[24] Oh! viens! aime!—tu es âme,—je suis cœur.
Et brusquement, dans cette ombre, un jet de lumière frappait Gwynplaine en pleine face.
On voyait dans ces ténèbres le monstre épanoui.
Dire la commotion de la foule est impossible. Un soleil de rire surgissant, tel était l’effet. Le rire naît de l’inattendu, et rien de plus inattendu que ce dénoûment. Pas de saisissement comparable à ce soufflet de lumière sur ce masque bouffon et terrible. On riait autour de ce rire; partout, en haut, en bas, sur le devant, au fond, les hommes, les femmes, les vieilles faces chauves, les roses figures d’enfants, les bons, les méchants, les gens gais, les gens tristes, tout le monde; et même dans la rue, les passants, ceux qui ne voyaient pas, en entendant rire, riaient. Et ce rire s’achevait en battements de mains et en trépignements. La triveline refermée, on rappelait Gwynplaine avec frénésie. De là un succès énorme. Avez-vous vu Chaos vaincu? On courait à Gwynplaine. Les insouciances venaient rire, les mélancolies venaient rire, les mauvaises consciences venaient rire. Rire si irrésistible que par moments il pouvait sembler maladif. Mais s’il y a une peste que l’homme ne fuit pas, c’est la contagion de la joie. Le succès au surplus ne dépassait point la populace. Grosse foule, c’est petit peuple. On voyait Chaos vaincu pour un penny. Le beau monde ne va pas où l’on va pour un sou.
Ursus ne haïssait point cette œuvre, longtemps couvée par lui.
—C’est dans le genre d’un nommé Shakespeare, disait-il avec modestie.
La juxtaposition de Dea ajoutait à l’inexprimable effet de Gwynplaine. Cette blanche figure à côté de ce gnome représentait ce qu’on pourrait appeler l’étonnement divin. Le peuple regardait Dea avec une sorte d’anxiété mystérieuse. Elle avait ce je ne sais quoi de suprême de la vierge et de la prêtresse, qui ignore l’homme et connaît Dieu. On voyait qu’elle était aveugle et l’on sentait qu’elle était voyante. Elle semblait debout sur le seuil du surnaturel. Elle paraissait être à moitié dans notre lumière et à moitié dans l’autre clarté. Elle venait travailler sur la terre, et travailler de la façon dont travaille le ciel, avec de l’aurore. Elle trouvait une hydre et faisait une âme. Elle avait l’air de la puissance créatrice, satisfaite et stupéfaite de sa création; on croyait voir sur son visage adorablement effaré la volonté de la cause et la surprise du résultat. On sentait qu’elle aimait son monstre. Le savait-elle monstre? Oui, puisqu’elle le touchait. Non, puisqu’elle l’acceptait. Toute cette nuit et tout ce jour mêlés se résolvaient dans l’esprit du spectateur en un clair-obscur où apparaissaient des perspectives infinies. Comment la divinité adhère à l’ébauche, de quelle façon s’accomplit la pénétration de l’âme dans la matière, comment le rayon solaire est un cordon ombilical, comment le défiguré se transfigure, comment l’informe devient paradisiaque, tous ces mystères entrevus compliquaient d’une émotion presque cosmique la convulsion d’hilarité soulevée par Gwynplaine. Sans aller au fond, car le spectateur n’aime point la fatigue de l’approfondissement, on comprenait quelque chose au delà de ce qu’on apercevait, et ce spectacle étrange avait une transparence d’avatar.
Quant à Dea, ce qu’elle éprouvait échappe à la parole humaine. Elle se sentait au milieu d’une foule, et ne savait ce que c’était qu’une foule. Elle entendait une rumeur, et c’est tout. Pour elle une foule était un souffle; et au fond ce n’est que cela. Les générations sont des baleines qui passent. L’bomme respire, aspire et expire. Dans cette foule, Dea se sentait seule, et avait le frisson d’une suspension au-dessus d’un précipice. Tout à coup, dans ce trouble de l’innocent en détresse prêt à accuser l’inconnu, dans ce mécontentement de la chute possible, Dea, sereine pourtant, et supérieure à la vague angoisse du péril, mais intérieurement frémissante de son isolement, retrouvait sa certitude et son support; elle ressaisissait son fil de sauvetage dans l’univers des ténèbres, elle posait sa main sur la puissante tête de Gwynplaine. Joie inouïe! elle appuyait ses doigts roses sur cette forêt de cheveux crépus. La laine touchée éveille une idée de douceur. Dea touchait un mouton qu’elle savait être un lion. Tout son cœur se fondait en un ineffable amour. Elle se sentait hors de danger, elle trouvait le sauveur. Le public croyait voir le contraire. Pour les spectateurs, l’être sauvé, c’était Gwynplaine, et l’être sauveur, c’était Dea. Qu’importe! pensait Ursus, pour qui le cœur de Dea était visible. Et Dea, rassurée, consolée, ravie, adorait l’ange, pendant que le peuple contemplait le monstre, et subissait, fasciné lui aussi, mais en sens inverse, cet immense rire prométhéen.
L’amour vrai ne se blase point. Étant tout âme, il ne peut s’attiédir. Une braise se couvre de cendre, une étoile non. Ces impressions exquises se renouvelaient tous les soirs pour Dea, et elle était prête à pleurer de tendresse pendant qu’on se tordait de rire. Autour d’elle, on n’était que joyeux; elle, elle était heureuse.
Du reste l’effet de gaîté, dû au rictus imprévu et stupéfiant de Gwynplaine, n’était évidemment pas voulu par Ursus. Il eût préféré plus de sourire et moins de rire, et une admiration plus littéraire. Mais triomphe console. Il se réconciliait tous les soirs avec son succès excessif, en comptant combien les piles de farthings faisaient de shellings, et combien les piles de shellings faisaient de pounds. Et puis il se disait qu’après tout, ce rire passé, Chaos vaincu se retrouvait au fond des esprits et qu’il leur en restait quelque chose. Il ne se trompait peut-être point tout à fait; le tassement d’une œuvre se fait dans le public. La vérité est que cette populace, attentive à ce loup, à cet ours, à cet homme, puis à cette musique, à ces hurlements domptés par l’harmonie, à cette nuit dissipée par l’aube, à ce chant dégageant la lumière, acceptait avec une sympathie confuse et profonde, et même avec un certain respect attendri, ce drame-poëme de Chaos vaincu, cette victoire de l’esprit sur la matière, aboutissant à la joie de l’homme.
Tels étaient les plaisirs grossiers du peuple.
Ils lui suffisaient. Le peuple n’avait pas le moyen d’aller aux «nobles matches» de la gentry, et ne pouvait, comme les seigneurs et gentilshommes, parier mille guinées pour Helmsgail contre Phelem-ghe-madone.
L’homme a une pensée, se venger du plaisir qu’on lui fait. De là le mépris pour le comédien.
Cet être me charme, me divertit, m’enseigne, m’enchante, me console, me verse l’idéal, m’est agréable et utile, quel mal puis-je lui rendre? L’humiliation. Le dédain, c’est le soufflet à distance. Souffletons-le. Il me plaît, donc il est vil. Il me sert, donc je le hais. Où y a-t-il une pierre que je la lui jette? Prêtre, donne la tienne. Philosophe, donne la tienne. Bossuet, excommunie-le. Rousseau, insulte-le. Orateur, crache-lui les cailloux de ta bouche. Ours, lance-lui ton pavé. Lapidons l’arbre, meurtrissons le fruit, et mangeons-le. Bravo! et A bas! Dire les vers des poëtes, c’est être pestiféré. Histrion, va! mettons-le au carcan dans son succès. Achevons-lui son triomphe en huée. Qu’il amasse la foule et qu’il crée la solitude. Et c’est ainsi que les classes riches, dites hautes classes, ont inventé pour le comédien cette forme d’isolement, l’applaudissement.
La populace est moins féroce. Elle ne haïssait point Gwynplaine. Elle ne le méprisait pas non plus. Seulement le dernier calfat du dernier équipage de la dernière caraque amarrée dans le dernier des ports d’Angleterre se considérait comme incommensurablement supérieur à cet amuseur de «la canaille», et estimait qu’un calfat est autant audessus d’un saltimbanque qu’un lord est au-dessus d’un calfat.
Gwynplaine était donc, comme tous les comédiens, applaudi et isolé. Du reste, ici-bas tout succès est crime, et s’expie. Qui a la médaille a le revers.
Pour Gwynplaine il n’y avait point de revers. En ce sens que les deux côtés de son succès lui agréaient. Il était satisfait de l’applaudissement, et content de l’isolement. Par l’applaudissement, il était riche; par l’isolement, il était heureux.
Être riche, dans ces bas-fonds, c’est n’être plus misérable. C’est n’avoir plus de trous à ses vêtements, plus de froid dans son âtre, plus de vide dans son estomac. C’est manger à son appétit et boire à sa soif. C’est avoir tout le nécessaire, y compris un sou a donner a un pauvre. Cette richesse indigente, suffisante à la liberté, Gwynplaine l’avait.
Du côté de l’âme, il était opulent. Il avait l’amour. Que pouvait-il désirer?
Il ne désirait rien.
