The Project Gutenberg eBook, La Radiologie et La Guerre, by Marie Curie

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Title: La Radiologie et La Guerre

Author: Marie Curie

Release Date: November 3, 2013 [eBook #44098]

Language: French

Character set encoding: UTF-8

***START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LA RADIOLOGIE ET LA GUERRE***

 

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La Radiologie et la Guerre

PAR

Mme PIERRE CURIE

Professeur à la Sorbonne.

Avec 11 figures et 16 planches hors texte.

 

 

 

PARIS
LIBRAIRIE FÉLIX ALCAN
108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 108
1921

Table des matières


INTRODUCTION

Depuis la découverte des rayons X, en 1895, les méthodes de la radiologie, progressivement élaborées par les médecins, ont été appliquées avec succès sous la forme de radio-diagnostic et de radiothérapie. Les progrès réalisés dans ce domaine sont dus, pour une grande partie, à la perfection des appareils mis à la disposition des médecins par les constructeurs. Il était à prévoir que la radiologie serait d'un secours puissant pour l'examen des blessés de guerre. Néanmoins, on peut affirmer, que les services qu'elle a pu rendre à ce point de vue ont grandement dépassé toutes les prévisions. Il en est résulté, de divers côtés, un double effort: d'une part, pour développer et multiplier les méthodes d'observation radiologique, d'autre part, pour réaliser des installations et des appareillages capables de répondre à tous les besoins et à toutes les conditions de travail, dans les ambulances du front comme dans les hôpitaux du territoire. Ainsi a été constituée la radiologie de guerre dont l'extension n'a cessé d'augmenter jusqu'à la fin de celle-ci. Et si l'activité des services radiologiques s'est, naturellement, ralentie avec la cessation des hostilités, l'impulsion dont est sorti leur développement ne s'est point épuisée; elle reste acquise comme élément d'action organisatrice, pour étendre à toute la population française les bienfaits d'une technique médicale dont l'usage était resté très limité avant la guerre.

Les circonstances ont fait qu'à cette évolution, encore inachevée, j'ai pris une part active. Ayant voulu, comme tant d'autres, me mettre au service de la Défense nationale dans les années que nous venons de traverser, je me suis presque aussitôt orientée du côté de la radiologie m'efforçant de contribuer à l'organisation des services radiologiques notoirement insuffisants au début de la guerre. Le champ d'activité ainsi ouvert a absorbé la plus grande part de mon temps. J'ai eu la bonne fortune de trouver des moyens d'action. Chargée de la direction technique de l'œuvre radiologique du Patronage National des Blessés, Société de Secours fondée sous la présidence de M.E. Lavisse, j'ai pu, avec l'aide libérale de cette œuvre, créer un service de Radiologie auxiliaire du service de Santé Militaire pour les hôpitaux des armées et du territoire. Ce service a pris une grande extension, en raison même des besoins auxquels il s'agissait de faire face. Il m'a fallu faire de nombreux voyages aux hôpitaux et aux ambulances, pour vivre de leur vie et participer à leur travail. Il m'a fallu aussi m'occuper de la formation de personnel pour les besoins du service.

Je dirai donc dans ce livre sur la Radiologie ce que j'en ai vu pendant la guerre et ce que j'en espère dans l'avenir.


I

LES RAYONS X

C'est une méthode d'observation merveilleuse, en vérité, que celle qui nous a permis, pour la première fois, d'explorer sans le secours de la chirurgie, l'intérieur du corps humain. La chance inespérée de cet examen direct nous a été apportée par la découverte des rayons X que nous devons à M. Rœntgen et qui a eu lieu en 1895.

L'appareil de production de rayons X n'est autre chose qu'un tube ou ampoule de verre ayant généralement la forme indiquée dans la figure I. Dans le tube pénètrent deux pièces métalliques, nommées électrodes, destinées à y faire passer le courant électrique. Une de ces électrodes C, nommée cathode ou électrode négative (pôle de sortie du courant) est constituée par une calotte en aluminium, placée dans une partie tubulaire à l'entrée de l'espace sphérique. Au centre de celui-ci se trouve l'extrémité de l'autre électrode AC nommée anticathode et pouvant remplir le rôle d'électrode positive ou anode (pôle d'entrée du courant). Cependant, on lui adjoint souvent une électrode supplémentaire A qui est placée dans une tubulure latérale et reçoit plus spécialement le nom d'anode. Le tube est étanche et l'on y peut faire un vide élevé, la pression du gaz résiduel étant, par exemple, de l'ordre de deux ou trois millièmes de millimètre de mercure. Dans cet état, le tube prend souvent le nom de tube ou ampoule de Crookes, du nom du savant qui a étudié le passage du courant électrique dans l'air extrêmement raréfié[1].


Fig. 1


Pour obtenir le passage du courant, il est nécessaire d'employer une haute tension, c'est-à-dire d'établir entre les électrodes une différence de potentiel de l'ordre de quelques dizaines de milliers de volts. Tant que la tension nécessaire n'est pas atteinte, aucun courant ne passe dans l'ampoule, mais dès que la valeur critique de la tension a été obtenue, le courant commence à passer brusquement, sous forme de décharge disruptive.

