SCÈNE I.—SOSIE.
Qui va là? Heu! ma peur à chaque pas s’accroît!
Messieurs, ami de tout le monde.
Ah! quelle audace sans seconde
De marcher à l’heure qu’il est!
Que mon maître, couvert de gloire,
Me joue ici d’un vilain tour!
Quoi! si pour son prochain il avoit quelque amour,
M’auroit-il fait partir par une nuit si noire?
Et, pour me renvoyer annoncer son retour
Et le détail de sa victoire,
Ne pouvoit-il pas bien attendre qu’il fût jour?
Sosie, à quelle servitude
Tes jours sont-ils assujettis!
Notre sort est beaucoup plus rude
Chez les grands que chez les petits.
Ils veulent que pour eux tout soit, dans la nature,
Obligé de s’immoler.
Jour et nuit, grêle, vent, péril, chaleur, froidure,
Dès qu’ils parlent, il faut voler.
Vingt ans d’assidu service
N’en obtiennent rien pour nous.
Le moindre petit caprice
Nous attire leur courroux.
Cependant notre âme insensée
S’acharne au vain honneur de demeurer près d’eux,
Et s’y veut contenter de la fausse pensée
Qu’ont tous les autres gens, que nous sommes heureux.
Vers la retraite en vain la raison nous appelle,
En vain notre dépit quelquefois y consent;
Leur vue a sur notre zèle
Un ascendant trop puissant,
Et la moindre faveur d’un coup d’œil caressant
Nous rengage de plus belle.
Mais enfin, dans l’obscurité,
Je vois notre maison, et ma frayeur s’évade.
Il me faudroit, pour l’ambassade,
Quelque discours prémédité.
Je dois aux yeux d’Alcmène un portrait militaire
Du grand combat qui met nos ennemis à bas;
Mais comment diantre le faire,
Si je ne m’y trouvai pas?
N’importe, parlons-en et d’estoc et de taille,
Comme oculaire témoin.
Combien de gens font-ils des récits de bataille
Dont ils se sont tenus loin!
Pour jouer mon rôle sans peine,
Je le veux un peu repasser.
Voici la chambre où j’entre en courrier que l’on mène,
Et cette lanterne est Alcmène,
A qui je me dois adresser.
Sosie pose sa lanterne à terre.
Madame, Amphitryon, mon maître et votre époux[5]...
(Bon! beau début!) l’esprit toujours plein de vos charmes,
M’a voulu choisir entre tous
Pour vous donner avis du succès de ses armes,
Et du désir qu’il a de se voir près de vous.
«Ah! vraiment, mon pauvre Sosie,
«A te revoir j’ai de la joie au cœur.»
Madame, ce m’est trop d’honneur,
Et mon destin doit faire envie.
(Bien répondu!) «Comment se porte Amphitryon?»
Madame, en homme de courage,
Dans les occasions où la gloire l’engage.
(Fort bien! belle conception!)
«Quand viendra-t-il, par son retour charmant,
«Rendre mon âme satisfaite?»
Le plus tôt qu’il pourra, madame, assurément,
Mais bien plus tard que son cœur ne souhaite.
(Ah!) «Mais quel est l’état où la guerre l’a mis?
«Que dit-il? que fait-il? Contente un peu mon âme.»
Il dit moins qu’il ne fait, madame,
Et fait trembler les ennemis.
(Peste! où prend mon esprit toutes ces gentillesses?)
«Que font les révoltés? dis-moi, quel est leur sort?»
Ils n’ont pu résister, madame, à notre effort;
Nous les avons taillés en pièces,
Mis Ptérélas, leur chef, à mort,
Pris Télèbe d’assaut; et déjà dans le port
Tout retentit de nos prouesses.
«Ah! quel succès! ô dieux! qui l’eût pu jamais croire[6]?
«Raconte-moi, Sosie, un tel événement.»
Je le veux bien, madame; et, sans m’enfler de gloire,
Du détail de cette victoire
Je puis parler très-savamment.
Figurez-vous donc que Télèbe
Madame, est de ce côté.
Sosie marque les lieux sur sa main, ou à terre.
C’est une ville, en vérité,
Aussi grande quasi que Thèbe.
La rivière est comme là.
Ici nos gens se campèrent;
Et l’espace que voilà,
Nos ennemis l’occupèrent.
Sur un haut, vers cet endroit,
Étoit leur infanterie;
Et plus bas, du côté droit,
Étoit la cavalerie.
