Les Prisonniers ont paru dans le Gil-Blas du mardi 30 décembre 1884.


NOS ANGLAIS.

UN petit cahier relié gisait sur la banquette capitonnée du wagon. Je le pris et je l’ouvris. C’était un journal de voyage, perdu par un voyageur.

J’en copie ici les trois dernières pages.

 

1er février.—Menton, capitale des Poitrinaires, célèbre par ses tubercules pulmonaires. Tout différent du tubercule de la patate qui vit et pousse dans la terre pour nourrir et engraisser l’homme, ce genre de végétation vit et pousse dans l’homme pour nourrir et engraisser la terre.

Je tiens cette définition scientifique d’un aimable et savant médecin du pays.

Je cherche un hôtel. On m’indique le grrrrand Hôtel de Russie, d’Angleterre, d’Allemagne et des Pays-Bas. En rendant hommage à l’intelligence cosmopolite du patron, je m’installe dans cet hôpital qui me paraît vide, tant il est grand.

Puis je fais un tour dans la ville, jolie et bien située au pied d’une montagne imposante (voir les guides), je rencontre des gens qui ont l’air malade, promenés par d’autres qui ont l’air de s’ennuyer. On retrouve ici des cache-nez. (Avis aux naturalistes qui s’inquiéteraient de leur disparition.)

Six heures. Je rentre pour dîner. Le couvert est mis dans une vaste salle qui devrait contenir trois cents convives et qui en abrite juste vingt-deux. Ils entrent l’un après l’autre. Voici d’abord un Anglais grand, rasé, maigre, avec une longue redingote à jupe et à taille, dont les manches emprisonnent les bras minces du monsieur comme des étuis à parapluie enserrent un parapluie. Ce vêtement, qui rappelle l’uniforme civil des vieux capitaines, celui des invalides, et la soutane des ecclésiastiques, porte, sur sa façade, une rangée de boutons, vêtus de drap noir comme leur maître, et serrés l’un contre l’autre, à la façon d’un bataillon de cloportes. En face, une rangée de boutonnières semble les attendre et donne des idées inconvenantes.

Le gilet est clôturé par la même méthode. Le propriétaire de ce vêtement ne paraît pas folichon.

Il me salue; je lui rends sa politesse.

Deuxième entrée.—Trois dames, trois Anglaises, la mère, deux filles. Chacune d’elles porte sur la tête un œuf à la neige, ce qui m’étonne. Les filles sont vieilles comme la mère. La mère est vieille comme les filles. Toutes trois sont minces, à façades planes, hautes, lentes, raides; et elles ont des dents extérieures pour faire peur aux plats et aux hommes.

D’autres habitués arrivent, tous Anglais. Un seul est gros et rouge, avec des favoris blancs. Chaque femme (elles sont quatorze) porte sur la tête un œuf à la neige. Je m’aperçois que cet entremets couvre-chef est en dentelle blanche ou en tulle mousseux, je ne sais pas trop. Il ne semble pas sucré. Toutes ces dames d’ailleurs ont l’air de conserves au vinaigre, bien qu’il y ait, parmi elles, cinq jeunes filles, pas trop laides, mais plates, sans espoir visible.

Je songe aux vers de Bouilhet:

Qu’importe ton sein maigre, ô mon objet aimé.
On est plus près du cœur quand la poitrine est plate;
Et je vois comme un merle en sa cage enfermé,
L’amour entre tes os, rêvant sur une patte!

Deux jeunes messieurs, plus jeunes que le premier, sont également enfermés en des redingotes sacerdotales. Ce sont des prêtres-laïques, à femmes et à enfants, nommés pasteurs. Ils ont l’air plus propres, plus sérieux, moins aimables que nos curés. Je ne changerais pas une tonne de ceux-ci contre une barrique de ceux-là. Chacun son goût.

Dès que les convives sont au complet, le pasteur-chef prend la parole et prononce, en anglais, une sorte de benedicite très long, que toute la table écoute avec des mines confites.

Ma nourriture se trouvant ainsi consacrée, malgré moi, au Dieu d’Israël et d’Albion, chacun se mit à manger le potage.

Un silence solennel règne dans la grande salle, un silence qui ne doit pas être normal. Je suppose que ma présence est désagréable à cette colonie, où n’était entrée jusque-là aucune brebis impure.

Les femmes surtout gardent une attitude gourmée et roide comme si elles avaient peur de laisser tomber dans leur assiette leur petite coiffure de crème fouettée.

Cependant, le maître-pasteur adresse quelques mots à son voisin le sous-pasteur. Comme j’ai le malheur d’entendre un peu l’anglais, je remarque avec stupéfaction qu’ils reprennent une conversation interrompue avant le dîner sur les textes des prophètes.

Tout le monde écoute avec recueillement.

Alors on me nourrit, malgré moi toujours, de citations incroyables.

«Je répandrai de l’eau pour celui qui est altéré», a dit Isaïe.

