fois que la bande reprenait son vol. Certains jours même, la cour ne suffisait pas. Alors, la bande se jetait dans les caves, remontait, grimpait le long d'un escalier, enfilait un corridor, redescendait, reprenait un escalier, suivait un autre corridor, et cela sans se lasser, pendant des heures, gueulant toujours, ébranlant la maison géante d'un galop de bêtes nuisibles lâchées au fond de tous les coins.

— Sont-ils indignes, ces crapules-là! criait madame Boche. Vraiment, il faut que les gens aient bien peu de chose à faire, pour faire tant d'enfants… Et ça se plaint encore de n'avoir pas de pain!

Boche disait que les enfants poussaient sur la misère comme des champignons sur le fumier. La portière criait toute la journée, les menaçait de son balai. Elle finit par fermer la porte des caves, parce qu'elle apprit par Pauline, à laquelle elle allongea une paire décalottes, que Nana avait imaginé de jouer au médecin, là-bas, dans l'obscurité; cette vicieuse donnait des remèdes aux autres, avec des bâtons.

Or, une après-midi, il y eut une scène affreuse. Ça devait arriver, d'ailleurs. Nana s'avisa d'un petit jeu bien drôle. Elle avait volé, devant la loge, un sabot à madame Boche. Elle l'attacha avec une ficelle, se mit à le traîner, comme une voiture. De son côté, Victor eut l'idée d'emplir le sabot de pelures de pomme. Alors, un cortège s'organisa. Nana marchait la première, tirant le sabot. Pauline et Victor s'avançaient à sa droite et à sa gauche. Puis, toute la flopée des mioches suivait en ordre, les grands d'abord, les petits ensuite, se bousculant; un bébé en jupe, haut comme une botte, portant sur l'oreille un bourrelet défoncé, venait le dernier. Et le cortège chantait quelque chose de triste, des oh! et des ah! Nana avait dit qu'on allait jouer à l'enterrement; les pelures de pomme, c'était le mort. Quand on eut fait le tour de la cour, on recommença. On trouvait ça joliment amusant.

— Qu'est-ce qu'ils font donc? murmura madame Boche, qui sortit de la loge pour voir, toujours méfiante et aux aguets.

Et lorsqu'elle eut compris:

— Mais c'est mon sabot! cria-t-elle furieuse. Ah! les gredins!

Elle distribua des taloches, souffleta Nana sur les deux joues, flanqua un coup de pied à Pauline, cette grande dinde qui laissait prendre le sabot de sa mère. Justement, Gervaise emplissait un seau, à la fontaine. Quand elle aperçut Nana le nez en sang, étranglée de sanglots, elle faillit sauter au chignon de la concierge. Est-ce qu'on tapait sur un enfant comme sur un boeuf? Il fallait manquer de coeur, être la dernière des dernières. Naturellement, madame Boche répliqua. Lorsqu'on avait une saloperie de fille pareille, on la tenait sous clef. Enfin, Boche lui-même parut sur le seuil de la loge, pour crier à sa femme de rentrer et de ne pas avoir tant d'explications avec de la saleté. Ce fut une brouille complète.

A la vérité, ça n'allait plus du tout bien entre les Boche et les Coupeau depuis un mois. Gervaise, très donnante de sa nature, lâchait à chaque instant des litres de vin, des tasses de bouillon, des oranges, des parts de gâteau. Un soir, elle avait porté à la loge un fond de saladier, de la barbe de capucin avec de la betterave, sachant que la concierge aurait fait des bassesses pour la salade. Mais, le lendemain, elle devint toute blanche en entendant mademoiselle Remanjou raconter comment madame Boche avait jeté la barbe de capucin devant du monde, d'un air dégoûté, sous prétexte que, Dieu merci! elle n'en était pas encore réduite à se nourrir de choses ou les autres avaient pataugé. Et, dès lors, Gervaise coupa net à tous les cadeaux: plus de litres de vin, plus de tasses de bouillon, plus d'oranges, plus de parts de gâteau, plus rien. Il fallait voir le nez des Boche! Ça leur semblait comme un vol que les Coupeau leur faisaient. Gervaise comprenait sa faute; car, enfin, si elle n'avait point eu la bêtise de tant leur fourrer, ils n'auraient pas pris de mauvaises habitudes et seraient restés gentils. Maintenant, la concierge disait d'elle pis que pendre. Au terme d'octobre, elle fit des ragots à n'en plus finir au propriétaire, M. Marescot, parce que la blanchisseuse, qui mangeait son saint frusquin en gueulardises, se trouvait en retard d'un jour pour son loyer; et morne M. Marescot, pas très poli non plus celui-là, entra dans la boutique, le chapeau sur la tête, demandant son argent, qu'on lui allongea tout de suite d'ailleurs. Naturellement, les Boche avaient tendu la main aux Lorilleux. C'était à présent avec les Lorilleux qu'on godaillait dans la loge, au milieu des attendrissements de la réconciliation. Jamais on ne se serait fâché sans cette Banban, qui aurait fait battre des montagnes. Ah! les Boche la connaissaient à cette heure, ils comprenaient combien les Lorilleux devaient souffrir. Et, quand elle passait, tous affectaient de ricaner, sous la porte.

