ACTE V
SCÈNE I.—ÉRIPHILE, CLITIDAS.
CLITIDAS.
De quel côté porter mes pas? où m’aviserai-je d’aller? et en quel lieu puis-je croire que je trouverai maintenant la princesse Ériphile? Ce n’est pas un petit avantage que d’être le premier à porter une nouvelle. Ah! la voilà! Madame, je vous annonce que le ciel vient de vous donner l’époux qu’il vous destinoit.
ÉRIPHILE.
Eh! laisse-moi, Clitidas, dans ma sombre mélancolie.
CLITIDAS.
Madame, je vous demande pardon. Je pensois faire bien de vous venir dire que le ciel vient de vous donner Sostrate pour époux; mais, puisque cela vous incommode, je rengaîne ma nouvelle, et m’en retourne droit comme je suis venu.
ÉRIPHILE.
Clitidas! holà! Clitidas!
CLITIDAS.
Je vous laisse, madame, dans votre sombre mélancolie.
ÉRIPHILE.
Arrête, te dis-je; approche! Que viens-tu me dire?
CLITIDAS.
Rien, madame. On a parfois des empressemens de venir dire aux grands de certaines choses dont ils ne se soucient pas, et je vous prie de m’excuser.
ÉRIPHILE.
Que tu es cruel!
CLITIDAS.
Une autre fois j’aurai la discrétion de ne vous pas venir interrompre.
ÉRIPHILE.
Ne me tiens point dans l’inquiétude. Qu’est-ce que tu viens m’annoncer?
CLITIDAS.
C’est une bagatelle de Sostrate, madame, que je vous dirai une autre fois, quand vous ne serez point embarrassée.
ÉRIPHILE.
Ne me fais point languir davantage, te dis-je, et m’apprends cette nouvelle.
CLITIDAS.
Vous la voulez savoir, madame?
ÉRIPHILE.
Oui; dépêche. Qu’as-tu à me dire de Sostrate?
CLITIDAS.
Une aventure merveilleuse, où personne ne s’attendoit.
ÉRIPHILE.
Dis-moi vite ce que c’est.
CLITIDAS.
Cela ne troublera-t-il point, madame, votre sombre mélancolie?
ÉRIPHILE.
Ah! parle promptement.
CLITIDAS.
J’ai donc à vous dire, madame, que la princesse votre mère passoit presque seule dans la forêt, par ces petites routes qui sont si agréables, lorsqu’un sanglier hideux (ces vilains sangliers-là font toujours du désordre, et l’on devroit les bannir des forêts bien policées), lors, dis-je, qu’un sanglier hideux, poussé, je crois, par des chasseurs, est venu traverser la route où nous étions. Je devrois vous faire peut-être, pour orner mon récit, une description étendue du sanglier dont je parle; mais vous vous en passerez, s’il vous plaît, et je me contenterai de vous dire que c’étoit un fort vilain animal. Il passoit son chemin, et il étoit bon de ne lui rien dire, de ne point chercher de noise avec lui; mais la princesse a voulu égayer sa dextérité, et de son dard, qu’elle lui a lancé un peu mal à propos, ne lui en déplaise, lui a fait au-dessus de l’oreille une assez petite blessure. Le sanglier, mal morigéné, s’est impertinemment détourné contre nous: nous étions là deux ou trois misérables qui avons pâli de frayeur; chacun gagnoit son arbre, et la princesse, sans défense, demeuroit exposée à la furie de la bête, lorsque Sostrate a paru, comme si les dieux l’eussent envoyé.
ÉRIPHILE.
Eh bien, Clitidas?
CLITIDAS.
Si mon récit vous ennuie, madame, je remettrai le reste à une autre fois.
ÉRIPHILE.
Achève promptement.
CLITIDAS.
Ma foi, c’est promptement de vrai que j’achèverai; car un peu de poltronnerie m’a empêché de voir tout le détail de ce combat; et tout ce que je puis vous dire, c’est que, retournant sur la place, nous avons vu le sanglier mort, tout vautré dans son sang, et la princesse pleine de joie, nommant Sostrate son libérateur, et l’époux digne et fortuné que les dieux lui marquoient pour vous. A ces paroles, j’ai cru que j’en avois assez entendu; et je me suis hâté de vous en venir, avant tous, apporter la nouvelle.
ÉRIPHILE.
Ah! Clitidas, pouvois-tu m’en donner une qui me pût être plus agréable?
CLITIDAS.
Voilà qu’on vient vous trouver.
SCÈNE II.—ARISTIONE, SOSTRATE, ÉRIPHILE, CLITIDAS.
ARISTIONE.
Je vois, ma fille, que vous savez déjà tout ce que nous pourrions vous dire. Vous voyez que les dieux se sont expliqués bien plus tôt que nous n’eussions pensé: mon péril n’a guère tardé à nous marquer leurs volontés, et l’on connoît assez que ce sont eux qui se sont mêlés de ce choix, puisque le mérite tout seul brille dans cette préférence. Aurez-vous quelque répugnance à récompenser de votre cœur celui à qui je dois la vie? et refuserez-vous Sostrate pour époux?
ÉRIPHILE.
Et de la main des dieux et de la vôtre, madame, je ne puis rien recevoir qui ne me soit fort agréable...
SOSTRATE.
Ciel! n’est-ce point ici quelque songe tout plein de gloire dont les dieux me veuillent flatter? et quelque réveil malheureux ne me replongera-t-il point dans la bassesse de ma fortune?
SCÈNE III.—ARISTIONE, ÉRIPHILE, SOSTRATE, CLÉONICE.
CLÉONICE.