Le passage de cette décharge est accompagné de phénomènes du plus haut intérêt, mis en évidence par les travaux ingénieux et patients de nombreux savants, parmi lesquels il convient de citer en première ligne Crookes et J.J. Thomson. De la cathode s'échappe un essaim de particules, bien plus ténues que les atomes eux-mêmes, et dont chacune porte une charge négative. Ces particules, repoussées énergiquement par la cathode, se trouvent lancées comme des projectiles avec une grande vitesse et viennent frapper l'anticathode en un point nommé le foyer. Ce choc a pour effet d'exciter dans l'anticathode un rayonnement, ainsi que dans une cloche le choc du battant détermine l'émission d'une onde sonore; et ces rayons dont la source est au foyer de l'anticathode sont précisément ceux qui ont été nommés rayons X par Rœntgen qui le premier les a observés et étudiés.

Les projectiles qui, venant de la cathode, bombardent l'anticathode et provoquent l'émission de rayons X, ont des vitesses d'autant plus grandes que la tension ou différence de potentiel aux bornes de l'ampoule est plus considérable; ces vitesses peuvent atteindre et même dépasser le tiers de la vitesse de la lumière, elles se chiffrent souvent par plus de 100.000 kilomètres à la seconde. Chacune de ces particules a une masse qui, on le sait aujourd'hui, est environ 1.800 fois plus petite que celle d'un atome d'hydrogène. Ces grains minimes d'électricité négative se nomment électrons. Crookes qui avait bien compris leur nature les avait désignés par le nom expressif de matière radiante. Les électrons lancés avec une grande vitesse constituent, en effet, des rayons de nature matérielle que l'on nomme aujourd'hui rayons cathodiques.

Nous dirons donc que le choc des rayons cathodiques sur une anticathode provoque sur celle-ci une émission de rayons X.

Quels sont les effets qui ont permis de découvrir cette émission? Les nouveaux rayons ne sont pas directement accessibles à nos sens; nous ne pouvons ni les voir ni les entendre. Mais c'est leur faculté d'exciter la fluorescence qui a tout d'abord permis de déceler leur présence. En plaçant en face de l'anticathode un écran recouvert d'une couche de platinocyanure de baryum, on voit l'écran s'éclairer d'une belle luminosité verte, ainsi qu'il le ferait sous l'action de la lumière ultraviolette. Ce sont les rayons X qui excitent cette fluorescence en dehors de l'ampoule de production dont ils traversent la paroi. Ils peuvent aussi impressionner une plaque photographique au travers d'un papier noir qui l'enveloppe pour la protéger de la lumière.

Ces propriétés des rayons X sont précisément celles que nous utilisons dans la radiologie. Les rayons traversent, en effet, différentes substances d'autant plus facilement que celles-ci sont moins denses (plus exactement, le pouvoir pénétrant des rayons est d'autant plus grand que le poids atomique de la substance à traverser est plus faible). Si un faisceau de rayons X issu du foyer d'une anticathode atteint un écran radioscopique (écran au platinocyanure de baryum) au travers d'un objet tel qu'un porte-monnaie en cuir contenant des pièces de monnaie, le cuir est traversé très facilement, sans que les pièces ou la monture métallique le soient, de sorte que ces parties opaques de l'objet examiné portent ombre sur l'écran et sont ainsi vues au travers du cuir en image radioscopique, alors qu'on ne peut les voir directement en examinant le porte-monnaie à la lumière ordinaire pour laquelle le cuir est opaque. Si, dans ce même essai, on remplace l'écran par une plaque photographique, celle-ci, développée à la manière ordinaire, fera apparaître l'image du porte-monnaie, sur laquelle les parties métalliques opaques aux rayons X paraîtront en clair, et les parties relativement transparentes (cuir) en sombre. La région frappée par les rayons en dehors de l'objet est la plus impressionnée et donne les «grands noirs». On obtient ainsi une radiographie qu'on peut considérer comme un négatif; un tirage du cliché sur papier sensible fournit un positif dont l'apparence correspond à celle de l'image radioscopique (voir planche I).


Planche I. — (à gauche) — Radiographie d'un porte-monnaie contenant des pièces de monnaie et des clefs. Sur la plaque directement obtenue, ou négatif, les parties métalliques opaques se détachent en clair. — (à droite) — Positif obtenu avec la plaque précédente. Les parties métalliques se détachent en sombre. L'image a le même aspect que celle qui se produit sur un écran radioscopique.


Si, au lieu d'examiner un porte-monnaie, nous soumettons à l'observation une partie du corps humain, par exemple un bras, une jambe, une main, etc., nous constaterons que les os sont plus opaques aux rayons X que les chairs.

La raison en est facile à comprendre. Les chairs sont constituées, en effet, par des matières organiques composées d'éléments à faible poids atomique, tels que l'hydrogène, le carbone, l'azote, l'oxygène (poids atomiques 1, 12, 14, 16). Mais dans la composition normale des os entrent en plus des matières minérales, principalement le phosphate de chaux qui contient comme constituants les éléments phosphore et calcium de poids atomiques 31 et 40. Ce sont ces éléments qui déterminent principalement l'absorption des rayons X par la matière osseuse. Les os portent ombre en radioscopie, alors qu'ils se détachent en clair sur l'image radiographique.

La radioscopie et la radiographie du corps humain fournissent des contrastes qui permettent de réaliser des images d'une grande beauté, avec de nombreux détails de structure (planche II).