La difformité de moins, il semble que ce pouvait être là une offre à lui faire. Comme il l’eût repoussée! Quitter ce masque et reprendre son visage, redevenir ce qu’il avait été peut-être, beau et charmant, certes, il n’eût pas voulu! Et avec quoi eût-il nourri Dea? que fût devenue la pauvre et douce aveugle qui l’aimait? Sans ce rictus qui faisait de lui un clown unique, il ne serait plus qu’un saltimbanque comme un autre, le premier équilibriste venu, un ramasseur de liards entre les fentes des pavés, et Dea n’aurait peut-être pas du pain tous les jours! Il se sentait avec un profond orgueil de tendresse le protecteur de cette infirme céleste. Nuit, Solitude, Dénûment, Impuissance, Ignorance, Faim et Soif, les sept gueules béantes de la misère se dressaient autour d’elle, et il était le saint Georges combattant ce dragon. Et il triomphait de la misère. Comment? par sa difformité. Par sa difformité, il était utile, secourable, victorieux, grand. Il n’avait qu’à se montrer, et l’argent venait. Il était le maître des foules; il se constatait le souverain des populaces. Il pouvait tout pour Dea. Ses besoins, il y pourvoyait; ses désirs, ses envies, ses fantaisies, dans la sphère limitée des souhaits possibles à un aveugle, il les contentait. Gwynplaine et Dea étaient, nous l’avons montré déjà, la providence l’un de l’autre. Il se sentait enlevé sur ses ailes, elle se sentait portée dans ses bras. Protéger qui vous aime, donner le nécessaire à qui vous donne les étoiles, il n’est rien de plus doux. Gwynplaine avait cette félicité suprême. Et il la devait à sa difformité. Cette difformité le faisait supérieur à tout. Par elle il gagnait sa vie, et la vie des autres; par elle il avait l’indépendance, la liberté, la célébrité, la satisfaction intime, la fierté. Dans cette difformité il était inaccessible. Les fatalités ne pouvaient rien contre lui au delà de ce coup où elles s’étaient épuisées, et qui lui avait tourné en triomphe. Ce fond du malheur était devenu un sommet élyséen. Gwynplaine était emprisonné dans sa difformité, mais avec Dea. C’était, nous l’avons dit, être au cachot dans le paradis. Il y avait entre eux et le monde des vivants une muraille. Tant mieux. Cette muraille les parquait, mais les défendait. Que pouvait-on contre Dea, que pouvait-on contre Gwynplaine, avec une telle fermeture de la vie autour d’eux? Lui ôter le succès? impossible. Il eût fallu lui ôter sa face. Lui ôter l’amour? impossible. Dea ne le voyait point. L’aveuglement de Dea était divinement incurable. Quel inconvénient avait pour Gwynplaine sa difformité? Aucun. Quel avantage avait-elle? Tous. Il était aimé malgré cette horreur, et peut-être à cause d’elle. Infirmité et difformité s’étaient, d’instinct, rapprochées et accouplées. Être aimé, est-ce que ce n’est pas tout? Gwynplaine ne songeait à sa défiguration qu’avec reconnaissance. Il était béni dans ce stigmate. Il le sentait avec joie imperdable et éternel, Quelle chance que ce bienfait fût irrémédiable! Tant qu’il y aurait des carrefours, des champs de foire, des routes où aller devant soi, du peuple en bas, du ciel en haut, on serait sûr de vivre, Dea ne manquerait de rien, on aurait l’amour! Gwynplaine n’eût pas changé de visage avec Apollon. Être monstre était pour lui la forme du bonheur.
Aussi disions-nous en commençant que la destinée l’avait comblé. Ce réprouvé était un préféré.
Il était si heureux qu’il en venait à plaindre les hommes autour de lui. Il avait de la pitié de reste. C’était d’ailleurs son instinct de regarder un peu dehors, car aucun homme n’est tout d’une pièce et une nature n’est pas une abstraction; il était ravi d’être muré, mais de temps en temps il levait la tête par-dessus le mur. Il n’en rentrait qu’avec plus de joie dans son isolement près de Dea, après avoir comparé.
Que voyait-il autour de lui? Qu’était-ce que ces vivants dont son existence nomade lui montrait tous les échantillons, chaque jour remplacés par d’autres? Toujours de nouvelles foules, et toujours la même multitude. Toujours de nouveaux visages et toujours les mêmes infortunes. Une promiscuité de ruines. Chaque soir toutes les fatalités sociales venaient faire cercle autour de sa félicité.
La Green-Box était populaire.
Le bas prix appelle la basse classe. Ce qui venait à lui c’étaient les faibles, les pauvres, les petits. On allait à Gwynplaine comme on va au gin. On venait acheter pour deux sous d’oubli. Du haut de son tréteau, Gwynplaine passait en revue le sombre peuple. Son esprit s’emplissait de toutes ces apparitions successives de l’immense misère. La physionomie humaine est faite par la conscience et par la vie, et est la résultante d’une foule de creusements mystérieux. Pas une souffrance, pas une colère, pas une ignominie, pas un désespoir, dont Gwynplaine ne vît la ride. Ces bouches d’enfants n’avaient pas mangé. Cet homme était un père, cette femme était une mère, et derrière eux on devinait des familles en perdition. Tel visage sortait du vice et entrait au crime; et l’on comprenait le pourquoi: ignorance et indigence. Tel autre offrait une empreinte de bonté première raturée par l’accablement social et devenue haine. Sur ce front de vieille femme on voyait la famine; sur ce front de jeune fille on voyait la prostitution. Le même fait, offrant chez la jeune la ressource, et plus lugubre là. Dans cette cohue il y avait des bras, mais pas d’outils; ces travailleurs ne demandaient pas mieux, mais le travail manquait. Parfois près de l’ouvrier un soldat venait s’asseoir, quelquefois un invalide, et Gwynplaine apercevait ce spectre, la guerre. Ici Gwynplaine lisait chômage, là exploitation, là servitude. Sur certains fronts il constatait on ne sait quel refoulement vers l’animalité, et ce lent retour de l’homme à la bête produit en bas par la pression des pesanteurs obcures du bonheur d’en haut. Dans ces ténèbres, il y avait pour Gwynplaine un soupirail. Ils avaient, lui et Dea, du bonheur par un jour de souffrance. Tout le reste était damnation. Gwynplaine sentait au-dessus de lui le piétinement inconscient des puissants, des opulents, des magnifiques, des grands, des élus du hasard; au-dessous, il distinguait le tas de faces pâles des déshérités; il se voyait, lui et Dea, avec leur tout petit bonheur, si immense, entre deux mondes; en haut le monde allant et venant, libre, joyeux, dansant, foulant aux pieds; en haut, le monde qui marche; en bas, le monde sur qui l’on marche. Chose fatale, et qui indique un profond mal social, la lumière écrase l’ombre! Gwynplaine constatait ce deuil. Quoi! une destinée si reptile! L’homme se traînant ainsi! une telle adhérence à la poussière et à la fange, un tel dégoût, une telle abdication, et une telle abjection, qu’on a envie de mettre le pied dessus! de quel papillon cette vie terrestre est-elle donc la chenille? Quoi! dans cette foule qui a faim et qui ignore, partout, devant tous, le point d’interrogation du crime ou de la honte! l’inflexibilité des lois produisant l’amollissement des consciences! pas un enfant qui ne croisse pour le rapetissement! pas une vierge qui ne grandisse pour l’offre! pas une rose qui ne naisse pour la bave! Ses yeux parfois, curieux d’une curiosité émue, cherchaient à voir jusqu’au fond de cette obscurité où agonisaient tant d’efforts inutiles et où luttaient tant de lassitudes, familles dévorées par la société, mœurs torturées par les lois, plaies faites gangrènes par la pénalité, indigences rongées par l’impôt, intelligences à vau-l’eau dans un engloutissement d’ignorance, radeaux en détresse couverts d’affamés, guerres, disettes, râles, cris, disparitions; et il sentait le vague saisissement de cette poignante angoisse universelle. Il avait la vision de toute cette écume du malheur sur le sombre pêle-mêle humain. Lui, il était au port, et il regardait autour de lui ce naufrage. Par moment, il prenait dans ses mains sa tête défigurée, et songeait.
Quelle folie que d’être heureux! comme on rêve! il lui venait des idées. L’absurde lui traversait le cerveau. Parce qu’il avait autrefois secouru un enfant, il sentait des velléités de secourir le monde. Des nuages de rêverie lui obscurcissaient parfois sa propre réalité; il perdait le sentiment de la proportion jusqu’à se dire: Que pourrait-on faire pour ce pauvre peuple? Quelquefois son absorption était telle qu’il le disait tout haut. Alors Ursus haussait les épaules et le regardait fixement. Et Gwynplaine continuait de rêver:—Oh! si j’étais puissant, comme je viendrais en aide aux malheureux! Mais que suis-je? un atome. Que puis-je? rien.
Il se trompait. Il pouvait beaucoup pour les malheureux. Il les faisait rire.
Et, nous l’avons dit, faire rire, c’est faire oublier. Quel bienfaiteur sur la terre, qu’un distributeur d’oubli!