Je l’ignorais. J’ignorais aussi toutes les vérités émises par Jérémie, Malachie, Ézéchiel, Élie et Gagachie.

Elles m’entraient dans les oreilles, comme des mouches, ces vérités simples et me bourdonnaient dans la tête.

—Que celui qui a faim demande à manger.

—L’air appartient aux oiseaux comme la mer appartient aux poissons.

—Le figuier produit des figues et le palmier des dattes.

—L’homme qui n’écoute pas ne retiendra pas la science.

Combien plus vaste et plus profond, notre grand Henry Monnier, qui a fait sortir de la bouche d’un seul homme, de l’immortel Prud’homme, plus de vérités éclatantes que n’en ont répandu tous les prophètes réunis.

Il s’écrie en face de la mer: «C’est beau, l’Océan, mais que de terrain perdu!»

Il formule l’éternelle politique du monde: «Ce sabre est le plus beau jour de ma vie. Je saurai m’en servir pour défendre le Pouvoir qui me l’offre, et, au besoin, pour l’attaquer.»

Si j’avais eu l’honneur d’être présenté à la société anglaise qui m’entourait, je l’aurais assurément édifiée avec des citations choisies de notre prophète français.

Une fois le dîner fini, on passa au salon.

J’étais assis, seul, dans un coin. La tribu britannique semblait conspirer à l’autre bout de la vaste pièce.

Soudain une dame se dirigea vers le piano.

Je pensai:

—Ah! un peu de miousique. Tant mieux.

Elle ouvre l’instrument, s’assied, et voilà que toute la colonie l’entoure comme un bataillon, les femmes au premier rang, les hommes derrière.

Vont-ils chanter un opéra?

Le pasteur-chef, devenu pasteur-chef de chœurs, lève la main, l’abaisse, et une clameur innomable, affreuse, s’échappe de toutes ces bouches, qui entonnent un cantique!

Les femmes piaillaient, les hommes mugissaient, les vitres tremblaient. Le chien de l’hôtel se mit à hurler dans la cour. Un autre répondit dans une chambre.

Je me sauvai, effaré, furieux. Et j’allai faire un tour en ville. N’ayant trouvé ni théâtre, ni casino, ni aucun lieu de plaisir, il me fallut rentrer.

Les Anglais chantaient encore.

Je me couchai. Ils chantaient toujours. Ils chantèrent jusqu’à minuit les louanges du Seigneur avec les voix les plus fausses, les plus criardes, les plus odieuses que j’aie jamais entendues, et moi, affolé par cet horrible esprit d’imitation qui emportait un peuple entier dans une danse macabre, je fredonnais sous mes draps:

Je plains le seigneur, le seigneur dieu d’Albion
Dont on chante la gloire au salon.
Si le seigneur a plus d’oreille
Que son peuple fidèle,
S’il aime le talent, la beauté,
La grâce, l’esprit, la gaieté,
L’excellente mimique
Et la bonne musique,
Je plains le seigneur
De tout mon cœur.

Et quand je pus enfin m’endormir, j’eus des cauchemars épouvantables. Je vis des prophètes à cheval sur des pasteurs manger des œufs à la neige sur des têtes de mort.

Horreur! horreur!

2 février.—Aussitôt levé, je demande au patron si ces barbares qui ont envahi son hôtel recommencent chaque jour leur épouvantable distraction.

Il me répondit en souriant:

—Oh! non, monsieur, c’était hier dimanche, et vous savez que le dimanche, chez eux, c’est sacré.

Je réponds:

Rien n’est sacré pour un pasteur,
Ni le sommeil du voyageur,
Ni son dîner, ni son oreille;
Mais veillez que chose pareille
Ne recommence pas, ou bien
Sans hésiter, je prends le train.

Un peu surpris, l’hôtelier me promet qu’il fera des observations.

Je fais, dans le jour, une fort jolie promenade dans la montagne.

Le soir venu, j’assiste au même benedicite. Puis je passe au salon. Que vont-ils faire? Pendant une heure, ils ne font rien.

Tout à coup, la même dame qui, la veille, accompagnait les cantiques, se dirige vers le piano, l’ouvre.—Je frémis de terreur.—Et elle se met à jouer... une valse.

Et les jeunes filles commencent à danser.

Le pasteur-chef bat la mesure sur son genou par suite de l’habitude prise. Les Anglais à leur tour invitent les femmes, et les œufs à la neige tournent, tournent, tournent, les œufs à la neige tournent comme des sauces.

J’aime mieux ça! Après la valse, un quadrille, une polka.

N’ayant pas été présenté, je reste coi dans un coin.

3 février.—Autre jolie promenade au vieux castelar, admirable ruine dans la montagne, qui porte sur chaque pic quelques restes de châteaux forts.

Rien de beau comme ces débris de citadelles dans ces chaos de pierres qui dominent les neiges des Alpes (voir les guides). Ce pays est admirable.

