—Elles seront seules au retour, s'écria Calyste. Selle mon cheval.

Au ton de son jeune maître, Gasselin crut qu'il y avait quelque chose de grave; il alla seller les deux chevaux, chargea les pistolets sans rien dire à personne, et s'habilla pour suivre Calyste. Calyste était si content de savoir Claude et Gennaro partis, qu'il ne songeait pas à la rencontre qu'il allait faire à Saint-Nazaire, il ne pensait qu'au plaisir d'accompagner la marquise; il prenait les mains de son vieux père et les lui serrait tendrement, il embrassait sa mère, il serrait sa vieille tante par la taille.

—Enfin, je l'aime mieux ainsi que triste, dit la vieille Zéphirine.

—Où vas-tu, chevalier? lui dit son père.

—A Saint-Nazaire.

—Peste! Et à quand le mariage? dit le baron qui crut son fils empressé de revoir Charlotte de Kergarouët. Il me tarde d'être grand-père, il est temps.

Quand Gasselin se montra dans l'intention assez évidente d'accompagner Calyste, le jeune homme pensa qu'il pourrait revenir dans la voiture de Camille avec Béatrix en laissant son cheval à Gasselin, et il lui frappa sur l'épaule en disant:—Tu as eu de l'esprit.

—Je le crois bien, répondit Gasselin.

—Mon garçon, dit le père en venant avec Fanny jusqu'à la tribune du perron, ménage les chevaux, ils auront douze lieues à faire.

Calyste partit après avoir échangé le plus pénétrant regard avec sa mère.

—Cher trésor, dit-elle en lui voyant courber la tête sous le cintre de la porte d'entrée.

—Que Dieu le protége! répondit le baron, car nous ne le referions pas.

Ce mot assez dans le ton grivois des gentilshommes de province fit frissonner la baronne.

—Mon neveu n'aime pas assez Charlotte pour aller au-devant d'elle, dit la vieille fille à Mariotte qui ôtait le couvert.

—Il est arrivé une grande dame, une marquise aux Touches, et il court après! Bah! c'est de son âge, dit Mariotte.

—Elles nous le tueront, dit mademoiselle du Guénic.

—Ça ne le tuera pas, mademoiselle; au contraire, répondit Mariotte qui paraissait heureuse du bonheur de Calyste.

Calyste allait d'un train à crever son cheval, lorsque Gasselin demanda fort heureusement à son maître s'il voulait arriver avant le départ du bateau, ce qui n'était nullement son dessein; il ne désirait se faire voir ni à Conti ni à Claude. Le jeune homme ralentit alors le pas de son cheval, et se mit à regarder complaisamment les doubles raies tracées par les roues de la calèche sur les parties sablonneuses de la route. Il était d'une gaieté folle à cette seule pensée: elle a passé par là, elle reviendra par là, ses regards se sont arrêtés sur ces bois, sur ces arbres!—Le charmant chemin, dit-il à Gasselin.

—Ah! monsieur, la Bretagne est le plus beau pays du monde, répondit le domestique. Y a-t-il autre part des fleurs dans les haies et des chemins frais qui tournent comme celui-là?

—Dans aucun pays, Gasselin.

—Voilà la voiture à Bernus, dit Gasselin.

—Mademoiselle de Pen-Hoël et sa nièce y seront: cachons-nous, dit Calyste.

—Ici, monsieur. Êtes-vous fou? Nous sommes dans les sables.

La voiture, qui montait en effet une côte assez sablonneuse au-dessus de Saint-Nazaire, apparut aux regards de Calyste dans la naïve simplicité de sa construction bretonne. Au grand étonnement de Calyste, la voiture était pleine.

—Nous avons laissé mademoiselle de Pen-Hoël, sa sœur et sa nièce, qui se tourmentent; toutes les places étaient prises par la douane, dit le conducteur à Gasselin.

—Je suis perdu! s'écria Calyste.

En effet la voiture était remplie d'employés qui sans doute allaient relever ceux des marais salants. Quand Calyste arriva sur la petite esplanade qui tourne autour de l'église de Saint-Nazaire, et d'où l'on découvre Paimbœuf et la majestueuse embouchure de la Loire luttant avec la mer, il y trouva Camille et la marquise agitant leurs mouchoirs pour dire un dernier adieu aux deux passagers qu'emportait le bateau à vapeur. Béatrix était ravissante ainsi: le visage adouci par le reflet d'un chapeau de paille de riz sur lequel étaient jetés des coquelicots et noué par un ruban couleur ponceau, en robe de mousseline à fleurs, avançant son petit pied fluet chaussé d'une guêtre verte, s'appuyant sur sa frêle ombrelle et montrant sa belle main bien gantée. Rien n'est plus grandiose à l'œil qu'une femme en haut d'un rocher comme une statue sur son piédestal. Conti put alors voir Calyste abordant Camille.

—J'ai pensé, dit le jeune homme à mademoiselle des Touches, que vous reviendriez seules.

—Vous avez bien fait, Calyste, répondit-elle en lui serrant la main.

Béatrix se retourna, regarda son jeune amant et lui lança le plus impérieux coup d'œil de son répertoire. Un sourire que la marquise surprit sur les éloquentes lèvres de Camille lui fit comprendre la vulgarité de ce moyen, digne d'une bourgeoise. Madame de Rochegude dit alors à Calyste en souriant:—N'est-ce pas une légère impertinence de croire que je pouvais ennuyer Camille en route?

—Ma chère, un homme pour deux veuves n'est pas de trop, dit mademoiselle des Touches en prenant le bras de Calyste et laissant Béatrix occupée à regarder le bateau.

En ce moment Calyste entendit dans la rue en pente qui descend à ce qu'il faut appeler le port de Saint-Nazaire la voix de mademoiselle de Pen-Hoël, de Charlotte et de Gasselin, babillant tous trois comme des pies. La vieille fille questionnait Gasselin et voulait savoir pourquoi son maître et lui se trouvaient à Saint-Nazaire, la voiture de mademoiselle des Touches faisait esclandre. Avant que le jeune homme eût pu se retirer, il avait été vu de Charlotte.

—Voilà Calyste, s'écria la petite Bretonne.

—Allez leur proposer ma voiture, leur femme de chambre se mettra près de mon cocher, dit Camille, qui savait que madame de Kergarouët, sa fille et mademoiselle de Pen-Hoël n'avaient pas eu de places.

Calyste, qui ne pouvait s'empêcher d'obéir à Camille, vint s'acquitter de son message. Dès qu'elle sut qu'elle voyagerait avec la marquise de Rochegude et la célèbre Camille Maupin, madame de Kergarouët ne voulut pas comprendre les réticences de sa sœur aînée, qui se défendit de profiter de ce qu'elle nommait la carriole du diable. A Nantes on était sous une latitude un peu plus civilisée qu'à Guérande: on y admirait Camille, elle était là comme la muse de la Bretagne et l'honneur du pays; elle y excitait autant de curiosité que de jalousie. L'absolution donnée à Paris par le grand monde, par la mode, était consacrée par la grande fortune de mademoiselle des Touches, et peut-être par ses anciens succès à Nantes qui se flattait d'avoir été le berceau de Camille Maupin. Aussi la vicomtesse, folle de curiosité, entraîna-t-elle sa vieille sœur sans prêter l'oreille à ses jérémiades.

—Bonjour, Calyste, dit la petite Kergarouët.

—Bonjour, Charlotte, répondit Calyste sans lui offrir le bras.

Tous deux interdits, l'une de tant de froideur, lui de sa cruauté, remontèrent le ravin creux qu'on appelle une rue à Saint-Nazaire et suivirent en silence les deux sœurs. En un moment la petite fille de seize ans vit s'écrouler le château en Espagne bâti, meublé par ses romanesques espérances. Elle et Calyste avaient si souvent joué ensemble pendant leur enfance, elle était si liée avec lui qu'elle croyait son avenir inattaquable. Elle accourait emportée par un bonheur étourdi, comme un oiseau fond sur un champ de blé; elle fut arrêtée dans son vol sans pouvoir imaginer l'obstacle.

—Qu'as-tu, Calyste? lui demanda-t-elle en lui prenant la main.

—Rien, répondit le jeune homme qui dégagea sa main avec un horrible empressement en pensant aux projets de sa tante et de mademoiselle de Pen-Hoël.

Des larmes mouillèrent les yeux de Charlotte. Elle regarda sans haine le beau Calyste; mais elle allait éprouver son premier mouvement de jalousie et sentir les effroyables rages de la rivalité à l'aspect des deux belles Parisiennes et en soupçonnant la cause des froideurs de Calyste.

