XIV
O! j'ai froid d'un froid de glace,
O! je brûle à toute place!
Mes os vont se cariant,
Des blessures vont criant;
Mes ennemis pleins de joie
Ont fait de moi quelle proie!
Mon cœur, ma tête et mes reins
Souffrent de maux souverains.
Tout me fuit, adieu ma gloire!
Est-ce donc le Purgatoire?
Ou si c'est l'enfer ce lieu
Ne me parlant plus de Dieu?
—L'indignité de ton sort
Est le plaisir d'un plus Fort.
Dieu plus juste, et plus Habile
Que ce toi-même débile.
Tu souffres de tel mal profond
Que des volontés te font,
Plus bénignes que la tienne
Si mal et si peu chrétienne,
Tes humiliations
Sont des bénédictions
Et ces mornes sécheresses
Où tu te désintéresses
De purs avertissements
Descendus de cieux aimants
Tes ennemis sont les anges
Moins cruels et moins étranges
Que bons inconsciemment,
D'un Seigneur rude et clément.
Aime tes croix et tes plaies,
Il est saint que tu les aies.
Face aux terribles courroux,
Bénis et tombe à genoux.
Fer qui coupe et voix qui tance,
C'est la bonne Pénitence.
Sous la glace et dans le feu
Tu retrouveras ton Dieu.
XV
Un scrupule qui m'a l'air sot comme un péché
Argumente.
Dieu vit au sein d'un cœur caché,
Non d'un esprit épars, en milliers de pages,
En millions de mots hardis comme des pages,
A tous les vents du ciel ou plutôt de l'enfer,
Et d'un scandale tel, précisément tout fier.
Il faut pour plaire à Dieu, pour apaiser sa droite,
Suivre le long sentier, gravir la pente étroite,
Sans un soupir de trop, fût-il mélodieux,
Sans un geste au surplus, même agréable aux yeux,
Laisser à d'autres l'art et la littérature
Et ne vivre que juste à même la nature
Tu pratiquais jadis et naguère ces us
Content de reposer à l'ombre de Jésus
Y pansant de vin, d'huile de lin tes blessures
Et maintenant, ingrat à la Croix, tu t'assures
En la gloire profane et le renom païen,
Comme si tout cela n'était pas trois fois rien,
Comme si tel beau vers, telle phrase sonore,
Chantait mieux qu'un grillon, brillait plus qu'un fulgore.
Va, risque ton salut, ton salut racheté
Un temps, par une vie autre, c'est vérité,
Que celle de tes ans primes, enfance molle,
Age pubère fou, jeunesse molle et folle
Risque ton âme, objet de tes soins d'autrefois
Pour quels triomphes vains sur quels banals pavois!
Malheureux!
Je réponds avec raison, je pense:
Je n'attends, je ne veux pas d'autre récompense
A ce mien grand effort d'écrire de mon mieux
Que l'amitié du jeune et l'estime du vieux
Lettrés qui sont au fond les seules belles âmes,
Car où prendre un public en ces foules infâmes
D'idiotie en haut et folles par en bas?
Ou,—le trouver ou pas, le mériter ou pas,
Le conserver ou pas!—l'assentiment d'un être
Simple, naïf et bon, sans même le connaître
Que par ce seul lien comme immatériel,
C'est tout mon attentat au seul devoir réel,
Essentiel: gagner le ciel par les mérites,
Et je doute, Jésus pieux, que tu t'irrites
Pour quelque doux rimeur chantant ta gloire ou bien
Étalant ses péchés au pilori chrétien;
Tu ne suscites pas l'aspic et la couleuvre
Contre un poème ou contre un poète. Ton œuvre,
Consolant les ennuis de ce morne séjour
Par un concert de foi, d'espérance et d'amour;
Puis ne me fis-tu pas, avec le don de vivre,
Le don aussi, sans quoi je meurs! de faire un livre,
Une œuvre où s'attestât toute ma quantité,
Toute, bien mal, la force et l'orgueil révolté
Des sens et leur colère encore qui sont la même
Luxure au fond et bien la faiblesse suprême,
Et la mysticité, l'amour d'aller au ciel
Par le seul graduel du juste graduel,
Douceur et charité, seule toute-puissance.
Tu m'as donné ce don, et par reconnaissance
J'en use librement, qu'on me blâme, tant pis.