Pendant le dîner, je me présente, tout seul, à la manière française, à ma voisine de table. Elle ne me répond pas.—Politesse anglaise.

Dans la soirée, bal anglais.

4 février.—Excursion à Monaco (voir les guides).

Le soir, bal anglais. J’y assiste en pestiféré.

5 février.—Excursion à San Remo (voir les guides).

Le soir, bal anglais. Ma quarantaine persiste.

6 février.—Excursion à Nice (voir les guides).

Le soir, bal anglais. Je me couche.

7 février.—Excursion à Cannes (voir les guides).

Le soir, bal anglais. Je prends du thé dans mon coin.

8 février.—Dimanche, grande revanche. Je les attendais, les gueux.

Ils avaient repris leurs mines confites de jour sacré, et ils préparaient leurs voix à cantiques.

Or, avant le dîner, je me glisse dans le salon, puis je mets dans ma poche la clef du piano, et je dis au garçon de service dans le bureau:

—Si messieurs les pasteurs demandent la clef, vous leur direz que je l’ai prise et vous les prierez de venir me trouver.

Pendant le dîner on discute sur plusieurs points douteux des Écritures, on élucide des textes, on éclaircit les généalogies de personnages bibliques.

Puis on passe au salon. On se dirige vers le piano.—Stupeur.—On se consulte. La tribu semble atterrée. Les œufs à la neige paraissent prêts à s’envoler. Enfin le pasteur-chef se détache, sort, puis rentre. On discute, on me regarde avec des yeux indignés, et voilà que les trois pasteurs se dirigent vers moi, en ordre, en ligne, en ambassadeurs. Ils ont vraiment quelque chose d’imposant.

Ils me saluent. Je me lève. Le plus vieux prend la parole:

—Mosieu, on me avé dit que vô avé pris la clef de la piano. Les dames vôdraient le avoir, pour chanté le cantique.

Je réponds:

—Monsieur l’abbé, je comprends parfaitement la demande de ces dames; mais je ne puis y faire droit. Vous êtes un homme religieux, moi aussi, monsieur, et mes principes, plus sévères que les vôtres sans doute, me décident à empêcher la profanation à laquelle vous vous livrez.

Je ne puis admettre, messieurs, que vous vous serviez, pour chanter la gloire de Dieu, d’un instrument qui a servi toute la semaine à faire danser des jeunes filles. Nous ne donnons pas des bals publics dans nos églises, nous, monsieur, et nous ne jouons pas des quadrilles avec nos orgues. L’usage que vous faites de ce piano m’indigne et me révolte. Vous pouvez porter ma réponse à ces dames.

Les trois pasteurs, abasourdis, se retirèrent. Les dames parurent stupéfaites. Et on se mit à chanter le cantique sans piano.

9 février, midi.—Le patron vient de me donner congé. On m’expulse, à la demande générale des Anglais.

Je rencontre les trois pasteurs, qui semblent surveiller mon départ. Je vais droit à eux. Je les salue.

—Messieurs, dis-je, vous paraissez fort instruits sur les Écritures. J’ai, moi-même, étudié pas mal ces questions. Je sais même un peu l’hébreu. Or, je serais désireux de vous soumettre un cas qui trouble beaucoup ma conscience de catholique.

L’inceste est considéré par vous comme une chose abominable, n’est-ce pas? Or, la Bible nous en indique un exemple très inquiétant pour la Foi.

Loth, fuyant Sodome, fut séduit, vous ne l’ignorez pas, par ses deux filles, et, étant privé de sa femme changée en statue de sel, il succomba. De ce double et horrible inceste naquirent Ammon et Moab, d’où sortirent deux grands peuples, les Ammonites et les Moabites. Or, Ruth, la moissonneuse qui réveilla Booz endormi pour le rendre père, était une Moabite.

Victor Hugo n’a-t-il pas dit:

... Ruth, une Moabite,
Vint se coucher aux pieds de Booz, le sein nu,
Espérant on ne sait quel rayon inconnu
Quand viendrait du réveil la lumière subite.

Le rayon inconnu donna naissance à Obed, qui fut l’aïeul de David.

Or notre Seigneur Jésus-Christ n’était-il pas un descendant de David?...

Les trois pasteurs ne répondirent pas et se regardèrent avec consternation.

Je repris:

—Vous me direz que je vous parle là de la généalogie de Joseph, époux légitime, mais inutile de Marie, mère du Christ. Or Joseph, comme chacun sait, ne fut pour rien dans la naissance de son fils. Donc c’est Joseph qui descendait d’un inceste et non l’homme-Dieu. Je vous l’accorde. J’ajouterai cependant deux considérations. La première, c’est que Joseph et Marie, étant cousins, devaient avoir la même origine; la seconde, c’est qu’il est scandaleux de nous faire lire dix pages de généalogie pour des prunes.