Gervaise pourtant monta un jour chez les Lorilleux. Il s'agissait de maman Coupeau, qui avait alors soixante-sept ans. Les yeux de maman Coupeau étaient complètement perdus. Ses jambes non plus n'allaient pas du tout. Elle venait de renoncer à son dernier ménage par force, et menaçait de crever de faim, si on ne la secourait pas. Gervaise trouvait honteux qu'une femme de cet âge, ayant trois enfants, fût ainsi abandonnée du ciel et de la terre. Et comme Coupeau refusait de parler aux Lorilleux, en disant à Gervaise qu'elle pouvait bien monter, elle, celle-ci monta sous le coup d'une indignation, dont tout son coeur était gonflé.

En haut, elle entra sans frapper, comme une tempête. Rien n'était changé depuis le soir où les Lorilleux, pour la première fois, lui avaient fait un accueil si peu engageant. Le même lambeau de laine déteinte séparait la chambre de l'atelier, un logement en coup de fusil qui semblait bâti pour une anguille. Au fond, Lorilleux, penché sur son établi, pinçait un à un les maillons d'un bout de colonne, tandis que madame Lorilleux tirait un fil d'or à la filière, debout devant l'étau. La petite forge, sous le plein jour, avait un reflet rose.

— Oui, c'est moi! dit Gervaise. Ça vous étonne, parce que nous sommes à couteaux tirés? Mais je ne viens pas pour moi ni pour vous, vous pensez bien… C'est pour maman Coupeau que je viens. Oui, je viens voir si nous la laisserons attendre un morceau de pain de la charité des autres.

— Ah bien! en voilà une entrée! murmura madame Lorilleux. Il faut avoir un fier toupet.

Et elle tourna le dos, elle se remit à tirer son fil d'or, en affectant d'ignorer la présence de sa belle-soeur. Mais Lorilleux avait levé sa face blême, criant:

— Qu'est-ce que vous dites?

Puis, comme il avait parfaitement entendu, il continua:

— Encore des potins, n'est-ce pas? Elle est gentille, maman Coupeau, de pleurer misère partout!… Avant-hier, pourtant, elle a mangé ici. Nous faisons ce que nous pouvons, nous autres. Nous n'avons pas le Pérou… Seulement, si elle va bavarder chez les autres, elle peut y rester, parce que nous n'aimons pas les espions.

Il reprit le bout de chaîne, tourna le dos à son tour, en ajoutant comme à regret:

— Quand tout le monde donnera cent sous par mois, nous donnerons cent sous.

Gervaise s'était calmée, toute refroidie par les figures en coin de rue des Lorilleux. Elle n'avait jamais mis les pieds chez eux sans éprouver un malaise. Les yeux à terre, sur les losanges de la claie de bois, où tombaient les déchets d'or, elle s'expliquait maintenant d'un air raisonnable. Maman Coupeau avait trois enfants; si chacun donnait cent sous, ça ne ferait que quinze francs, et vraiment ce n'était pas assez, on ne pouvait pas vivre avec ça; il fallait au moins tripler la somme. Mais Lorilleux se récriait. Où voulait-on qu'il volât quinze francs par mois? Les gens étaient drôles, on le croyait riche parce qu'il avait de l'or chez lui. Puis, il tapait sur maman Coupeau: elle ne voulait pas se passer de café le matin, elle buvait la goutte, elle montrait les exigences d'une personne qui aurait eu de la fortune. Parbleu! tout le monde aimait ses aises; mais, n'est-ce pas? quand on n'avait pas su mettre un sou de côté, on faisait comme les camarades, on se serrait le ventre. D'ailleurs, maman Coupeau n'était pas d'un âge à ne plus travailler; elle y voyait encore joliment clair quand il s'agissait de piquer un bon morceau au fond du plat; enfin, c'était une vieille rouée, elle rêvait de se dorloter. Même s'il en avait eu les moyens, il aurait cru mal agir en entretenant quelqu'un dans la paresse.