Quant à quêter les voix, quant à téter les pis
De dame Renommée, à ses heures marâtre,
Fi!
Mais pour en finir, leur foyer ou son âtre
Souffrent-ils de mon cas? Quelle poutre en mon œil,
Quelle paille en votre œil de ce fait? De quel deuil,
De quel scandale vers ou proses sont-ils cause
Dont cela vaille un peu la peine qu'on en cause?
XVI
Après le départ des cloches
Au milieu du Gloria,
Dès l'heure ordinaire des vêpres
On consacre les Saintes Huiles
Qu'escorte ensuite un long cortège
De pontifes et de lévites.
Il pluvine, il neigeotte,
L'hiver vide sa hotte.
Le tabernacle bâille, vide,
L'autel, tout nu, n'a plus de cierges,
De grands draps noirs pendent aux grilles,
Les orgues saintes sont muettes.
Du brouillard danse à même
Le ciel encore blême.
On dispense à flots d'eau bénite,
Toutes cires sont allumées,
Et de solennelle musique
S'enfle au chœur et monte au jubé,
Un clair soleil qui grise
Réchauffe l'âpre bise.
Gloria! Voici les cloches
Revenir! Alleluia!
XVII
L'ennui de vivre avec les gens et dans les choses
Font souvent ma parole et mon regard moroses.
Mais d'avoir conscience et souci dans tel cas
Exhausse ma tristesse, ennoblit mon tracas.
Alors mon discours chante et mes yeux de sourire
Où la divine certitude vient de luire
Et la divine patience met son sel
Dans mon long bon conseil d'usage universel.
Car non pas tout à fait par un effet de l'âge
A mes heures je suis une façon de sage,
Presque un sage sans trop d'emphase ou d'embarras,
Répandant quelque bien et faisant des ingrats.
Or néanmoins la vie et son morne problème
Rendent parfois ma voix maussade et mon front blême,
De ces tentations je me sauve à nouveau
En des moralités juste à mon seul niveau;
Et c'est d'un examen méthodique et sévère,
Dieu qui sondez les reins! que je me considère,
Scrutant mes moindres torts et jusques aux derniers,
Tel un juge interroge à fond des prisonniers.
Je poursuis à ce point l'humeur de mon scrupule
Que des gens ont parlé qui m'ont dit ridicule.
N'importe! en ces moments est-ce d'humilité?
Je me semble béni de quelque charité,
De quelque loyauté, pour parler en pauvre homme,
De quelque encore charité.—Folie en somme!
Nous ne sommes rien. Dieu c'est tout. Dieu nous créa,
Dieu nous sauve. Voilà! Voici mon aléa:
Prier obstinément. Plonger dans la prière,
C'est se tremper aux flots d'une bonne rivière,
C'est faire de son être un parfait instrument
Pour combattre le mal et courber l'élément.
Prier intensément. Rester dans la prière
C'est s'armer pour l'élan et s'assurer derrière
C'est de paraître doux et ferme pour autrui
Conformément à ce qu'on se rend envers lui.
La prière nous sauve après nous faire vivre,
Elle est le gage sûr et le mot qui délivre.
Elle est l'ange et la dame, elle est la grande sœur
Pleine d'amour sévère et de forte douceur.
La prière a des pieds légers comme des ailes;
Et des ailes pour que ses pieds volent comme elles;
La prière est sagace; elle pense, elle voit,
Scrute, interroge, doute, examine, enfin croit.
Elle ne peut nier, étant par excellence
La crainte salutaire et l'effort en silence,
Elle est universelle et sanglotte ou sourit,
Vole avec le génie et court avec l'esprit.
Elle est ésotérique ou bégaie, enfantine
Sa langue est indifféremment grecque ou latine,
Ou vulgaire, ou patoise, argotique s'il faut!
Car souvent plus elle est en bas, mieux elle vaut.
Je me dis tout cela, je voudrais bien le faire,
O Seigneur, donnez-moi de m'élever de terre
En l'humble vœu que seul peut former un enfant
Vers votre volonté d'après comme d'avant.
Telle action quelconque en tel temps de ma vie
Et que cette action quelconque soit suivie
D'un abandon complet en vous que formulât
Le plus simple et le plus ponctuel postulat,
Juste pour la nécessité quotidienne
En attendant toujours sans fin, ma mort chrétienne.