Un philosophe est un espion. Ursus, guetteur de rêves, étudiait son élève. Nos monologues ont sur notre front une vague réverbération distincte au regard du physionomiste. C’est pourquoi ce qui se passait en Gwynplaine n’échappait point à Ursus. Un jour que Gwynplaine méditait, Ursus, le tirant par son capingot, s’écria:
—Tu me fais l’effet d’un observateur, imbécile! Prends-y garde, cela ne te regarde pas. Tu as une chose à faire, aimer Dea. Tu es heureux de deux bonheurs: le premier, c’est que la foule voit ton museau, le second, c’est que Dea ne le voit pas. Ce bonheur que tu as, tu n’y as pas droit Nulle femme, voyant ta bouche, n’acceptera ton baiser. Et cette bouche qui fait ta fortune, cette face qui fait ta richesse, ça n’est pas à toi. Tu n’étais pas né avec ce visage-là. Tu l’as pris à la grimace qui est au fond de l’infini. Tu as volé son masque au diable. Tu es hideux, contente-toi de ce quine. Il y a dans ce monde, qui est une chose très bien faite, les heureux de droit et les heureux de raccroc. Tu es un heureux de raccroc. Tu es dans une cave où se trouve prise une étoile. La pauvre étoile est à toi. N’essaie pas de sortir de ta cave, et garde ton astre, araignée! Tu as dans la toile l’escarboucle Vénus. Fais-moi le plaisir d’être satisfait. Je te vois rêvasser, c’est idiot. Écoute, je vais te parler le langage de la vraie poésie: que Dea mange des tranches de bœuf et des côtelelles de mouton, dans six mois elle sera forte comme une turque; épouse-la tout net, et fais-lui un enfant, deux enfants, trois enfants, une ribambelle d’enfants. Voilà ce que j’appelle philosopher. De plus, on est heureux, ce qui n’est pas bête. Avoir des petits, c’est là le bleu. Aie des mioches, torche-les, mouche-les, couche-les, barbouille-les et débarbouille-les, que tout cela grouille autour de toi; s’ils rient, c’est bien; s’ils gueulent, c’est mieux; crier, c’est vivre; regarde-les téter à six mois, ramper à un an, marcher à deux ans, grandir à quinze ans, aimer à vingt ans. Qui a ces joies, a tout. Moi, j’ai manqué cela, c’est ce qui fait que je suis une brûte. Le bon Dieu, un faiseur de beaux poêmes, et qui est le premier des hommes de lettres, a dicté à son collaborateur Moïse: Multipliez! Tel est le texte. Multiplie, animal. Quant au monde, il est ce qu’il est; il n’a pas besoin de toi pour aller mal. N’en prends pas souci. Ne t’occupe pas de ce qui est dehors. Laisse l’horizon tranquille. Un comédien est fait pour être regardé, non pour regarder. Sais-tu ce qu’il y a dehors? les heureux de droit. Toi, je te le répète, tu es l’heureux du hasard. Tu es le filou du bonheur dont ils sont les propriétaires. Ils sont les légitimes, tu es l’intrus, tu vis en concubinage avec la chance. Que veux-tu de plus que ce que tu as? Que Schiboleth me soit en aide! ce polisson est un maroufle. Se multiplier par Dea, c’est pourtant agréable. Une telle félicité ressemble à une escroquerie. Ceux qui ont le bonheur ici-bas par privilège de là-haut n’aiment pas qu’on se permette d’avoir tant de joie audessous d’eux. S’ils te demandaient: de quel droit es-tu heureux? tu ne saurais que répondre. Tu n’as pas de patente, eux ils en ont une. Jupiter, Allah, Vishnou, Sabaoth, n’importe, leur a donné le visa pour être heureux. Crains-les. Ne te mêle pas d’eux afin qu’ils ne se mêlent pas de toi. Sais-tu ce que c’est, misérable, que l’heureux de droit? C’est un être terrible, c’est le lord. Ah! le lord, en voilà un qui a dû intriguer dans l’inconnu du diable avant d’être au monde, pour entrer dans la vie par cette porte-là! Comme il a dû lui être difficile de naître! Il ne s’est donné que cette peine-là, mais, juste ciel! c’en est une! obtenir du destin, ce butor aveugle, qu’il vous fasse d’emblée au berceau maître des hommes! corrompre ce buraliste pour qu’il vous donne la meilleure place au spectacle! Lis le memento qui est dans la cahute que j’ai mise à la retraite, lis ce bréviaire de ma sagesse, et tu verras ce que c’est que le lord. Un lord, c’est celui qui a tout et qui est tout. Un lord est celui qui existe au-dessus de sa propre nature; un lord est celui qui a, jeune, les droits du vieillard, vieux, les bonnes fortunes du jeune homme, vicieux, le respect des gens de bien, poltron, le commandement des gens de cœur, fainéant, le fruit du travail, ignorant, le diplôme de Cambridge et d’Oxford, bête, l’admiration des poëtes, laid, le sourire des femmes, Thersite, le casque d’Achille, lièvre, la peau du lion. N’abuse pas de mes paroles, je ne dis pas qu’un lord soit nécessairement ignorant, poltron, laid, bête et vieux; je dis seulement qu’il peut être tout cela sans que cela lui fasse du tort. Au contraire. Les lords sont les princes. Le roi d’Angleterre n’est qu’un lord, le premier seigneur de la seigneurie; c’est tout, c’est beaucoup. Les rois jadis s’appelaient lords; le lord de Danemark, le lord d’Irlande, le lord des Iles. Le lord de Norvège ne s’est appelé roi que depuis trois cents ans. Lucius, le plus ancien roi d’Angleterre, était qualifié par saint Télesphore milord Lucius. Les lords sont pairs, c’est-à-dire égaux. De qui? du roi. Je ne fais pas la faute de confondre les lords avec le parlement. L’assemblée du peuple, que les saxons, avant la conquête, intitulaient wittenagemot, les normands, après la conquête, l’ont intitulée parliamentum. Peu à peu on a mis le peuple à la porte. Les lettres closes du roi convoquant les communes portaient jadis ad consilium impendendum, elles portent aujourd’hui ad consentiendum. Les communes ont le droit de consentement. Dire oui est leur liberté. Les pairs peuvent dire non. Et la preuve, c’est qu’ils l’ont dit. Les pairs peuvent couper la tête au roi, le peuple point. Le coup de hache à Charles Ier est un empiétement, non sur le roi, mais sur les pairs, et l’on a bien fait de mettre aux fourches la carcasse de Cromwell. Les lords ont la puissance, pourquoi? parce qu’ils ont la richesse. Qui est-ce qui a feuilleté le Doomsday-book? C’est la preuve que les lords possèdent l’Angleterre, c’est le registre des biens des sujets dressé sous Guillaume le Conquérant, et il est sous la garde du chancelier de l’échiquier. Pour y copier quelque chose, on paie quatre sous par ligne. C’est un fier livre. Sais-tu que j’ai été docteur domestique chez un lord qui s’appelait Marmaduke et qui avait neuf cent mille francs de France de rente par an? Tire-toi de là, affreux crétin. Sais-tu que rien qu’avec les lapins des garennes du comte Lindsey on nourrirait toute la canaille des Cinq-ports? Aussi frottez-vous-y. On y met bon ordre. Tout braconnier est pendu. Pour deux longues oreilles poilues qui passaient hors de sa gibecière, j’ai vu accrocher à la potence un père de six enfants. Telle est la seigneurie. Le lapin d’un lord est plus que l’homme du bon Dieu. Les seigneurs sont, entends-tu, maraud? et nous devons le trouver bon. Et puis si nous le trouvons mauvais, qu’est-ce que cela leur fait? Le peuple faisant des objections! Plante lui-même n’approcherait pas de ce comique. Un philosophe serait plaisant s’il conseillait à cette pauvre diablesse de multitude de se récrier contre la largeur et la lourdeur des lords. Autant faire discuter par la chenille la patte de l’éléphant. J’ai vu un jour un hippopotame marcher sur une taupinière; il écrasait tout; il était innocent. Il ne savait même pas qu’il y eût des taupes, ce gros bonasse de mastodonte. Mon cher, des taupes qu’on écrase, c’est le genre humain. L’écrasement est une loi. Et crois-tu que la taupe elle-même n’écrase rien? Elle est le mastodonte du ciron, qui est le mastodonte du volvoce. Mais ne raisonnons pas. Mon garçon, les carrosses existent. Le lord est dedans, le peuple est sous la roue, le sage se range. Mets-toi de côté, et laisse passer. Quant à moi, j’aime les lords, et je les évite. J’ai vécu chez un. Cela suffit à la beauté de mes souvenirs. Je me rappelle son château, comme une gloire dans un nuage. Moi, mes rêves sont en arrière. Rien de plus admirable que Marmaduke-Lodge pour la grandeur, la belle symétrie, les riches revenus, les ornements et les accompagnements de l’édifice. Du reste, les maisons, hôtels et palais des lords offrent un recueil de ce qu’il y a de plus grand et magnifique dans ce florissant royaume. J’aime nos seigneurs. Je les remercie d’être opulents, puissants et prospères. Moi qui suis vêtu de ténèbres, je vois avec intérêt et plaisir cet échantillon de l’azur céleste qu’on appelle un lord. On entrait à Marmaduke-Lodge par une cour extrêmement spacieuse, qui faisait un carré long partagé en huit carreaux, fermés de balustrades, laissant de tous côtés un large chemin ouvert, avec une superbe fontaine hexagone au milieu, à deux bassins, couverte d’un dôme d’un ouvrage exquis à jour, qui était suspendu sur six colonnes. C’est là que j’ai connu un docte français, M. l’abbé du Cros, qui était de la maison des Jacobins de la rue Saint-Jacques. Il y avait à Marmaduke-Lodge une moitié de la bibliothèque d’Erpenius, dont l’autre moitié est à l’auditoire de théologie de Cambridge. J’y lisais des livres, assis sous le portail qui est enjolivé. Ces choses-là ne sont ordinairement vues que par