ACTE II

SCÈNE I.—ÉRIPHILE, CLÉONICE.

ÉRIPHILE.

Voilà qui est admirable. Je ne crois pas qu’on puisse mieux danser qu’ils dansent, et je suis bien aise de les avoir à moi.

CLÉONICE.

Et moi, madame, je suis bien aise que vous ayez vu que je n’ai pas si méchant goût que vous avez pensé.

ÉRIPHILE.

Ne triomphez point tant; vous ne tarderez guère à me faire avoir ma revanche. Qu’on me laisse ici.

SCÈNE II.—ÉRIPHILE, CLÉONICE, CLITIDAS.

CLÉONICE, allant au-devant de Clitidas.

Je vous avertis, Clitidas, que la princesse veut être seule.

CLITIDAS.

Laissez-moi faire: je suis homme qui sais ma cour.

SCÈNE III.—ÉRIPHILE, CLITIDAS.

CLITIDAS, en chantant.

La, la, la, la (Faisant l’étonné en voyant Ériphile) Ah!

ÉRIPHILE, à Clitidas qui feint de vouloir s’éloigner.

Clitidas!

CLITIDAS.

Je ne vous avois pas vue là, madame.

ÉRIPHILE.

Approche. D’où viens-tu?

CLITIDAS.

De laisser la princesse votre mère, qui s’en alloit vers le temple d’Apollon, accompagnée de beaucoup de gens.

ÉRIPHILE.

Ne trouves-tu pas ces lieux les plus charmans du monde?

CLITIDAS.

Assurément. Les princes vos amans y étoient.

ÉRIPHILE.

Le fleuve Pénée fait ici d’agréables détours.

CLITIDAS.

Fort agréables. Sostrate y étoit aussi.

ÉRIPHILE.

D’où vient qu’il n’est pas venu à la promenade?

CLITIDAS.

Il a quelque chose dans la tête qui l’empêche de prendre plaisir à tous ses beaux régales[137]. Il m’a voulu entretenir; mais vous m’avez défendu si expressément de me charger d’aucune affaire auprès de vous, que je n’ai point voulu lui prêter l’oreille, et je lui ai dit nettement que je n’avois pas le loisir de l’entendre.

ÉRIPHILE.

Tu as eu tort de lui dire cela, et tu devois l’écouter.

CLITIDAS.

Je lui ai dit d’abord que je n’avois pas le loisir de l’entendre mais après je lui ai donné audience.

ÉRIPHILE.

Tu as bien fait.

CLITIDAS.

En vérité, c’est un homme qui me revient, un homme fait comme je veux que les hommes soient faits, ne prenant point des manières bruyantes et des tons de voix assommans; sage et posé en toutes choses, ne parlant jamais que bien à propos, point prompt à décider, point du tout exagérateur incommode; et, quelques beaux vers que nos poëtes lui aient récités, je ne lui ai jamais ouï-dire: voilà qui est plus beau que tout ce qu’a jamais fait Homère. Enfin c’est un homme pour qui je me sens de l’inclination; et, si j’étois princesse, il ne seroit pas malheureux.

ÉRIPHILE.

C’est un homme d’un grand mérite, assurément. Mais de quoi t’a-t-il parlé?

CLITIDAS.

Il m’a demandé si vous aviez témoigné grande joie au magnifique régale que l’on vous a donné, m’a parlé de votre personne avec des transports les plus grands du monde, vous a mise au-dessus du ciel, et vous a donné toutes les louanges qu’on peut donner à la princesse la plus accomplie de la terre, entremêlant tout cela de plusieurs soupirs qui disoient plus qu’il ne vouloit. Enfin, à force de le tourner de tous côtés, et de le presser sur la cause de cette profonde mélancolie dont toute la cour s’aperçoit, il a été contraint de m’avouer qu’il étoit amoureux.

ÉRIPHILE.

Comment, amoureux! quelle témérité est la sienne! c’est un extravagant que je ne verrai de ma vie.

CLITIDAS.

De quoi vous plaignez-vous, madame?

ÉRIPHILE.

Avoir l’audace de m’aimer! et, de plus, avoir l’audace de le dire!

CLITIDAS.

Ce n’est pas de vous, madame, dont il est amoureux.

ÉRIPHILE.

Ce n’est pas moi?

CLITIDAS.

Non, madame; il vous respecte trop pour cela, et est trop sage pour y penser.