Nous nous abîmons les yeux afin de savoir que A. engendra B., qui engendra C., qui engendra D., qui engendra E., qui engendra F., et quand nous allons devenir fous par cette scie interminable, nous arrivons au dernier qui n’engendre rien. On peut appeler cela, messieurs, le comble de la mystification!

Alors, brusquement, les trois pasteurs me tournèrent le dos comme un seul homme et s’enfuirent.

Deux heures.—Je prends le train pour Nice.

Le journal finissait là. Bien que ces notes révèlent de la part de leur auteur un extrême mauvais goût, un esprit commun et beaucoup de grossièreté, j’ai pensé qu’elles pourraient mettre en garde certains voyageurs contre le danger des Anglais en voyage.

Je dois ajouter qu’il existe des Anglais charmants, j’en connais, et beaucoup. Mais ce ne sont pas, en général, nos voisins d’hôtel.

Nos Anglais ont paru dans le Gil-Blas du mardi 10 février 1885.


LE MOYEN DE ROGER.

JE me promenais sur le boulevard avec Roger quand un vendeur quelconque cria contre nous:

—Demandez le moyen de se débarrasser de sa belle-mère! Demandez!

Je m’arrêtai net et je dis à mon camarade:

—Voici un cri qui me rappelle une question que je veux te poser depuis longtemps. Qu’est-ce donc que ce «moyen de Roger» dont ta femme parle toujours. Elle plaisante là-dessus d’une façon si drôle et si entendue, qu’il s’agit, pour moi, d’une potion aux cantharides dont tu aurais le secret. Chaque fois qu’on cite devant elle un jeune homme fatigué, épuisé, essoufflé, elle se tourne vers toi et dit, en riant:

—Il faudrait lui indiquer le moyen de Roger. Et ce qu’il y a de plus drôle dans cette affaire, c’est que tu rougis toutes les fois.

Roger répondit:

—Il y a de quoi, et si ma femme se doutait en vérité de ce dont elle parle, elle se tairait, je te l’assure bien. Je vais te confier cette histoire, à toi. Tu sais que j’ai épousé une veuve dont j’étais fort amoureux. Ma femme a toujours eu la parole libre et avant d’en faire ma compagne légitime nous avions souvent de ces conversations un peu pimentées, permises d’ailleurs avec les veuves, qui ont gardé le goût du piment dans la bouche. Elle aimait beaucoup les histoires gaies, les anecdotes grivoises, en tout bien tout honneur. Les péchés de langue ne sont pas graves, en certains cas; elle est hardie, moi je suis un peu timide, et elle s’amusait souvent, avant notre mariage, à m’embarrasser par des questions ou des plaisanteries auxquelles il ne m’était pas facile de répondre. Du reste, c’est peut-être cette hardiesse qui m’a rendu amoureux d’elle. Quant à être amoureux, je l’étais des pieds à la tête, corps et âme, et elle le savait, la gredine.

Il fut décidé que nous ne ferions aucune cérémonie, aucun voyage. Après la bénédiction à l’église nous offririons une collation à nos témoins, puis nous ferions une promenade en tête-à-tête, dans un coupé, et nous reviendrions dîner chez moi, rue du Helder.

Donc, nos témoins partis, nous voilà montant en voiture et je dis au cocher de nous conduire au bois de Boulogne. C’était à la fin de juin; il faisait un temps merveilleux.

Dès que nous fûmes seuls, elle se mit à rire.

—Mon cher Roger, dit-elle, c’est le moment d’être galant. Voyons comment vous allez vous y prendre.

Interpellé de la sorte, je me trouvai immédiatement paralysé. Je lui baisais la main, je lui répétais: Je vous aime. Je m’enhardis deux fois à lui baiser la nuque, mais les passants me gênaient. Elle répétait toujours d’un petit air provocant et drôle: Et après... et après... Cet «et après» m’énervait et me désolait. Ce n’était pas dans un coupé, au bois de Boulogne, en plein jour, qu’on pouvait... Tu comprends.

Elle voyait bien ma gêne et s’en amusait. De temps en temps elle répétait:

—Je crains bien d’être mal tombée. Vous m’inspirez beaucoup d’inquiétudes.

Et moi aussi, je commençais à en avoir, des inquiétudes sur moi-même. Quand on m’intimide, je ne suis plus capable de rien.

Au dîner elle fut charmante. Et, pour m’enhardir, je renvoyai mon domestique qui me gênait. Oh! nous demeurions convenables, mais, tu sais comme les amoureux sont bêtes, nous buvions dans le même verre, nous mangions dans la même assiette, avec la même fourchette. Nous nous amusions à croquer des gaufrettes par les deux bouts, afin que nos lèvres se rencontrassent au milieu.

Elle me dit:

—Je voudrais un peu de champagne.

J’avais oublié cette bouteille sur le dressoir. Je la pris, j’arrachai les cordes et je pressai le bouchon pour le faire partir. Il ne sauta pas. Gabrielle se mit à sourire et murmura:

—Mauvais présage.