un petit nombre de voyageurs curieux. Sais-tu, ridicule boy, que monseigneur William North, qui est lord Gray de Rolleston, et qui siège le quartorzième au banc des barons, a plus d’arbres de haute futaie dans sa montagne que tu n’as de cheveux sur ton horrible caboche? Sais-tu que lord Norreys de Rycott, qui est la même chose que le comte d’Abingdon, a un donjon carré de deux cents pieds de haut portant cette devise Virtus ariete fortior, ce qui a l’air de vouloir dire la vertu est plus forte qu’un bélier, mais ce qui veut dire, imbécile! le courage est plus fort qu’une machine de guerre? Oui, j’honore, accepte, respecte et révère nos seigneurs. Ce sont les lords qui, avec la majesté royale, travaillent à procurer et à conserver les avantages de la nation. Leur sagesse consommée éclate dans les conjonctures épineuses. La préséance sur tous, je voudrais bien voir qu’ils ne l’eussent pas. Ils l’ont. Ce qui s’appelle en Allemagne principauté et en Espagne grandesse, s’appelle pairie en Angleterre et en France. Comme on était en droit de trouver ce monde assex, misérable, Dieu a senti ou le bât le blessait, il a voulu prouver qu’il savait faire des gens heureux, et il a créé les lords pour donner satisfaction aux philosophes. Cette création-là corrige l’autre, et tire d’affaire le bon Dieu. C’est pour lui une sortie décente d’une fausse position. Les grands sont grands. Un pair en parlant de lui-même dit nos. Un pair est un pluriel. Le roi qualifie les pairs consanguinei nostri. Les pairs ont fait une foule de lois sages, entre autres celle qui condamne à mort l’homme qui coupe un peuplier de trois ans. Leur suprématie est telle qu’ils ont une langue à eux. En style héraldique, le noir, qui s’appelle sable pour le peuple des nobles, s’appelle saturne pour les princes et diamant pour les pairs. Poudre de diamant, nuit étoilée, c’est le noir des heureux. Et, même entre eux, ils ont des nuances, ces hauts seigneurs. Un baron ne peut laver avec un vicomte sans sa permission. Ce sont là des choses excellentes, et qui conservent les nations. Que c’est beau pour un peuple d’avoir vingt-cinq ducs, cinq marquis, soixante-seize comtes, neuf vicomtes et soixante et un barons, qui font cent soixante-seize pairs, qui les uns sont grâce et les autres seigneurie! Après cela, quand il y aurait quelques haillons par-ci par-là! Tout ne peut pas être en or. Haillons, soit; est-ce que ne voilà pas de la pourpre? L’un achète l’autre. Il faut bien que quelque chose soit construit avec quelque chose. Eh bien, oui, il y a des indigents, la belle affaire! Ils étoffent le bonheur des opulents. Morbleu! nos lords sont notre gloire. La meute de Charles Mohun, baron Mohun, coûte à elle seule autant que l’hôpital des lépreux de Mooregate, et que l’hôpital de Christ, fondé pour les enfants en 1553 par Édouard VI. Thomas Osborne, duc de Leeds, dépense par an, rien que pour ses livrées, cinq mille guinées d’or. Les grands d’Espagne ont un gardien nommé par le roi qui les empêche de se ruiner. C’est pleutre. Nos lords, à nous, sont extravagants et magnifiques. J’estime cela. Ne déblatérons pas comme des envieux. Je sais gré à une belle vision qui passe. Je n’ai pas la lumière, mais j’ai le reflet. Reflet sur mon ulcère, diras-tu. Va-t’en au diable. Je suis un Job heureux de contempler Trimalcion. Oh! la belle planète radieuse là-haut! c’est quelque chose que d’avoir ce clair de lune. Supprimer les lords, c’est une opinion qu’Oreste n’oserait soutenir, tout insensé qu’il était. Dire que les lords sont nuisibles ou inutiles, cela revient à dire qu’il faut ébranler les états, et que les hommes ne sont pas faits pour vivre comme les troupeaux, broutant l’herbe et mordus par le chien. Le pré est tondu par le mouton, le mouton est tondu par le berger. Quoi de plus juste? A tondeur, tondeur et demi. Moi, tout m’est égal; je suis un philosophe, et je tiens à la vie comme une mouche. La vie n’est qu’un pied à terre. Quand je pense que Henry Bowes Howard, comte de Berkshire, a dans ses écuries vingt-quatre carrosses de gala, dont un à harnais d’argent et un autre à harnais d’or! Mon Dieu, je sais bien que tout le monde n’a pas vingt-quatre carrosses de gala, mais il ne faut point déclamer. Parce que tu as eu froid une nuit, ne voilà-t-il pas! Il n’y a pas que toi. D’autres aussi ont froid et faim. Sais-tu que sans ce froid Dea ne serait pas aveugle, et que si Dea n’était pas aveugle, elle ne t’aimerait pas! raisonne, buse! Et puis, si tous les gens qui sont épars se plaignaient, ce serait un beau vacarme. Silence, voilà la règle. Je suis convaincu que le bon Dieu ordonne aux damnés de se taire, sans quoi ce serait Dieu qui serait damné, d’entendre un cri éternel. Le bonheur de l’Olympe est au prix du silence du Cocyte. Donc, peuple, tais-toi. Je fais mieux, moi, j’approuve et j’admire. Tout à l’heure, j’énumérais les lords, mais il faut y ajouter deux archevêques et vingt-quatre évêques! En vérité, je suis attendri quand j’y songe. Je me rappelle avoir vu, chez le dîmeur du révérend doyen de Raphoë, lequel doyen fait partie de la seigneurie et de l’église, une vaste meule du plus beau blé prise aux paysans d’alentour et que le doyen n’avait pas eu la peine de faire pousser. Cela lui laissait le temps de prier Dieu. Sais-tu que lord Marmaduke mon maître était lord grand trésorier d’Irlande, et haut sénéchal de la souveraineté de Knaresburg dans le comté d’York! Sais-tu que le lord haut chambellan, qui est un office héréditaire dans la famille des ducs d’Ancaster, habille le roi le jour du couronnement, et reçoit pour sa peine quarante aunes de velours cramoisi, plus le lit où le roi a dormi; et que l’huissier de la verge noire est son député! Je voudrais bien te voir faire résistance à ceci, que le plus ancien vicomte d’Angleterre est le sire Robert Brent, créé vicomte par Henri V. Tous les titres des lords indiquent une souveraineté sur une terre, le comte Rivers excepté, qui a pour titre son nom de famille. Comme c’est admirable ce droit qu’ils ont de taxer les autres, et de prélever, par exemple, comme en ce moment-ci, quatre shellings par livre sterling de rente, ce qu’on vient de continuer pour un an, et tous ces beaux impôts sur les esprits distillés, sur les accises du vin et de la bière, sur le tonnage et le pondage, sur le cidre, le poiré, le mum, le malt et l’orge préparé, et sur le charbon de terre et cent autres semblables! Vénérons ce qui est. Le clergé lui-même relève des lords. L’évêque de Man est le sujet du comte de Derby. Les lords ont des bêtes féroces à eux qu’ils mettent dans leurs armoiries. Comme Dieu n’en a pas fait assez, ils en inventent. Ils ont crée le sanglier héraldique qui est autant au-dessus du sanglier que le sanglier est au-dessus du porc, et que le seigneur est au-dessus du prêtre. Ils ont créé le griffon, qui est aigle aux lions et lion aux aigles, et qui fait peur aux lions par ses ailes et aux aigles par sa crinière. Ils ont la guivre, la licorne, la serpente, la salamandre, la tarasque, la drée, le dragon, l’hippogriffe. Tout cela, terreur pour nous, leur est ornement et parure. Ils ont une ménagerie qui s’appelle le blason, et où rugissent les monstres inconnus. Pas de forêt comparable pour l’inattendu des prodiges à leur orgueil. Leur vanité est pleine de fantômes qui s’y promènent comme dans une nuit sublime, armés, casqués, cuirassés, éperonnés, le bâton d’empire à la main, et disant d’une voix grave: Nous sommes les aïeux! Les scarabées mangent les racines, et les panoplies mangent le peuple. Pourquoi pas? Allons-nous changer les lois? La seigneurie fait partie de l’ordre. Sais-tu qu’il y a un duc en Écosse qui galope trente lieues sans sortir de chez lui? Sais-lu que le lord archevêque de Canterbury a un million de France de revenu? Sais-tu que sa majesté a par an sept cent mille livres sterling de liste civile, sans compter les châteaux, forêts, domaines, fiefs, tenances, alleux, prébendes, dîmes et redevances, confiscations et amendes, qui dépassent un million sterling? Ceux qui ne sont pas contents sont difficiles.
—Oui, murmura Gwynplaine pensif, c’est de l’enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches.
Puis Dea entra; il la regarda, et ne vit plus qu’elle. L’amour est ainsi; on peut être envahi un moment par une obsession de pensées quelconques; la femme qu’on aime arrive, et fait brusquement évanouir tout ce qui n’est pas sa présence, sans se douter qu’elle efface peut-être en nous un monde.
Disons ici un détail. Dans Chaos vaincu, un mot, monstre, adressé à Gwynplaine, déplaisait à Dea. Quelquefois, avec le peu d’espagnol que tout le monde savait dans ce temps-là, elle faisait le petit coup de tête de le remplacer par quiero, qui signifie je le veux, Ursus tolérait, non sans quelque impatience, ces altérations du texte. Il eût volontiers dit à Dea, comme de nos jours Moëssard à Vissot: Tu manques de respect au répertoire.
«L’Homme qui rit». Telle était la forme qu’avait prise la célébrité de Gwynplaine. Son nom, Gwynplaine, à peu près ignoré, avait disparu sous ce sobriquet, de même que sa face sous le rire. Sa popularité était comme son visage un masque.