Après avoir aux dieux adressé les prières,
Tous les ordres donnés, on donne le signal.
Les ennemis, pensant nous tailler des croupières,
Firent trois pelotons de leurs gens à cheval;
Mais leur chaleur par nous fut bientôt réprimée,
Et vous allez voir comme quoi.
Voilà notre avant-garde à bien faire animée;
Là, les archers de Créon, notre roi;
Et voici le corps d’armée.
On fait un peu de bruit.
Qui d’abord... Attendez, le corps d’armée a peur,
J’entends quelque bruit, ce me semble.
SCÈNE II.—MERCURE, SOSIE.
MERCURE, sous la figure de Sosie sortant de la maison d’Amphitryon.
Sous ce minois qui lui ressemble,
Chassons de ces lieux ce causeur,
Dont l’abord importun troubleroit la douceur
Que nos amans goûtent ensemble.
SOSIE, sans voir Mercure.
Mon cœur tant soit peu se rassure,
Et je pense que ce n’est rien.
Crainte pourtant de sinistre aventure,
Allons chez nous achever l’entretien.
MERCURE, à part.
Tu seras plus fort que Mercure,
Ou je t’en empêcherai bien.
SOSIE, sans voir Mercure.
Cette nuit en longueur me semble sans pareille.
Il faut, depuis le temps que je suis en chemin,
Ou que mon maître ait pris le soir pour le matin,
Ou que trop tard au lit le blond Phébus sommeille
Pour avoir trop pris de son vin.
MERCURE, à part.
Comme avec irrévérence
Parle des dieux ce maraud!
Mon bras saura bien tantôt
Châtier cette insolence;
Et je vais m’égayer avec lui comme il faut,
En lui volant son nom avec sa ressemblance.
SOSIE, apercevant Mercure d’un peu loin.
Ah! par ma foi, j’avois raison:
C’est fait de moi, chétive créature!
Je vois devant notre maison
Certain homme dont l’encolure
Ne me présage rien de bon.
Pour faire semblant d’assurance,
Je veux chanter un peu d’ici.
Il chante.
MERCURE.
Qui donc est ce coquin qui prend tant de licence
Que de chanter et m’étourdir ainsi?
A mesure que Mercure parle, la voix de Sosie s’affaiblit peu à peu.
Veut-il qu’à l’étriller ma main un peu s’applique?
SOSIE, à part.
Cet homme assurément n’aime pas la musique.
MERCURE.
Depuis plus d’une semaine
Je n’ai trouvé personne à qui rompre les os;
La vigueur de mon bras se perd dans le repos;
Et je cherche quelque dos
Pour me remettre en haleine.
SOSIE, à part.
Quel diable d’homme est-ce ci?
De mortelles frayeurs je sens mon âme atteinte.
Mais pourquoi trembler tant aussi?
Peut-être a-t-il dans l’âme autant que moi de crainte,
Et que le drôle parle ainsi
Pour me cacher sa peur sous une audace feinte.
Oui, oui, ne souffrons point qu’on nous croie un oison:
Si je ne suis hardi, tâchons de le paroître.
Faisons-nous du cœur par raison:
Il est seul, comme moi; je suis fort, j’ai bon maître,
Et voilà notre maison.
MERCURE.
Qui va là?
SOSIE.
Moi.
MERCURE.
Qui, moi?
SOSIE.
A part.
Moi. Courage, Sosie!
MERCURE.
Quel est ton sort, dis-moi?
SOSIE.
D’être homme, et de parler.
MERCURE.
Es-tu maître, ou valet?
SOSIE.
Comme il me prend envie.
MERCURE.
Où s’adressent tes pas?
SOSIE.
Où j’ai dessein d’aller.
MERCURE.
Ah! ceci me déplaît.
SOSIE.
J’en ai l’âme ravie.
MERCURE.
Résolûment, par force ou par amour,
Je veux savoir de toi, traître,
Ce que tu fais, d’où tu viens avant jour,
Où tu vas, à qui tu peux être.
SOSIE.
Je fais le bien et le mal tour à tour;
Je viens de là, vais là; j’appartiens à mon maître.
MERCURE.
Tu montres de l’esprit, et je te vois en train
De trancher avec moi de l’homme d’importance.
Il me prend un désir, pour faire connoissance,
De te donner un soufflet de ma main.
SOSIE.
A moi-même?
MERCURE.
