VERS POSTHUMES
ACTE DE FOI
«Le seul savant c'est encore Moïse»!
Ainsi disais-je et pensais-je autrefois,
Et quand j'y pense encore et, sans surprise,
Me le redis avec la même voix,
Ma conviction, que tous les problèmes
Étalés en vain à mon œil naïf
N'ont point mise à mal, séducteurs suprêmes,
T'affirme à nouveau, dogme primitif.
La doctrine profane et l'art profane
Ont quelque bon, mais, s'ils agissent seuls,
C'est comme des spectres sous des linceuls.
La Genèse est claire, elle est diaphane,
Et par elle je crois avec ardeur
En Dieu, mon fauteur et mon créateur.
PAQUES
Dic, nobis, Maria
quem vidisti in via.
De Rome, hier matin, les cloches revenues,
Exhalent un concert glorieux dans les nues.
L'écho puissant qui flue et tombe de la tour,
Vient magnifier l'air et la terre à leur tour.
L'oiseau, sanctifié par l'or des salves saintes
Lui-même entonne un hymne aimable et las de plaintes,
Clame l'alléluia sur un air de chanson,
Dans l'arbre, au ras des prés, et parmi le buisson.
L'alouette, un motet au bec, s'est envolée;
Le rossignol a salué l'aube emperlée
D'accents énamourés d'un amour plus brûlant,
Et comme lumineux d'un bonheur calme et lent,
Le printemps, né d'hier, allègrement frissonne;
La nature frémit d'aise, et voici que sonne
Partout dans la campagne, au cœur des vieux beffrois,
De l'altier campanile et du palais des rois,
Et de tous les fracas religieux des villes,
Des Paris aux Moscous, des Londres aux Sévilles,
Le frais appel pour l'alme célébration
De l'almissime jour de résurrection…
La colombe vole au sillon et l'agneau broute.
Dis-nous, Marie, qui tu rencontras en route?
Le fleuve est d'or sous le soleil renouvelé…
C'est le Seigneur «en Galilée il est allé!»
—Ah! que le cœur n'est-il lavé dans l'or du fleuve,
Sanctifiée en l'or des cloches l'âme veuve!
Et que l'esprit n'est-il humble comme l'agneau,
Blanc comme la colombe en ce clair renouveau
Et que l'homme, jadis conscience introublée,
N'est-il en route encore pour la Galilée!
ASSOMPTION
Aujourd'hui c'est ma fête et j'ai droit à des fleurs
(Sous mon autre prénom je n'ai droit qu'à mes pleurs),
Car sachez-le bien tous, je m'appelle Marie
Et sous le nom puissant d'une mère chérie
Je me sens protégé du mal et du péché
Qui m'avaient investi grâce au bien négligé.
Je me sais à l'abri d'un monde que j'abhorre
Et dont je ne saurais me séparer encore,
Je me crois défendu contre tout choc et heurt
Par ce nom qui s'en vient prier lorsque l'on meurt.
En ce jour merveilleux de triomphe et de gloire,
Il me semble que j'ai ma part de la victoire.
O ma femme, entrons donc joyeux, c'est notre droit
Dans le bonheur heureux… et le devoir qu'on doit.
PRIÈRE
Me voici devant Vous, contrit comme il le faut.
Je sais tout le malheur d'avoir perdu la voie
Et je n'ai plus d'espoir, et je n'ai plus de joie
Qu'en une en qui je crois chastement, et qui vaut
A mes yeux mieux que tout, et l'espoir et la joie.
Elle est bonne, elle me connaît depuis des ans.
Nous eûmes des jours noirs, amers, jaloux, coupables,
Mais nous allions sans trêve aux fins inéluctables,
Balancés, ballottés, en proie à tous jusants
Sur la mer où luisaient les astres favorables:
Franchise, lassitude affreuse du péché
Sans esprit de retour, et pardons l'un à l'autre…
Or, ce commencement de paix n'est-il point vôtre,
Jésus, qui vous plaisez au repentir caché?
Exaucez notre vœu qui n'est plus que le vôtre.
LE CHARME DU VENDREDI SAINT
La cathédrale est grise admirablement,
Tandis que le jour luit adorablement
Et que les arbres sont verts tout doucement.