Je poussais avec mon pouce la tête enflée du liège, je l’inclinais à droite, je l’inclinais à gauche, mais en vain, et, tout à coup, je cassai le bouchon au ras du verre.

Gabrielle soupira:

—Mon pauvre Roger.

Je pris un tire-bouchon que je vissai dans la partie restée au fond du goulot. Il me fut impossible ensuite de l’arracher! Je dus rappeler Prosper. Ma femme, à présent, riait de tout son cœur et répétait:

—Ah bien... ah bien... je vois que je peux compter sur vous.

Elle était à moitié grise.

Elle le fut aux trois quarts après le café.

La mise au lit d’une veuve n’exigeant pas toutes les cérémonies maternelles nécessaires pour une jeune fille, Gabrielle passa tranquillement dans sa chambre en me disant:

—Fumez votre cigare pendant un quart d’heure.

Quand je la rejoignis, je manquais de confiance en moi, je l’avoue. Je me sentais énervé, troublé, mal à l’aise.

Je pris ma place d’époux. Elle ne disait rien. Elle me regardait avec un sourire sur les lèvres, avec l’envie visible de se moquer de moi. Cette ironie, dans un pareil moment, acheva de me déconcerter et, je l’avoue, me coupa—bras et jambes.

Quand Gabrielle s’aperçut de mon... embarras, elle ne fit rien pour me rassurer, bien au contraire. Elle me demanda, d’un petit air indifférent:

—Avez-vous tous les jours autant d’esprit?

Je ne pus m’empêcher de répondre:

—Écoutez, vous êtes insupportable.

Alors elle se remit à rire, mais à rire d’une façon immodérée, inconvenante, exaspérante.

Il est vrai que je faisais triste figure, et que je devais avoir l’air fort sot.

De temps en temps, entre deux crises folles de gaieté, elle prononçait, en étouffant:

—Allons—du courage—un peu d’énergie—mon—mon pauvre ami.

Puis elle se remettait à rire si éperdument qu’elle en poussait des cris.

A la fin je me sentis si énervé, si furieux contre moi et contre elle que je compris que j’allais la battre si je ne quittais point la place.

Je sautai du lit, je m’habillai brusquement avec rage, sans dire un mot.

Elle s’était soudain calmée et, comprenant que j’étais fâché, elle demanda:

—Qu’est-ce que vous faites? Où allez-vous?

Je ne répondis pas. Et je descendis dans la rue. J’avais envie de tuer quelqu’un, de me venger, de faire quelque folie. J’allai devant moi à grands pas, et brusquement la pensée d’entrer chez des filles me vint dans l’esprit.

Qui sait? ce serait une épreuve, une expérience, peut-être un entraînement? En tout cas ce serait une vengeance! Et si jamais je devais être trompé par ma femme elle l’aurait toujours été d’abord par moi.

Je n’hésitai point. Je connaissais une hôtellerie d’amour non loin de ma demeure, et j’y courus, et j’y entrai comme font ces gens qui se jettent à l’eau pour voir s’ils savent encore nager.

Je nageais, et fort bien. Et je demeurai là longtemps, savourant cette vengeance secrète et raffinée. Puis je me retrouvai dans la rue à cette heure fraîche où la nuit va finir. Je me sentais maintenant calme et sûr de moi, content, tranquille, et prêt encore, me semblait-il, pour des prouesses.

Alors, je rentrai chez moi avec lenteur; et j’ouvris doucement la porte de ma chambre.

Gabrielle lisait, accoudée sur son oreiller. Elle leva la tête et demanda d’un ton craintif:

—Vous voilà? qu’est-ce que vous avez eu?

Je ne répondis pas. Je me déshabillai avec assurance. Et je repris, en maître triomphant, la place que j’avais quittée en fuyard.

Elle fut stupéfaite et convaincue que j’avais employé quelque secret mystérieux.

Et maintenant, à tout propos, elle parle du moyen de Roger comme elle parlerait d’un procédé scientifique infaillible.

Mais, hélas! voici dix ans de cela, et aujourd’hui la même épreuve n’aurait plus beaucoup de chances de succès, pour moi du moins.

Mais si tu as quelque ami qui redoute les émotions d’une nuit de noces, indique-lui mon stratagème et affirme-lui que, de vingt à trente-cinq ans, il n’est point de meilleure manière pour dénouer des aiguillettes, comme aurait dit le sire de Brantôme.

Le Moyen de Roger a paru dans le Gil-Blas du mardi 3 mars 1885, sous la signature: Maufrigneuse.


LA CONFESSION.

TOUT Véziers-le-Réthel avait assisté aux convoi et enterrement de M. Badon-Leremincé, et les derniers mots du discours du délégué de la préfecture demeuraient dans toutes les mémoires: «C’est un honnête homme de moins!»