D'une taille ordinaire, Charlotte Kergarouët avait une vulgaire fraîcheur, une petite figure ronde éveillée par deux yeux noirs qui jouaient l'esprit, des cheveux bruns abondants, une taille ronde, un dos plat, des bras maigres, le parler bref et décidé des filles de province qui ne veulent pas avoir l'air de petites niaises. Elle était l'enfant gâté de la famille à cause de la prédilection de sa tante pour elle. Elle gardait en ce moment sur elle le manteau de mérinos écossais à grands carreaux, doublé de soie verte, qu'elle avait sur le bateau à vapeur. Sa robe de voyage, en stoff assez commun, à corsage fait chastement en guimpe, ornée d'une collerette à mille plis, allait lui paraître horrible à l'aspect des fraîches toilettes de Béatrix et de Camille. Elle devait souffrir d'avoir des bas blancs salis dans les roches, dans les barques où elle avait sauté, et de méchants souliers en peau, choisis exprès pour ne rien gâter de beau en voyage, selon les us et coutumes des gens de province. Quant à la vicomtesse de Kergarouët, elle était le type de la provinciale. Grande, sèche, flétrie, pleine de prétentions cachées qui ne se montraient qu'après avoir été blessées, parlant beaucoup et attrapant à force de parler quelques idées, comme on carambole au billard, et qui lui donnaient une réputation d'esprit, essayant d'humilier les Parisiens par la prétendue bonhomie de la sagesse départementale et par un faux bonheur incessamment mis en avant, s'abaissant pour se faire relever, et furieuse d'être laissée à genoux; pêchant, selon une expression anglaise, les compliments à la ligne et n'en prenant pas toujours; ayant une toilette à la fois exagérée et peu soignée, prenant le manque d'affabilité pour de l'impertinence, et croyant embarrasser beaucoup les gens en ne leur accordant aucune attention; refusant ce qu'elle désirait pour se le faire offrir deux fois et avoir l'air d'être priée au delà des bornes; occupée de ce dont on ne parle plus, et fort étonnée de ne pas être au courant de la mode; enfin se tenant difficilement une heure sans faire arriver Nantes, et les tigres de Nantes, et les affaires de la haute société de Nantes, et se plaignant de Nantes, et critiquant Nantes, et prenant pour des personnalités les phrases arrachées par la complaisance à ceux qui, distraits, abondaient dans son sens. Ses manières, son langage, ses idées avaient plus ou moins déteint sur ses quatre filles. Connaître Camille Maupin et madame de Rochegude, il y avait pour elle un avenir et le fond de cent conversations!... aussi marchait-elle vers l'église comme si elle eût voulu l'emporter d'assaut, agitant son mouchoir, qu'elle déplia pour en montrer les coins lourds de broderies domestiques et garnis d'une dentelle invalide. Elle avait une démarche passablement cavalière, qui, pour une femme de quarante-sept ans, était sans conséquence.

—Monsieur le chevalier, dit-elle à Camille et à Béatrix en montrant Calyste qui venait piteusement avec Charlotte, nous a fait part de votre aimable proposition, mais nous craignons, ma sœur, ma fille et moi, de vous gêner.

—Ce ne sera pas moi, ma sœur, qui gênerai ces dames, dit la vieille fille avec aigreur, car je trouverai bien dans Saint-Nazaire un cheval pour revenir.

Camille et Béatrix échangèrent un regard oblique surpris par Calyste, et ce regard suffit pour anéantir tous ses souvenirs d'enfance, ses croyances aux Kergarouët-Pen-Hoël, et pour briser à jamais les projets conçus par les deux familles.

—Nous pouvons très bien tenir cinq dans la voiture, répondit mademoiselle des Touches, à qui Jacqueline tourna le dos. Quand nous serions horriblement gênées, ce qui n'est pas possible à cause de la finesse de vos tailles, je serais bien dédommagée par le plaisir de rendre service aux amis de Calyste. Votre femme de chambre, madame, trouvera place; et vos paquets, si vous en avez, peuvent tenir derrière la calèche, je n'ai pas amené de domestique.

La vicomtesse se confondit en remercîments et gronda sa sœur Jacqueline d'avoir voulu si promptement sa nièce qu'elle ne lui avait pas permis de venir dans sa voiture par le chemin de terre; mais il est vrai que la route de poste était non-seulement longue, mais coûteuse; elle devait revenir promptement à Nantes où elle laissait trois autres petites chattes qui l'attendaient avec impatience, dit-elle en caressant le cou de sa fille. Charlotte eut alors un petit air de victime, en levant les yeux vers sa mère, qui fit supposer que la vicomtesse ennuyait prodigieusement ses quatre filles en les mettant aussi souvent en jeu que le caporal Trim son bonnet.

—Vous êtes une heureuse mère, et vous devez.... dit Camille qui s'arrêta en pensant que la marquise avait dû se priver de son fils en suivant Conti.

—Oh! reprit la vicomtesse, si j'ai le malheur de passer ma vie à la campagne et à Nantes, j'ai la consolation d'être adorée par mes enfants. Avez-vous des enfants? demanda-t-elle à Camille.

—Je me nomme mademoiselle des Touches, répondit Camille. Madame est la marquise de Rochegude.

—Il faut vous plaindre alors de ne pas connaître le plus grand bonheur qu'il y ait pour nous autres pauvres simples femmes, n'est-ce pas, madame? dit la vicomtesse à la marquise pour réparer sa faute. Mais vous avez tant de dédommagements!

Il vint une larme chaude dans les yeux de Béatrix qui se tourna brusquement, et alla jusqu'au grossier parapet du rocher, où Calyste la suivit.

—Madame, dit Camille à l'oreille de la vicomtesse, ignorez-vous que la marquise est séparée de son mari, qu'elle n'a pas vu son fils depuis dix-huit mois, et qu'elle ne sait pas quand elle le verra?

—Bah! dit madame de Kergarouët, cette pauvre dame! Est-ce judiciairement?

—Non, par goût, dit Camille.

—Hé! bien, je comprends cela, répondit intrépidement la vicomtesse.

La vieille Pen-Hoël, au désespoir d'être dans le camp ennemi, s'était retranchée à quatre pas avec sa chère Charlotte. Calyste après avoir examiné si personne ne pouvait les voir, saisit la main de la marquise et la baisa en y laissant une larme. Béatrix se retourna, les yeux séchés par la colère: elle allait lancer quelque mot terrible, et ne put rien dire en retrouvant ses pleurs sur la belle figure de cet ange aussi douloureusement atteint qu'elle-même.

—Mon Dieu, Calyste, lui dit Camille à l'oreille en le voyant revenir avec madame de Rochegude, vous auriez cela pour belle-mère, et cette petite bécasse pour femme!

—Parce que sa tante est riche, dit ironiquement Calyste.

Le groupe entier se mit en marche vers l'auberge, et la vicomtesse se crut obligée de faire à Camille une satire sur les sauvages de Saint-Nazaire.

—J'aime la Bretagne, madame, répondit gravement Félicité, je suis née à Guérande.

Calyste ne pouvait s'empêcher d'admirer mademoiselle des Touches, qui, par le son de sa voix, la tranquillité de ses regards et le calme de ses manières, le mettait à l'aise, malgré les terribles déclarations de la scène qui avait eu lieu pendant la nuit. Elle paraissait néanmoins un peu fatiguée: ses traits annonçaient une insomnie, ils étaient comme grossis, mais le front dominait l'orage intérieur par une placidité cruelle.

—Quelles reines! dit-il à Charlotte en lui montrant la marquise et Camille et donnant le bras à la jeune fille au grand contentement de mademoiselle de Pen-Hoël.

—Quelle idée a eue ta mère, dit la vieille fille en donnant aussi son bras sec à sa nièce, de se mettre dans la compagnie de cette réprouvée?

—Oh! ma tante, une femme qui est la gloire de la Bretagne!

—La honte, petite. Ne vas-tu pas la cajoler aussi?

—Mademoiselle Charlotte a raison, vous n'êtes pas juste, dit Calyste.

—Oh! vous, répondit mademoiselle de Pen-Hoël, elle vous a ensorcelé.

—Je lui porte, dit Calyste, la même amitié qu'à vous.

—Depuis quand les du Guénic mentent-ils? dit la vieille fille.

—Depuis que les Pen-Hoël sont sourdes, répliqua Calyste.

—Tu n'es pas amoureux d'elle? demanda la vieille fille enchantée.

—Je l'ai été, je ne le suis plus, répondit-il.

—Méchant enfant! pourquoi nous as-tu donné tant de souci? Je savais bien que l'amour est une sottise, il n'y a de solide que le mariage, lui dit-elle en regardant Charlotte.

Charlotte, un peu rassurée, espéra pouvoir reconquérir ses avantages en s'appuyant sur tous les souvenirs de l'enfance, et serra le bras de Calyste, qui se promit de s'expliquer nettement avec la petite héritière.

—Ah! les belles parties de mouche que nous ferons, Calyste, dit-elle, et comme nous rirons!

Les chevaux étaient mis, Camille fit passer au fond de la voiture la vicomtesse et Charlotte, car Jacqueline avait disparu; puis elle se plaça sur le devant avec la marquise. Calyste, obligé de renoncer au plaisir qu'il se promettait, accompagna la voiture à cheval, et les chevaux fatigués allèrent assez lentement pour qu'il pût regarder Béatrix. L'histoire a perdu les conversations étranges des quatre personnes que le hasard avait si singulièrement réunies dans cette voiture, car il est impossible d'admettre les cent et quelques versions qui courent à Nantes sur les récits, les répliques, les mots que la vicomtesse tient de la célèbre Camille Maupin lui-même. Elle s'est bien gardée de répéter ni de comprendre les réponses de mademoiselle des Touches à toutes les demandes saugrenues que les auteurs entendent si souvent, et par lesquelles on leur fait cruellement expier leurs rares plaisirs.

—Comment avez-vous fait vos livres? demanda la vicomtesse.

—Mais comme vous faites vos ouvrages de femme, du filet ou de la tapisserie, répondit Camille.

—Et où avez-vous pris ces observations si profondes et ces tableaux si séduisants?

—Où vous prenez les choses spirituelles que vous dites, madame. Il n'y a rien de si facile que d'écrire, et si vous vouliez...

—Ah! le tout est de vouloir, je ne l'aurais pas cru! Quelle est celle de vos compositions que vous préférez?

—Il est bien difficile d'avoir des prédilections pour ces petites chattes.

—Vous êtes blasée sur les compliments, et l'on ne sait que vous dire de nouveau.