XVIII
A MONSIEUR BORÉLY.
Vous m'avez demandé quelques vers sur «Amour».
Ce mien livre, d'émoi cruel et de détresse,
Déjà loin dans mon Œuvre étrange qui se presse
Et dévale, flot plus amer de jour en jour.
Qu'en dire, sinon: «Poor Yorick!» ou mieux «poor
Lelian!» et pauvre âme à tout faire, faiblesse,
Mollesse par des fois et caresse et paresse,
Ou tout à coup partie en guerre comme pour
Tout casser d'un passé si pur, si chastement
Ordonné par la beauté des calmes pensées,
Et pour damner tant d'heures en Dieu dépensées.
Puis il revient, mon Œuvre, las d'un tel ahan,
Pénitent, et tombant à genoux mains dressées…
Priez avec et pour le pauvre Lelian!
XIX
Or tu n'es pas vaincu, sinon par le Seigneur,
Oppose au siècle un front de courage et d'honneur
Bande ton cœur moins faible au fond que tu ne crois,
Ne cherche, en fait d'abri, que l'ombre de la croix.
Ceins, sinon l'innocence, hélas! et la candeur,
Du moins la tempérance et du moins la pudeur,
Et dans le bon combat contre péchés et maux
S'il faut, eh bien, emprunte à certains animaux,
Béhémos et Léviathan, prudents qu'ils sont,
Les armures pour la défensive qu'ils ont,
Puisque ton cas, pour l'offensive, est superflu.
Abdique les airs martiaux où tu t'es plu.
Laisse l'épée et te confie au bouclier.
Carapace-toi bien, comme d'un bon acier,
De discrétion fine et de fort quant-à-moi.
Puis, quand tu voudras r'attaquer, reprends la Foi!
XX
Les plus belles voix
De la Confrérie
Célèbrent le mois
Heureux de Marie.
O les douces voix!
Monsieur le curé
L'a dit à la Messe:
C'est le mois sacré.
Écoutons sans cesse
Monsieur le Curé.
Faut nous distinguer,
Faut, mesdemoiselles,
Bien dire et fuguer
Les hymnes nouvelles.
Faut nous distinguer,
Bien dire et filer
Les motets antiques,
Bien dire et couler
Les anciens cantiques,
Filer et couler.
Dieu nous bénira,
Nous et nos familles.
Marie ouïra
Les vœux de ses filles,
Dieu nous bénira.
Elle est la bonté,
C'est comme la Mère
Dans la Trinité,
La Fille et la Mère.
Elle est la bonté,
La compassion,
Sans fin et sans trêve,
L'intercession
Qu'appuie et soulève
La compassion.
Avant le salut,
Chantons ses louanges.
Pendant le salut,
Chantons ses louanges.
Après le salut,
Chantons ses louanges.
XXI
L'autel bas s'orne de hautes mauves,
La chasuble blanche est toute en fleurs,
A travers les pâles vitraux jaunes
Le soleil se répand comme un fleuve;
On chante au graduel: Fi-li-a!
D'une voix si lentement joyeuse
Qu'il faudrait croire que c'est l'extase
D'à-jamais voir la Reine des cieux;
Le sermon du tremblotant vicaire
Est gentil plus que par un dimanche,
Qui dit que pour s'élever dans l'air
Faut être humble et de foi cordiale;
Il ajoute, le cher vieux bonhomme,
Que la gloire ultime est réservée,
Sur tous ceux qui vivent dans la pompe,
Aux pauvres d'esprit et de monnaie;
On sort de l'église, après les vêpres,
Pour la procession si touchante
Qui a nom: du Vœu de Louis Treize:
C'est le cas de prier pour la France.
XXII
L'amour de la Patrie est le premier amour
Et le dernier amour après l'amour de Dieu,
C'est un feu qui s'allume alors que luit le jour
Où notre regard luit comme un céleste feu,
C'est le jour baptismal aux paupières divines
De l'enfant, la rumeur de l'aurore aux oreilles
Frais-écloses, c'est l'air emplissant les poitrines
En fleur, l'air printanier rempli d'odeurs vermeilles!
L'enfant grandit, il sent la terre sous ses pas
Qui le porte, le berce, et, bonne, le nourrit.