Honnête homme il avait été dans tous les actes appréciables de sa vie, dans ses paroles, dans son exemple, dans son attitude, dans sa tenue, dans ses démarches, dans la coupe de sa barbe et la forme de ses chapeaux. Il n’avait jamais dit un mot qui ne contînt un exemple, jamais fait une aumône sans l’accompagner d’un conseil, jamais tendu la main sans avoir l’air de donner une espèce de bénédiction.

Il laissait deux enfants: un fils et une fille; son fils était conseiller général, et sa fille ayant épousé un notaire, M. Poirel de la Voulte, tenait le haut du pavé dans Véziers.

Ils étaient inconsolables de la mort de leur père, car ils l’aimaient sincèrement.

Aussitôt la cérémonie terminée, ils rentrèrent à la maison du mort, et s’étant enfermés tous trois, le fils, la fille et le gendre, ils ouvrirent le testament qui devait être décacheté par eux seuls, et seulement après que son cercueil aurait été mis en terre. Une annotation sur l’enveloppe indiquait cette volonté.

Ce fut M. Poirel de la Voulte qui déchira le papier, en sa qualité de notaire habitué à ces opérations, et, ayant ajusté ses lunettes sur ses yeux, il lut, de sa voix terne, faite pour détailler les contrats:

—Mes enfants, mes chers enfants, je ne pourrais dormir tranquille de l’éternel sommeil si je ne vous faisais, de l’autre côté de la tombe, une confession, la confession d’un crime dont le remords a déchiré ma vie. Oui, j’ai commis un crime, un crime affreux, abominable.

J’avais alors vingt-six ans et je débutais dans le barreau, à Paris, vivant de la vie des jeunes gens de province échoués, sans connaissances, sans amis, sans parents, dans cette ville.

Je pris une maîtresse. Que de gens s’indignent à ce seul mot «une maîtresse», et pourtant il est des êtres qui ne peuvent vivre seuls. Je suis de ceux-là. La solitude m’emplit d’une angoisse horrible, la solitude dans le logis, auprès du feu, le soir. Il me semble alors que je suis seul sur la terre, affreusement seul, mais entouré de dangers vagues, de choses inconnues et terribles; et la cloison qui me sépare de mon voisin, de mon voisin que je ne connais pas, m’éloigne de lui autant que des étoiles aperçues par ma fenêtre. Une sorte de fièvre m’envahit, une fièvre d’impatience et de crainte; et le silence des murs m’épouvante. Il est si profond et si triste ce silence de la chambre où l’on vit seul! Ce n’est pas seulement un silence autour du corps, mais un silence autour de l’âme, et, quand un meuble craque on tressaille jusqu’au cœur, car aucun bruit n’est attendu dans ce morne logis.

Combien de fois, énervé, apeuré par cette immobilité muette, je me suis mis à parler, à prononcer des mots, sans suite, sans raison, pour faire du bruit. Ma voix alors me paraissait si étrange que j’en avais peur aussi. Est-il quelque chose de plus affreux que de parler seul dans une maison vide? La voix semble celle d’un autre, une voix inconnue, parlant sans cause, à personne, dans l’air creux, sans aucune oreille pour l’écouter, car on sait, avant qu’elles s’échappent dans la solitude de l’appartement, les paroles qui vont sortir de la bouche. Et quand elles résonnent lugubrement dans le silence, elles n’ont plus l’air que d’un écho, l’écho singulier de mots prononcés tout bas par la pensée.

Je pris une maîtresse, une jeune fille comme toutes ces jeunes filles qui vivent dans Paris d’un métier insuffisant à les nourrir. Elle était douce, bonne, simple; ses parents habitaient Poissy. Elle allait passer quelques jours chez eux de temps en temps.

Pendant un an je vécus assez tranquille avec elle, bien décidé à la quitter lorsque je trouverais une jeune personne qui me plairait assez pour l’épouser. Je laisserais à l’autre une petite rente, puisqu’il est admis, dans notre société, que l’amour d’une femme doit être payé, par de l’argent quand elle est pauvre, par des cadeaux quand elle est riche.

Mais voilà qu’un jour elle m’annonça qu’elle était enceinte. Je fus atterré et j’aperçus en une seconde tout le désastre de mon existence. La chaîne m’apparut, que je traînerais jusqu’à ma mort, partout, dans ma famille future, dans ma vieillesse, toujours: chaîne de la femme liée à ma vie par l’enfant, chaîne de l’enfant qu’il faudra élever, surveiller, protéger, tout en me cachant de lui et en le cachant au monde. J’eus l’esprit bouleversé par cette nouvelle; et un désir confus, que je ne formulai point, mais que je sentais en mon cœur, prêt à se montrer, comme ces gens cachés derrière des portières pour attendre qu’on leur dise de paraître, un désir criminel rôda au fond de ma pensée!—Si un accident pouvait arriver? Il en est tant, de ces petits êtres, qui meurent avant de naître!

Oh! je ne désirai point la mort de ma maîtresse. La pauvre fille, je l’aimais bien! Mais je souhaitai, peut-être, la mort de l’autre, avant de l’avoir vu?