—Croyez, madame, que je suis sensible à la forme que vous donnez aux vôtres.

La vicomtesse ne voulut pas avoir l'air de négliger la marquise et dit en la regardant d'un air fin:—Je n'oublierai jamais ce voyage fait entre l'Esprit et la Beauté.

—Vous me flattez, madame, dit la marquise en riant; il n'est pas naturel de remarquer l'esprit auprès du génie, et je n'ai pas encore dit grand'chose.

Charlotte, qui sentait vivement les ridicules de sa mère, la regarda comme pour l'arrêter, mais la vicomtesse continua bravement à lutter avec les deux rieuses parisiennes.

Le jeune homme, qui trottait d'un trot lent et abandonné le long de la calèche, ne pouvait voir que les deux femmes assises sur le devant, et son regard les embrassait tour à tour en trahissant des pensées assez douloureuses. Forcée de se laisser voir, Béatrix évita constamment de jeter les yeux sur le jeune homme par une manœuvre désespérante pour les gens qui aiment, elle tenait son châle croisé sous ses mains croisées, et paraissait en proie à une méditation profonde. A un endroit où la route est ombragée, humide et verte comme un délicieux sentier de forêt, où le bruit de la calèche s'entendait à peine, où les feuilles effleuraient les capotes, où le vent apportait des odeurs balsamiques, Camille fit remarquer ce lieu plein d'harmonies, et appuya sa main sur le genou de Béatrix en lui montrant Calyste:—Comme il monte bien à cheval! lui dit-elle.

—Calyste? reprit la vicomtesse, c'est un charmant cavalier.

—Oh! Calyste est bien gentil, dit Charlotte.

—Il y a tant d'Anglais qui lui ressemblent! répondit indolemment la marquise sans achever sa phrase.

—Sa mère est Irlandaise, une O'Brien, repartit Charlotte qui se crut attaquée personnellement.

Camille et la marquise entrèrent dans Guérande avec la vicomtesse de Kergarouët et sa fille, au grand étonnement de toute la ville ébahie; elles laissèrent leurs compagnes de voyage à l'entrée de la ruelle du Guénic, où peu s'en fallut qu'il ne se formât un attroupement. Calyste avait pressé le pas de son cheval pour aller prévenir sa tante et sa mère de l'arrivée de cette compagnie attendue à dîner. Le repas avait été retardé conventionnellement jusqu'à quatre heures. Le chevalier revint pour donner le bras aux deux dames; puis il baisa la main de Camille en espérant pouvoir prendre celle de la marquise, qui tint résolûment ses bras croisés, et à laquelle il jeta les plus vives prières dans un regard inutilement mouillé.

—Petit niais, lui dit Camille en lui effleurant l'oreille par un modeste baiser plein d'amitié.

—C'est vrai, se dit en lui-même Calyste pendant que la calèche tournait, j'oublie les recommandations de ma mère; mais je les oublierai, je crois, toujours.

Mademoiselle de Pen-Hoël intrépidement arrivée sur un cheval de louage, la vicomtesse de Kergarouët et Charlotte trouvèrent la table mise et furent traitées avec cordialité, sinon avec luxe, par les du Guénic. La vieille Zéphirine avait indiqué dans les profondeurs de la cave des vins fins, et Mariotte s'était surpassée en ses plats bretons. La vicomtesse, enchantée d'avoir fait le voyage avec l'illustre Camille Maupin, essaya d'expliquer la littérature moderne et la place qu'y tenait Camille; mais il en fut du monde littéraire comme du whist: ni les du Guénic, ni le curé qui survint, ni le chevalier du Halga n'y comprirent rien. L'abbé Grimont et le vieux marin prirent part aux liqueurs du dessert. Dès que Mariotte, aidée par Gasselin et par la femme de chambre de la vicomtesse, eut ôté le couvert, il y eut un cri d'enthousiasme pour se livrer à la mouche. La joie régnait dans la maison. Tous croyaient Calyste libre et le voyaient marié dans peu de temps à la petite Charlotte. Calyste restait silencieux. Pour la première fois de sa vie, il établissait des comparaisons entre les Kergarouët et les deux femmes élégantes, spirituelles, pleines de goût, qui pendant ce moment devaient bien se moquer des deux provinciales, à s'en rapporter au premier regard qu'elles avaient échangé. Fanny, qui connaissait le secret de Calyste, observait la tristesse de son fils, sur qui les coquetteries de Charlotte ou les attaques de la vicomtesse avaient peu de prise. Évidemment son cher enfant s'ennuyait, le corps était dans cette salle où jadis il se serait amusé des plaisanteries de la mouche, mais l'esprit se promenait aux Touches. Comment l'envoyer chez Camille? se demandait la mère qui sympathisait avec son fils, qui aimait et s'ennuyait avec lui. Sa tendresse émue lui donna de l'esprit.

—Tu meurs d'envie d'aller aux Touches la voir, dit Fanny à l'oreille de Calyste. L'enfant répondit par un sourire et par une rougeur qui firent tressaillir cette adorable mère jusque dans les derniers replis de son cœur.—Madame, dit-elle à la vicomtesse, vous serez bien mal demain dans la voiture du messager, et surtout forcée de partir de bonne heure; ne vaudrait-il pas mieux que vous prissiez la voiture de mademoiselle des Touches? Va, Calyste, dit-elle en regardant son fils, arranger cette affaire aux Touches, mais reviens-nous promptement.

—Il ne me faut pas dix minutes, s'écria Calyste qui embrassa follement sa mère sur le perron où elle le suivit.

Calyste courut avec la légèreté d'un faon, et se trouva dans le péristyle des Touches quand Camille et Béatrix sortaient du grand salon après leur dîner. Il eut l'esprit d'offrir le bras à Félicité.

—Vous avez abandonné pour nous la vicomtesse et sa fille, dit-elle en lui pressant le bras, nous sommes à même de connaître l'étendue de ce sacrifice.

—Ces Kergarouët sont-ils parents des Portenduère et du vieil amiral de Kergarouët, dont la veuve a épousé Charles de Vandenesse? demanda madame de Rochegude à Camille.

—Sa petite nièce, répondit Camille.

—C'est une charmante jeune personne, dit Béatrix en se posant dans un fauteuil gothique, ce sera bien l'affaire de monsieur du Guénic.

—Ce mariage ne se fera jamais, dit vivement Camille.

Abattu par l'air froid et calme de la marquise, qui montrait la petite Bretonne comme la seule créature qui pût s'appareiller avec lui, Calyste resta sans voix ni esprit.

—Et pourquoi, Camille? dit madame de Rochegude.

—Ma chère, reprit Camille en voyant le désespoir de Calyste, je n'ai pas conseillé à Conti de se marier, et je crois avoir été charmante pour lui: vous n'êtes pas généreuse.

Béatrix regarda son amie avec une surprise mêlée de soupçons indéfinissables. Calyste comprit à peu près le dévouement de Camille en voyant se mêler à ses joues cette faible rougeur qui chez elle annonce ses émotions les plus violentes; il vint assez gauchement auprès d'elle, lui prit la main et la baisa. Camille se mit négligemment au piano, comme une femme sûre de son amie et de l'adorateur qu'elle s'attribuait, en leur tournant le dos et les laissant presque seuls. Elle improvisa des variations sur quelques thèmes choisis à son insu par son esprit, car ils furent d'une mélancolie excessive. La marquise paraissait écouter, mais elle observait Calyste, qui, trop jeune et trop naïf pour jouer le rôle que lui donnait Camille, était en extase devant sa véritable idole. Après une heure, pendant laquelle mademoiselle des Touches se laissa naturellement aller à sa jalousie, Béatrix se retira chez elle. Camille fit aussitôt passer Calyste dans sa chambre, afin de ne pas être écoutée, car les femmes ont un admirable instinct de défiance.

—Mon enfant, lui dit-elle, ayez l'air de m'aimer, ou vous êtes perdu. Vous êtes un enfant, vous ne connaissez rien aux femmes, vous ne savez qu'aimer. Aimer et se faire aimer sont deux choses bien différentes. Vous allez tomber en d'horribles souffrances, et je vous veux heureux. Si vous contrariez non pas l'orgueil, mais l'entêtement de Béatrix, elle est capable de s'envoler à quelques lieues de Paris, auprès de Conti. Que deviendrez-vous alors?

—Je l'aimerai, répondit Calyste.

—Vous ne la verrez plus.

—Oh! si, dit-il.

—Et comment?

—Je la suivrai.

—Mais tu es aussi pauvre que Job, mon enfant.

—Mon père, Gasselin et moi, nous sommes restés pendant trois mois en Vendée avec cent cinquante francs, marchant jour et nuit.

—Calyste, dit mademoiselle des Touches, écoutez-moi bien. Je vois que vous avez trop de candeur pour feindre, je ne veux pas corrompre un aussi beau naturel que le vôtre, je prendrai tout sur moi. Vous serez aimé de Béatrix.

—Est-ce possible? dit-il en joignant les mains.

—Oui, répondit Camille, mais il faut vaincre chez elle les engagements qu'elle a pris avec elle-même. Je mentirai donc pour vous. Seulement ne dérangez rien dans l'œuvre assez ardue que je vais entreprendre. La marquise possède une finesse aristocratique, elle est spirituellement défiante; jamais chasseur ne rencontra de proie plus difficile à prendre: ici donc, mon pauvre garçon, le chasseur doit écouter son chien. Me promettez-vous une obéissance aveugle? Je serai votre Fox, dit-elle en se donnant le nom du meilleur lévrier de Calyste.

