Demandez, je n’ai pas soufflé.
MERCURE.
Certain mot de fils de putain
A pourtant frappé mon oreille;
Il n’est rien de plus certain.
SOSIE.
C’est donc un perroquet que le beau temps réveille.
MERCURE.
Adieu. Lorsque le dos pourra te démanger,
Voilà l’endroit où je demeure.
SOSIE, seul.
O ciel! que l’heure de manger,
Pour être mis dehors, est une maudite heure!
Allons, cédons au sort dans notre affliction,
Suivons-en aujourd’hui l’aveugle fantaisie;
Et, par une juste union,
Joignons le malheureux Sosie
Au malheureux Amphitryon.
Je l’aperçois venir en bonne compagnie.
SCÈNE VIII.—AMPHITRYON, ARGATIPHONTIDAS, PAUSICLÈS, SOSIE, dans un coin du théâtre, sans être aperçu.
AMPHITRYON, à plusieurs autres officiers qui l’accompagnent.
Arrêtez là, messieurs, suivez-nous d’un peu loin,
Et n’avancez tous, je vous prie,
Que quand il en sera besoin.
PAUSICLÈS.
Je comprends que ce coup doit fort toucher votre âme.
AMPHITRYON.
Ah! de tous les côtés mortelle est ma douleur,
Et je souffre pour ma flamme
Autant que pour mon honneur.
PAUSICLÈS.
Si cette ressemblance est telle que l’on dit,
Alcmène, sans être coupable...
AMPHITRYON.
Ah! sur le fait dont il s’agit,
L’erreur simple devient un crime véritable,
Et, sans consentement, l’innocence y périt.
De semblables erreurs, quelque jour qu’on leur donne,
Touchent les endroits délicats;
Et la raison bien souvent les pardonne,
Que l’honneur et l’amour ne les pardonnent pas.
ARGATIPHONTIDAS.
Je n’embarrasse point là dedans ma pensée;
Mais je hais vos messieurs de leurs honteux délais,
Et c’est un procédé dont j’ai l’âme blessée
Et que les gens de cœur n’approuveront jamais.
Quand quelqu’un nous emploie, on doit, tête baissée,
Se jeter dans ses intérêts.
Argatiphontidas ne va point aux accords.
Écouter d’un ami raisonner l’adversaire
Pour des hommes d’honneur n’est point un coup à faire:
Il ne faut écouter que la vengeance alors.
Le procès ne me sauroit plaire;
Et l’on doit commencer toujours, dans ses transports,
Par bailler, sans autre mystère,
De l’épée au travers du corps.
Oui, vous verrez, quoi qu’il avienne,
Qu’Argatiphontidas marche droit sur ce point;
Et de vous il faut que j’obtienne
Que le pendard ne meure point
D’une autre main que de la mienne.
AMPHITRYON.
Allons.
SOSIE, à Amphitryon.
Je viens, monsieur, subir, à deux genoux,
Le juste châtiment d’une audace maudite.
Frappez, battez, chargez, accablez-moi de coups,
Tuez-moi dans votre courroux,
Vous ferez bien, je le mérite;
Et je n’en dirai pas un seul mot contre vous.
AMPHITRYON.
Lève-toi. Que fait-on?
SOSIE.
L’on m’a chassé tout net;
Et, croyant à manger m’aller comme eux ébattre,
Je ne songeois pas qu’en effet
Je m’attendois là pour me battre.
Oui, l’autre moi, valet de l’autre vous, a fait
Tout de nouveau le diable à quatre.
La rigueur d’un pareil destin,
Monsieur, aujourd’hui nous talonne:
Et l’on me des-Sosie[17] enfin
Comme on vous des-Amphitryonne.
AMPHITRYON.
Suis-moi.
SOSIE.
N’est-il pas mieux de voir s’il vient personne?
SCÈNE IX.—CLÉANTHIS, AMPHITRYON, ARGATIPHONTIDAS, POLIDAS, NAUCRATÈS, PAUSICLÈS, SOSIE.
CLÉANTHIS.
O ciel!
AMPHITRYON.
Qui t’épouvante ainsi?
Quelle est la peur que je t’inspire?
CLÉANTHIS.
Las! vous êtes là-haut, et je vous vois ici.
NAUCRATÈS, à Amphitryon.
Ne vous pressez point; le voici
Pour donner devant tous les clartés qu’on désire,
Et qui, si l’on peut croire à ce qu’il vient de dire,
Sauront vous affranchir de trouble et de souci.