Et de même que nous nous trouvons ainsi admis à examiner l'intérieur du corps humain à l'état normal, de même il nous est possible de constater des aspects anormaux occasionnés par un accident ou par une maladie. Si un objet métallique a pénétré dans le corps à la suite d'une blessure (balle, éclat d'obus), ou bien s'il a été avalé par inadvertance, (bille, sou), la présence de cet objet à l'intérieur du corps est révélée sur l'image radioscopique ou radiographique grâce à l'ombre qu'il projette.

Si un os a subi une fracture, la solution de continuité apparaîtra sur l'image et fera connaître les détails de l'accident.

Ainsi se trouve créée une possibilité merveilleuse de diagnostic par la vision directe qui constitue un bienfait pour le malade et un allégement de responsabilité pour le médecin.

Ce service, pourtant considérable, n'est pas le seul que puissent rendre les nouveaux rayons. L'expérience a montré qu'ils constituent aussi un agent thérapeutique de haute importance. De tout temps, il a été habituel d'expérimenter à ce point de vue tout nouvel agent physique. La souffrance humaine demande impérieusement à être soulagée, et la science médicale, encore en grande partie condamnée à l'empirisme, ne manque jamais de tenter un essai qui offre quelque espoir nouveau. On ne tarda pas à reconnaître que les rayons X produisent des effets physiologiques très prononcés. Les premiers expérimentateurs eurent à déplorer des accidents dont ils ont été, dans certains cas, les premières victimes. Les rayons X absorbés à forte dose peuvent occasionner des lésions de la peau dites radiodermites, dont l'issue est parfois mortelle. Mais employés à dose convenable, et suivant des méthodes scientifiquement élaborées, ils peuvent, au contraire, produire un effet bienfaisant, et amener la guérison ou tout au moins l'amélioration de plusieurs maladies dont la plus grave est le cancer. Il n'est pas nécessaire d'insister sur l'importance de cette nouvelle ressource de la médecine scientifique. Le traitement par les rayons X porte le nom de radiothérapie.


Planche II. — Radiographie d'une main (positif). A l'annulaire une bague d'or très opaque aux rayons X. Au petit doigt une bague d'aluminium bien moins opaque: l'ombre de l'os s'aperçoit au travers de cette bague. Au poignet un bracelet de fer avec une plaque d'aluminium mince, peu visible sur la radiographie en raison de sa transparence. Les os, bien moins opaques que les bagues, donnent cependant des ombres très nettes laissant voir des détails de structure. Le contour des chairs se voit faiblement. A côté de la main se trouve un radiochromomètre radiographié en même temps que celle-ci. Il indique une dureté de rayons de 6e Benoist.


La nature des nouveaux rayons qui nous rendent des services aussi signalés est aujourd'hui parfaitement connue. Les rayons X ont la plus grande analogie avec la lumière bien qu'ils s'en distinguent, semble-t-il, par les propriétés qui viennent d'être décrites, et bien que nous ne puissions pas les concentrer par des lentilles ou les faire dévier par des prismes. Rappelons ici que la lumière est un phénomène vibratoire dont les propriétés dépendent de la fréquence de la vibration. La lumière visible correspond à des vibrations au nombre de 1015 environ, soit un million de milliards par seconde. Les rayons ultra-violets qui ne sont pas visibles ont une fréquence plus grande encore. La fréquence des rayons X est environ 1.000 fois plus grande que celle de la lumière visible, il n'est donc pas étonnant que leurs propriétés diffèrent de celles de la lumière.

On constate, entre autres, que les rayons X sont capables de décharger un électroscope, en rendant l'air qui l'entoure conducteur de l'électricité. On peut mesurer l'intensité des rayons d'après la vitesse avec laquelle l'électroscope est déchargé.

La conductibilité communiquée à l'air par l'action des rayons prend le nom d'ionisation. D'autres gaz que l'air peuvent aussi subir l'ionisation. L'étude des gaz ionisés a conduit à des découvertes scientifiques importantes, relatives à la nature de l'électricité et de la matière.

On voit d'après ce qui précède que les rayons X constituent un agent nouveau qui a tout de suite acquis une grande importance scientifique et, de plus, trouvé une vaste application médicale. Par effet réciproque, il en est résulté un grand effort pour améliorer la technique de la production et de l'emploi de ces rayons. Les constructeurs s'attachèrent à établir des types d'appareils, aussi parfaits que possible, pour la production du courant de haute tension qui alimente les ampoules, et les ampoules elles-mêmes subirent de nombreux perfectionnements. A la faveur de ces efforts et grâce aux travaux de médecins spécialistes distingués, la nouvelle Science de Radiologie se constitua et se développa rapidement, centralisée presque exclusivement dans les grandes villes. Celles-ci bénéficièrent bientôt d'un certain nombre de belles installations radiologiques, appartenant soit aux hôpitaux publics, soit plus souvent aux médecins spécialistes. Mais, jusqu'à la guerre, l'emploi des rayons X n'était point habituel dans tous les services hospitaliers. Même à Paris, le nombre des services radiologiques était fort restreint; et si des villes comme Lyon, Bordeaux, etc., possédaient quelques services importants, par contre, les petites villes de province étaient, en général, dépourvues de toute organisation radiologique.