—Que dois-je faire? répondit le jeune homme.

—Très peu de chose, reprit Camille. Vous viendrez ici tous les jours à midi. Comme une maîtresse impatiente, je serai à celle des croisées du corridor d'où l'on aperçoit le chemin de Guérande pour vous voir arriver. Je me sauverai dans ma chambre afin de n'être pas vue et de ne pas vous donner la mesure d'une passion qui vous est à charge; mais vous m'apercevrez quelquefois et me ferez un signe avec votre mouchoir. Vous aurez dans la cour et en montant l'escalier un petit air assez ennuyé. Ça ne te coûtera pas de dissimulation, mon enfant, dit-elle en se jetant la tête sur son sein, n'est-ce pas? Tu n'iras pas vite, tu regarderas par la fenêtre de l'escalier qui donne sur le jardin en y cherchant Béatrix. Quand elle y sera (elle s'y promènera, sois tranquille!), si elle t'aperçoit, tu te précipiteras très lentement dans le petit salon et de là dans ma chambre. Si tu me vois à la croisée espionnant tes trahisons, tu te rejetteras vivement en arrière pour que je ne te surprenne pas mendiant un regard de Béatrix. Une fois dans ma chambre, tu seras mon prisonnier. Ah! nous y resterons ensemble jusqu'à quatre heures. Vous emploierez ce temps à lire et moi à fumer; vous vous ennuierez bien de ne pas la voir, mais je vous trouverai des livres attachants. Vous n'avez rien lu de George Sand, j'enverrai cette nuit un de mes gens acheter ses œuvres à Nantes et celles de quelques autres auteurs que vous ne connaissez pas. Je sortirai la première et vous ne quitterez votre livre, vous ne viendrez dans mon petit salon qu'au moment où vous y entendrez Béatrix causant avec moi. Toutes les fois que vous verrez un livre de musique ouvert sur le piano, vous me demanderez à rester. Je vous permets d'être avec moi grossier si vous le pouvez, tout ira bien.

—Je sais, Camille, que vous avez pour moi la plus rare des affections et qui me fait regretter d'avoir vu Béatrix, dit-il avec une charmante bonne foi; mais qu'espérez-vous?

—En huit jours Béatrix sera folle de vous.

—Mon Dieu! serait-ce possible? dit il en tombant à genoux et joignant les mains devant Camille attendrie, heureuse de lui donner une joie à ses propres dépens.

—Écoutez-moi bien, dit-elle. Si vous avez avec la marquise, non une conversation suivie, mais si vous échangez seulement quelques mots, enfin si vous la laissez vous interroger, si vous manquez au rôle muet que je vous donne, et qui certes est facile à jouer, sachez-le bien, dit-elle d'un ton grave, vous la perdriez à jamais.

—Je ne comprends rien à ce que vous me dites, Camille, s'écria Calyste en la regardant avec une adorable naïveté.

—Si tu comprenais, tu ne serais pas l'enfant sublime, le noble et beau Calyste, répondit-elle en lui prenant la main et en la lui baisant.

Calyste fit alors ce qu'il n'avait jamais fait, il prit Camille par la taille et la baisa au cou mignonnement, sans amour, mais avec tendresse et comme il embrassait sa mère. Mademoiselle des Touches ne put retenir un torrent de larmes.

—Allez-vous-en, mon enfant, et dites à votre vicomtesse que ma voiture est à ses ordres.

Calyste voulut rester, mais il fut contraint d'obéir au geste impératif et impérieux de Camille; il revint tout joyeux, il était sûr d'être aimé sous huit jours par la belle Rochegude. Les joueurs de mouche retrouvèrent en lui le Calyste perdu depuis deux mois. Charlotte s'attribua le mérite de ce changement. Mademoiselle de Pen-Hoël fut charmante d'agacerie avec Calyste. L'abbé Grimont cherchait à lire dans les yeux de la baronne la raison du calme qu'il y voyait. Le chevalier du Halga se frottait les mains. Les deux vieilles filles avaient la vivacité de deux lézards. La vicomtesse devait cent sous de mouches accumulées. La cupidité de Zéphirine était si vivement intéressée qu'elle regretta de ne pas voir les cartes, et décocha quelques paroles vives à sa belle-sœur, à qui le bonheur de Calyste causait des distractions, et qui par moments l'interrogeait sans pouvoir rien comprendre à ses réponses. La partie dura jusqu'à onze heures. Il y eut deux défections: le baron et le chevalier s'endormirent dans leurs fauteuils respectifs. Mariotte avait fait des galettes de blé noir, la baronne alla chercher sa boîte à thé. L'illustre maison du Guénic servit, avant le départ des Kergarouët et de mademoiselle de Pen-Hoël, une collation composée de beurre frais, de fruits, de crème, et pour laquelle on sortit du bahut la théière d'argent et les porcelaines d'Angleterre envoyées à la baronne par une de ses tantes. Cette apparence de splendeur moderne dans cette vieille salle, la grâce exquise de la baronne, élevée en bonne Irlandaise à faire et à servir le thé, cette grande affaire des Anglaises, eurent je ne sais quoi de charmant. Le luxe le plus effréné n'aurait pas obtenu l'effet simple, modeste et noble que produisait ce sentiment d'hospitalité joyeuse. Quand il n'y eut plus dans cette salle que la baronne et son fils, elle regarda Calyste d'un air curieux.

—Que t'est-il arrivé ce soir aux Touches? lui dit-elle.

Calyste raconta l'espoir que Camille lui avait mis au cœur et ses bizarres instructions.

—La pauvre femme! s'écria l'Irlandaise en joignant les mains et plaignant pour la première fois mademoiselle des Touches.

Quelques moments après le départ de Calyste, Béatrix, qui l'avait entendu partir des Touches, revint chez son amie qu'elle trouva les yeux humides, à demi renversée sur un sofa.

—Qu'as-tu, Félicité? lui demanda la marquise.

—J'ai quarante ans et j'aime, ma chère! dit avec un horrible accent de rage mademoiselle des Touches dont les yeux devinrent secs et brillants. Si tu savais, Béatrix, combien de larmes je verse sur les jours perdus de ma jeunesse! Être aimée par pitié, savoir qu'on ne doit son bonheur qu'à des travaux pénibles, à des finesses de chatte, à des piéges tendus à l'innocence et aux vertus d'un enfant, n'est-ce pas infâme? Heureusement on trouve alors une espèce d'absolution dans l'infini de la passion, dans l'énergie du bonheur, dans la certitude d'être à jamais au-dessus de toutes les femmes en gravant son souvenir dans un jeune cœur par des plaisirs ineffaçables, par un dévouement insensé. Oui, s'il me le demandait, je me jetterais dans la mer à un seul de ses signes. Par moments, je me surprends à souhaiter qu'il le veuille, ce serait une offrande et non un suicide... Ah! Béatrix, tu m'as donné une rude tâche en venant ici. Je sais qu'il est difficile de l'emporter sur toi; mais tu aimes Conti, tu es noble et généreuse, et tu ne me tromperas pas; tu m'aideras au contraire à conserver mon Calyste. Je m'attendais à l'impression que tu fais sur lui, mais je n'ai pas commis la faute de paraître jalouse, ce serait attiser le mal. Au contraire, je t'ai annoncée en te peignant avec de si vives couleurs que tu ne pusses jamais réaliser le portrait, et par malheur tu es embellie.

Cette violente élégie, où le vrai se mêlait à la tromperie, abusa complétement madame de Rochegude. Claude Vignon avait dit à Conti les motifs de son départ, Béatrix en fut naturellement instruite, elle déployait donc de la générosité en marquant de la froideur à Calyste; mais en ce moment il s'éleva dans son âme ce mouvement de joie qui frétille au fond du cœur de toutes les femmes quand elles se savent aimées. L'amour qu'elles inspirent à un homme comporte des éloges sans hypocrisie, et qu'il est difficile de ne pas savourer; mais quand cet homme appartient à une amie, ses hommages causent plus que de la joie, c'est de célestes délices. Béatrix s'assit auprès de son amie et lui fit de petites cajoleries.

—Tu n'as pas un cheveu blanc, lui dit-elle, tu n'as pas une ride, tes tempes sont encore fraîches, tandis que je connais plus d'une femme de trente ans obligée de cacher les siennes. Tiens, ma chère, dit-elle en soulevant ses boucles, vois ce que m'a coûté mon voyage?

La marquise montra l'imperceptible flétrissure qui fatiguait là le grain de sa peau si tendre; elle releva ses manchettes et fit voir une pareille flétrissure à ses poignets, où la transparence du tissu déjà froissé laissait voir le réseau de ses vaisseaux grossis, où trois lignes profondes lui faisaient un bracelet de rides.

—N'est-ce pas, comme l'a dit un écrivain à la piste de nos misères, les deux endroits qui ne mentent point chez nous? dit-elle. Il faut avoir bien souffert pour reconnaître la vérité de sa cruelle observation; mais heureusement pour nous, la plupart des hommes n'y connaissent rien, et ne lisent pas cet infâme auteur.

—Ta lettre m'a tout dit, répondit Camille, le bonheur ignore la fatuité, tu t'y vantais trop d'être heureuse. En amour, la vérité n'est-elle pas sourde, muette et aveugle? Aussi, te sachant bien des raisons d'abandonner Conti, redouté-je ton séjour ici. Ma chère, Calyste est un ange, il est aussi bon qu'il est beau, le pauvre innocent ne résisterait pas à un seul de tes regards, il t'admire trop pour ne pas t'aimer à un seul encouragement; ton dédain me le conservera. Je te l'avoue avec la lâcheté de la passion vraie: me l'arracher, ce serait me tuer. Adolphe, cet épouvantable livre de Benjamin Constant, ne nous a dit que les douleurs d'Adolphe, mais celles de la femme? hein! il ne les a pas assez observées pour nous les peindre. Et quelle femme oserait les révéler, elles déshonoreraient notre sexe, elles en humilieraient les vertus, elles en étendraient les vices. Ah! si je les mesure par mes craintes, ces souffrances ressemblent à celles de l'enfer. Mais en cas d'abandon, mon thème est fait.