Son nom pourtant se lisait sur un large écriteau placardé à l’avant de la Green-Box, lequel offrait à la foule cette rédaction due à Ursus:
«Ici l’on voit Gwynplaine, abandonné à l’âge de dix ans, la nuit du 29 janvier 1690, par les scélérats comprachicos, au bord de la mer à Portland, de petit devenu grand, et aujourd’hui appelé
«L’HOMME QUI RIT.»
L’existence de ces saltimbanques était une existence de lépreux dans une ladrerie et de bienheureux dans une atlanlide. C’était chaque jour un brusque passage de l’exhibition foraine la plus bruyante à l’abstraction la plus complète. Tous les soirs ils faisaient leur sortie de ce monde. C’étaient comme des morts qui s’en allaient, quitte à renaître le lendemain. Le comédien est un phare à éclipses, apparition, puis disparition, et il n’existe guère pour le public que comme fantôme et lueur dans cette vie à feux tournants.
Au carrefour succédait la claustration. Sitôt le spectacle fini, pendant que l’auditoire se désagrégeait et que le brouhaha de satisfaction de la foule se dissipait dans la dispersion des rues, la Green-Box redressait son panneau comme une forteresse son pont-levis, et la communication avec le genre humain était coupée. D’un côté l’univers et de l’autre cette baraque; et dans cette baraque il y avait la liberté, la bonne conscience, le courage, le dévouement, l’innocence, le bonheur, l’amour, toutes les constellations.
La cécité voyante et la difformité aimée s’asseyaient côte à côte, la main pressant la main, le front touchant le front, et, ivres, se parlaient tout bas.
Le compartiment du milieu était à deux fins; pour le public théâtre, pour les acteurs salle à manger.
Ursus, toujours satisfait de placer une comparaison, profitait de celle diversité de destination pour assimiler le compartiment central de la Green-Box à l’arradash d’une hutte abyssinienne.
Ursus comptait la recette, puis l’on soupait. Pour l’amour tout est de l’idéal, et boire et manger ensemble quand on aime, cela admet toutes sortes de douces promiscuités furtives qui font qu’une bouchée devient un baiser. On boit l’ale ou le vin au même verre, comme on boirait la rosée au même lys. Deux âmes, dans l’agape, ont la même grâce que deux oiseaux. Gwynplaine servait Dea, lui coupait les morceaux, lui versait à boire, s’approchait trop près.
—Hum! disait Ursus, et il détournait son grondement achevé malgré lui en sourire.
Le loup, sous la table, soupait, inattentif à ce qui n’était point son os.
Vinos et Fibi partageaient le repas, mais gênaient peu. Ces deux vagabondes, à demi sauvages et restées effarées, parlaient bréhaigne entre elles.
Ensuite Dea rentrait au gynécée avec Fibi et Vinos. Ursus allait mettre Homo à la chaîne sous la Green-Box, et Gwynplaine s’occupait des chevaux, et d’amant devenait palefrenier, comme s’il eût été un héros d’Homère ou un paladin de Charlemagne. A minuit, tout dormait, le loup excepté, qui de temps en temps, pénétré de sa responsabilité, ouvrait un œil.
Le lendemain, au réveil, on se retrouvait; on déjeunait ensemble, habituellement de jambon et de thé; le thé, en Angleterre, date de 1678. Puis Dea, à la mode espagnole, et par le conseil d’Ursus qui la trouvait délicate, dormait quelques heures, pendant que Gwynplaine et Ursus faisaient tous les petits travaux du dehors et du dedans qu’exigé la vie nomade.
Il était rare que Gwynplaine rôdât hors de la Green-Box, excepté dans les routes désertes et les lieux solitaires. Dans les villes, il ne sortait qu’à la nuit, caché par un large chapeau rabattu, afin de ne point user son visage dans la rue.
On ne le voyait à face découverte que sur le théâtre.
Du reste la Green-Box avait peu fréquenté les villes; Gwynplaine, à vingt-quatre ans, n’avait guère vu de plus grandes cités que les Cinq-ports. Sa renommée cependant croissait. Elle commençait à déborder la populace, et elle montait plus haut. Parmi les amateurs de bizarreries foraines et les coureurs de curiosités et de prodiges, on savait qu’il existait quelque part, à l’état de vie errante, tantôt ici, tantôt là, un masque extraordinaire. On en parlait, on le cherchait, on se demandait: Où est-ce? L’Homme qui Rit devenait décidément fameux. Un certain lustre, en rejaillissait sur Chaos vaincu.
Tellement qu’un jour Ursus, ambitieux, dit
—Il faut aller à Londres.
Londres n’avait à cette époque qu’un pont, le Pont de Londres, avec des maisons dessus. Ce pont reliait à Londres Southwark, faubourg pavé et caillouté avec des galets de la Tamise, tout en ruettes et ruelles, ayant des lieux fort serrés et, comme la cité, quantité de bâtisses, logis et cahutes de bois, pêle-mêle combustible où l’incendie a ses aises. 1666 l’avait prouvé.
Southwark alors se prononçait Soudric; aujourd’hui on prononce Sousouorc, à peu près. Du reste, une excellente manière de prononcer les noms anglais, c’est de ne pas les prononcer du tout. Ainsi, Southampton, dites Stpntn.
C’était le temps où Chatam se prononçait Je t’aime.
Le Southwark de ce temps-là ressemble au Southwark d’aujourd’hui comme Vaugirard ressemble à Marseille. C’était un bourg; c’est une ville. Pourtant il s’y faisait un grand mouvement de navigation. Dans un long vieux mur cyclopéen sur la Tamise étaient scellés des anneaux où s’amarraient les coches de rivière. Ce mur s’appelait le mur d’Effroc ou Effroc-Stone. York, quand elle était saxonne, s’appelait Effroc. La légende contait qu’un duc d’Effroc s’était noyé au pied de ce mur. L’eau en effet y était assez profonde pour un duc. A mer basse il y avait encore six bonnes brasses. L’excellence de ce petit mouillage attirait les navires de mer, et la vieille panse de Hollande, dite la Vograat, venait s’amarrer à l’Effroc-Stone. La Vograat faisait directement une fois par semaine la traversée de Londres à Rotterdam et de Rotterdam à Londres. D’autres coches partaient deux fois par jour, soit pour Deptfort, soit pour Greenwich, soit pour Gravesend, descendant par une marée et remontant par l’autre. Le trajet jusqu’à Gravesend, quoique de vingt milles, se faisait en six heures.
La Vograat était d’un modèle qu’on ne voit plus aujourd’hui que dans les musées de marine. Cette panse était un peu une jonque. En ce temps-là, pendant que la France copiait la Grèce, la Hollande copiait la Chine. La Vograat, lourde coque à deux mâts, était cloisonnée étanche perpendiculairement, avec une chambre très creuse au milieu du bâtiment et deux tillacs, l’un à l’avant, l’autre à l’arrière, pontés ras, comme les vaisseaux de fer à tourelle d’aujourd’hui, ce qui avait l’avantage de diminuer la prise du flot sur le navire dans les gros temps, et l’inconvénient d’exposer l’équipage aux coups de mer, à cause de l’absence de parapet. Rien n’arrêtait au bord celui qui allait tomber. De là de fréquentes chutes et des pertes d’hommes qui ont fait abandonner ce gabarit. La pause Vograat allait droit en Hollande et ne faisait même pas escale à Gravesend.
Une antique corniche de pierre, roche autant que maçonnerie, longeait le bas de l’Effroc-Stone, et, praticable à toute mer, facilitait l’abord des bateaux amarrés au mur. Le mur était de distance en distance coupé d’escaliers. Il marquait la pointe sud de Southwark. Un remblai permettait aux passants de s’accouder au haut de l’Effroc-Stone comme au parapet d’un quai. De là on voyait la Tamise. De l’autre côté de l’eau, Londres cessait. Il n’y avait plus que des champs.
En amont de l’Effroc-Stone, au coude de la Tamise, presque vis-à-vis le palais de Saint-James, derrière Lambeth-House, non loin de la promenade appelée alors Foxhall (vaux-hall probablement), il y avait, entre une poterie où l’on faisait de la porcelaine et une verrerie où l’on faisait des bouteilles peintes, un de ces vastes terrains vagues où l’herbe pousse, appelés autrefois en France cultures et mails, et en Angleterre bowling-greens. De bowling-green, tapis vert à rouler une boule, nous avons fait boulingrin. On a aujourd’hui ce pré-là dans sa maison; seulement on le met sur une table, il est en drap au lieu d’être en gazon, et on l’appelle billard.
Du reste, on ne voit pas pourquoi, ayant boulevard (boule-vert), qui est le même mot que bowling-green, nous nous sommes donné boulingrin. Il est surprenant qu’un personnage grave comme le dictionnaire ait de ces luxes inutiles.
Le bowling-green de Southwark s’appelait Tarrinzeau-field, pour avoir appartenu jadis aux barons Hastings, qui sont barons Tarrinzeau and Mauchline. Des lords Hastings, le Tarrinzeau-field avait passé aux lords Tadcaster, lesquels l’avaient exploité en lieu public, ainsi que plus tard un duc d’Orléans a exploité le Palais-Royal. Puis le Tarrinzeau-field était devenu vaine pâture et propriété paroissiale.
Le Tarrinzeau-field était une sorte de champ de foire permanent, encombré d’escamoteurs, d’équilibristes, de bateleurs, et de musiques sur des tréteaux, et toujours plein d’imbéciles qui «viennent regarder le diable», comme disait l’archevêque Sharp. Regarder le diable, c’est aller au spectacle.