Cependant Gervaise restait conciliante, discutait paisiblement ces mauvaises raisons. Elle tâchait d'attendrir les Lorilleux. Mais le mari finit par ne plus lui répondre. La femme maintenant était devant la forge, en train de dérocher un bout de chaîne, dans la petite casserole de cuivre à long manche, pleine d'eau seconde. Elle affectait toujours de tourner le dos, comme à cent lieues. Et Gervaise parlait encore, les regardant s'entêter au travail, au milieu de la poussière noire de l'atelier, le corps déjeté, les vêtements rapiécés et graisseux, devenus d'une dureté abêtie de vieux outils, dans leur besogne étroite de machine. Alors, brusquement, la colère remonta à sa gorge, elle cria:

— C'est ça, j'aime mieux ça, gardez votre argent!… Je prends maman Coupeau, entendez-vous î J'ai ramassé un chat l'autre soir, je peux bien ramasser votre mère. Et elle ne manquera de rien, et elle aura son café et sa goutte!… Mon Dieu! quelle sale famille!

Madame Lorilleux, du coup, s'était retournée. Elle brandissait la casserole, comme si elle allait jeter l'eau seconde à la figure de sa belle-soeur. Elle bredouillait:

— Fichez le camp, ou je fais un malheur!… Et ne comptez pas sur les cent sous, parce que je ne donnerai pas un radis! non, pas un radis!… Ah bien! oui, cent sous! Maman vous servirait de domestique, et vous vous gobergeriez avec mes cent sous! Si elle va chez vous, dites-lui ça, elle peut crever, je ne lui enverrai pas un verre d'eau… Allons, houp! débarrassez le plancher!

— Quel monstre de femme! dit Gervaise en refermant la porte avec violence.

Dès le lendemain, elle prit maman Coupeau chez elle. Elle mit son lit dans le grand cabinet où couchait Nana, et qui recevait le jour par une lucarne ronde, près du plafond. Le déménagement ne fut pas long, car maman Coupeau, pour tout mobilier, avait ce lit, une vieille armoire de noyer qu'on plaça dans la chambre au linge sale, une table et deux chaises; on vendit la table, on fit rempailler les deux chaises. Et la vieille femme, le soir même de son installation, donnait un coup de balai, lavait la vaisselle, enfin se rendait utile, bien contente de se tirer d'affaire. Les Lorilleux rageaient à crever, d'autant plus que madame Lerat venait de se remettre avec les Coupeau. Un beau jour, les deux soeurs, la fleuriste et la chaîniste, avaient échangé des torgnoles, au sujet de Gervaise; la première s'était risquée à approuver la conduite de celle-ci, vis-à-vis de leur mère; puis, par un besoin de taquinerie, voyant l'autre exaspérée, elle en était arrivée à trouver les yeux de la blanchisseuse magnifiques, des yeux auxquels on aurait allumé des bouts de papier; et là-dessus toutes deux, après s'être giflées, avaient juré de ne plus se revoir. Maintenant, madame Lerat passait ses soirées dans la boutique, où elle s'amusait en dedans des cochonneries de la grande Clémence.