—Et qu'as-tu décidé? demanda Béatrix avec une vivacité qui fit tressaillir Camille.

Là les deux amies se regardèrent avec l'attention de deux inquisiteurs d'État vénitiens, par un coup d'œil rapide où leurs âmes se heurtèrent et firent feu comme deux cailloux. La marquise baissa les yeux.

—Après l'homme, il n'y a plus que Dieu, répondit gravement la femme célèbre. Dieu, c'est l'inconnu. Je m'y jetterai comme dans un abîme. Calyste vient de me jurer qu'il ne t'admirait que comme on admire un tableau; mais tu es à vingt-huit ans dans toute la magnificence de la beauté. La lutte vient donc de commencer entre lui et moi par un mensonge. Je sais heureusement comment m'y prendre pour triompher.

—Comment feras-tu?

—Ceci est mon secret, ma chère. Laisse-moi les bénéfices de mon âge. Si Claude Vignon m'a brutalement jetée dans l'abîme, moi, qui m'étais élevée jusque dans un lieu que je croyais inaccessible, je cueillerai du moins toutes les fleurs pâles, étiolées, mais délicieuses qui croissent au fond des précipices.

La marquise fut pétrie comme une cire par mademoiselle des Touches, qui goûtait un sauvage plaisir à l'envelopper de ses ruses. Camille renvoya son amie piquée de curiosité, flottant entre la jalousie et sa générosité, mais certainement occupée du beau Calyste.

—Elle sera ravie de me tromper, se dit Camille en lui donnant le baiser du bonsoir.

Puis, quand elle fut seule, l'auteur fit place à la femme; elle fondit en larmes, elle chargea de tabac lessivé dans l'opium la cheminée de son houka, et passa la plus grande partie de la nuit à fumer, engourdissant ainsi les douleurs de son amour, et voyant à travers les nuages de fumée la délicieuse tête de Calyste.

—Quel beau livre à écrire que celui dans lequel je raconterais mes douleurs! se dit elle, mais il est fait: Sapho vivait avant moi. Sapho était jeune. Belle et touchante héroïne, vraiment, qu'une femme de quarante ans? Fume ton houka, ma pauvre Camille, tu n'as pas même la ressource de faire une poésie de ton malheur, il est au comble!

Elle ne se coucha qu'au jour, en entremêlant ainsi de larmes, d'accents de rage et de résolutions sublimes la longue méditation où parfois elle étudia les mystères de la religion catholique, ce à quoi, dans sa vie d'artiste insoucieuse et d'écrivain incrédule, elle n'avait jamais songé.

Le lendemain, Calyste, à qui sa mère avait dit de suivre exactement les conseils de Camille, vint à midi, monta mystérieusement dans la chambre de mademoiselle des Touches, où il trouva des livres. Félicité resta dans un fauteuil à une fenêtre, occupée à fumer, en contemplant tour à tour le sauvage pays des marais, la mer et Calyste, avec qui elle échangea quelques paroles sur Béatrix. Il y eut un moment où, voyant la marquise se promenant dans le jardin, elle alla détacher, en se faisant voir de son amie, les rideaux, et les étala pour intercepter le jour, en laissant passer néanmoins une bande de lumière qui rayonnait sur le livre de Calyste.

—Aujourd'hui, mon enfant, je te prierai de rester à dîner, dit-elle en lui mettant ses cheveux en désordre, et tu me refuseras en regardant la marquise, tu n'auras pas de peine à lui faire comprendre combien tu regrettes de ne pas rester.

Vers quatre heures, Camille sortit et alla jouer l'atroce comédie de son faux bonheur auprès de la marquise qu'elle amena dans son salon. Calyste sortit de la chambre, il comprit en ce moment la honte de sa position. Le regard qu'il jeta sur Béatrix et attendu par Félicité fut encore plus expressif qu'elle ne le croyait. Béatrix avait fait une charmante toilette.

—Comme vous vous êtes coquettement mise, ma mignonne? dit Camille quand Calyste fut parti.

Ce manége dura six jours; il fut accompagné, sans que Calyste le sût, des conversations les plus habiles de Camille avec son amie. Il y eut entre ces deux femmes un duel sans trêve où elles firent assaut de ruses, de feintes, de fausses générosités, d'aveux mensongers, de confidences astucieuses, où l'une cachait, où l'autre mettait à nu son amour, et où cependant le fer aigu, rougi des traîtresses paroles de Camille, atteignait au fond du cœur de son amie et y piquait quelques-uns de ces mauvais sentiments que les femmes honnêtes répriment avec tant de peine. Béatrix avait fini par s'offenser des défiances que manifestait Camille, elle les trouvait peu honorables et pour l'une et pour l'autre; elle était enchantée de savoir à ce grand écrivain les petitesses de son sexe, elle voulut avoir le plaisir de lui montrer où cessait sa supériorité et comment elle pouvait être humiliée.

—Ma chère, que vas-tu lui dire aujourd'hui? demanda-t-elle en regardant méchamment son amie au moment où l'amant prétendu demandait à rester. Lundi nous avions à causer ensemble, mardi le dîner ne valait rien, mercredi tu ne voulais pas t'attirer la colère de la baronne, jeudi tu t'allais promener avec moi, hier tu lui as dit adieu quand il ouvrait la bouche: eh! bien, je veux qu'il reste aujourd'hui, ce pauvre garçon.

—Déjà, ma petite! dit avec une mordante ironie Camille à Béatrix. La marquise rougit.—Restez, monsieur du Guénic, dit mademoiselle des Touches à Calyste en prenant des airs de reine et de femme piquée.

Béatrix devint froide et dure, elle fut cassante, épigrammatique, et maltraita Calyste, que sa prétendue maîtresse envoya jouer la mouche avec mademoiselle de Kergarouët.

—Elle n'est pas dangereuse, celle-là, dit en souriant Béatrix.

Les jeunes gens amoureux sont comme les affamés, les préparatifs du cuisinier ne les rassasient pas, ils pensent trop au dénoûment pour comprendre les moyens. En revenant des Touches à Guérande, Calyste avait l'âme pleine de Béatrix, il ignorait la profonde habileté féminine que déployait Félicité pour, en termes consacrés, avancer ses affaires. Pendant cette semaine la marquise n'avait écrit qu'une lettre à Conti, et ce symptôme d'indifférence n'avait pas échappé à Camille. Toute la vie de Calyste était concentrée dans l'instant si court pendant lequel il voyait la marquise. Cette goutte d'eau, loin d'étancher sa soif, ne faisait que la redoubler. Ce mot magique: Tu seras aimé! dit par Camille et approuvé par sa mère, était le talisman à l'aide duquel il contenait la fougue de sa passion. Il dévorait le temps, il ne dormait plus, il trompait l'insomnie en lisant, et il apportait chaque soir des charretées de livres, selon l'expression de Mariotte. Sa tante maudissait mademoiselle des Touches; mais la baronne, qui plusieurs fois était montée chez son fils en y apercevant de la lumière, avait le secret de ces veillées. Quoiqu'elle en fût restée aux timidités de la jeune fille ignorante et que pour elle l'amour eût tenu ses livres fermés, Fanny s'élevait par sa tendresse maternelle jusqu'à certaines idées; mais la plupart des abîmes de ce sentiment étaient obscurs et couverts de nuages, elle s'effrayait donc beaucoup de l'état dans lequel elle voyait son fils, elle s'épouvantait du désir unique, incompris qui le dévorait. Calyste n'avait plus qu'une pensée, il semblait toujours voir Béatrix devant lui. Le soir, pendant la partie, ses distractions ressemblaient au sommeil de son père. En le trouvant si différent de ce qu'il était quand il croyait aimer Camille, la baronne reconnaissait avec une sorte de terreur les symptômes qui signalent le véritable amour, sentiment tout à fait inconnu dans ce vieux manoir. Une irritabilité fébrile, une absorption constante rendaient Calyste hébété. Souvent il restait des heures entières à regarder une figure de la tapisserie. Elle lui avait conseillé le matin de ne plus aller aux Touches et de laisser ces deux femmes.

—Ne plus aller aux Touches! s'était écrié Calyste.

—Vas-y, ne te fâche pas, mon bien-aimé, répondit-elle en l'embrassant sur ces yeux qui lui avaient lancé des flammes.

Dans ces circonstances, Calyste faillit perdre le fruit des savantes manœuvres de Camille par la furie bretonne de son amour, dont il ne fut plus le maître. Il se jura, malgré ses promesses à Félicité, de voir Béatrix et de lui parler. Il voulait lire dans ses yeux, y noyer son regard, examiner les légers détails de sa toilette, en aspirer les parfums, écouter la musique de sa voix, suivre l'élégante composition de ses mouvements, embrasser par un coup d'œil cette taille, enfin la contempler, comme un grand général étudie le champ où se livrera quelque bataille décisive; il le voulait comme veulent les amants; il était en proie à un désir qui lui fermait les oreilles, qui lui obscurcissait l'intelligence, qui le jetait dans un état maladif où il ne reconnaissait plus ni obstacles ni distances, où il ne sentait même plus son corps. Il imagina alors d'aller aux Touches avant l'heure convenue, espérant y rencontrer Béatrix dans le jardin. Il avait su qu'elle s'y promenait le matin en attendant le déjeuner. Mademoiselle des Touches et la marquise étaient allées voir pendant la matinée les marais salants et le bassin bordé de sable fin où la mer pénètre, et qui ressemble à un lac au milieu des dunes, elles étaient revenues au logis et devisaient en tournant dans les petites allées jaunes du boulingrin.