Il naquit. J’eus un ménage dans mon petit logis de garçon, un faux ménage avec enfant, chose horrible. Il ressemblait à tous les enfants. Je ne l’aimais guère. Les pères, voyez-vous, n’aiment que plus tard. Ils n’ont point la tendresse instinctive et emportée des mères; il faut que leur affection s’éveille peu à peu, que leur esprit s’attache par les liens qui se nouent chaque jour entre les êtres vivants ensemble.

Un an encore s’écoula: je fuyais maintenant ma demeure trop petite, où traînaient des linges, des langes, des bas grands comme des gants, mille choses de toute espèce laissées sur un meuble, sur le bras d’un fauteuil, partout. Je fuyais surtout pour ne point l’entendre crier, lui; car il criait à tout propos, quand on le changeait, quand on le lavait, quand on le touchait, quand on le couchait, quand on le levait, sans cesse.

J’avais fait quelques connaissances et je rencontrai dans un salon celle qui devait être votre mère. J’en devins amoureux, et le désir de l’épouser s’éveilla en moi. Je lui fis la cour; je la demandai en mariage; on me l’accorda.

Et je me trouvai pris dans ce piège.—Épouser, ayant un enfant, cette jeune fille que j’adorais—ou bien dire la vérité et renoncer à elle, au bonheur, à l’avenir, à tout, car ses parents, gens rigides et scrupuleux, ne me l’auraient point donnée, s’ils avaient su.

Je passai un mois horrible d’angoisse, de tortures morales; un mois où mille pensées affreuses me hantèrent; et je sentais grandir en moi une haine contre mon fils, contre ce petit morceau de chair vivante et criante qui barrait ma route, coupait ma vie, me condamnait à une existence sans attente, sans tous ces espoirs vagues qui font charmante la jeunesse.

Mais voilà que la mère de ma compagne tomba malade, et je restai seul avec l’enfant.

Nous étions en décembre. Il faisait un froid terrible. Quelle nuit! Ma maîtresse venait de partir. J’avais dîné seul dans mon étroite salle et j’entrai doucement dans la chambre où le petit dormait.

Je m’assis dans un fauteuil devant le feu. Le vent soufflait, faisait craquer les vitres, un vent sec de gelée, et je voyais, à travers la fenêtre, briller les étoiles de cette lumière aiguë qu’elles ont par les nuits glacées.

Alors l’obsession qui me hantait depuis un mois pénétra de nouveau dans ma tête. Dès que je demeurais immobile, elle descendait sur moi, entrait en moi et me rongeait. Elle me rongeait comme rongent les idées fixes, comme les cancers doivent ronger les chairs. Elle était là, dans ma tête, dans mon cœur, dans mon corps entier, me semblait-il; et elle me dévorait, ainsi qu’aurait fait une bête. Je voulais la chasser, la repousser, ouvrir ma pensée à d’autres choses, à des espérances nouvelles, comme on ouvre une fenêtre au vent frais du matin pour chasser l’air vicié de la nuit; mais je ne pouvais, même une seconde, la faire sortir de mon cerveau. Je ne sais comment exprimer cette torture. Elle me grignotait l’âme; et je sentais avec une douleur affreuse, une vraie douleur physique et morale, chacun de ses coups de dents.

Mon existence était finie! Comment sortirais-je de cette situation? Comment reculer, et comment avouer?

Et j’aimais celle qui devait devenir votre mère d’une passion folle, que l’insurmontable obstacle exaspérait encore.

Une colère terrible grandissait, qui me serrait la gorge, une colère qui touchait à la folie... à la folie! Certes, j’étais fou, ce soir-là!

L’enfant dormait. Je me levai et je le regardai dormir. C’était lui, cet avorton, cette larve, ce rien qui me condamnait à un malheur sans appel.

Il dormait, la bouche ouverte, enseveli sous les couvertures, dans un berceau, près de mon lit, où je ne pourrais pas dormir, moi!

Comment ai-je accompli ce que j’ai fait? Le sais-je? Quelle force m’a poussé, quelle puissance malfaisante m’a possédé? Oh! la tentation du crime m’est venue sans que je l’aie sentie s’annoncer. Je me rappelle seulement que mon cœur battait affreusement. Il battait si fort que je l’entendais comme on entend des coups de marteau derrière des cloisons. Je ne me rappelle que cela! mon cœur battait! Dans ma tête c’était une étrange confusion, un tumulte, une déroute de toute raison, de tout sang-froid. J’étais dans une de ces heures d’effarement et d’hallucination où l’homme n’a plus la conscience de ses actes ni la direction de sa volonté.

Je soulevai doucement les couvertures qui cachaient le corps de mon enfant; je les rejetai sur les pieds du berceau, et je le vis, tout nu. Il ne se réveilla pas. Alors je m’en allai vers la fenêtre, tout doucement, tout doucement; et je l’ouvris.