Madame, je viens vous dire qu’Anaxarque a jusqu’ici abusé l’un et l’autre prince, par l’espérance de ce choix qu’ils poursuivent depuis longtemps, et qu’au bruit qui s’est répandu de votre aventure, ils ont fait éclater tous deux leur ressentiment contre lui, jusque-là que, de paroles en paroles, les choses se sont échauffées, et il en a reçu quelques blessures dont on ne sait pas bien ce qui arrivera. Mais les voici.
SCÈNE IV.—ARISTIONE, ÉRIPHILE, IPHICRATE, TIMOCLÈS, SOSTRATE, CLÉONICE, CLITIDAS.
ARISTIONE.
Princes, vous agissez tous deux avec une violence bien grande! et si Anaxarque a pu vous offenser, j’étois pour vous en faire justice moi-même.
IPHICRATE.
Et quelle justice, madame, auriez-vous pu nous faire de lui, si vous la faites si peu à notre rang dans le choix que vous embrassez?
ARISTIONE.
Ne vous êtes-vous pas soumis l’un et l’autre à ce que pourroient décider, ou les ordres du ciel, ou l’inclination de ma fille?
TIMOCLÈS.
Oui, madame, nous nous sommes soumis à ce qu’ils pourroient décider entre le prince Iphicrate et moi, mais non pas à nous voir rebutés tous deux.
ARISTIONE.
Et si chacun de vous a bien pu se résoudre à souffrir une préférence, que vous arrive-t-il à tous deux où vous ne soyez préparés? et que peuvent importer à l’un et à l’autre les intérêts de son rival?
IPHICRATE.
Oui, madame, il importe. C’est quelque consolation de se voir préférer un homme qui vous est égal; et votre aveuglement est une chose épouvantable.
ARISTIONE.
Prince, je ne veux pas me brouiller avec une personne qui m’a fait tant de grâce que de me dire des douceurs; et je vous prie, avec toute l’honnêteté qui m’est possible, de donner à votre chagrin un fondement plus raisonnable; de vous souvenir, s’il vous plaît, que Sostrate est revêtu d’un mérite qui s’est fait connoître à toute la Grèce, et que le rang où le ciel l’élève aujourd’hui va remplir toute la distance qui étoit entre lui et vous.
IPHICRATE.
Oui, oui, madame, nous nous en souviendrons. Mais peut-être aussi vous souviendrez-vous que deux princes outragés ne sont pas deux ennemis peu redoutables.
TIMOCLÈS.
Peut-être, madame, qu’on ne goûtera pas longtemps la joie du mépris que l’on fait de nous.
ARISTIONE.
Je pardonne toutes ces menaces aux chagrins d’un amour qui se croit offensé; et nous n’en verrons pas avec moins de tranquillité la fête des jeux Pythiens. Allons-y de ce pas, et couronnons par ce pompeux spectacle cette merveilleuse journée.
SIXIÈME INTERMÈDE
QUI EST LA SOLENNITÉ DES JEUX PYTHIENS.
Le théâtre est une grande salle, en manière d’amphithéâtre ouvert d’une grande arcade dans le fond, au-dessus de laquelle est une tribune fermée d’un rideau, et dans l’éloignement paraît un autel pour le sacrifice. Six hommes, habillés comme s’ils étoient presque nus, portant chacun une hache sur l’épaule, comme ministres du sacrifice, entrent par le portique, au son des violons, et sont suivis de deux sacrificateurs musiciens, d’une prêtresse musicienne, et leur suite.
LA PRÊTRESSE.
UNE GRECQUE.
AUTRE GRECQUE.
AUTRE GRECQUE.
LE CHŒUR.
PREMIÈRE ENTRÉE DE BALLET.
Les six hommes portant les haches font entre eux une danse ornée de toutes les attitudes que peuvent exprimer les gens qui étudient leurs forces: puis ils se retirent aux deux côtés du théâtre, pour faire place à six voltigeurs.
DEUXIÈME ENTRÉE DE BALLET.
Six voltigeurs font paroître, en cadence, leur adresse sur des chevaux de bois, qui sont apportés par des esclaves.
TROISIÈME ENTRÉE DE BALLET.
Quatre conducteurs d’esclaves amènent, en cadence, douze esclaves qui dansent en marquant la joie qu’ils ont d’avoir recouvré leur liberté.
QUATRIÈME ENTRÉE DE BALLET.
Quatre hommes et quatre femmes, armés à la grecque, font ensemble une manière de jeu pour les armes.
La tribune s’ouvre. Un héraut, six trompettes et un timbalier, se mêlant à tous les instrumens, annoncent, avec un grand bruit la venue d’Apollon.
LE CHŒUR.
Apollon, au bruit des trompettes et des violons, entre par le portique, précédé de six jeunes gens qui portent des lauriers entrelacés autour d’un bâton, et un soleil d’or au-dessus, avec la devise royale, en manière de trophée. Les six jeunes gens, pour danser avec Apollon, donnent leur trophée à tenir aux six hommes qui portent les haches, et commencent, avec Apollon, une danse héroïque, à laquelle se joignent, en diverses manières, les six hommes portant les trophées, les quatre femmes armées avec leurs timbres, et les quatre hommes armés avec leurs tambours, tandis que les six trompettes, le timbalier, les sacrificateurs, la prêtresse et le chœur de musique accompagnent tout cela, en se mêlant à diverses reprises; ce qui finit la fête des jeux Pythiens et tout le divertissement.
CINQUIÈME ET DERNIÈRE ENTRÉE DE BALLET.
APOLLON ET SIX JEUNES GENS DE LA SUITE, CHŒUR DE MUSIQUE.
Pour le Roi, représentant le Soleil.
Pour monsieur le Grand, suivant d’Apollon.
Pour le marquis de Villeroy, suivant d’Apollon.
Pour le marquis de Rassan, suivant d’Apollon.
FIN DES AMANS MAGNIFIQUES.