—Si ce paysage vous intéresse, lui dit Camille, il faut aller avec Calyste faire le tour du Croisic. Il y a là des roches admirables, des cascades de granit, de petites baies ornées de cuves naturelles, des choses surprenantes de caprices, et puis la mer avec ses milliers de fragments de marbre, un monde d'amusements. Vous verrez des femmes faisant du bois, c'est-à-dire collant des bouses de vache le long des murs pour les dessécher et les entasser comme les mottes à Paris; puis, l'hiver, on se chauffe de ce bois-là.

—Vous risquez donc Calyste, dit en riant la marquise et d'un ton qui prouvait que la veille Camille en boudant Béatrix l'avait contrainte à s'occuper de Calyste.

—Ah! ma chère, quand vous connaîtrez l'âme angélique d'un pareil enfant, vous me comprendrez. Chez lui, la beauté n'est rien, il faut pénétrer dans ce cœur pur, dans cette naïveté surprise à chaque pas fait dans le royaume de l'amour. Quelle foi! quelle candeur! quelle grâce! Les anciens avaient raison dans le culte qu'ils rendaient à la sainte beauté. Je ne sais quel voyageur nous a dit que les chevaux en liberté prennent le plus beau d'entre eux pour chef. La beauté, ma chère, est le génie des choses; elle est l'enseigne que la nature a mise à ses créations les plus parfaites, elle est le plus vrai des symboles, comme elle est le plus grand des hasards. A-t-on jamais figuré les anges difformes? ne réunissent-ils pas la grâce à la force? Qui nous a fait rester des heures entières devant certains tableaux en Italie, où le génie a cherché pendant des années à réaliser un de ces hasards de la nature? Allons, la main sur la conscience, n'était-ce pas l'idéal de la beauté que nous unissions aux grandeurs morales? Eh! bien, Calyste est un de ces rêves réalisés, il a le courage du lion qui demeure tranquille sans soupçonner sa royauté. Quand il se sent à l'aise, il est spirituel, et j'aime sa timidité de jeune fille. Mon âme se repose dans son cœur de toutes les corruptions, de toutes les idées de la science, de la littérature, du monde, de la politique, de tous ces inutiles accessoires sous lesquels nous étouffons le bonheur. Je suis ce que je n'ai jamais été, je suis enfant! Je suis sûre de lui, mais j'aime à faire la jalouse, il en est heureux. D'ailleurs cela fait partie de mon secret.

Béatrix marchait pensive et silencieuse. Camille endurait un martyre inexprimable et lançait sur elle des regards obliques qui ressemblaient à des flammes.

—Ah! ma chère, tu es heureuse, toi! dit Béatrix en appuyant sa main sur le bras de Camille en femme fatiguée de quelque résistance secrète.

—Oui, bien heureuse! répondit avec une sauvage amertume la pauvre Félicité.

Les deux femmes tombèrent sur un banc, épuisées toutes deux. Jamais aucune créature de son sexe ne fut soumise à de plus véritables séductions et à un plus pénétrant machiavélisme que ne l'était la marquise depuis une semaine.

—Mais, moi! moi, voir les infidélités de Conti, les dévorer...

—Et pourquoi ne le quittes-tu pas? dit Camille en apercevant l'heure favorable où elle pouvait frapper un coup décisif.

—Le puis-je?

—Oh! pauvre enfant.

Toutes deux regardèrent un groupe d'arbres d'un air hébété.

—Je vais aller hâter le déjeuner, dit Camille, cette course m'a donné de l'appétit.

—Notre conversation m'a ôté le mien, dit Béatrix.

Béatrix, en toilette du matin, se dessinait comme une forme blanche sur les masses vertes du feuillage. Calyste, qui s'était coulé par le salon dans le jardin, prit une allée où il chemina lentement, pour y rencontrer la marquise comme par hasard; et Béatrix ne put retenir un léger tressaillement en l'apercevant.

—En quoi, madame, vous ai-je déplu hier? dit Calyste après quelques phrases banales échangées.

—Mais vous ne me plaisez ni ne me déplaisez, dit-elle d'un ton doux.

Le ton, l'air, la grâce admirable de la marquise encourageaient Calyste.

—Je vous suis indifférent, dit-il avec une voix troublée par les larmes qui lui vinrent aux yeux.

—Ne devons-nous pas être indifférents l'un à l'autre? répondit la marquise. Nous avons l'un et l'autre un attachement vrai...

—Hé! dit vivement Calyste, j'aimais Camille, mais je ne l'aime plus.

—Et que faites-vous donc tous les jours pendant toute la matinée? dit-elle avec un sourire assez perfide. Je ne suppose pas que, malgré sa passion pour le tabac, Camille vous préfère un cigare, et que, malgré votre admiration pour les femmes auteurs, vous passiez quatre heures à lire des romans femelles.

—Vous savez donc... dit ingénument le naïf Breton dont la figure était illuminée par le bonheur de voir son idole.

—Calyste! cria violemment Camille en apparaissant, l'interrompant, le prenant par le bras et l'entraînant à quelques pas, Calyste, est-ce là ce que vous m'aviez promis?

La marquise put entendre ce reproche de mademoiselle des Touches qui disparut en grondant et emmenant Calyste, elle demeura stupéfaite de l'aveu de Calyste, sans y rien comprendre. Madame de Rochegude n'était pas aussi forte que Claude Vignon. La vérité du rôle horrible et sublime joué par Camille est une de ces infâmes grandeurs que les femmes n'admettent qu'à la dernière extrémité. Là se brisent leurs cœurs, là cessent leurs sentiments de femmes, là commence pour elles une abnégation qui les plonge dans l'enfer, ou qui les mène au ciel.

Pendant le déjeuner, auquel Calyste fut convié, la marquise, dont les sentiments étaient nobles et fiers, avait déjà fait un retour sur elle-même, en étouffant les germes d'amour qui croissaient dans son cœur. Elle fut, non pas froide et dure pour Calyste, mais d'une douceur indifférente qui le navra. Félicité mit sur le tapis la proposition d'aller le surlendemain faire une excursion dans le paysage original compris entre les Touches, le Croisic et le bourg de Batz. Elle pria Calyste d'employer la journée du lendemain à se procurer une barque et des matelots en cas de promenade sur mer. Elle se chargeait des vivres, des chevaux et de tout ce qu'il fallait avoir à sa disposition pour ôter toute fatigue à cette partie de plaisir. Béatrix brisa net en disant qu'elle ne s'exposerait pas à courir ainsi le pays. La figure de Calyste qui peignait une vive joie se couvrit soudain d'un voile.

—Et que craignez-vous, ma chère? dit Camille.

—Ma position est trop délicate pour que je compromette, non pas ma réputation, mais mon bonheur, dit-elle avec emphase en regardant le jeune Breton. Vous connaissez la jalousie de Conti, s'il savait...

—Et qui le lui dira?

—Ne reviendra-t-il pas me chercher?

Ce mot fit pâlir Calyste. Malgré les instances de Félicité, malgré celles du jeune Breton, madame de Rochegude fut inflexible, et montra ce que Camille appelait son entêtement. Calyste, malgré les espérances que lui donna Félicité, quitta les Touches en proie à un de ces chagrins d'amoureux dont la violence arrive à la folie. Revenu à l'hôtel du Guénic, il ne sortit de sa chambre que pour dîner, et y remonta quelque temps après. A dix heures sa mère inquiète vint le voir, et le trouva griffonnant au milieu d'une grande quantité de papiers biffés et déchirés; il écrivait à Béatrix, car il se défiait de Camille; l'air qu'avait eu la marquise pendant leur entrevue au jardin l'avait singulièrement encouragé. Jamais première lettre d'amour n'a été, comme on pourrait le croire, un jet brûlant de l'âme. Chez tous les jeunes gens que n'a pas atteints la corruption, une pareille lettre est accompagnée de bouillonnements trop abondants, trop multipliés, pour ne pas être l'élixir de plusieurs lettres essayées, rejetées, recomposées. Voici celle à laquelle s'arrêta Calyste, et qu'il lut à sa pauvre mère étonnée. Pour elle, cette vieille maison était comme en feu, l'amour de son fils y flambait comme la lumière d'un incendie.

CALYSTE A BÉATRIX.