On aperçoit immédiatement la répercussion de cet état de choses au début de la guerre. L'opinion tout naturellement adoptée par les pouvoirs publics préconisait l'emploi de la radiologie dans les services centraux militaires de l'arrière, mais ne prévoyait nullement une extension générale de cet emploi à toutes les formations sanitaires des armées et du territoire. Le Service de Santé militaire avait, d'ailleurs, envisagé le besoin de secours radiologique urgent transportable, assuré par des voitures radiologiques munies de tous les appareils nécessaires; mais on espérait subvenir aux besoins à l'aide d'un très petit nombre de ces voitures.

Il eût été difficile, en vérité, de prédire l'immensité des besoins que fit surgir la guerre dont nul ne pouvait prévoir la durée et la puissance meurtrière. Et comme l'organisation de la radiologie n'avait pas été généralisée dans le pays avant la guerre, elle se trouva nécessairement insuffisante pour les besoins de la Défense Nationale, aussi bien au point de vue du matériel qu'au point de vue du personnel. Cependant le rôle de la radiologie surpassa en importance toute proportion prévue, de sorte que, peu à peu, elle fut indispensable aux blessés et aux malades, loin ou près du front. Le manque de préparation fut compensé par un effort considérable accompli par le gouvernement et par l'initiative privée. Des appareils ont été offerts aux hôpitaux par des donateurs. Des professeurs ou ingénieurs s'occupèrent de de leur installation et de leur mise en service. Ainsi que dans tant d'autres circonstances, des œuvres et des particuliers apportèrent leur concours au Service de Santé lequel, de son côté, constitua peu à peu un matériel radiologique considérable et assura une organisation générale du Service, devenue très complète dans les dernières années de la guerre.

Il est réconfortant de se dire que l'effort réalisé pour donner aux blessés les soins auxquels ils avaient droit a produit des résultats bienfaisants qui n'ont pas été limités à la durée de la guerre. Cet effort a conduit directement à reconnaître l'utilité générale de la radiologie; il a contribué à établir en France une vaste organisation mettant les bienfaits de la radiologie à la portée de toute la population.

[1] Une ampoule radiologique du type décrit comprend encore en général, des éléments qui, sans être essentiels au point de vue théorique, sont cependant indispensables pour assurer la régularité du fonctionnement. Tels sont les dispositifs de refroidissement de l'anticathode laquelle peut s'échauffer jusqu'à l'incandescence lors du passage du courant, et les régulateurs de pression qui permettent de faire varier dans certaines limites la quantité de gaz contenue dans l'ampoule.


II

COMMENT ON PEUT PRODUIRE LES RAYONS X

Nous avons vu dans le chapitre précédent que pour produire les rayons X, il faut faire passer un courant électrique dans un tube tel que celui de la figure I, et qu'il est nécessaire de disposer pour cela d'une tension ou différence de potentiel élevée. Celle-ci n'est généralement pas fournie par les distributions d'électricité dans les villes. Il convient donc de transformer le courant de basse tension distribué par l'usine d'électricité en courant de haute tension capable d'alimenter l'ampoule.

Cette transformation de courant est obtenue à l'aide d'appareils établis dans ce but par l'industrie électrique. Tous ces appareils utilisent le phénomène de l'induction électrique, mais ne l'utilisent pas tous de la même manière. Tous possèdent cependant comme partie essentielle deux circuits électriques, dont l'un contient une spirale de gros fil, l'autre une spirale de fil très fin enroulée autour de la précédente sans communiquer avec elle. Si dans le premier circuit, nommé primaire, on envoie un courant, dont l'intensité varie périodiquement,—soit le courant alternatif industriel, soit le courant continu régulièrement interrompu par un dispositif spécial nommé interrupteur,—il se produit dans le deuxième circuit nommé secondaire des courants induits de haute tension circulant alternativement, tantôt dans un sens, tantôt dans l'autre. Ce sont ces courants induits qu'on peut employer pour actionner les ampoules.

Bien que les appareils de transformation de courant soient tous basés sur le même principe, ils sont néanmoins de types multiples et leur puissance peut varier dans de larges limites. Je ne décrirai ici, à titre d'exemple, qu'un type d'appareil très couramment employé pendant la guerre, de puissance modérée mais suffisante pour les besoins de la radiologie de guerre.

Le transformateur de courant T (fig. 2) se compose d'un noyau de fer doux autour duquel sont disposés deux enroulements (ou bobines), l'un à gros fil pour le primaire (T1), l'autre à fil fin pour le secondaire (T2); l'enroulement secondaire entoure l'enroulement primaire mais en est entièrement séparé par un isolant. Un courant interrompu à intervalles réguliers traverse le primaire, et le secondaire est le siège de courants induits de haute tension produits à chaque interruption du primaire.

Le circuit primaire est alimenté par une source d'électricité convenable, par exemple par une distribution à 110 volts de courant continu ou par un groupe électrogène pouvant remplacer cette distribution. Branché aux pôles de la source (ou secteur), le circuit comprend l'enroulement primaire T1 du transformateur, un rhéostat R qui règle l'intensité du courant, un ampèremètre A qui mesure cette intensité, un coupe-circuit C et enfin une pièce essentielle: l'interrupteur I. Le modèle d'interrupteur le plus employé est la turbine à mercure[1].