A toi-même, et t’en voilà certain.
Mercure donne un soufflet à Sosie.
SOSIE.
Ah! ah! c’est tout de bon.
MERCURE.
Non, ce n’est que pour rire,
Et répondre à tes quolibets.
SOSIE.
Tudieu! l’ami, sans vous rien dire,
Comme vous baillez des soufflets!
MERCURE.
Ce sont là de mes moindres coups,
De petits soufflets ordinaires.
SOSIE.
Si j’étois aussi prompt que vous,
Nous ferions de belles affaires.
MERCURE.
Tout cela n’est encor rien.
Nous verrons bien autre chose;
Pour y faire quelque pause,
Poursuivons notre entretien.
SOSIE.
Je quitte la partie.
Sosie veut s’en aller.
MERCURE, arrêtant Sosie.
Où vas-tu?
SOSIE.
Que t’importe?
MERCURE.
Je veux savoir où tu vas.
SOSIE.
Me faire ouvrir cette porte.
Pourquoi retiens-tu mes pas?
MERCURE.
Si jusqu’à l’approcher tu pousses ton audace,
Je fais sur toi pleuvoir un orage de coups.
SOSIE.
Quoi! tu veux, par ta menace,
M’empêcher d’entrer chez nous?
MERCURE.
Comment! chez nous?
SOSIE.
Oui, chez nous.
MERCURE.
Oh! le traître!
Tu te dis de cette maison?
SOSIE.
Fort bien. Amphitryon n’en est-il pas le maître?
MERCURE.
Eh bien, que fait cette raison?
SOSIE.
Je suis son valet.
MERCURE.
Toi?
SOSIE.
Moi.
MERCURE.
Son valet?
SOSIE.
Sans doute.
MERCURE.
Valet d’Amphitryon?
SOSIE.
D’Amphitryon, de lui.
MERCURE.
Ton nom est...
SOSIE.
Sosie.
MERCURE.
Heu! comment?
SOSIE.
Sosie.
MERCURE.
Écoute:
Sais-tu que de ma main je t’assomme aujourd’hui?
SOSIE.
Pourquoi? De quelle rage est ton âme saisie?
MERCURE.
Qui te donne, dis-moi, cette témérité,
De prendre le nom de Sosie?
SOSIE.
Moi, je ne le prends point, je l’ai toujours porté.
MERCURE.
O le mensonge horrible, et l’impudence extrême!
Tu m’oses soutenir que Sosie est ton nom?
SOSIE.
Fort bien; je le soutiens, par la grande raison
Qu’ainsi l’a fait des dieux la puissance suprême,
Et qu’il n’est pas en moi de pouvoir dire non,
Et d’être un autre que moi-même.
MERCURE.
Mille coups de bâton doivent être le prix
D’une pareille effronterie.
SOSIE, battu par Mercure.
Justice, citoyens! Au secours! je vous prie.
MERCURE.
Comment, bourreau, tu fais des cris!
SOSIE.
De mille coups tu me meurtris,
Et tu ne veux pas que je crie?
MERCURE.
C’est ainsi que mon bras...
SOSIE.
L’action ne vaut rien.
Tu triomphes de l’avantage
Que te donne sur moi mon manque de courage;
Et ce n’est pas en user bien.
C’est pure fanfaronnerie[7]
De vouloir profiter de la poltronnerie
De ceux qu’attaque notre bras.
Battre un homme à jeu sûr n’est pas d’une belle âme;
Et le cœur est digne de blâme
Contre les gens qui n’en ont pas.
MERCURE.
Eh bien, es-tu Sosie à présent? qu’en dis-tu?
SOSIE.
Tes coups n’ont point en moi fait de métamorphose;
Et tout le changement que je trouve à la chose,
C’est d’être Sosie battu...
MERCURE, menaçant Sosie.
Encor! cent autres coups pour cette autre impudence.
SOSIE.
De grâce, fais trêve à tes coups!
MERCURE.
Fais donc trêve à ton insolence.
SOSIE.
Tout ce qu’il te plaira; je garde le silence.
La dispute est par trop inégale entre nous.
MERCURE.
Es-tu Sosie encor? dis, traître!
SOSIE.
Hélas! je suis ce que tu veux:
Dispose de mon sort tout au gré de tes vœux;
Ton bras t’en a fait le maître.
MERCURE.
Ton nom étoit Sosie, à ce que tu disois?
SOSIE.
Il est vrai jusqu’ici j’ai cru la chose claire;
Mais ton bâton, sur cette affaire,
M’a fait voir que je m’abusois.
MERCURE.
C’est moi qui suis Sosie, et tout Thèbes l’avoue:
Amphitryon jamais n’en eut d’autre que moi.
SOSIE.
Toi, Sosie?
MERCURE.
Oui, Sosie; et, si quelqu’un s’y joue,
Il peut bien prendre garde à soi.
SOSIE, à part.
Ciel! me faut-il ainsi renoncer à moi-même,
Et par un imposteur me voir voler mon nom?
Que son bonheur est extrême,
De ce que je suis poltron!
Sans cela, par la mort...
MERCURE.
Entre tes dents, je pense,
Tu murmures je ne sais quoi.
SOSIE.
Non. Mais, au nom des dieux, donne-moi la licence
De parler un moment à toi.
MERCURE.
Parle.
SOSIE.
Mais promets-moi de grâce,
Que les coups n’en seront point.
Signons une trêve.
MERCURE.
Passe:
Va, je t’accorde ce point.
SOSIE.
Qui te jette, dis-moi, dans cette fantaisie?
Que te reviendra-t-il de m’enlever mon nom?
Et peux-tu faire enfin, quand tu serois démon,
Que je ne sois pas moi, que je ne sois Sosie?
MERCURE, levant le bâton sur Sosie.
Comment! tu peux...
SOSIE.
Ah! tout doux:
Nous avons fait trêve aux coups.
MERCURE.
Quoi! pendard, imposteur, coquin!...
SOSIE.
Pour des injures,
Dis-m’en tant que tu voudras;
Ce sont légères blessures,
Et je ne m’en fâche pas.
MERCURE.
Tu te dis Sosie?
SOSIE.
Oui. Quelque conte frivole...
MERCURE.
Sus, je romps notre trêve, et reprends ma parole.
SOSIE.
N’importe. Je ne puis m’anéantir pour toi,
Et souffrir un discours si loin de l’apparence.
Être ce que je suis est-il en ta puissance?
Et puis-je cesser d’être moi?
S’avisa-t-on jamais d’une chose pareille?
Et peut-on démentir cent indices pressans?
Rêvé-je? Est-ce que je sommeille?
Ai-je l’esprit troublé par des transports puissans?
Ne sens-je pas bien que je veille?
Ne suis-je pas dans mon bon sens?
Mon maître Amphitryon ne m’a-t-il pas commis
A venir en ces lieux vers Alcmène sa femme?
Ne lui dois-je pas faire, en lui vantant sa flamme,
Un récit de ses faits contre nos ennemis?
Ne suis-je pas du port arrivé tout à l’heure?
Ne tiens-je pas une lanterne en main?
Ne te trouvé-je pas devant notre demeure?
Ne t’y parlé-je pas d’un esprit tout humain?
Ne te tiens-tu pas fort de ma poltronnerie,
Pour m’empêcher d’entrer chez nous?
N’as-tu pas sur mon dos exercé ta furie?
Ne m’as-tu pas roué de coups?
Ah! tout cela n’est que trop véritable;
Et, plût au ciel, le fût-il moins!
Cesse donc d’insulter au sort d’un misérable;
Et laisse à[8] mon devoir s’acquitter de ses soins.
MERCURE.
Arrête, ou sur ton dos le moindre pas attire
Un assommant éclat de mon juste courroux.
Tout ce que tu viens de dire
Est à moi, hormis les coups.
SOSIE.
Ce matin, du vaisseau, plein de frayeur en l’âme,
Cette lanterne sait comme je suis parti.
Amphitryon, du camp, vers Alcmène sa femme
M’a-t-il pas envoyé?
MERCURE.
Vous en avez menti.
C’est moi qu’Amphitryon députe vers Alcmène,
Et qui du port Persique arrive de ce pas;
Moi, qui viens annoncer la valeur de son bras
Qui nous fait remporter une victoire pleine,
Et de nos ennemis a mis le chef à bas.
C’est moi qui suis Sosie, enfin, de certitude,
Fils de Dave, honnête berger;
Frère d’Arpage mort en pays étranger;
Mari de Cléanthis la prude,
Dont l’humeur me fait enrager;
Qui dans Thèbe ai reçu mille coups d’étrivière,
Sans en avoir jamais dit rien;
Et jadis en public fus marqué par derrière,
Pour être trop homme de bien.