«Madame, je vous aimais quand vous n'étiez pour moi qu'un rêve, jugez quelle force a prise mon amour en vous apercevant. Le rêve a été surpassé par la réalité. Mon chagrin est de n'avoir rien à vous dire que vous ne sachiez en vous disant combien vous êtes belle; mais, peut-être vos beautés n'ont-elles jamais éveillé chez personne autant de sentiments qu'elles en excitent en moi. Vous êtes belle de plus d'une façon; et je vous ai tant étudiée en pensant à vous jour et nuit, que j'ai pénétré les mystères de votre personne, les secrets de votre cœur et vos délicatesses méconnues. Avez-vous jamais été comprise, adorée comme vous méritez de l'être? Sachez-le donc, il n'y a pas un de vos traits qui ne soit interprété dans mon cœur: votre fierté répond à la mienne, la noblesse de vos regards, la grâce de votre maintien, la distinction de vos mouvements, tout en vous est en harmonie avec des pensées, avec des vœux cachés au fond de votre âme, et c'est en les devinant que je me suis cru digne de vous. Si je n'étais pas devenu depuis quelques jours un autre vous-même, vous parlerais-je de moi? Me lire, ce sera de l'égoïsme: il s'agit ici bien plus de vous que de Calyste. Pour vous écrire, Béatrix, j'ai fait taire mes vingt ans, j'ai entrepris sur moi, j'ai vieilli ma pensée, ou peut-être l'avez-vous vieillie par une semaine des plus horribles souffrances, d'ailleurs innocemment causées par vous. Ne me croyez pas un de ces amants vulgaires desquels vous vous êtes moquée avec tant de raison. Le beau mérite d'aimer une jeune, une belle, une spirituelle, une noble femme! Hélas! je ne pense même pas à vous mériter. Que suis-je pour vous? un enfant attiré par l'éclat de la beauté, par les grandeurs morales, comme un insecte est attiré par la lumière. Vous ne pouvez pas faire autrement que de marcher sur les fleurs de mon âme, mais tout mon bonheur sera de vous les voir fouler aux pieds. Un dévouement absolu, la foi sans bornes, un amour insensé, toutes ces richesses d'un cœur aimant et vrai, ne sont rien; elles servent à aimer et ne font pas qu'on soit aimé. Par moments je ne comprends pas qu'un fanatisme si ardent n'échauffe pas l'idole; et quand je rencontre votre œil sévère et froid, je me sens glacé. C'est votre dédain qui agit et non mon adoration. Pourquoi? Vous ne sauriez me haïr autant que je vous aime, le sentiment le plus faible doit-il donc l'emporter sur le plus fort? J'aimais Félicité de toutes les puissances de mon cœur; je l'ai oubliée en un jour, en un moment, en vous voyant. Elle était l'erreur, vous êtes la vérité. Vous avez, sans le savoir, détruit mon bonheur, et vous ne me devez rien en échange. J'aimais Camille sans espoir et vous ne me donnez aucune espérance: rien n'est changé que la divinité. J'étais idolâtre, je suis chrétien, voilà tout. Seulement, vous m'avez appris qu'aimer est le premier de tous les bonheurs, être aimé ne vient qu'après. Selon Camille, ce n'est pas aimer que d'aimer pour quelques jours: l'amour qui ne s'accroît pas de jour en jour est une passion misérable; pour s'accroître, il doit ne pas voir sa fin, et elle apercevait le coucher de notre soleil. A votre aspect, j'ai compris ces discours que je combattais de toute ma jeunesse, de toute la fougue de mes désirs, avec l'austérité despotique de mes vingt ans. Cette grande et sublime Camille mêlait alors ses larmes aux miennes. Je puis donc vous aimer sur la terre et dans les cieux, comme on aime Dieu. Si vous m'aimiez, vous n'auriez pas à m'opposer les raisons par lesquelles Camille terrassait mes efforts. Nous sommes jeunes tous deux, nous pouvons voler des mêmes ailes, sous le même ciel, sans craindre l'orage que redoutait cet aigle. Mais que vous dis-je là? Je suis emporté bien loin au delà de la modestie de mes vœux! Vous ne croirez plus à la soumission, à la patience, à la muette adoration que je viens vous prier de ne pas blesser inutilement. Je sais, Béatrix, que vous ne pouvez m'aimer sans perdre de votre propre estime. Aussi ne vous demandé-je aucun retour. Camille disait naguère qu'il y avait une fatalité innée dans les noms, à propos du sien. Cette fatalité, je l'ai pressentie pour moi dans le vôtre, quand, sur la jetée de Guérande, il a frappé mes yeux au bord de l'Océan. Vous passerez dans ma vie comme Béatrix a passé dans la vie de Dante. Mon cœur servira de piédestal à une statue blanche, vindicative, jalouse et oppressive. Il vous est défendu de m'aimer; vous souffririez mille morts, vous seriez trahie, humiliée, malheureuse: il est en vous un orgueil de démon qui vous lie à la colonne que vous avez embrassée; vous y périrez en secouant le temple comme fit Samson. Ces choses, je ne les ai pas devinées, mon amour est trop aveugle; mais Camille me les a dites. Ici, ce n'est point mon esprit qui vous parle, c'est le sien; moi je n'ai plus d'esprit dès qu'il s'agit de vous, il s'élève de mon cœur des bouillons de sang qui obscurcissent de leurs vagues mon intelligence, qui m'ôtent mes forces, qui paralysent ma langue, qui brisent mes genoux et les font plier. Je ne puis que vous adorer, quoi que vous fassiez. Camille appelle votre résolution de l'entêtement; moi, je vous défends, et je la crois dictée par la vertu. Vous n'en êtes que plus belle à mes yeux. Je connais ma destinée: l'orgueil de la Bretagne est à la hauteur de la femme qui s'est fait une vertu du sien. Ainsi, chère Béatrix, soyez bonne et consolante pour moi. Quand les victimes étaient désignées, on les couronnait de fleurs; vous me devez les bouquets de la pitié, les musiques du sacrifice. Ne suis-je pas la preuve de votre grandeur, et ne vous élèverez-vous pas de la hauteur de mon amour dédaigné, malgré sa sincérité, malgré son ardeur immortelle? Demandez à Camille comment je me suis conduit depuis le jour où elle m'a dit qu'elle aimait Claude Vignon. Je suis resté muet, j'ai souffert en silence. Eh! bien, pour vous, je trouverai plus de force encore si vous ne me désespérez pas, si vous appréciez mon héroïsme. Une seule louange de vous me ferait supporter les douleurs du martyre. Si vous persistez dans ce froid silence, dans ce mortel dédain, vous donneriez à penser que je suis à craindre. Ah! soyez avec moi tout ce que vous êtes, charmante, gaie, spirituelle, aimante. Parlez-moi de Gennaro, comme Camille me parlait de Claude. Je n'ai pas d'autre génie que celui de l'amour, je n'ai rien qui me rende redoutable, et je serai devant vous comme si je ne vous aimais pas. Rejetterez-vous la prière d'un amour si humble, d'un pauvre enfant qui demande pour toute grâce à sa lumière de l'éclairer, à son soleil de le réchauffer? Celui que vous aimez vous verra toujours; le pauvre Calyste a peu de jours pour lui, vous en serez bientôt quitte. Ainsi, je reviendrai demain aux Touches, n'est-ce pas? vous ne refuserez pas mon bras pour aller visiter les bords du Croisic et le bourg de Batz? Si vous ne veniez pas, ce serait une réponse, et Calyste l'entendrait.»

Il y avait encore quatre autres pages d'une écriture fine et serrée où Calyste expliquait la terrible menace que ce dernier mot contenait en racontant sa jeunesse et sa vie; mais il y procédait par phrases exclamatives; il y avait beaucoup de ces points prodigués par la littérature moderne dans les passages dangereux, comme des planches offertes à l'imagination du lecteur pour lui faire franchir les abîmes. Cette peinture naïve serait une répétition dans le récit; si elle ne toucha pas madame de Rochegude, elle intéresserait médiocrement les amateurs d'émotions fortes; elle fit pleurer la mère, qui dit à son fils:—Tu n'as donc pas été heureux?

Ce terrible poème de sentiments tombés comme un orage dans le cœur de Calyste, et qui devait aller en tourbillonnant dans une autre âme, effraya la baronne: elle lisait une lettre d'amour pour la première fois de sa vie. Calyste était debout dans un terrible embarras, il ne savait comment remettre sa lettre. Le chevalier du Halga se trouvait encore dans la salle où se jouaient les dernières remises d'une mouche animée. Charlotte de Kergarouët, au désespoir de l'indifférence de Calyste, essayait de plaire aux grands parents pour assurer par eux son mariage. Calyste suivit sa mère et reparut dans la salle en gardant dans sa poche sa lettre qui lui brûlait le cœur: il s'agitait, il allait et venait comme un papillon entré par mégarde dans une chambre. Enfin la mère et le fils attirèrent le chevalier du Halga dans la grande salle, d'où ils renvoyèrent le petit domestique de mademoiselle de Pen-Hoël et Mariotte.

—Qu'ont-ils à demander au chevalier? dit la vieille Zéphirine à la vieille Pen-Hoël.

—Calyste me fait l'effet d'être fou, répondit-elle. Il n'a pas plus d'égard pour Charlotte que si c'était une paludière.

La baronne avait très-bien imaginé que, vers l'an 1780, le chevalier du Halga devait avoir navigué dans les parages de la galanterie, et elle avait dit à Calyste de le consulter.

—Quel est le meilleur moyen de faire parvenir secrètement une lettre à sa maîtresse? dit Calyste à l'oreille du chevalier.

—On met la lettre dans la main de sa femme de chambre en l'accompagnant de quelques louis, car tôt ou tard une femme de chambre est dans le secret, et il vaut mieux l'y mettre tout d'abord, répondit le chevalier dont la figure laissa échapper un sourire; mais il vaut mieux la remettre soi-même.

—Des louis! s'écria la baronne.

Calyste rentra, prit son chapeau; puis il courut aux Touches, et produisit comme une apparition dans le petit salon où il entendait les voix de Béatrix et de Camille. Toutes les deux étaient sur le divan et paraissaient être en parfaite intelligence. Calyste, avec cette soudaineté d'esprit que donne l'amour, se jeta très étourdiment sur le divan à côté de la marquise en lui prenant la main et y mettant sa lettre, sans que Félicité, quelque attentive qu'elle fût, pût s'en apercevoir. Le cœur de Calyste fut chatouillé par une émotion aiguë et douce tout à la fois en se sentant presser la main par celle de Béatrix, qui, sans interrompre sa phrase ni paraître décontenancée, glissait la lettre dans son gant.