ÉRIPHILE.

Et de qui donc, Clitidas?

CLITIDAS.

D’une de vos filles, la jeune Arsinoé.

ÉRIPHILE.

A-t-elle tant d’appas, qu’il n’ait trouvé qu’elle digne de son amour?

CLITIDAS.

Il l’aime éperdument, et vous conjure d’honorer sa flamme de votre protection.

ÉRIPHILE.

Moi?

CLITIDAS.

Non, non, madame. Je vois que la chose ne vous plaît pas. Votre colère m’a obligé à prendre ce détour; et, pour vous dire la vérité, c’est vous qu’il aime éperdument.

ÉRIPHILE.

Vous êtes un insolent de venir ainsi surprendre mes sentimens. Allons, sortez d’ici; vous vous mêlez de vouloir lire dans les âmes, de vouloir pénétrer dans les secrets du cœur d’une princesse! Otez-vous de mes yeux, et que je ne vous voie jamais, Clitidas.

CLITIDAS.

Madame...

ÉRIPHILE.

Venez ici. Je vous pardonne cette affaire-là.

CLITIDAS.

Trop de bonté, madame!

ÉRIPHILE.

Mais à condition (prenez bien garde à ce que je vous dis) que vous n’en ouvrirez la bouche à personne du monde, sur peine de la vie.

CLITIDAS.

Il suffit.

ÉRIPHILE.

Sostrate t’a donc dit qu’il m’aimoit?

CLITIDAS.

Non, madame. Il faut vous dire la vérité. J’ai tiré de son cœur, par surprise, un secret qu’il veut cacher à tout le monde, et avec lequel il est, dit-il, résolu de mourir. Il a été au désespoir du vol subtil que je lui en ai fait; et, bien loin de me charger de vous le découvrir, il m’a conjuré, avec toutes les instantes prières qu’on sauroit faire, de ne vous en rien révéler; et c’est trahison contre lui que ce que je viens de vous dire.

ÉRIPHILE.

Tant mieux! c’est par son seul respect qu’il peut me plaire; et s’il étoit si hardi que de me déclarer son amour, il perdroit pour jamais et ma présence et mon estime.

CLITIDAS.

Ne craignez point, madame...

ÉRIPHILE.

Le voici. Souvenez-vous, au moins, si vous êtes sage, de la défense que je vous ai faite.

CLITIDAS.

Cela est fait, madame. Il ne faut pas être courtisan indiscret.

SCÈNE IV.—ÉRIPHILE, SOSTRATE.

SOSTRATE.

J’ai une excuse, madame, pour oser interrompre votre solitude; et j’ai reçu de la princesse votre mère une commission qui autorise la hardiesse que je prends maintenant.

ÉRIPHILE.

Quelle commission, Sostrate?

SOSTRATE.

Celle, madame, de tâcher d’apprendre de vous vers lequel des deux princes peut incliner votre cœur.

ÉRIPHILE.

La princesse ma mère montre un esprit judicieux dans le choix qu’elle a fait de vous pour un pareil emploi. Cette commission, Sostrate, vous a été agréable sans doute, et vous l’avez acceptée avec beaucoup de joie?

SOSTRATE.

Je l’ai acceptée, madame, par la nécessité que mon devoir m’impose d’obéir; et si la princesse avoit voulu recevoir mes excuses, elle auroit honoré quelque autre de cet emploi.

ÉRIPHILE.

Quelle cause, Sostrate, vous obligeoit à le refuser?

SOSTRATE.

La crainte, madame, de m’en acquitter mal.

ÉRIPHILE.

Croyez-vous que je ne vous estime pas assez pour vous ouvrir mon cœur, et vous donner toutes les lumières que vous pourrez désirer de moi sur le sujet de ces deux princes?

SOSTRATE.

Je ne désire rien pour moi là-dessus, madame; et je ne vous demande que ce que vous croirez devoir donner aux ordres qui m’amènent.

ÉRIPHILE.

Jusques ici je me suis défendue de m’expliquer, et la princesse ma mère a eu la bonté de souffrir que j’ai reculé toujours ce choix qui me doit engager; mais je serai bien aise de témoigner à tout le monde que je veux faire quelque chose pour l’amour de vous; et, si vous m’en pressez, je rendrai cet arrêt qu’on attend depuis si longtemps.

SOSTRATE.