SCÈNE X.—MERCURE, AMPHITRYON, ARGATIPHONTIDAS, POLIDAS, NAUCRATÈS, PAUSICLÈS, CLÉANTHIS, SOSIE.
MERCURE.
Oui, vous l’allez voir tous; et sachez par avance
Que c’est le grand maître des dieux,
Que, sous les traits chéris de cette ressemblance,
Alcmène a fait du ciel descendre dans ces lieux.
Et quant à moi, je suis Mercure,
Qui, ne sachant que faire, ai rossé tant soit peu
Celui dont j’ai pris la figure;
Mais de s’en consoler il a maintenant lieu,
Et les coups de bâton d’un dieu
Font honneur à qui les endure.
SOSIE.
Ma foi, monsieur le dieu, je suis votre valet:
Je me serois passé de votre courtoisie.
MERCURE.
Je lui donne à présent congé d’être Sosie.
Je suis las de porter un visage si laid;
Et je m’en vais au ciel, avec de l’ambroisie,
M’en débarbouiller tout à fait.
Mercure s’envole au ciel.
SOSIE.
Le ciel de m’approcher t’ôte à jamais l’envie!
Ta fureur s’est par trop acharnée après moi;
Et je ne vis de ma vie
Un dieu plus diable que toi.
SCÈNE XI.—JUPITER, AMPHITRYON, NAUCRATÈS, ARGATIPHONTIDAS, POLIDAS, PAUSICLÈS, CLÉANTHIS, SOSIE.
JUPITER, annoncé par le bruit du tonnerre, armé de son foudre, dans un nuage, sur son aigle.
Regarde, Amphitryon, quel est ton imposteur;
Et sous tes propres traits vois Jupiter paroître.
A ces marques tu peux aisément le connoître;
Et c’est assez, je crois, pour remettre ton cœur
Dans l’état auquel il doit être,
Et rétablir chez toi la paix et la douceur.
Mon nom, qu’incessamment toute la terre adore,
Étouffe ici les bruits qui pouvoient éclater.
Un partage avec Jupiter
N’a rien du tout qui déshonore;
Et sans doute il ne peut être que glorieux
De se voir le rival du souverain des dieux.
Je n’y vois pour ta flamme aucun lieu de murmure;
Et c’est moi, dans cette aventure,
Qui, tout dieu que je suis, dois être le jaloux.
Alcmène est toute à toi, quelque soin qu’on emploie;
Et ce doit à tes feux être un objet bien doux
De voir que, pour lui plaire, il n’est point d’autre voie
Que de paroître son époux;
Que Jupiter, orné de sa gloire immortelle,
Par lui-même n’a pu triompher de sa foi;
Et que ce qu’il a reçu d’elle
N’a, par son cœur ardent, été donné qu’à toi.
SOSIE.
Le seigneur Jupiter sait dorer la pilule.
JUPITER.
Sors donc des noirs chagrins que ton cœur a soufferts,
Et rends le calme entier à l’ardeur qui te brûle;
Chez toi doit naître un fils qui, sous le nom d’Hercule,
Remplira de ses faits tout le vaste univers.
L’éclat d’une fortune en mille biens féconde
Fera connoître à tous que je suis ton support,
Et je mettrai tout le monde
Au point d’envier ton sort.
Tu peux hardiment te flatter
De ces espérances données.
C’est un crime que d’en douter:
Les paroles de Jupiter
Sont des arrêts des destinées.
Il se perd dans les nues.
NAUCRATÈS.
Certes, je suis ravi de ces marques brillantes...
SOSIE.
Messieurs, voulez-vous bien suivre mon sentiment?
Ne vous embarquez nullement
Dans ces douceurs congratulantes:
C’est un mauvais embarquement;
Et d’une et d’autre part, pour un tel compliment,
Les phrases sont embarrassantes.
Le grand dieu Jupiter nous fait beaucoup d’honneur,
Et sa bonté, sans doute, est pour nous sans seconde;
Il nous promet l’infaillible bonheur
D’une fortune en mille biens féconde,
Et chez nous il doit naître un fils d’un très-grand cœur,
Tout cela va le mieux du monde.
Mais enfin coupons aux discours,
Et que chacun chez soi doucement se retire.
Sur telles affaires toujours
Le meilleur est de ne rien dire.
FIN D’AMPHITRYON.