Plusieurs inns, qui prenaient et envoyaient du public à ces théâtres forains, s’ouvraient sur cette place fériée toute l’année et y prospéraient. Ces inns étaient de simples échoppes, habitées seulement le jour. Le soir le tavernier mettait dans sa poche la clef de la taverne, et s’en allait. Un seul de ces inns était une maison. Il n’y avait pas d’autre logis dans tout le bowling-green, les baraques du champ de foire pouvant toujours disparaître d’un moment à l’autre, vu l’absence d’attache et le vagabondage de tous ces saltimbanques. Les bateleurs ont une vie déracinée.
Cet inn, appelé l’inn Tadcaster, du nom des anciens seigneurs, plutôt auberge que taverne, et plutôt hôtellerie qu’auberge, avait une porte cochère et une assez grande cour.
La porte cochère, ouvrant de la cour sur la place, était la porte légitime de l’auberge Tadcaster, et avait à côté d’elle une porte bâtarde par où l’on entrait. Qui dit bâtarde dit préférée. Cette porte basse était la seule par où l’on passât. Elle donnait dans le cabaret proprement dit, qui était un large galetas enfumé, garni de tables et bas de plafond. Elle était surmontée d’une fenêtre au premier étage, aux ferrures de laquelle était ajustée et pendue l’enseigne de l’inn. La grande porte, barrée et verrouillée à demeure, restait fermée.
Il fallait traverser le cabaret pour entrer dans la cour.
Il y avait dans l’inn Tadcaster un maître et un boy. Le maître s’appelait maître Nicless. Le boy s’appelait Govicum. Maître Nicless,—Nicolas sans doute, qui devient par la prononciation anglaise Nicless,—était un veuf avare et tremblant et ayant le respect des lois. Du reste, poilu aux sourcils et sur les mains. Quant au garçon de quatorze ans qui versait à boire et répondait au nom de Govicum, c’était une grosse tête joyeuse avec un tablier. Il était tondu ras, signe de servitude.
Il couchait au rez-de-chaussée, dans un réduit où l’on avait jadis mis un chien. Ce réduit avait pour fenêtre une lucarne ouvrant sur le bowling-green.
Un soir qu’il faisait grand vent, et assez froid, et qu’on avait toutes les raisons du monde de se hâter dans la rue, un homme qui cheminait dans le Tarrinzeau-field, sous le mur de l’auberge Tadcaster, s’arrêta brusquement. On était dans les derniers mois de l’hiver de 1704 à 1705. Cet homme, dont les vêtements indiquaient un matelot, était de bonne mine et de belle taille, ce qui est prescrit aux gens de cour et n’est pas défendu aux gens du peuple. Pourquoi s’était-il arrêté? Pour écouter. Qu’écoutait-il? Une voix qui parlait probablement dans une cour, de l’autre côté du mur, voix un peu sénile, mais pourtant si haute, qu’elle venait jusqu’aux passants dans la rue. En même temps, on entendait, dans l’enclos où la voix pérorait, un bruit de foule. Cette voix disait:
—Hommes et femmes de Londres, me voici. Je vous félicite cordialement d’être anglais. Vous êtes un grand peuple. Je dis plus, vous êtes une grande populace. Vos coups de poing sont encore plus beaux que vos coups d’épée. Vous avez de l’appétit. Vous êtes la nation qui mange les autres. Fonction magnifique. Cette succion du monde classe à part l’Angleterre. Comme politique et philosophie, et maniement des colonies, populations, et industries, et comme volonté de faire aux autres du mal qui est pour soi du bien, vous êtes particuliers et surprenants. Le moment approche où il y aura sur la terre deux écriteaux; sur l’un on lira: Côté des hommes; sur l’autre on lira: Côté des anglais. Je constate ceci à votre gloire, moi qui ne suis ni anglais, ni homme, ayant l’honneur d’être un docteur. Cela va ensemble. Gentlemen, j’enseigne. Quoi? Deux espèces de choses, celles que je sais et celles que j’ignore. Je vends des drogues et je donne des idées. Approchez, et écoutez. La science vous y convie. Ouvrez votre oreille. Si elle est petite, elle tiendra peu de vérité; si elle est grande, beaucoup de stupidité y entrera. Donc, attention. J’enseigne la Pseudodoxia Epidemica. J’ai un camarade qui fait rire, moi je fais penser. Nous habitons la même boîte, le rire étant d’aussi bonne famille que le savoir. Quand on demandait à Démocrite: Comment savez-vous? il répondait: Je ris. Et moi, si l’on me demande: Pourquoi riez-vous? je répondrai: Je sais. Du reste, je ne ris pas. Je suis le rectificateur des erreurs populaires. J’entreprends le nettoyage de vos intelligences. Elles sont malpropres. Dieu permet que le peuple se trompe et soit trompé. Il ne faut pas avoir de pudeurs bêtes; j’avoue franchement que je crois en Dieu, même quand il a tort. Seulement, quand je vois des ordures,—les erreurs sont des ordures,—je les balaie. Comment sais-je ce que je sais? Cela ne regarde que moi. Chacun prend la science comme il peut. Lactance faisait des questions à une tête de Virgile en bronze qui lui répondait; Sylvestre II dialoguait avec les oiseaux; les oiseaux parlaient-ils? le pape gazouillait-il? Questions. L’enfant mort du rabbin Éléazar causait avec saint Augustin. Entre nous, je doute de tous ces faits, excepté du dernier. L’enfant mort parlait, soit; mais il avait sous la langue une lame d’or, où étaient gravées diverses constellations. Donc il trichait. Le fait s’explique. Vous voyez ma modération. Je sépare le vrai du faux. Tenez, voici d’autres erreurs que vous partagez sans doute, pauvres gens du peuple, et dont je désire vous dégager. Dioscoride croyait qu’il y avait un dieu dans la jusquiame, Chrysippe dans le cynopaste, Josèphe dans la racine bauras, Homère dans la plante moly. Tous se trompaient. Ce qui est dans ces herbes, ce n’est pas un dieu, c’est un démon. Je l’ai vérifié. Il n’est pas vrai que le serpent qui tenta Ève eût, comme Cadmus, une face humaine. Garcias de Horto, Cadamosto et Jean Hugo, archevêque de Trèves, nient qu’il suffise de scier un arbre pour prendre un éléphant. J’incline à leur avis. Citoyens, les efforts de Lucifer sont la cause des fausses opinions. Sous le règne d’un tel prince, il doit paraître des météores d’erreur et de perdition. Peuple, Claudius Pulcher ne mourut pas parce que les poulets refusèrent de sortir du poulailler; la vérité est que Lucifer ayant prévu la mort de Claudius Pulcher prit soin d’empêcher ces animaux de manger. Que Belzébuth ait donné à l’empereur Vespasien la vertu de redresser les boiteux et de rendre la vue aux aveugles en les touchant, c’était une action louable en soi, mais dont le motif était coupable. Gentlemen, défiez-vous des faux savants qui exploitent la racine de brioine et la couleuvrée blanche, et qui font des collyres avec du miel et du sang de coq. Sachez voir clair dans les mensonges. Il n’est point exact qu’Orion soit né d’un besoin naturel de Jupiter; la vérité est que ce fut Mercure qui produisit cet astre de cette façon. Il n’est pas vrai qu’Adam eût un nombril. Quand saint Georges a tué un dragon, il n’avait pas près de lui la fille d’un saint. Saint Jérôme dans son cabinet n’avait pas sur sa cheminée une pendule; premièrement, parce qu’étant dans une grotte, il n’avait pas de cabinet; deuxièmement, parce qu’il n’avait pas de cheminée; troisièmement, parce que les pendules n’existaient pas. Rectifions. Rectifions. O gentils qui m’écoutez, si l’on vous dit que quiconque flaire l’herbe valériane, il lui naît un lézard dans le cerveau, que dans sa putréfaction le bœuf se change en abeilles et le cheval en frelons, que l’homme pèse plus mort que vivant, que le sang de bouc dissout l’émeraude, qu’une chenille, une mouche et une araignée aperçues sur le même arbre annoncent la famine, la guerre et la peste, qu’on guérit le mal caduc au moyen d’un ver qu’on trouve dans la tête du chevreuil, n’en croyez rien, ce sont des erreurs. Mais voici des vérités: la peau de veau marin garantit du tonnerre; le crapaud se nourrit de terre, ce qui lui fait venir une pierre dans la tête; la rose de Jéricho fleurit la veille de Noël; les serpents ne peuvent supporter l’ombre du frêne; l’éléphant n’a pas de jointures et est forcé de dormir debout contre un arbre; faites couver par un crapaud un œuf de coq, vous aurez un scorpion qui vous fera une salamandre; un aveugle recouvre la vue en mettant une main sur le côté gauche de l’autel et l’autre main sur ses yeux; la virginité n’exclut pas la maternité. Braves gens, nourrissez-vous de ces évidences. Sur ce, vous pouvez croire en Dieu de deux façons, ou comme la soif croit à l’orange, ou comme l’âne croit au fouet. Maintenant je vais vous présenter mon personnel.
Ici un coup de vent assez violent secoua les chambranles, et les volets de l’inn, qui était une maison isolée. Cela fit une espèce de long murmure céleste. L’orateur attendit un moment, puis reprit le dessus.