Les paysans sont naïfs et de province
Pour la plupart parents, dont la toilette grince,
De parisiens dont l'orgueil n'est pas mince
De les promener autour du fameux monument
Qui, néanmoins froissant l'orgueil de leur village,
Semble à leurs yeux matois quelque chose qui ment
Et va, comme un peu vil dans le sillage
Des bateaux mouches d'ailleurs pleins abondamment
D'une clientèle amusante en diable,
Qui file néanmoins, dévots irrémédiables,
Voir les autels déserts et les tombeaux décorés richement.
Paris, jeudi 30 mars 1893.
II
Le soleil fou de mars éveille encore un peu plus la verdure
Des fins arbres du quai bordant la beauté pure
Et forte de la cathédrale on dirait en guipure
De pierre, on croit, immémoriale et si dure!
Les cloches de la veille ont fui (leur âme, au moins,
S'est tue) et pendent, patients témoins
Muets jusqu'au samedi fier où, lentes sur les foins,
Enfin, elles reviennent (ou, du moins, leur âme
Planant sur les villes légères et les autres)
Et pendant leur voyage de miraculeux apôtres
A travers les humanités chastes et les infâmes,
Dans la nef désolée où seulement les flammes
Des ténèbres sévèrement bien plus sur toutes autres,
S'affligent, grands ouverts, les tabernacles, âmes
Muettes, symbolisent l'attente immense des apôtres.
Vendredi, 31 mars 1893.
EX IMO
O Jésus, vous m'avez puni moralement
Quand j'étais digne encor d'une noble souffrance,
Maintenant que mes torts ont dépassé l'outrance.
O Jésus, vous me punissez physiquement.
L'âme souffrante est près de Dieu qui la conseille,
La console, la plaint, lui sourit, la guérit
Par une claire, simple et logique merveille.
La chair, il la livre aux lentes lois que prescrit
Le «Fiat lux», le créateur de la nature,
Le Verbe qui devait, Jésus-Christ, être vous
Plein de douceur, mais lors faisait la créature
Matérielle et l'autre en tout grand soin jaloux.
La Science, un souci vénérable, tâtonne,
Essaie et, pour guérir, à son tour, fait souffrir,
Et, le fer à la main, comme un bourreau te donne,
Triste corps, un coup tel que tu croirais mourir,
Ou se servant du feu soit flambant, soit sous forme
De pierre ou d'huile ou d'eau raffine ta douleur,
Tu dirais, pour un bien pourtant; mais quel énorme
Effort souvent infructueux, chair de malheur!
Chair, mystère plus noir et plus mélancolique
Que tous autres, pourquoi toi! Mais Dieu te voulut
Et tu fus, et tu vis, comment? au vent oblique
Des funestes saisons et du mal qui t'élut.
Et tu fus, et tu vis, comment! miracle frêle,
Et tu souffres d'affreux supplices pour un peu
De plaisir mêlé d'amertume et de querelle.
Oui, pourquoi toi?
Jésus répond: «Pour être enfin
Mienne et le vase pur de l'Esprit de sagesse
Et d'amour et plus tard glorieuse au divin
Séjour définitif de liesse et de largesse!
Encore un peu de temps, souffre encore un instant,
Offre-moi ta douleur que d'ailleurs la science
Peut tarir, et surtout, ô mon fils repentant,
Ne perds jamais cette vertu, la confiance!
La confiance en moi seul! Et je te le dis
Encore: patiente et m'offre ta souffrance.
Je l'assimilerai, comme j'ai fait jadis,
Au Calvaire, à la mienne, et garde l'espérance.
L'espérance en mon Père. Il est père, il est roi,
Il est bonté: c'est le bon Dieu de ton enfance.
Souffre encore un instant et garde bien la foi,
La foi dans mon Église et tout ce qu'elle avance.
Suis humble et souffre en paix, autant que tu pourras.
Je suis là. Du courage. Il en faut en ce monde.
Qui le sait mieux que moi? Lorsque tu souffriras
Cent fois plus, qu'est cela près de ma mort immonde,
Et de mon agonie et du reste? Allons, vois.
C'est fait. Le mal n'est plus: tu peux vivre dans l'aise
Quelques beaux jours encore et vieillir sur ta chaise,
Au soleil, et mourir et renaître à ma voix.»
8 août 1893, hôpital Broussais.
FIN