Trois années se passèrent. On se fâcha et on se raccommoda encore plusieurs fois. Gervaise se moquait pas mal des Lorilleux, des Boche et de tous ceux qui ne disaient point comme elle. S'ils n'étaient pas contents, n'est-ce pas? ils pouvaient aller s'asseoir. Elle gagnait ce qu'elle voulait, c'était le principal. Dans le quartier, on avait fini par avoir pour elle beaucoup de considération, parce que, en somme, on ne trouvait pas des masses de pratiques aussi bonnes, payant recta, pas chipoteuse, pas râleuse. Elle prenait son pain chez madame Coudeloup, rue des Poissonniers, sa viande chez le gros Charles, un boucher de la rue Polonceau, son épicerie, chez Lehongre, rue de la Goutte-d'Or, presque en face de sa boutique. François, le marchand de vin du coin de la rue, lui apportait son vin par paniers de cinquante litres. Le voisin Vigouroux, dont la femme devait avoir les hanches bleues, tant les hommes la pinçaient, lui vendait son coke au prix de la Compagnie du gaz. Et, l'on pouvait le dire, ses fournisseurs la servaient en conscience, sachant bien qu'il y avait tout à gagner avec elle, en se montrant gentil. Aussi, quand elle sortait dans le quartier, en savates et en cheveux, recevait-elle des bonjours de tous les côtés; elle restait là chez elle, les rues voisines étaient comme les dépendances naturelles de son logement, ouvert de plain-pied sur le trottoir. Il lui arrivait maintenant de faire traîner une commission, heureuse d'être dehors, au milieu de ses connaissances. Les jours où elle n'avait pas le temps de mettre quelque chose au feu, elle allait chercher des portions, elle bavardait chez le traiteur, qui occupait la boutique de l'autre côté de la maison, une vaste salle avec de grands vitrages poussiéreux, à travers la saleté desquels on apercevait le jour terni de la court au fond. Ou bien, elle s'arrêtait et causait, les mains chargées d'assiettes et de bols, devant quelque fenêtre du rez-de-chaussée, un intérieur de savetier entrevu, le lit défait, le plancher encombré de loques, de deux berceaux éclopés et de la terrine à la poix pleine d'eau noire. Mais le voisin qu'elle respectait le plus était encore, en face, l'horloger, le monsieur en redingote, l'air propre, fouillant continuellement des montres avec des outils mignons; et souvent elle traversait la rue pour le saluer, riant d'aise à regarder, dans la boutique étroite comme une armoire, la gaieté des petits coucous dont les balanciers se dépêchaient, battant l'heure à contre-temps, tous à la fois.

VI

Une après-midi d'automne, Gervaise, qui venait de reporter du linge chez une pratique, rue des Portes-Blanches, se trouva dans le bas de la rue des Poissonniers comme le jour tombait. Il avait plu le matin, le temps était très doux, une odeur s'exhalait du pavé gras; et la blanchisseuse, embarrassée de son grand panier, étouffait un peu, la marche ralentie, le corps abandonné, remontant la rue avec la vague préoccupation d'un désir sensuel, grandi dans sa lassitude. Elle aurait volontiers mangé quelque chose de bon. Alors, en levant les yeux, elle aperçut la plaque de la rue Marcadet, elle eut tout d'un coup l'idée d'aller voir Goujet à sa forge. Vingt fois, il lui avait dit de pousser une pointe, un jour qu'elle serait curieuse de regarder travailler le fer. D'ailleurs, devant les autres ouvriers, elle demanderait Étienne, elle semblerait s'être décidée à entrer uniquement pour le petit.

La fabrique de boulons et de rivets devait se trouver par là, dans ce bout de la rue Marcadet, elle ne savait pas bien où; d'autant plus que les numéros manquaient souvent, le long des masures espacées par des terrains vagues. C'était une rue où elle n'aurait pas demeuré pour tout l'or du monde, une rue large, sale, noire de la poussière de charbon des manufactures voisines, avec des pavés défoncés et des ornières, dans lesquelles des flaques d'eau croupissaient. Aux deux bords, il y avait un défilé de hangars, de grands ateliers vitrés, de constructions grises, comme inachevées, montrant leurs briques et leurs charpentes, une débandade de maçonneries branlantes, coupées par des trouées sur la campagne, flanquées dégarnis borgnes et de gargotes louches. Elle se rappelait seulement que la fabrique était près d'un magasin de chiffons et de ferraille, une sorte de cloaque ouvert à ras de terre, où dormaient pour des centaines de mille francs de marchandises, à ce que racontait Goujet. Et elle cherchait à s'orienter, au milieu du tapage. des usines: de minces tuyaux, sur les toits, soufflaient violemment des jets de vapeur; une scierie mécanique avait des grincements réguliers, pareils à de brusques déchirures dans une pièce de calicot; des manufactures de boutons secouaient le sol du roulement et du tic tac de leurs machines. Comme elle regardait vers Montmartre, indécise, ne sachant pas si elle devait pousser plus loin, un coup de vent rabattit la suie d'une haute cheminée, empesta la rue; et elle fermait les yeux, suffoquée, lorsqu'elle entendit un bruit cadencé de marteaux: elle était, sans le savoir, juste en face de la fabrique, ce qu'elle reconnut au trou plein de chiffons, à côté.