Fig. 2


Le circuit secondaire comprend l'enroulement secondaire T2 du transformateur, l'ampoule productrice de rayons X, une soupape S et un milliampèremètre MA; ce dernier mesure le courant utile. La soupape est destinée à absorber parmi les courants de haute tension produits dans le transformateur ceux dont le sens ne convient pas au fonctionnement de l'ampoule, et qu'on nomme courants inverses. Quand le courant inverse passe, le fonctionnement est défectueux et l'ampoule se détériore. La soupape est un tube de Crookes à électrodes très dissymétriques, dont l'une est une tige étroitement emboîtée dans une tubulure de verre, tandis que l'autre est une spirale placée dans la partie centrale du tube; celui-ci porte le nom de soupape, car il laisse passer le courant très facilement de la tige vers la spirale, et très difficilement en sens inverse, à condition que la faible pression d'air à l'intérieur soit convenablement réglée[2].

Il ne suffit pas de disposer d'une intensité de rayons convenables, il faut aussi que ces rayons aient un pouvoir pénétrant adapté; on dit alors que l'ampoule a une «dureté» convenable. Il est donc nécessaire d'avoir un dispositif qui indique la dureté de l'ampoule, ainsi qu'un moyen de faire un réglage pour obtenir la dureté désirée. Pour se rendre compte de la dureté, on établit aux bornes de l'ampoule une dérivation nommée spintermètre (fig. 2) Sp, comprenant une tige mobile en face d'une pointe. Le courant secondaire peut, soit passer dans l'ampoule, soit franchir sous forme d'étincelle l'intervalle du spintermètre. Quand les deux passages offrent la même facilité, la dureté de l'ampoule, est mesurée par cette étincelle dite équivalente. L'ampoule est d'autant plus dure que l'étincelle équivalente est plus longue, c'est-à-dire que la tension d'alimentation est plus élevée.

Or c'est cette tension qui détermine le pouvoir pénétrant des rayons; une pénétration moyenne correspond à une étincelle équivalente (mesurée avec un spintermètre à pointes mousses) d'environ 10 centimètres de longueur, et à une tension d'environ 50.000 volts. Les rayons X obtenus dans ces conditions ont un pouvoir pénétrant favorable à la radioscopie et à la radiographie. Avec des tensions plus élevées, on obtient des rayons X très durs qui trouvent leur application dans la radiothérapie. Avec des tensions moins élevées, on obtient des rayons X mous qui traversent difficilement le corps humain[3].

La dureté ou résistance d'une ampoule dépend de la quantité d'air qui y est contenue. Au cours du fonctionnement il arrive que l'air résiduel s'absorbe dans les parois de verre et ceci a pour effet de faire durcir le tube. Pour remédier à cet inconvénient on dispose de régulateurs de divers modèles qui permettent d'introduire de petites quantités de gaz dans l'ampoule. Les soupapes ont besoin d'un réglage analogue; quand elles contiennent trop ou trop peu de gaz, l'effet protecteur qu'on leur demande n'est pas obtenu. Ce réglage des tubes est très délicat et demande un opérateur habile et exercé[4]. On a représenté dans la figure 5 un régulateur de type courant adapté à une ampoule.

Si les tubes ont besoin d'un réglage particulièrement soigné, l'appareillage au total exige aussi un entretien constant qui consiste en un nettoyage des pièces et des contacts; c'est seulement à condition d'observer ces soins que l'on peut obtenir un bon fonctionnement. Il ne faudrait cependant pas croire qu'un bon appareillage radiologique doive nécessairement être fragile; desservi par un bon opérateur, il ne risque pas de se détériorer. La radiologie de guerre demande des appareils robustes, facilement transportables et pouvant être installés avec rapidité.

Un appareil correspondant au schéma de la figure 2 peut être établi en trois pièces principales: transformateur, tableau de commande et interrupteur, pesant respectivement environ 30, 20 et 25 kilos et pouvant se transporter aisément. Le transformateur et le tableau sont, à cet effet, placés dans des boîtes en bois, de forme adaptée, munies d'anses pour le transport et disposées de manière à remplir un rôle utile dans l'installation. Ces appareils peuvent être facilement placés dans une voiture ou expédiés par chemin de fer. Dans le premier cas, il suffit de les immobiliser avec des attaches. Dans le second cas, il convient en général, de les emballer. Pourtant, il m'est arrivé, à plusieurs reprises, de les faire voyager d'urgence, sans emballage, dans un train, en les installant, avec l'aide des employés, dans la voiture à bagages, avec quelques précautions faciles à réaliser et suffisantes pour éviter les accidents.

En dehors de ces pièces fondamentales, l'appareillage complet comprend les tubes et les accessoires indispensables. Parmi ces derniers, il faut citer, en premier lieu, le pied porte-ampoule qui sert à porter le tube producteur de rayons X et à lui donner toutes les positions requises par le service qu'il doit remplir. La mobilité du tube est une condition indispensable de travail utile.

Le blessé soumis à l'examen est, le plus souvent, couché sur une table. Celle-ci est quelquefois une table spéciale, munie d'un support porte-ampoule. Mais quand on dispose d'un pied porte-ampoule convenable, on peut, au besoin, se contenter d'une simple table en bois, à condition que le plateau soit perméable aux rayons et sans défauts; pour faire une radioscopie on place, en effet, l'ampoule sous la table et on observe sur un écran placé au-dessus du corps l'image obtenue avec des rayons qui traversent la table et le corps. Il est donc nécessaire que le bois de la table soit transparent aux rayons, ce qui est le cas des bois de faible densité sous épaisseur modérée,—et que ce bois ne contienne pas de défauts tels que des nœuds ou des fissures qui ne manqueraient pas d'apparaître sur l'écran. Quelquefois, la table est simplement composée d'une planche reposant sur des tréteaux.