—Interruption. Soit. Parle, aquilon. Gentlemen, je ne me fâche pas. Le vent est loquace, comme tous les solitaires. Personne ne lui tient compagnie là-haut. Alors il bavarde. Je reprends mon fil. Vous contemplez ici des artistes associés. Nous sommes quatre. A lupo principium. Je commence par mon ami qui est un loup. Il ne s’en cache pas. Voyez-le. Il est instruit, grave et sagace. La providence a probablement eu un moment l’idée d’en faire un docteur d’université; mais il faut pour cela être un peu bête, et il ne l’est pas. J’ajoute qu’il est sans préjugés et point aristocrate. Il cause dans l’occasion avec une chienne, lui qui aurait droit à une louve. Ses dauphins, s’il en a eu, mêlent probablement avec grâce le jappement de leur mère au hurlement de leur père. Car il hurle. Il faut hurler avec les hommes. Il aboie aussi, par condescendance pour la civilisation. Adoucissement magnanime. Homo est un chien perfectionné. Vénérons le chien. Le chien,—quelle drôle de bête!—a sa sueur sur sa langue et son sourire dans sa queue. Gentlemen, Homo égale en sagesse et surpasse en cordialité le loup sans poil du Mexique, l’admirable xoloitzeniski. J’ajoute qu’il est humble. Il a la modestie d’un loup utile aux humains. Il est secourable et charitable, silencieusement. Sa patte gauche ignore la bonne action qu’a faite sa patte droite. Tels sont ses mérites. De cet autre, mon deuxième ami, je ne dis qu’un mot; c’est un monstre. Vous l’admirerez. Il fut jadis abandonné par des pirates sur les bords du sauvage océan. Celle-ci est une aveugle. Est-ce une exception? Non. Nous sommes tous des aveugles. L’avare est un aveugle; il voit l’or et ne voit pas la richesse. Le prodigue est un aveugle; il voit le commencement et ne voit pas la fin. La coquette est une aveugle; elle ne voit pas ses rides. Le savant est un aveugle; il ne voit pas son ignorance. L’honnête homme est un aveugle; il ne voit pas le coquin. Le coquin est un aveugle; il ne voit pas Dieu. Dieu est un aveugle; le jour où il a créé le monde, il n’a pas vu que le diable se fourrait dedans. Moi je suis un aveugle; je parle, et je ne vois pas que vous êtes des sourds. Cette aveugle-ci, qui nous accompagne, est une prêtresse mystérieuse. Vesta lui eût confié son tison. Elle a dans le caractère des obscurités douces comme les hiatus qui s’ouvrent dans la laine d’un mouton. Je la crois fille de roi, sans l’affirmer. Une louable défiance est l’attribut du sage. Quant à moi, je ratiocine et je médicamente. Je pense et je panse. Chirurgus sum. Je guéris les fièvres, miasmes et pestes. Presque toutes nos phlegmasies et souffrances sont des exutoires, et, bien soignées, nous débarrassent gentiment d’autres maux qui seraient pires. Nonobstant, je ne vous conseille pas d’avoir un anthrax, autrement dit carbuncle. C’est une maladie bête qui ne sert à rien. On en meurt, mais c’est tout. Je ne suis pas inculte ni rustique. J’honore l’éloquence et la poésie, et je vis avec ces déesses dans une intimité innocente. Et je termine par un avis. Gentlemen et gentlewomen, en vous, du côté d’où vient la lumière, cultivez la vertu, la modestie, la probité, la justice et l’amour. Chacun ici-bas peut, comme cela, avoir son petit pot de fleurs sur sa fenêtre. Milords et messieurs, j’ai dit. Le spectacle va commencer.
L’homme, matelot probable, qui écoutait du dehors, entra dans la salle basse de l’inn, la traversa, paya quelque monnaie qu’on lui demanda, pénétra dans une cour pleine de public, aperçut au fond de la cour une baraque à roues, toute grande ouverte, et vit sur ce tréteau un homme vieux vêtu d’une peau d’ours, un homme jeune qui avait l’air d’un masque, une fille aveugle, et un loup.
—Vivedieu! s’écria-t-il, voilà d’admirables gens.
La Green-Box, on vient de la reconnaître, était arrivée à Londres. Elle s’était établie à Southwark. Ursus avait été attiré par le bowling-green, lequel avait cela d’excellent, que la foire n’y chômait jamais; pas même en hiver.
Voir le dôme de Saint-Paul avait été agréable à Ursus.
Londres, à tout prendre, est une ville qui a du bon. Avoir dédié une cathédrale à saint Paul, c’est de la bravoure. Le vrai saint cathédral est saint Pierre. Saint Paul est suspect d’imagination, et, en matière ecclésiastique, imagination signifie hérésie. Saint Paul n’est saint qu’avec des circonstances atténuantes. Il n’est entré au ciel que par la porte des artistes.
Une cathédrale est une enseigne. Saint Pierre indique Rome, la ville du dogme; saint Paul signale Londres, la ville du schisme.
Ursus, dont la philosophie avait de si grands bras qu’elle contenait tout, était homme à apprécier ces nuances, et son attrait pour Londres venait peut-être d’un certain goût pour saint Paul.
La grande cour de l’inn Tadcaster avait fixé le choix d’Ursus. La Green-Box semblait prévue par cette cour; c’était un théâtre tout construit. Cette cour était carrée, et bâtie de trois côtés, avec un mur faisant vis-à-vis aux étages, et auquel on adossa la Green-Box, introduite grâce aux vastes dimensions de la porte cochère. Un grand balcon de bois, couvert d’un auvent et porté sur poteaux, lequel desservait les chambres du premier étage, s’appliquait sur les trois pans de la façade intérieure de cette cour, avec deux retours en équerre. Les fenêtres du rez-de-chaussée firent les baignoires, le pavé de la cour fit le parterre, et le balcon fit le balcon. La Green-Box, rangée contre le mur, avait devant elle cette salle de spectacle. Cela ressemblait beaucoup au Globe, où furent joués Othello, le Roi Lear et la Tempête.
Dans un recoin, en arrière de la Green-Box, il y avait une écurie.
Ursus avait pris ses arrangements avec le tavernier, maître Nicless, qui, vu le respect des lois, n’admit le loup qu’en payant plus cher. L’écriteau «GWYNPLAINE—L’HOMME QUI RIT», décroché de la Green-Box, avait été accroché près de l’enseigne de l’inn. La salle-cabaret avait, on le sait, une porte intérieure qui donnait sur la cour. A côté de cette porte fut improvisée, au moyen d’un tonneau éventré, une logette pour «la buraliste», qui était tantôt Fibi, tantôt Vinos. C’était à peu près comme aujourd’hui. Qui entre paie. Sous l’écriteau L’HOMME QUI RIT fut pendue à deux clous une planche peinte en blanc, portant, charbonné en grosses lettres, le titre de la grande pièce d’Ursus, Chaos vaincu.
Au centre du balcon, précisément en face de la Green-Box, un compartiment, qui avait pour entrée principale une porte-fenêtre, avait été réservé entre deux cloisons «pour la noblesse».
Il était assez large pour contenir, sur deux rangs, dix spectateurs.
—Nous sommes à Londres, avait dit Ursus. Il faut s’attendre à de la gentry.
Il avait fait meubler cette «loge» des meilleures chaises de l’inn, et placer au centre un grand fauteuil de velours d’Utrecht bouton d’or à dessins cerise pour le cas où quelque femme d’alderman viendrait.
Les représentations avaient commencé.
Tout de suite, la foule vint.
Mais le compartiment pour la noblesse resta vide.
A cela près, le succès fut tel que de mémoire de saltimbanque on n’en avait pas vu de pareil. Tout Southwark accourut en cohue admirer l’Homme qui Rit.
Les baladins et bateleurs de Tarrinzeau-field furent effarés de Gwynplaine. Un épervier s’abattant dans une cage de chardonnerets et leur becquetant leur mangeoire, tel fut l’effet. Gwynplaine leur dévora leur public.
Outre le menu peuple des avaleurs de sabres et des grimaciers, il y avait sur le bowling-green de vrais spectacles. Il y avait un circus à femmes retentissant du matin au soir d’une sonnerie magnifique de toutes sortes d’instruments, psaltérions, tambours, rubèbes, micamons, timbres, chalumelles, dulcaynes, gingues, chevrettes, cornemuses, cornets d’Allemagne, eschaqueils d’Angleterre, pipes, fistules, flajos et flageolets. Il y avait sous une large tente ronde des sauteurs que n’eussent point égalés nos coureurs actuels des Pyrénées, Dulma, Bordenave et Meylonga, lesquels du pic de Pierrefitte descendent au plateau du Limaçon, ce qui est presque tomber. Il y avait une ménagerie ambulante où l’on voyait un tigre bouffe, qui, fouaillé par un belluaire, tâchait de lui happer son fouet et d’en avaler la mèche. Ce comique à gueules et à griffes fut lui-même éclipsé.
Curiosité, applaudissements, recettes, foule, l’Homme qui Rit prit tout. En un clin d’œil ce fut fait. Il n’y eut plus que la Green-Box.
—Chaos vaincu est Chaos vainqueur, disait Ursus, se mettant de moitié dans le succès de Gwynplaine, et tirant la nappe à lui, comme on dit en langue cabotine.
Le succès de Gwynplaine fut prodigieux. Pourtant il resta local. Passer l’eau est difficile pour une renommée. Le nom de Shakespeare a mis cent trente ans à venir d’Angleterre en France; l’eau est une muraille, et si Voltaire, ce qu’il a bien regretté plus tard, n’avait pas fait à Shakespeare la courte échelle, Shakespeare, à l’heure qu’il est, serait peut-être encore de l’autre côté du mur, en Angleterre, captif d’une gloire insulaire.