C’est une chose, madame, dont vous ne serez point importunée par moi; et je ne saurois me résoudre à presser une princesse qui sait trop ce qu’elle a à faire.

ÉRIPHILE.

Mais c’est ce que la princesse ma mère attend de vous.

SOSTRATE.

Ne lui ai-je pas dit aussi que je m’acquitterois mal de cette commission?

ÉRIPHILE.

Oh çà, Sostrate, les gens comme vous ont toujours les yeux pénétrans; et je pense qu’il ne doit y avoir guère de choses qui échappent aux vôtres. N’ont-ils pu découvrir, vos yeux, ce dont tout le monde est en peine? et ne vous ont-ils point donné quelques petites lumières du penchant de mon cœur? Vous voyez les soins qu’on me rend, l’empressement qu’on me témoigne. Quel est celui de ces deux princes que vous croyez que je regarde d’un œil plus doux?

SOSTRATE.

Les doutes que l’on forme sur ces sortes de choses ne sont réglés d’ordinaire que par les intérêts qu’on prend.

ÉRIPHILE.

Pour qui, Sostrate, pencheriez-vous des deux? Quel est celui, dites-moi, que vous souhaiteriez que j’épousasse?

SOSTRATE.

Ah! madame, ce ne seront pas mes souhaits, mais votre inclination qui décidera de la chose.

ÉRIPHILE.

Mais si je me conseillois à vous[138] pour ce choix?

SOSTRATE.

Si vous vous conseilliez à moi, je serois fort embarrassé.

ÉRIPHILE.

Vous ne pourriez pas dire qui des deux vous semble plus digne de cette préférence?

SOSTRATE.

Si l’on s’en rapporte à mes yeux, il n’y aura personne qui soit digne de cet honneur. Tous les princes du monde seront trop peu de chose pour aspirer à vous; les dieux seuls y pourront prétendre, et vous ne souffrirez des hommes que l’encens et les sacrifices.

ÉRIPHILE.

Cela est obligeant, et vous êtes de mes amis. Mais je veux que vous me disiez pour qui des deux vous vous sentez plus d’inclination, quel est celui que vous mettez le plus au rang de vos amis.

SCÈNE V.—ÉRIPHILE, SOSTRATE, CHORÈBE.

CHORÈBE.

Madame, voilà la princesse qui vient vous prendre ici pour aller au bois de Diane.

SOSTRATE, à part.

Hélas! petit garçon, que tu es venu à propos!

SCÈNE VI.—ARISTIONE, ÉRIPHILE, IPHICRATE, TIMOCLÈS, SOSTRATE, ANAXARQUE, CLITIDAS.

ARISTIONE.

On vous a demandée, ma fille; et il y a des gens que votre absence chagrine fort.

ÉRIPHILE.

Je pense, madame, qu’on m’a demandée par compliment; et on ne s’inquiète pas tant qu’on vous dit.

ARISTIONE.

On enchaîne pour nous ici tant de divertissemens les uns aux autres, que toutes nos heures sont retenues; et nous n’avons aucun moment à perdre, si nous voulons les goûter tous. Entrons vite dans le bois, et voyons ce qui nous y attend. Ce lieu est le plus beau du monde: prenons vite nos places.

TROISIÈME INTERMÈDE

Le théâtre est une forêt où la princesse est invitée d’aller. Une Nymphe lui en fait les honneurs, en chantant; et, pour la divertir, on lui joue une petite comédie en musique, dont voici le sujet: un berger se plaint à deux bergers, ses amis, des froideurs de celle qu’il aime; les deux amis le consolent; et, comme la bergère aimée arrive, tous trois se retirent pour l’observer. Après quelque plainte amoureuse, elle se repose sur un gazon, et s’abandonne aux douceurs du sommeil. L’amant fait approcher ses amis, pour contempler les grâces de sa bergère, et invite toutes choses à contribuer à son repos. La bergère, en s’éveillant, voit son berger à ses pieds, se plaint de sa poursuite; mais, considérant sa constance, elle lui accorde sa demande, et consent d’en être aimée, en présence des deux bergers amis. Deux Satyres arrivent, se plaignent de son changement, et, étant touchés de cette disgrâce, cherchent leur consolation dans le vin.


LES PERSONNAGES DE LA PASTORALE
LA NYMPHE de la vallée de Tempé.
TYRCIS.
LYCASTE.
MÉNANDRE.
CALISTE.
DEUX SATYRES.