Un certain nombre d'accessoires de moindre encombrement achèvent de composer un appareillage complet. Leur choix est très important quand il s'agit d'une installation qui doit se suffire et qui est destinée à être transportée. On peut évaluer à 250 kilos le poids total d'un appareillage comprenant les appareils de production de haute tension, deux ou trois ampoules, deux soupapes, une table légère, un pied porte-ampoule, une petite provision de plaques et produits photographiques, un écran radioscopique, quelques châssis, des rideaux pour faire l'obscurité, quelques appareils de protection pour l'opérateur, quelques outils, du câble isolé et un certain nombre de petits objets dont l'utilité a été démontrée par l'usage. Le tout peut prendre place dans une voiture d'assez petites dimensions; des voitures de place ont même pu être utilisés avec succès pour le service d'installations transportables.

[1] Cet interrupteur comprend comme pièce essentielle, une toupie percée de canaux obliques et animée d'une rotation rapide autour de son axe. Cette toupie plonge dans un bain de mercure contenu dans une cuve; en tournant, elle aspire le mercure par les canaux et le projette ensuite au travers de petits orifices placés à sa partie supérieure sous forme de filet mince qui vient frapper une palette ou dent isolée du vase à mercure. Quand le filet rencontre la palette, le courant s'établit dans le circuit primaire, quand il ne la rencontre plus, la toupie ayant tourné, le courant est interrompu. On a coutume d'adjoindre à l'interrupteur un condensateur dont les deux armatures sont réunies respectivement aux bornes de l'interrupteur, et qui est destiné à rendre l'interruption plus brusque en absorbant l'étincelle qui se produit à la rupture. L'interruption du courant ne doit pas avoir lieu dans l'air, mais dans un milieu réducteur comme le gaz d'éclairage, dont on remplit la cuve étanche de l'interrupteur.

[2] L'emploi de soupapes n'est pas nécessaire, si, au moyen d'un dispositif convenable, on obtient le redressement des courants dits inverses; ceux-ci peuvent alors servir à alimenter l'ampoule. Il existe des types d'appareils qui fonctionnent sans interrupteur: le courant alternatif de haute tension fourni par un transformateur est redressé à l'aide d'un commutateur et envoyé dans l'ampoule.

[3] On emploie couramment, pour reconnaître la dureté des rayons, un petit appareil très simple nommé radiochromomètre Benoît. Le principe de l'appareil consiste à comparer la transparence aux rayons X d'une mince lame d'argent à la transparence d'une série de secteurs d'aluminium d'épaisseurs graduées. Pour se servir du radiochromomètre on peut examiner l'ombre qu'il porte sur un écran radioscopique ou bien reproduire son image en radiographie comme sur la planche 3. L'aspect de l'image permet d'apprécier la dureté des rayons employés.

[4] Il existe un modèle perfectionné d'ampoules basé sur un principe qui permet un réglage rapide et facile. Ce sont les tubes Coolidge dont la cathode est constituée par une spirale de tungstène chauffée à l'incandescence par un courant électrique. Ces tubes sont complètement vides d'air. Les rayons cathodiques y sont produits par la cathode incandescente et la «dureté», ou résistance du tube ne dépend ici que de la température de la cathode qui émet d'autant plus de rayons cathodiques qu'elle est plus fortement chauffée. Les tubes Coolidge sont employés dans des installations de grande puissance.


III

INSTALLATIONS DANS LES HOPITAUX ET VOITURES RADIOLOGIQUES

Nous avons vu comment est composé un appareillage radiologique. Voyons maintenant quelles sont les conditions de son installation dans un hôpital où il doit être utilisé.

Pour alimenter le primaire du transformateur, il faut disposer d'une source d'électricité pouvant fournir du courant électrique sous une tension de 100 à 200 volts. Nous ne pourrons installer les appareils que si l'hôpital dispose d'une distribution d'électricité, ou si celle-ci se trouve à proximité et peut facilement être amenée sur place.

Les distributions de courant que l'on trouve en France ne sont pas d'un type uniforme. Le courant distribué est soit continu, soit alternatif: la tension ou voltage présente également des différences. Il en résulte une certaine difficulté pour la généralisation des postes radiologiques, car les appareils doivent être adaptés à la forme du courant en divers détails de leur construction; ils ne peuvent donc être considérés comme interchangeables.

Quand aucune distribution d'électricité ne se trouve dans le voisinage, on a recours à l'usage d'un groupe électrogène, composé d'une dynamo actionnée par un moteur fonctionnant au gaz ou à l'essence. L'emploi de groupes à essence s'est particulièrement généralisé pendant la guerre, pour l'éclairage et le service radiologique des hôpitaux du front. Un groupe électrogène pouvant fournir un courant de 25 ampères sous une tension de 110 volts (puissance 3 kilowatts ou 4 chevaux environ), convient parfaitement pour alimenter un poste radiologique; on peut même se contenter d'une puissance de 1 à 2 kilowatts pour la plupart des besoins. Ces groupes ne sont donc ni très lourds ni très encombrants, et peuvent être transportés sur de fortes voitures. La plupart d'entre eux étaient d'un type à courant continu, de sorte que les appareils radiologiques à courant continu sont devenus également les plus nombreux.