—Vous vous jetez sur les femmes comme sur des divans, dit-elle en riant.

—Il n'en est cependant pas à la doctrine des Turcs, répliqua Félicité, qui ne put se refuser cette épigramme.

Calyste se leva, prit la main de Camille et la lui baisa; puis il alla au piano, en fit résonner toutes les notes d'un coup en passant le doigt dessus. Cette vivacité de joie occupa Camille, qui lui dit de venir lui parler.

—Qu'avez-vous? lui demanda-t-elle à l'oreille.

—Rien, répondit-il.

—Il y a quelque chose entre eux, se dit mademoiselle des Touches.

La marquise fut impénétrable. Camille essaya de faire causer Calyste en espérant qu'il se trahirait; mais l'enfant prétexta l'inquiétude où serait sa mère, et quitta les Touches à onze heures, non sans avoir essuyé le feu d'un regard perçant de Camille, à qui cette phrase était dite pour la première fois.

Après les agitations d'une nuit pleine de Béatrix, après être allé pendant la matinée vingt fois dans Guérande au-devant de la réponse qui ne venait pas, la femme de chambre de la marquise entra dans l'hôtel du Guénic, et remit à Calyste cette réponse, qu'il alla lire au fond du jardin sous la tonnelle.

BÉATRIX A CALYSTE.

«Vous êtes un noble enfant, mais vous êtes un enfant. Vous vous devez à Camille, qui vous adore. Vous ne trouveriez en moi ni les perfections qui la distinguent ni le bonheur qu'elle vous prodigue. Quoi que vous puissiez penser, elle est jeune et je suis vieille, elle a le cœur plein de trésors et le mien est vide, elle a pour vous un dévouement que vous n'appréciez pas assez, elle est sans égoïsme, elle ne vit qu'en vous; et moi je serais remplie de doutes, je vous entraînerais dans une vie ennuyée, sans noblesse, dans une vie gâtée par ma faute. Camille est libre, elle va et vient comme elle veut; moi je suis esclave. Enfin vous oubliez que j'aime et que je suis aimée. La situation où je suis devrait me défendre de tout hommage. M'aimer ou me dire qu'on m'aime est, chez un homme, une insulte. Une nouvelle faute ne me mettrait-elle pas au niveau des plus mauvaises créatures de mon sexe? Vous qui êtes jeune et plein de délicatesses, comment m'obligez-vous à vous dire ces choses, qui ne sortent du cœur qu'en le déchirant? J'ai préféré l'éclat d'un malheur irréparable à la honte d'une constante tromperie, ma propre perte à celle de la probité; mais aux yeux de beaucoup de personnes à l'estime desquelles je tiens, je suis encore grande: en changeant, je tomberais de quelques degrés de plus. Le monde est encore indulgent pour celles dont la constance couvre de son manteau l'irrégularité du bonheur; mais il est impitoyable pour les habitudes vicieuses. Je n'ai ni dédain ni colère, je vous réponds avec franchise et simplicité. Vous êtes jeune, vous ignorez le monde, vous êtes emporté par la fantaisie, et vous êtes incapable, comme tous les gens dont la vie est pure, de faire les réflexions que suggère le malheur. J'irai plus loin. Je serais la femme du monde la plus humiliée, je cacherais d'épouvantables misères, je serais trahie, enfin je serais abandonnée, et, Dieu merci, rien de tout cela n'est possible; mais, par une vengeance du ciel, il en serait ainsi, personne au monde ne me verrait plus. Oui, je me sentirais alors le courage de tuer un homme qui me parlerait d'amour, si, dans la situation où je serais, un homme pouvait encore arriver à moi. Vous avez là le fond de ma pensée. Aussi peut-être ai-je à vous remercier de m'avoir écrit. Après votre lettre, et surtout après ma réponse, je puis être à mon aise auprès de vous aux Touches, être au gré de mon caractère et comme vous le demandez. Je ne vous parle pas du ridicule amer qui me poursuivrait dans le cas où mes yeux cesseraient d'exprimer les sentiments dont vous vous plaignez. Un second vol fait à Camille serait une preuve d'impuissance auquel une femme ne se résout pas deux fois. Vous aimé-je follement, fussé-je aveugle, oublié-je tout, je verrais toujours Camille! Son amour pour vous est une de ces barrières trop hautes pour être franchies par aucune puissance, même par les ailes d'un ange: il n'y a qu'un démon qui ne recule pas devant ces infâmes trahisons. Il se trouve ici, mon enfant, un monde de raisons que les femmes nobles et délicates se réservent et auxquelles vous n'entendez rien, vous autres hommes, même quand ils sont aussi semblables à nous que vous l'êtes en ce moment. Enfin vous avez une mère qui vous a montré ce que doit être une femme dans la vie; elle est pure et sans tache, elle a rempli sa destinée noblement; ce que je sais d'elle a mouillé mes yeux de larmes, et du fond de mon cœur il s'est élevé des mouvements d'envie. J'aurais pu être ainsi! Calyste, ainsi doit être votre femme, et telle doit être sa vie. Je ne vous renverrai plus méchamment, comme j'ai fait, à cette petite Charlotte, qui vous ennuierait promptement; mais à quelque divine jeune fille digne de vous. Si j'étais à vous, je vous ferais manquer votre vie. Il y aurait chez vous manque de foi, de constance, ou vous auriez alors l'intention de me vouer toute votre existence: je suis franche, je la prendrais, je vous emmènerais je ne sais où, loin du monde; je vous rendrais fort malheureux, je suis jalouse, je vois des monstres dans une goutte d'eau, je suis au désespoir de misères dont beaucoup de femmes s'arrangent; il est même des pensées inexorables qui viendraient de moi, non de vous, et qui me blesseraient à mort. Quand un homme n'est pas à la dixième année de bonheur aussi respectueux et aussi délicat qu'à la veille du jour où il mendiait une faveur, il me semble un infâme et m'avilit à mes propres yeux! un pareil amant ne croit plus aux Amadis et aux Cyrus de mes rêves. Aujourd'hui, l'amour pur est une fable, et je ne vois en vous que la fatuité d'un désir à qui sa fin est inconnue. Je n'ai pas quarante ans, je ne sais pas encore faire plier ma fierté sous l'autorité de l'expérience, je n'ai pas cet amour qui rend humble, enfin je suis une femme dont le caractère est encore trop jeune pour ne pas être détestable. Je ne puis répondre de mon humeur, et chez moi la grâce est tout extérieure. Peut-être n'ai-je pas assez souffert encore pour avoir les indulgentes manières et la tendresse absolue que nous devons à de cruelles tromperies. Le bonheur a son impertinence, et je suis très impertinente. Camille sera toujours pour vous une esclave dévouée, et je serais un tyran déraisonnable. D'ailleurs, Camille n'a-t-elle pas été mise auprès de vous par votre bon ange pour vous permettre d'atteindre au moment où vous commencerez la vie que vous êtes destiné à mener, et à laquelle vous ne devez pas faillir? Je la connais, Félicité! sa tendresse est inépuisable; elle ignore peut-être les grâces de notre sexe, mais elle déploie cette force féconde, ce génie de la constance et cette noble intrépidité qui fait tout accepter. Elle vous mariera, tout en souffrant d'horribles douleurs; elle saura vous choisir une Béatrix libre, si c'est Béatrix qui répond à vos idées sur la femme et à vos rêves; elle vous aplanira toutes les difficultés de votre avenir. La vente d'un arpent de terre qu'elle possède à Paris dégagera vos propriétés en Bretagne, elle vous instituera son héritier, n'a-t-elle pas déjà fait de vous un fils d'adoption? Hélas! que puis-je pour votre bonheur? rien. Ne trahissez donc pas un amour infini qui se résout aux devoirs de la maternité. Je la trouve bien heureuse, cette Camille!... L'admiration que vous inspire la pauvre Béatrix est une de ces peccadilles pour lesquelles les femmes de l'âge de Camille sont pleines d'indulgence. Quand elles sont sûres d'être aimées, elles pardonnent à la constance une infidélité, c'est même chez elles un de leurs plus vifs plaisirs que de triompher de la jeunesse de leurs rivales. Camille est au-dessus des autres femmes; ceci ne s'adresse point à elle, je ne le dis que pour rassurer votre conscience. Je l'ai bien étudiée, Camille, elle est à mes yeux une des plus grandes figures de notre temps. Elle est spirituelle et bonne, deux qualités presque inconciliables chez les femmes; elle est généreuse et simple, deux autres grandeurs qui se trouvent rarement ensemble. J'ai vu dans le fond de son cœur de sûrs trésors, il semble que Dante ait fait pour elle dans son Paradis la belle strophe sur le bonheur éternel qu'elle vous expliquait l'autre soir et qui finit par Senza brama sicura richezza. Elle me parlait de sa destinée, elle me racontait sa vie en me prouvant que l'amour, cet objet de nos vœux et de nos rêves, l'avait toujours fuie, et je lui répondais qu'elle me paraissait démontrer la difficulté d'appareiller les choses sublimes et qui explique bien des malheurs. Vous êtes une de ces âmes angéliques dont la sœur paraît impossible à rencontrer. Ce malheur, mon cher enfant, Camille vous l'évitera; elle vous trouvera, dût-elle en mourir, une créature avec laquelle vous puissiez être heureux en ménage.