Et douce, désaltère encore ses repas
D'une liqueur, délice et gloire de l'esprit.
Puis l'enfant se fait homme ou devient jeune fille
Et ce pendant que croît sa chair pleine de grâce,
Son âme se répand par delà la famille
Et cherche une âme sœur, une chair qu'il enlace;
Et quand il a trouvé cette âme et cette chair,
Il naît d'autres enfants encore, fleurs de fleurs
Qui germeront aussi le jardin jeune et cher
Des générations d'ici, non pas d'ailleurs.
L'homme et la femme ayant l'un et l'autre leur tâche,
S'en vont chacun un peu de son côté. La femme,
Gardienne du foyer tout le jour sans relâche,
La nuit garde l'honneur comme une chaste flamme;
L'homme vaque aux durs soins du dehors: les travaux,
La parole à porter,—sûr de ce qu'elle vaut,—
Sévère et probe et douce, et rude aux discours faux,
Et la nuit le ramène entre les bras qu'il faut.
Tous deux, si pacifique est leur course terrestre,
Mourront bénis de fils et vieux dans la patrie;
Mais que le noir démon, la Guerre, essore l'œstre,
Que l'air natal s'empourpre aux reflets de tuerie,
Que l'étranger mette son pied sur le vieux sol
Nourricier,—imitant les peuples de tous bords,
Saragosse, Moscou, le Russe, l'Espagnol,
La France de Quatre-vingt-treize, l'homme alors,
Magnifié soudain, à son œuvre se hausse
Et tragique et classique et très fort et très calme,
Lutte pour sa maison ou combat pour sa fosse,
Meurt en pensant aux siens ou leur conquiert la palme.
S'il survit, il reprend le train de tous les jours
Élève ses enfants dans la crainte du dieu
Des ancêtres, et va refleurir ses amours
Aux flancs de l'épousée éprise du fier jeu.
L'âge mûr est celui des sévères pensées,
Des espoirs soucieux, des amitiés jalouses,
C'est l'heure aussi des justes haines amassées,
Et quand sur la place publique, habits et blouses,
Les citoyens discords dans d'honnêtes combats
(Et combien douloureux à leur fraternité!)
S'arrachent les devoirs et les droits, ô non pas
Pour le lucre, mais pour une stricte équité,
II prend parti, pleurant de tuer, mais terrible
Et tuant sans merci, comme en d'autres batailles,
Le sang autour de lui giclant comme d'un crible,
Une atroce fureur, pourtant sainte, aux entrailles.
Tué, son nom, célèbre ou non, reste honoré.
Proscrit ou non, il meurt heureux, dans tous les cas,
D'avoir voué sa vie et tout au Lieu Sacré
Qui le fit homme et tout, de joyeux petit gas.
Sa veuve et ses petits garderont sa mémoire,
La terre sera douce à cet enfant fidèle
Où le vent pur de la Patrie, en plis de gloire,
Frissonnera comme un drapeau tout fleurant d'elle.
Mais quoi donc, le poète, à moins d'être chrétien,
(Le chrétien se fait tel que Jésus dit qu'il soit)
Comment en ces temps-ci ce très fier peut-il bien
Aimer la France ainsi qu'il doit comme il la voit,
Dépravée, insensée, une fille, une folle
Déchirant de ses mains la pudeur des aïeules
Et l'honneur ataval et, l'antique parole,
La parlant en argot pour des sottises seules,
L'amour, l'évaporant en homicides vils
D'où quelque pâle enfant, rare fantôme, sort,
Son Dieu, le reniant pour quels crimes civils!
Prête à mourir d'ailleurs de quelle lâche mort!
Lui-même que Dieu voit être un pur patriote
L'affamant aujourd'hui, le prescrivant naguère,
Pour n'avoir pas voulu boire comme un ilote
Le gros vin du scandale au verre du vulgaire,
Le dénonçant aux sots pires que les méchants,
Bourreaux mesquins, non moins d'ailleurs que tels méchants
Pire que tous, à cause, ô honte! que ses chants
Faisaient honte à plusieurs à cause de leurs chants,
Enfin, méconnaissant et l'heure et le génie
Jusqu'à ce péché noir entre tous ceux de l'homme,
Jusqu'à ce plongeon dans toute l'ignominie
D'insulter l'ange comme en l'unique Sodome!