Cependant, elle hésita encore, ne sachant par où entrer. Une palissade crevée ouvrait un passage qui semblait s'enfoncer au milieu des plâtras d'un chantier de démolitions. Comme une mare d'eau bourbeuse barrait le chemin, on avait jeté deux planches en travers. Elle finit par se risquer sur les planches, tourna à gauche, se trouva perdue dans une étrange forêt de vieilles charrettes renversées les brancards en l'air, de masures en ruines dont les carcasses de poutres restaient debout. Au fond, trouant la nuit salie d'un reste de jour, un feu rouge luisait. Le bruit des marteaux avait cessé. Elle s'avançait prudemment, marchant vers la lueur, lorsqu'un ouvrier passa près d'elle, la figure noire de charbon, embroussaillée d'une barbe de bouc, avec un regard oblique de ses yeux pâles.

— Monsieur, demanda-t-elle, c'est ici, n'est-ce pas, que travaille un enfant du nom d'Étienne… C'est mon garçon.

— Étienne, Étienne, répétait l'ouvrier qui se dandinait, la voix enrouée; Étienne, non, connais pas.

La bouche ouverte, il exhalait cette odeur d'alcool des vieux tonneaux d'eau-de-vie, dont on a enlevé la bonde. Et, comme cette rencontre d'une femme dans ce coin d'ombre commençait à le rendre goguenard, Gervaise recula, en murmurant:

— C'est bien ici pourtant que monsieur Goujet travaille?

— Ah! Goujet, oui! dit l'ouvrier, connu Goujet!… Si c'est pour
Goujet que vous venez… Allez au fond.

Et, se tournant, il cria de sa voix qui sonnait le cuivre fêlé:

— Dis donc, la Gueule-d'Or, voilà une dame pour toi!

Mais un tapage de ferraille étouffa ce cri. Gervaise alla au fond. Elle arriva à une porte, allongea le cou. C'était une vaste salle, où elle ne distingua d'abord rien. La forge, comme morte, avait dans un coin une lueur pâlie d'étoile, qui reculait encore l'enfoncement des ténèbres. De larges ombres flottaient. Et il y avait par moments des masses noires passant devant le feu, bouchant cette dernière tache de clarté, des hommes démesurément grandis dont on devinait les gros membres. Gervaise, n'osant s'aventurer, appelait de la porte, à demi-voix:

— Monsieur Goujet, monsieur Goujet…

Brusquement, tout s'éclaira. Sous le ronflement du soufflet, un jet de flamme blanche avait jailli. Le hangar apparut, fermé par des cloisons de planches, avec des trous maçonnés grossièrement, des coins consolidés à l'aide de murs de briques. Les poussières envolées du charbon badigeonnaient cette halle d'une suie grise. Des toiles d'araignée pendaient aux poutres, comme des haillons qui séchaient là-haut, alourdies par des années de saleté amassée. Autour des murailles, sur des étagères, accrochés à des clous ou jetés dans les angles sombres, un pêle-mêle de vieux fers, d'ustensiles cabossés, d'outils énormes, traînaient, mettaient des profils cassés, ternes et durs. Et la flamme blanche montait toujours, éclatante, éclairant d'un coup de soleil le sol battu, où l'acier poli de quatre enclumes, enfoncées dans leurs billots, prenait un reflet d'argent pailleté d'or.

Alors, Gervaise reconnut Goujet devant la forge, à sa belle barbe jaune. Étienne tirait le soufflet. Deux autres ouvriers étaient là. Elle ne vit que Goujet, elle s'avança, se posa devant lui.

— Tiens! madame Gervaise! s'écria-t-il, la face épanouie; quelle bonne surprise!

Mais, comme les camarades avaient de drôles de figures, il reprit en poussant Étienne vers sa mère:

— Vous venez voir le petit… Il est sage, il commence à avoir de la poigne.

— Ah bien! dit-elle, ce n'est pas commode d'arriver ici… Je me croyais au bout du monde…

Et elle raconta son voyage. Ensuite, elle demanda pourquoi on ne connaissait pas le nom d'Étienne dans l'atelier. Goujet riait; il lui expliqua que tout le monde l'appelait le petit Zouzou, parce qu'il avait des cheveux coupés ras, pareils à ceux d'un zouave. Pendant qu'ils causaient ensemble, Étienne ne tirait plus le soufflet, la flamme de la forge baissait, une clarté rose se mourait, au milieu du hangar redevenu noir. Le forgeron attendri regardait la jeune femme souriante, toute fraîche dans cette lueur. Puis, comme tous deux ne se disaient plus rien, noyés de ténèbres, il parut se souvenir, il rompit le silence: