Monsieur...
AMPHITRYON.
Ne m’accompagne pas,
Et demeure ici pour m’attendre.
CLÉANTHIS, à Alcmène.
Faut-il...
ALCMÈNE.
Je ne puis rien entendre:
Laisse-moi seule, et ne suis point mes pas.
SCÈNE III.—CLÉANTHIS, SOSIE.
CLÉANTHIS, à part.
Il faut que quelque chose ait brouillé sa cervelle;
Mais le frère sur-le-champ
Finira cette querelle.
SOSIE, à part.
C’est ici pour mon maître un coup assez touchant;
Et son aventure est cruelle.
Je crains fort pour mon fait quelque chose approchant,
Et je m’en veux, tout doux, éclaircir avec elle.
CLÉANTHIS, à part.
Voyez s’il me viendra seulement aborder!
Mais je veux m’empêcher de rien faire paroître.
SOSIE, à part.
La chose quelquefois est fâcheuse à connoître,
Et je tremble à la demander.
Ne vaudroit-il pas mieux, pour ne rien hasarder,
Ignorer ce qu’il en peut être?
Allons, tout coup vaille, il faut voir,
Et je ne m’en saurois défendre.
La foiblesse humaine est d’avoir
Des curiosités d’apprendre
Ce qu’on ne voudroit pas savoir.
Dieu te gard’, Cléanthis!
CLÉANTHIS.
Ah! ah! tu t’en avises,
Traître, de t’approcher de nous!
SOSIE.
Mon Dieu! qu’as-tu? Toujours on te voit en courroux,
Et sur rien tu te formalises!
CLÉANTHIS.
Qu’appelles-tu sur rien? dis.
SOSIE.
J’appelle sur rien
Ce qui sur rien s’appelle en vers ainsi qu’en prose;
Et rien, comme tu le sais bien,
Veut dire rien, ou peu de chose.
CLÉANTHIS.
Je ne sais qui me tient, infâme!
Que je ne t’arrache les yeux,
Et ne t’apprenne où va le courroux d’une femme.
SOSIE.
Holà! D’où te vient donc ce transport furieux?
CLÉANTHIS.
Tu n’appelles donc rien le procédé, peut-être,
Qu’avec moi ton cœur a tenu?
SOSIE.
Et quel?
CLÉANTHIS.
Quoi! tu fais l’ingénu?
Est-ce qu’à l’exemple du maître
Tu veux dire qu’ici tu n’es pas revenu?
SOSIE.
Non, je sais fort bien le contraire;
Mais je ne t’en fais pas le fin.
Nous avions bu de je ne sais quel vin,
Qui m’a fait oublier tout ce que j’ai pu faire.
CLÉANTHIS.
Tu crois peut-être excuser par ce trait...
SOSIE.
Non, tout de bon, tu m’en peux croire,
J’étois dans un état où je puis avoir fait
Des choses dont j’aurois regret,
Et dont je n’ai nulle mémoire.
CLÉANTHIS.
Tu ne te souviens point du tout de la manière
Dont tu m’as su traiter, étant venu du port?
SOSIE.
Non plus que rien. Tu peux m’en faire le rapport:
Je suis équitable et sincère,
Et me condamnerai moi-même, si j’ai tort.
CLÉANTHIS.
Comment! Amphitryon m’ayant su disposer[13],
Jusqu’à ce que tu vins j’avois poussé ma veille;
Mais je ne vis jamais une froideur pareille:
De ta femme il fallut moi-même t’aviser;
Et, lorsque je fus te baiser,
Tu détournas le nez et me donnas l’oreille.
SOSIE.
Bon!
CLÉANTHIS.
Comment! bon?
SOSIE.
Mon Dieu! tu ne sais pas pourquoi,
Cléanthis, je tiens ce langage:
J’avois mangé de l’ail, et fis, en homme sage,
De détourner un peu mon haleine de toi.
CLÉANTHIS.
Je te sus exprimer des tendresses de cœur;
Mais à tous mes discours tu fus comme une souche,
Et jamais un mot de douceur
Ne te put sortir de la bouche.
SOSIE, à part.
Courage!
CLÉANTHIS.
Enfin ma flamme eut beau s’émanciper,
Sa chaste ardeur en toi ne trouva rien que glace;
Et, dans un tel retour, je te vis la tromper
Jusqu’à faire refus de prendre au lit la place
Que les lois de l’hymen t’obligent d’occuper.
SOSIE.
Quoi! je ne couchai point?
CLÉANTHIS.
Non, lâche!
SOSIE.
Est-il possible!
CLÉANTHIS.
Traître! il n’est que trop assuré.
C’est de tous les affronts l’affront le plus sensible;
Et, loin que ce matin ton cœur l’ait réparé,
Tu t’es d’avec moi séparé
Par des discours chargés d’un mépris tout visible.
SOSIE.
Vivat Sosie!
CLÉANTHIS.
Eh quoi! ma plainte a cet effet!
Tu ris après ce bel ouvrage!
SOSIE.
Que je suis de moi satisfait!
CLÉANTHIS.
Exprime-t-on ainsi le regret d’un outrage?
SOSIE.
Je n’aurois jamais cru que j’eusse été si sage.
CLÉANTHIS.
Loin de te condamner d’un si perfide trait,
Tu m’en fais éclater la joie en ton visage!
SOSIE.
Mon Dieu! tout doucement! Si je parois joyeux,
Crois que j’en ai dans l’âme une raison très-forte,
Et que, sans y penser, je ne fis jamais mieux
Que d’en user tantôt avec toi de la sorte.
CLÉANTHIS.
Traître! te moques-tu de moi?
SOSIE.
Non, je te parle avec franchise.
En l’état où j’étois, j’avois certain effroi
Dont, avec ton discours, mon âme s’est remise,
Je m’appréhendois fort, et craignois qu’avec toi
Je n’eusse fait quelque sottise.
CLÉANTHIS.
Quelle est cette frayeur? et sachons donc pourquoi.
SOSIE.
Les médecins disent, quand on est ivre,
Que de sa femme, on se doit abstenir,
Et que dans cet état il ne peut provenir
Que des enfans pesans et qui ne sauroient vivre.
Vois, si mon cœur n’eût su de froideur se munir,
Quels inconvéniens auroient pu s’en ensuivre!
CLÉANTHIS.
Je me moque des médecins,
Avec leurs raisonnemens fades:
Qu’ils règlent ceux qui sont malades,
Sans vouloir gouverner les gens qui sont bien sains.
Ils se mêlent de trop d’affaires,
De prétendre tenir nos chastes feux gênés;
Et sur les jours caniculaires
Ils nous donnent encore, avec leurs lois sévères,
De cent sots contes par le nez.
SOSIE.
Tout doux!
CLÉANTHIS.
Non, je soutiens que cela conclut mal;
Ces raisons sont raisons d’extravagantes têtes.
Il n’est ni vin ni temps qui puisse être fatal
A remplir le devoir de l’amour conjugal;
Et les médecins sont des bêtes.
SOSIE.
Contre eux, je t’en supplie, apaise ton courroux;
Ce sont d’honnêtes gens, quoi que le monde en dise.
CLÉANTHIS.
Tu n’es pas où tu crois; en vain tu files doux:
Ton excuse n’est point une excuse de mise;
Et je me veux venger tôt ou tard, entre nous,
De l’air dont chaque jour je vois qu’on me méprise.
Des discours de tantôt je garde tous les coups,
Et tâcherai d’user, lâche et perfide époux,
De cette liberté que ton cœur m’a permise.
SOSIE.
Quoi?
CLÉANTHIS.
Tu m’as dit tantôt que tu consentois fort,
Lâche, que j’en aimasse un autre!
SOSIE.
Ah! pour cet article, j’ai tort.
Je m’en dédis, il y va trop du nôtre.
Garde-toi bien de suivre ce transport.
CLÉANTHIS.
Si je puis une fois pourtant
Sur mon esprit gagner la chose...
SOSIE.
Fais à ce discours quelque pause.
Amphitryon revient, qui me paroît content.
SCÈNE IV.—JUPITER, CLÉANTHIS, SOSIE.
JUPITER, à part.
Je viens prendre le temps de rapaiser Alcmène,
De bannir les chagrins que son cœur veut garder,
Et donner à mes feux, dans ce soin qui m’amène,
Le doux plaisir de se raccommoder.
A Cléanthis.
Alcmène est là-haut, n’est-ce pas?
CLÉANTHIS.
Oui, pleine d’une inquiétude
Qui cherche de la solitude,
Et qui m’a défendu d’accompagner ses pas.
JUPITER.
Quelque défense qu’elle ait faite,
Elle ne sera pas pour moi.
SCÈNE V.—CLÉANTHIS, SOSIE.
CLÉANTHIS.
Son chagrin, à ce que je voi,
A fait une prompte retraite.
SOSIE.
Que dis-tu, Cléanthis, de ce joyeux maintien,
Après son fracas effroyable?
CLÉANTHIS.
Que, si toutes nous faisions bien,
Nous donnerions tous les hommes au diable,
Et que le meilleur n’en vaut rien.
SOSIE.
Cela se dit dans le courroux;
Mais aux hommes par trop vous êtes accrochées,
Et vous seriez ma foi, toutes bien empêchées,
Si le diable les prenait tous.
CLÉANTHIS.
Vraiment...
SOSIE.
Les voici. Taisons-nous.
SCÈNE VI.—JUPITER, ALCMÈNE, CLÉANTHIS, SOSIE.
JUPITER.
Voulez-vous me désespérer?
Hélas! arrêtez, belle Alcmène.
ALCMÈNE.
Non, avec l’auteur de ma peine
Je ne puis du tout demeurer.
JUPITER.
De grâce!...
ALCMÈNE.
Laissez-moi!
JUPITER.
Quoi!...
ALCMÈNE.
Laissez-moi, vous dis-je!
JUPITER, bas, à part.
Ses pleurs touchent mon âme, et sa douleur m’afflige.
Haut.
Souffrez que mon cœur...
ALCMÈNE.
Non, ne suivez point mes pas.
JUPITER.
Où voulez-vous aller?
ALCMÈNE.
Où vous ne serez pas.
JUPITER.
Ce vous est une attente vaine.
Je tiens à vos beautés par un nœud trop serré,
Pour pouvoir un moment en être séparé.
Je vous suivrai partout, Alcmène.
ALCMÈNE.
Et moi, partout je vous fuirai.
JUPITER.
Je suis donc bien épouvantable!
ALCMÈNE.
Plus qu’on ne peut dire, à mes yeux.
Oui, je vous vois comme un monstre effroyable,
Un monstre cruel, furieux,
Et dont l’approche est redoutable;
Comme un monstre à fuir en tous lieux.
Mon cœur souffre, à vous voir, une peine incroyable.
C’est un supplice qui m’accable;
Et je ne vois rien sous les cieux
D’affreux, d’horrible, d’odieux,
Qui ne me fût plus que vous supportable.
JUPITER.
En voilà bien, hélas! que votre bouche dit.
ALCMÈNE.
J’en ai dans le cœur davantage;
Et, pour s’exprimer tout, ce cœur a du dépit
De ne point trouver de langage.
JUPITER.
Eh! que vous a donc fait ma flamme,
Pour me pouvoir, Alcmène, en monstre regarder?
ALCMÈNE.
Ah! juste ciel! cela peut-il se demander!
Et n’est-ce pas pour mettre à bout une âme?
JUPITER.
Ah! d’un esprit plus adouci...
ALCMÈNE.
Non, je ne veux du tout vous voir ni vous entendre.
JUPITER.
Avez-vous bien le cœur de me traiter ainsi?
Est-ce là cet amour si tendre
Qui devait tant durer quand je vins hier ici?
ALCMÈNE.
Non, non, ce ne l’est pas, et vos lâches injures
En ont autrement ordonné.
Il n’est plus, cet amour tendre et passionné;
Vous l’avez dans mon cœur, par cent vives blessures,
Cruellement assassiné:
C’est en sa place un courroux inflexible,
Un vif ressentiment, un dépit invincible,
Un désespoir d’un cœur justement animé,
Qui prétend vous haïr, pour cet affront sensible,
Autant qu’il est d’accord de vous avoir aimé;
Et c’est haïr autant qu’il est possible.
JUPITER.
Hélas! que votre amour n’avoit guère de force,
Si de si peu de chose on le peut voir mourir!
Ce qui n’étoit que jeu doit-il faire un divorce?
Et d’une raillerie a-t-on lieu de s’aigrir?
ALCMÈNE.
Ah! c’est cela dont je suis offensée,
Et que ne peut pardonner mon courroux;
Des véritables traits d’un mouvement jaloux
Je me trouverois moins blessée.
La jalousie a des impressions
Dont bien souvent la force nous entraîne;
Et l’âme la plus sage, en ces occasions,
Sans doute avec assez de peine
Répond de ses émotions.
L’emportement d’un cœur qui peut s’être abusé
A de quoi ramener une âme qu’il offense;
Et, dans l’amour qui lui donne naissance,
Il trouve au moins, malgré toute sa violence,
Des raisons pour être excusé.
De semblables transports contre un ressentiment
Pour défense toujours ont ce qui les fait naître;
Et l’on donne grâce aisément
A ce dont on n’est pas le maître.
Mais que, de gaieté de cœur,
On passe aux mouvemens d’une fureur extrême;
Que sans cause l’on vienne, avec tant de rigueur,
Blesser la tendresse et l’honneur
D’un cœur qui chèrement nous aime;
Ah! c’est un coup trop cruel en lui-même,
Et que jamais n’oubliera ma douleur.
JUPITER.
Oui, vous avez raison, Alcmène; il se faut rendre.
Cette action, sans doute, est un crime odieux:
Je ne prétends plus le défendre;
Mais souffrez que mon cœur s’en défende à vos yeux,
Et donne au vôtre à qui se prendre
De ce transport injurieux.
A vous en faire un aveu véritable,
L’époux, Alcmène, a commis tout le mal;
C’est l’époux qu’il vous faut regarder en coupable
L’amant n’a point de part à ce transport brutal,
Et de vous offenser son cœur n’est point capable.
Il a pour vous, ce cœur, pour jamais y penser,
Trop de respect et de tendresse;
Et, si de faire rien à vous pouvoir blesser
Il avait eu la coupable foiblesse,
De cent coups à vos yeux il voudroit le percer.
Mais l’époux est sorti de ce respect soumis
Où pour vous on doit toujours être;
A son dur procédé l’époux s’est fait connoître,
Et par le droit d’hymen il s’est cru tout permis.
Oui, c’est lui qui sans doute est criminel vers vous.
Lui seul a maltraité votre aimable personne;
Haïssez, détestez l’époux,
J’y consens, et vous l’abandonne;
Mais, Alcmène, sauvez l’amant de ce courroux
Qu’une telle offense vous donne;
N’en jetez pas sur lui l’effet,
Démêlez-le un peu du coupable;
Et pour être enfin équitable.
Ne le punissez point de ce qu’il n’a pas fait.
ALCMÈNE.
Ah! toutes ces subtilités
N’ont que des excuses frivoles,
Et pour les esprits irrités
Ce sont des contre-temps que de telles paroles.
Ce détour ridicule est en vain pris par vous.
Je ne distingue rien en celui qui m’offense,
Tout y devient l’objet de mon courroux;
Et, dans sa juste violence,
Sont confondus et l’amant et l’époux.
Tous deux de même sorte occupent ma pensée;
Et des mêmes couleurs, par mon âme blessée,
Tous deux ils sont peints à mes yeux;
Tous deux sont criminels, tous deux m’ont offensée,
Et tous deux me sont odieux.
JUPITER.
Eh bien, puisque vous le voulez,
Il faut donc me charger du crime.
Oui, vous avez raison lorsque vous m’immolez
A vos ressentimens, en coupable victime:
Un trop juste dépit contre moi vous anime;
Et tout ce grand courroux qu’ici vous étalez
Ne me fait endurer qu’un tourment légitime.
C’est avec droit que mon abord vous chasse,
Et que de me fuir en tous lieux
Votre colère me menace.
Je dois vous être un objet odieux;
Vous devez me vouloir un mal prodigieux.
Il n’est aucune horreur que mon forfait ne passe,
D’avoir offensé vos beaux yeux:
C’est un crime à blesser les hommes et les dieux;
Et je mérite enfin, pour punir cette audace
Que contre moi votre haine ramasse
Tous ses traits les plus furieux.
Mais mon cœur vous demande grâce;
Pour vous la demander je me jette à genoux,
Et la demande au nom de la plus vive flamme
Du plus tendre amour dont une âme
Puisse jamais brûler pour vous.
Si votre cœur, charmante Alcmène,
Me refuse la grâce où j’ose recourir,
Il faut qu’une atteinte soudaine
M’arrache, en me faisant mourir,
Aux dures rigueurs d’une peine
Que je ne saurois plus souffrir.
Oui, cet état me désespère.
Alcmène, ne présumez pas
Qu’aimant, comme je fais, vos célestes appas,
Je puisse vivre un jour avec votre colère.
Déjà de ces momens la barbare longueur
Fait, sous des atteintes mortelles,
Succomber tout mon triste cœur;
Et de mille vautours les blessures cruelles
N’ont rien de comparable à ma vive douleur.
Alcmène, vous n’avez qu’à me le déclarer:
S’il n’est point de pardon que je doive espérer,
Cette épée aussitôt, par un coup favorable,
Va percer à vos yeux le cœur d’un misérable,
Ce cœur, ce traître cœur, trop digne d’expirer,
Puisqu’il a pu fâcher un objet adorable:
Heureux, en descendant au ténébreux séjour,
Si de votre courroux mon trépas vous ramène,
Et ne laisse en votre âme, après ce triste jour,
Aucune impression de haine,
Au souvenir de mon amour!
C’est tout ce que j’attends pour faveur souveraine.
ALCMÈNE.
Ah! trop cruel époux!
JUPITER.
Dites, parlez Alcmène.
ALCMÈNE.
Faut-il encor pour vous conserver des bontés,
Et vous voir m’outrager par tant d’indignités?
JUPITER.
Quelque ressentiment qu’un outrage nous cause,
Tient-il contre un remords d’un cœur bien enflammé?
ALCMÈNE.
Un cœur bien plein de flamme à mille morts s’expose,
Plutôt que de vouloir fâcher l’objet aimé.
JUPITER.
Plus on aime quelqu’un, moins on trouve de peine...
ALCMÈNE.
Non, ne m’en parlez point; vous méritez ma haine.
JUPITER.
Vous me haïssez donc?
ALCMÈNE.
J’y fais tout mon effort;
Et j’ai dépit de voir que toute votre offense
Ne puisse de mon cœur jusqu’à cette vengeance
Faire encore aller le transport.
JUPITER.
Mais pourquoi cette violence,
Puisque, pour vous venger, je vous offre ma mort?
Prononcez-en l’arrêt, et j’obéis sur l’heure.
ALCMÈNE.
Qui ne saurait haïr peut-il vouloir qu’on meure?
JUPITER.
Et moi, je ne puis vivre, à moins que vous quittiez
Cette colère qui m’accable,
Et que vous m’accordiez le pardon favorable
Que je vous demande à vos pieds.
Sosie et Cléanthis se mettent aussi à genoux.
Résolvez ici l’un des deux,
Ou de punir, ou bien d’absoudre.
ALCMÈNE.
Hélas! ce que je puis résoudre
Paroît bien plus que je ne veux.
Pour vouloir soutenir le courroux qu’on me donne,
Mon cœur a trop su me trahir:
Dire qu’on ne saurait haïr,
N’est-ce pas dire qu’on pardonne?
JUPITER.
Ah! belle Alcmène, il faut que, comblé d’allégresse...
ALCMÈNE.
Laissez; je me veux mal de mon trop de foiblesse.
JUPITER.
Va Sosie, et dépêche-toi,
Voir, dans les doux transports dont mon âme est charmée,
Ce que tu trouveras d’officiers de l’armée,
Et les invite à dîner avec moi.
Bas, à part.
Tandis que d’ici je le chasse,
Mercure y remplira sa place.
SCÈNE VII.—CLÉANTHIS, SOSIE.
SOSIE.
Eh bien, tu vois, Cléanthis, ce ménage.
Veux-tu qu’à leur exemple ici
Nous fassions entre nous un peu de paix aussi,
Quelque petit rapatriage?
CLÉANTHIS.
C’est pour ton nez, vraiment! cela se fait ainsi!
SOSIE.
Quoi! tu ne veux pas?
CLÉANTHIS.
Non.
SOSIE.
Il ne m’importe guère.
Tant pis pour toi.
CLÉANTHIS.
Là, là, revien.
SOSIE.
Non, morbleu! je n’en ferai rien,
Et je veux être, à mon tour, en colère.
CLÉANTHIS.
Va, va, traître! laisse-moi faire:
On se lasse parfois d’être femme de bien.