Un souffle d’air glacé entra ainsi qu’un assassin, si froid que je reculai devant lui; et les deux bougies palpitèrent. Et je restai debout près de la fenêtre, n’osant pas me retourner comme pour ne pas voir ce qui se passait derrière moi, et sentant sans cesse glisser sur mon front, sur mes joues, sur mes mains, l’air mortel qui entrait toujours. Cela dura longtemps.

Je ne pensais pas, je ne réfléchissais à rien. Tout à coup une petite toux me fit passer un épouvantable frisson des pieds à la tête, un frisson que j’ai encore en ce moment, dans la racine des cheveux. Et d’un mouvement affolé je fermai brusquement les deux battants de la fenêtre, puis, m’étant retourné, je courus au berceau.

Il dormait toujours, la bouche ouverte, tout nu. Je touchai ses jambes; elles étaient glacées, et je les recouvris.

Mon cœur soudain s’attendrit, se brisa, s’emplit de pitié, de tendresse, d’amour pour ce pauvre être innocent que j’avais voulu tuer. Je le baisai longtemps sur ses cheveux fins; puis je revins m’asseoir devant le feu.

Je songeai avec stupeur, avec horreur à ce que j’avais fait, me demandant d’où viennent ces tempêtes de l’âme où l’homme perd toute notion des choses, toute autorité sur lui-même, et agit dans une sorte d’ivresse affolée, sans savoir ce qu’il fait, sans savoir où il va, comme un bateau dans un ouragan.

L’enfant toussa encore une fois, et je me sentis déchiré jusqu’au cœur. S’il allait mourir! mon Dieu! mon Dieu! que deviendrais-je, moi?

Je me levai pour aller le regarder; et, une bougie à la main, je me penchai sur lui. Le voyant respirer avec tranquillité, je me rassurais, quand il toussa pour la troisième fois; et je ressentis une telle secousse, je fis un tel mouvement en arrière, comme lorsqu’on est bouleversé par la vue d’une chose affreuse, que je laissai tomber ma bougie.

En me redressant après l’avoir ramassée, je m’aperçus que j’avais les tempes mouillées de sueur, de cette sueur chaude et gelée en même temps que produisent les angoisses de l’âme, comme si quelque chose de l’affreuse souffrance morale, de cette torture innomable qui est bien, en effet, brûlante comme le feu et froide comme la glace, transpirait à travers les os et la peau du crâne.

Et je restai jusqu’au jour penché sur mon fils, me calmant lorsqu’il demeurait longtemps tranquille, et traversé par des douleurs abominables lorsqu’une faible toux sortait de sa bouche.

Il s’éveilla avec les yeux rouges, la gorge embarrassée, l’air souffrant.

Quand ma femme de ménage entra, j’envoyai bien vite chercher un médecin. Il vint au bout d’une heure, et prononça, après avoir examiné l’enfant:

—N’a-t-il pas eu froid?

Je me mis à trembler comme tremblent les gens très vieux, et je balbutiai:

—Mais non, je ne crois pas.

Puis je demandai:

—Qu’est-ce que c’est? Est-ce grave?

Il répondit:

—Je n’en sais rien encore. Je reviendrai ce soir.

Il revint le soir. Mon fils avait passé presque toute la journée dans un assoupissement invincible, toussant de temps à autre.

Une fluxion de poitrine se déclara dans la nuit.

Et cela dura dix jours. Je ne puis exprimer ce que j’ai souffert durant ces interminables heures qui séparent le matin du soir et le soir du matin.

Il mourut...

Et depuis... depuis ce moment, je n’ai point passé une heure, non, pas une heure, sans que le souvenir atroce, cuisant, ce souvenir qui ronge, qui semble tordre l’esprit en le déchirant, ne remuât en moi comme une bête mordante enfermée au fond de mon âme.

Oh! si j’avais pu devenir fou!...

 

M. Poirel de la Voulte releva ses lunettes d’un mouvement qui lui était familier quand il avait achevé la lecture d’un contrat; et les trois héritiers du mort se regardèrent, sans dire un mot, pâles, immobiles.

Au bout d’une minute, le notaire reprit:

—Il faut détruire cela.

Les deux autres baissèrent la tête en signe d’assentiment. Il alluma une bougie, sépara soigneusement les pages qui contenaient la dangereuse confession des pages qui contenaient les dispositions d’argent, puis il les présenta sur la flamme et les jeta dans la cheminée.

Et ils regardèrent les feuilles blanches se consumer. Elles ne formèrent bientôt plus qu’une sorte de petits tas noirs. Et comme on apercevait encore quelques lettres qui se dessinaient en blanc, la fille, du bout de son pied, écrasa à petits coups la légère croûte de papier flambé, la mêlant aux cendres anciennes.

Puis, ils restèrent encore tous les trois quelque temps à regarder cela, comme s’ils eussent craint que le secret brûlé ne s’envolât de la cheminée.