La gloire de Gwynplaine ne passa point le pont de Londres. Elle ne prit point les dimensions d’un écho de grande ville. Du moins dans les premiers temps. Mais Southwark peut suffire à l’ambition d’un clown. Ursus disait:—La sacoche des recettes, comme une fille qui a fait une faute, grossit à vue d’œil.
On jouait Ursus Rursus, puis Chaos vaincu.
Dans les entr’actes, Ursus justifiait sa qualité d’engastrimythe et faisait de la ventriloquie transcendante; il imitait toute voix qui s’offrait dans l’assistance, un chant, un cri, à ébahir par la ressemblance le chanteur ou le crieur lui-même, et parfois il copiait le brouhaha du public, et il soufflait comme s’il eût été à lui seul un tas de gens. Talents remarquables.
En outre, il haranguait, on vient de le voir, comme Cicéron, vendait des drogues, soignait les maladies et même guérissait les malades.
Southwark était captivé.
Ursus était satisfait des applaudissements de Southwark, mais il n’en était point étonné.
—Ce sont les anciens trinobantes, disait-il.
Et il ajoutait:
—Que je ne confonds point, pour la délicatesse du goût, avec les atrobates qui ont peuplé Berks, les belges qui ont habité le Somerset, et les parisiens qui ont fondé York.
A chaque représentation, la cour de l’inn, transformée en parterre, s’emplissait d’un auditoire déguenillé et enthousiaste. C’étaient des bateliers, des porte-chaises, des charpentiers de bord, des cochers de coches de rivière, des matelots frais débarqués dépensant leur solde en ripailles et en filles. Il y avait des estafiers, des ruffians, et des gardes noirs, qui sont des soldats condamnés pour quelque faute disciplinaire à porter leur habit rouge retourné du côté de la doublure noire, et nommés pour cela blackquards, d’où nous avons fait blagueurs. Tout cela affluait de la rue dans le théâtre et refluait du théâtre dans la salle à boire. Les chopes bues ne nuisaient pas au succès.
Parmi ces gens qu’on est convenu d’appeler «la lie», il y en avait un plus haut que les autres, plus grand, plus fort, moins pauvre, plus carré d’épaules, vêtu comme le commun du peuple, mais pas déchiré, admirateur à tout rompre, se faisant place à coups de poing, ayant une perruque à la diable, jurant, criant, gouaillant, point malpropre, et au besoin pochant un œil et payant bouteille.
Cet habitué était le passant dont on a entendu tout à l’heure le cri d’enthousiasme.
Ce connaisseur immédiatement fasciné avait tout de suite adopté l’Homme qui Rit. Il ne venait pas à toutes les représentations. Mais quand il venait, il était le «traîner» du public; les applaudissements se changeaient en acclamations; le succès allait, non aux frises, il n’y en avait pas, mais aux nues, il y en avait. Mais ces nues, vu l’absence de plafond, pleuvaient quelquefois sur le chef-d’œuvre d’Ursus.
Si bien qu’Ursus remarqua cet homme et que Gwynplaine le regarda.
C’était un fier ami inconnu qu’on avait là!
Ursus et Gwynplaine voulurent le connaître, ou du moins savoir qui c’était.
Ursus un soir, de la coulisse, qui était la porte de la cuisine de la Green-Box, ayant par hasard maître Nicless l’hôtelier près de lui, lui montra l’homme mêlé à la foule, et lui demanda:
—Connaissez-vous cet homme?
—Sans doute.
—Qu’est-ce?
—Un matelot.
—Comment s’appelle-t-il? dit Gwynplaine, intervenant.
—Tom-Jim-Jack, répondit l’hôtelier.
Puis, tout en redescendant l’escalier marchepied de l’arrière de la Green-Box pour rentrer dans l’inn, maître Nicless laissa tomber cette réflexion, profonde à perte de vue:
—Quel dommage qu’il ne soit pas lord! ce serait une fameuse canaille.
Du reste, quoique installé dans une hôtellerie, le groupe de la Green-Box n’avait rien modifié de ses mœurs, et maintenait son isolement. A cela près de quelques mots échangés ça et là avec le tavernier, ils ne se mêlaient point aux habitants, permanents ou passagers, de l’auberge, et ils continuaient de vivre entre eux.
Depuis qu’on était à Southwark, Gwynplaine avait pris l’habitude, après le spectacle, après le souper des gens et des chevaux, d’aller, pendant qu’Ursus et Dea se couchaient chacun de son côté, respirer un peu le grand air dans le bowling-green entre onze heures et minuit. Un certain vague qu’on a dans l’esprit pousse aux promenades nocturnes et aux flâneries étoilées; la jeunesse est une attente mystérieuse; c’est pourquoi on marche volontiers la nuit, sans but. A cette heure-là, il n’y avait plus personne dans le champ de foire, tout au plus quelques titubations d’ivrognes faisant des silhouettes chancelantes dans les coins obscurs; les tavernes vides se fermaient, la salle basse de l’auberge Tadcaster s’éteignait, ayant à peine dans quelque angle une dernière chandelle éclairant un dernier buveur, une lueur indistincte sortait entre les chambranles de l’inn entr’ouvert, et Gwynplaine, pensif, content, songeant, heureux d’un divin bonheur trouble, allait et venait devant cette porte entre-bâillée. A quoi pensait-il? à Dea, à rien, à tout, aux profondeurs. Il s’écartait peu de l’auberge, retenu, comme par un fil, près de Dea. Faire quelques pas dehors lui suffisait.
Puis il rentrait, trouvait toute la Green-Box endormie, et s’endormait.
Le succès n’est pas aimé, surtout par ceux dont il est la chute. Il est rare que les mangés adorent les mangeurs. L’Homme qui Rit, décidément, faisait événement. Les bateleurs d’alentour étaient indignés. Un succès de théâtre est un siphon, pompe la foule, et fait le vide autour de lui. La boutique en face est éperdue. A la hausse des recettes de la Green-Box avait tout de suite correspondu, nous l’avons dit, une baisse dans les recettes environnantes. Brusquement, les spectacles, jusqu’alors fêtés, chômèrent. Ce fut comme un étiage se marquant en sens inverse, mais avec une concordance parfaite, la crue ici, la diminution là. Tous les théâtres connaissent ces effets de marée; elle n’est haute chez celui-ci qu’à la condition d’être basse chez celui-là. La fourmilière foraine, qui exhibait ses talents et ses fanfares sur les tréteaux circonvoisins, se voyant ruinée par l’Homme qui Rit, entra en désespoir, mais fut éblouie. Tous les grimes, tous les clowns, tous les bateleurs enviaient Gwynplaine. En voilà un qui est heureux d’avoir un mufle de bête féroce! Des mères baladines et danseuses de cordes, qui avaient de jolis enfants, les regardaient avec colère en montrant Gwynplaine et en disant: Quel dommage que tu n’aies pas une figure comme cela! Quelques-unes battaient leurs petits de fureur de les trouver beaux. Plus d’une, si elle eût su le secret, eût arrangé son fils «à la Gwynplaine». Une tête d’ange qui ne rapporte rien ne vaut pas une face de diable lucrative. On entendit un jour la mère d’un petit qui était un chérubin de gentillesse et qui jouait les cupidons, s’écrier:—On nous a manqué nos enfants. Il n’y a que ce Gwynplaine de réussi. Et, montrant le poing à son fils, elle ajouta:—Si je connaissais ton père, je lui ferais une scène!
Gwynplaine était une poule aux œufs d’or. Quel merveilleux phénomène! Ce n’était qu’un cri dans toutes les baraques. Les saltimbanques, enthousiasmés et exaspérés, contemplaient Gwynplaine en grinçant des dents. La rage admire, cela s’appelle l’envie. Alors elle hurle. Ils essayèrent de troubler Chaos vaincu, firent cabale, sifflèrent, grognèrent, huèrent. Cela fut pour Ursus un motif de harangues hortensiennes à la populace, et pour l’ami Tom-Jim-Jack une occasion de donner quelques-uns de ces coups de poing qui rétablissent l’ordre. Les coups de poing de Tom-Jim-Jack achevèrent de le faire remarquer par Gwynplaine et estimer par Ursus. De loin, du reste; car le groupe de la Green-Box se suffisait à lui-même et se tenait à distance de tout, et quant à Tom-Jim-Jack, ce leader de la canaille faisait l’effet d’une sorte d’estafier suprême, sans liaison, sans intimité, casseur de vitres, meneur d’hommes, paraissant, disparaissant, camarade de tout le monde et compagnon de personne.
Ce déchaînement d’envie contre Gwynplaine ne se tint pas pour battu, pour quelques giffles de Tom-Jim-Jack. Les huées ayant avorté, les saltimbanques du Tarrinzeau-field rédigèrent une supplique. Ils s’adressèrent à l’autorité. C’est la marche ordinaire. Contre un succès qui nous gêne, on ameute la foule, puis on implore le magistrat.
Aux bateleurs se joignirent les révérends. L’Homme qui Rit avait porté coup aux prêches. Le vide ne s’était pas fait seulement dans les baraques, mais dans les églises. Les chapelles des cinq paroisses de Southwark n’avaient plus d’auditoire. On délaissait le sermon pour aller à Gwynplaine. Chaos vaincu, la Green-Box, l’Homme qui Rit, toutes ces abominations de Baal l’emportaient sur l’éloquence de la chaire. La voix qui harangue dans le désert, vox clamantis in deserto, n’est pas contente, et adjure volontiers le gouvernement. Les pasteurs des cinq paroisses se plaignirent à l’évêque de Londres, lequel se plaignit à sa majesté.