Mais le poète est un chrétien qui dit: «Non pas!»
A ces comme velléités d'être tenté
Vers les déclamations par la Pauvreté,
Et d'elles dans l'horreur du premier mauvais pas.
«Non pas!» puis s'adressant à la Vierge Marie:
«O vous, reine de France et de toute la terre,
Vous qui fidèlement gardez notre patrie
Depuis les premiers temps jusqu'à cette heure austère
Où chacun a besoin du courage de dix
S'il veut garder sa foi par ses pertes de fois,
La pratiquer tout simplement, ainsi jadis,
Puis y mourir tout simplement, comme autrefois!
Depuis les Notre-Dame au-dessus des ancêtres
Profilant leur prière immense et solennelle
Jusqu'aux mois de Marie, échos des soirs champêtres
Sourire de l'Église aux cœurs vierges en elle,
Depuis que notre culte intronisait nos rois,
Depuis que notre sang teignait votre pennon
Jusqu'au jour où quel Dogme à travers tant d'effrois
Ajoutait quel honneur encore à votre nom,
Vous qui, multipliant miracles et promesses,
De la Sainte-Chandelle à la Salette et Lourdes,
Daignez faire chez nous éclore des prouesses
Même en ces temps d'horreur d'État louches et sourdes,
Mère, sauvez la France, intercédez pour nous,
Donnez-nous la foi vive et surtout l'humble foi,
Que l'âme de tous nos aïeux brûle en nous tous
Pour la vie et la mort, au foyer, dans la loi,
Dans le lit conjugal, sur la couche dernière,
Simple et forte et sincère et bellement naïve,
Pour qu'en les chocs prévus, virils à sa manière,
Qui fut la bonne quand elle dut être active,
Si Dieu nous veut vaincus, du moins nous le soyons
En exemple, lavant hier par aujourd'hui
Et faits, après l'horreur, l'honneur des nations,
Et s'il nous veut vainqueurs nous le soyons pour lui.»
XXIII
Immédiatement après le salut somptueux,
Le luminaire éteint moins les seuls cierges liturgiques,
Les psaumes pour les morts sont dits sur un mode mineur
Par les clercs et le peuple saisi de mélancolie.
Un glas lent se répand des clochers de la cathédrale,
Répandu par tous les campaniles du diocèse,
Et plane et pleure sur les villes et sur la campagne
Dans la nuit tôt venue en la saison arriérée.
Chacun s'en fut coucher reconduit par la voix dolente
Et douce à l'infini de l'airain commémoratoire
Qui va bercer le sommeil un peu triste des vivants
Du souvenir des décédés de toutes les paroisses.
XXIV
La cathédrale est majestueuse
Que j'imagine en pleine campagne
Sur quelque affluent de quelque Meuse
Non loin de l'Océan qu'il regagne,
L'Océan pas vu que je devine
Par l'air chargé de sels et d'aromes.
La croix est d'or dans la nuit divine
D'entre l'envol des tours et des dômes;
Des Angélus font aux campaniles
Une couronne d'argent qui chante;
De blancs hibous, aux longs cris graciles,
Tournent sans fin de sorte charmante;
Des processions jeunes et claires
Vont et viennent de porches sans nombre,
Soie et perles de vivants rosaires,
Rogations pour de chers fruits d'ombre.
Ce n'est pas un rêve ni la vie,
C'est ma belle et ma chaste pensée,
Si vous voulez ma philosophie,
Ma mort choisie ainsi déguisée.
XXV
Voix de Gabriel
Chez l'humble Marie,
Cloches de Noël,
Dans la nuit fleurie,
Siècles, célébrez
Mes sens délivrés!
Martyrs, troupe blanche,
Et les confesseurs,
Fruits d'or de la branche,
Vous, frères et sœurs,
Vierges dans la gloire,
Chantez ma victoire!
Les Saints ignorés,
Vertus qu'on méprise,
Qui nous sauverez
Par votre entremise,
Priez que la foi
Demeure humble en moi.
Pécheurs, par le monde,
Qui vous repentez,
Dans l'ardeur profonde
D'être rachetés,
Or, je vous contemple,
Donnez-moi l'exemple.
Nature, animaux,
Eaux, plantes et pierres,
Vos simples travaux
Sont d'humbles prières,
Vous obéissez:
Pour Dieu c'est assez.