Les postes radiologiques de ce type ont, d'ailleurs, pu être alimentés, en cas de besoin, par le courant alternatif fourni par des stations électriques. Pour obtenir cette adaptation, on place dans le circuit primaire une soupape électrolytique, appareil extrêmement simple, composé de deux électrodes, l'une en aluminium, l'autre en fer, plongeant dans une solution de carbonate de soude contenue dans un petit bac; une telle soupape ne laisse passer le courant que dans un seul sens, du fer à l'aluminium; elle supprime donc l'une des deux phases du courant alternatif et convertit celui-ci en courant interrompu, mais de direction invariable.

Dans de petites villes, plusieurs hôpitaux ont eu recours à des groupes électrogènes, pour suppléer à un manque de distribution électrique. Dans la zone des armées, ces groupes ont été d'abord peu nombreux, tant que le Service de Santé était assuré principalement par des ambulances. Mais le système des ambulances a été peu à peu remplacé par celui de grands hôpitaux en baraquements qui tous utilisaient des groupes électrogènes pour leur éclairage; ces mêmes groupes alimentaient les postes radiologiques.

Quand le problème fondamental de l'alimentation en courant électrique a été résolu, il reste à installer la salle de radiologie ou laboratoire radiologique. Il est nécessaire de disposer pour cela d'une pièce assez spacieuse si possible, dans laquelle on doit pouvoir faire l'obscurité complète, au moyen de rideaux bien agencés. Dans cette pièce, on installe sur une table ou sur une planche fixée au mur le transformateur, le tableau de commande et l'interrupteur. On a avantage également à y établir un trolley composé de 2 fils parallèles tendu entre des supports isolants fixés aux murs opposés. On fait communiquer ces fils avec les pôles du circuit secondaire du transformateur, et l'on s'en sert pour assurer au moyen de contacts glissants, les connexions avec l'ampoule à rayons X. L'aménagement se compose ensuite de la table radiologique et du pied porte-ampoule placé auprès de celle-ci (planche III). Les accessoires sont contenus, si possible, dans une armoire. Enfin, il faut adjoindre à la salle de radiologie, une chambre noire pour photographie, pour le développement des plaques radiographiques, avec installation d'eau et éclairage spécial. Il est utile que la salle de radiologie et le cabinet de photographie aient leurs parois recouvertes de peinture brune, pour que les défauts d'obscurité soient moins à craindre.


Planche III. — Salle de radiographie de l'hôpital n° 112 à Amiens, installé en baraquements (année 1916). On aperçoit l'appareillage, la table de radiographie, le pied porte-ampoule et le trolley.


L'installation des appareils dans la salle n'offre pas de grandes difficultés. Une personne compétente peut, en un jour ou deux, suivant les cas, réaliser un aménagement très satisfaisant.

Au point de vue de leur puissance, les appareils utilisés dans ces postes fixes aux hôpitaux pouvaient être de types différents. On peut, en particulier, parmi les appareils à interrupteur, distinguer le type normal et le type intensif. Je désigne par normal un appareil qui permet d'obtenir dans l'ampoule un courant de deux à trois milliampères sous une tension d'environ 50.000 volts (10 centimètres environ d'étincelle équivalente, mesurée au spintermètre à pointes de forme usuelle). Les appareils intensifs permettent d'obtenir une puissance trois ou quatre fois plus grande. Il existe des appareils plus puissants encore, qui sont utilisés dans les services centraux importants et qui permettent d'atteindre 20, 50 ou même 100 milliampères sous une tension suffisante pour le travail radiologique.

Avec une grande intensité de rayonnement, on peut obtenir des radiographies rapides et même presque instantanées, ce qui est un grand avantage quand il s'agit de radiographier une région qui ne peut être immobilisée, par exemple la région thoracique soumise aux mouvements respiratoires. L'intensité est également nécessaire pour la radiothérapie. Mais si les appareils intensifs ont leurs mérites incontestables, ils sont, en revanche, plus coûteux, plus encombrants et plus lourds que les appareils normaux.

Au début de la guerre, les ressources en radiologie étaient tout à fait précaires, et il s'agissait de réaliser au plus tôt un service radiologique de première nécessité pour les hôpitaux du territoire et de la zone des armées. L'utilisation des appareils normaux qui permettent de faire face à la plupart des besoins, et qui, de plus, peuvent facilement être transportés, s'imposait donc à cette époque. Partant de ce point de vue, j'ai dirigé les ressources du Patronage National des Blessés presque exclusivement vers la distribution de ces postes normaux dont environ 200 ont été établis par cette Œuvre. A une époque plus avancée de la guerre, quand un matériel important s'est trouvé constitué, le Service de Santé distribua un certain nombre de postes intensifs, mais même alors il semblait légitime d'employer principalement les ressources de l'initiative privée à la distribution de postes normaux, pour satisfaire aux besoins les plus urgents qui continuaient à se manifester. Le but qu'il ne convenait pas de perdre de vue était, en effet, de procurer le bénéfice de l'examen radiologique à tous les blessés sans exception.


VOITURES RADIOLOGIQUES.—J'arrive maintenant à la description du rôle très important qui a appartenu, dans la radiologie de guerre, aux voitures radiologiques.