SOSIE, bas à part.
Il a raison. A moins d’être Sosie,
On ne peut pas savoir tout ce qu’il dit;
Et, dans l’étonnement dont mon âme est saisie,
Je commence, à mon tour, à le croire un petit[9]
En effet, maintenant que je le considère,
Je vois qu’il a de moi taille, mine, action.
Faisons-lui quelque question,
Afin d’éclaircir ce mystère.
Haut.
Parmi tout le butin fait sur nos ennemis,
Qu’est-ce qu’Amphitryon obtient pour son partage?
MERCURE.
Cinq fort gros diamans en nœud proprement mis,
Dont leur chef se paroît comme d’un rare ouvrage.
SOSIE.
A qui destine-t-il un si riche présent?
MERCURE.
A sa femme; et sur elle il le veut voir paroître.
SOSIE.
Mais où, pour l’apporter, est-il mis à présent?
MERCURE.
Dans un coffret scellé des armes de mon maître.
SOSIE, à part.
Il ne ment pas d’un mot à chaque repartie;
Et de moi je commence à douter tout de bon.
Près de moi, par la force, il est déjà Sosie;
Il pourrait bien encor l’être par la raison.
Pourtant, quand je me tâte et que je me rappelle,
Il me semble que je suis moi.
Où puis-je rencontrer quelque clarté fidèle,
Pour démêler ce que je voi?
Ce que j’ai fait tout seul, et que n’a vu personne,
A moins d’être moi-même, on ne le peut savoir.
Par cette question il faut que je l’étonne;
C’est de quoi le confondre, et nous allons le voir.
Haut.
Lorsqu’on étoit aux mains, que fis-tu dans nos tentes,
Où tu courus seul te fourrer?
MERCURE.
D’un jambon...
SOSIE, bas, à part.
L’y voilà!
MERCURE.
Que j’allai déterrer,
Je coupai bravement deux tranches succulentes,
Dont je sus fort bien me bourrer.
Et, joignant à cela d’un vin que l’on ménage,
Et dont, avant le goût, les yeux se contentoient,
Je pris un peu de courage
Pour nos gens qui se battoient.
SOSIE, bas, à part.
Cette preuve sans pareille
En sa faveur conclut bien;
Et l’on n’y peut dire rien,
S’il n’étoit dans la bouteille.
Haut.
Je ne saurois nier, aux preuves qu’on m’expose,
Que tu ne sois Sosie, et j’y donne ma voix.
Mais, si tu l’es, dis-moi qui tu veux que je sois,
Car encor faut-il bien que je sois quelque chose.
MERCURE.
Quand je ne serai plus Sosie,
Sois-le, j’en demeure d’accord;
Mais, tant que je le suis, je te garantis mort,
Si tu prends cette fantaisie.
SOSIE.
Tout cet embarras met mon esprit sur les dents,
Et la raison à ce qu’on voit s’oppose.
Mais il faut terminer enfin par quelque chose;
Et le plus court pour moi, c’est d’entrer là-dedans.
MERCURE.
Ah! tu prends donc, pendard! goût à la bastonnade?
SOSIE, battu par Mercure.
Ah! qu’est-ce-ci? grands dieux! il frappe un ton plus fort,
Et mon dos pour un mois en doit être malade.
Laissons ce diable d’homme et retournons au port.
O juste ciel! j’ai fait une belle ambassade!
MERCURE, seul.
Enfin je l’ai fait fuir; et, sous ce traitement,
De beaucoup d’actions il a reçu la peine;
Mais je vois Jupiter, que fort civilement
Reconduit l’amoureuse Alcmène.
SCÈNE III.—JUPITER, sous la figure d’Amphitryon; ALCMÈNE, CLÉANTHIS, MERCURE.
JUPITER.
Défendez, chère Alcmène, aux flambeaux d’approcher.
Ils m’offrent des plaisirs en m’offrant votre vue;
Mais ils pourroient ici découvrir ma venue,
Qu’il est à propos de cacher.
Mon amour, que gênoient tous ces soins éclatans
Où me tenoit lié la gloire de nos armes,
Aux devoirs de ma charge a volé les instans
Qu’il vient de donner à vos charmes.
Ce vol, qu’à vos beautés mon cœur a consacré,
Pourroit être blâmé dans la bouche publique,
Et j’en veux pour témoin unique
Celle qui peut m’en savoir gré.
ALCMÈNE.