Nous avons vu qu'au début de la guerre, l'appareillage radiologique faisait défaut, et il paraissait légitime de réserver les premières installations fixes aux hôpitaux importants. D'autre part, les nombreux hôpitaux militaires et auxiliaires (Croix Rouge) qui se sont constitués dès le début de la guerre et au courant de celle-ci, occupaient dans bien des cas des locaux de fortune qui ne disposaient pas de courant électrique: tel était, par exemple, le cas de la plupart des écoles dont on sait l'utilisation pour les services hospitaliers. Ainsi des formations, répandues dans toute la France pour recevoir les blessés qui affluaient du front, se trouvaient sans installation radiologique et sans possibilité d'en établir une à bref délai. D'un autre côté, les ambulances qui ont assuré au début de la guerre le service de santé des armées, occupaient des locaux provisoires où l'installation radiologique paraissait d'autant moins indiquée que l'on devait toujours s'attendre à un départ possible. Ainsi, le plan d'organisation primitif comportait un fonctionnement général des hôpitaux et ambulances, en arrière du front et près du front, sans le secours de la radiologie. Pourtant quand apparut clairement l'énormité de la tâche consistant à soigner les blessés de cette guerre, l'aide merveilleuse des rayons X fut chaque jour mieux comprise, mieux appréciée et chaque jour plus demandée. C'est à cette situation que les voitures radiologiques sont venues apporter un remède et une solution provisoire. Elément actif et bienfaisant, elles ont assumé pendant les premières années de la guerre la plus grande partie de la charge du service radiologique.

Une voiture radiologique, généralement automobile, transporte un appareillage complet pour l'examen des blessés. Elle doit donc contenir d'une part, la source d'électricité, d'autre part, les appareils principaux ainsi que tous les accessoires indispensables. La production de courant peut être assurée par un groupe électrogène installé à poste fixe sur la voiture. Ce groupe ne doit être ni très lourd, ni très encombrant, cependant, en raison de la puissance qui lui est demandée, il ne peut guère peser moins de 100 kilogrammes. On le place soit à l'avant de la voiture, soit à l'intérieur de la caisse qui sert de carrosserie. Au lieu d'employer un groupe électrogène, on peut se servir du moteur de la voiture pour entraîner une dynamo placée à l'avant ou bien sur le marchepied. Les avantages de ce dispositif se voient immédiatement: en remplaçant le groupe par une dynamo, on réduit le poids de moitié, et l'on diminue l'encombrement, ce qui permet d'employer une voiture plus légère et plus rapide; la dynamo d'ailleurs coûtait beaucoup moins que le groupe et était beaucoup plus facile à trouver au début de la guerre. On pouvait donc, par ce moyen, équiper une voiture quelconque, sans même exiger une carrosserie spéciale.

Les appareils principaux, convenablement attachés, peuvent être transportés dans une carrosserie de limousine qui peut, en outre, contenir deux ou trois caisses avec les accessoires. On dispose le tout, de manière à réserver à l'intérieur une place pour le médecin radiologiste, tandis qu'un aide prend place à côté du conducteur.

Si la carrosserie est à construire, on rétablit sous forme de caisse, comme pour une voiture de livraison spacieuse. Elle reçoit un aménagement propre à l'installation des appareils et des caisses. De plus, il est bon qu'après fermeture de la porte, l'obscurité y soit complète, pour que, en cas de besoin, on puisse y développer les plaques radiographiques. Les trois personnes qui composent l'équipe occupent la banquette à l'avant de la voiture.

Bien que l'utilisation du moteur de la voiture pour l'entraînement de la dynamo puisse rendre souvent de grands services, on doit néanmoins reconnaître que ce système comporte des inconvénients, dont les principaux sont la dépense d'essence relativement élevée et la nécessité de faire travailler le moteur de la voiture aussi bien pendant la circulation entre les hôpitaux qu'à l'arrêt, puisque le moteur doit entraîner la dynamo pendant la durée du service. Une bonne voiture, entre les mains d'un bon conducteur, peut, d'ailleurs être ainsi utilisée sans inconvénient. Si, cependant, la voiture circule peu et travaille la plus grande partie de la journée à l'arrêt, l'emploi d'un groupe électrogène est plus rationnel et plus économique.

Au début de la guerre, il s'agissait surtout d'assurer un service rapide, avec les moyens disponibles, tandis que l'essence ne manquait pas et n'était guère économisée. La voiture entraînant une dynamo par son moteur était alors tout indiquée.

J'ai réussi, moi-même, à équiper 18 de ces voitures, grâce à des dons particuliers et aux ressources du Patronage National des Blessés. Plusieurs châssis ont été mis à ma disposition par de généreux donateurs ou donatrices dont certaines ont bien voulu aussi faire les frais de l'appareillage. Presque toutes ces voitures, offertes au Service de Santé à une époque de besoin urgent, ont fait un service considérable, et si quelques-unes ont été usées, d'autres ont continué leur service jusqu'à la fin de la guerre et même au delà.

Il m'est agréable de rappeler ici que la première des voitures radiologiques établies sur mon initiative a été fournie par l'Union des Femmes de France et équipée à ses frais. Cette petite voiture à carrosserie ordinaire, ne portant que l'appareillage strictement nécessaire, a, sans aucun doute, laissé de nombreux souvenirs dans la région parisienne. Desservie d'abord par un personnel bénévole, anciens élèves de l'École Normale ou professeurs, ensuite régulièrement attachée au Val-de-Grâce, elle a assuré seule le service du camp retranché de Paris pendant la plus grande partie de la guerre, en particulier lors de l'affluence de blessés qui se produisit en septembre 1914 à la suite de la bataille de la Marne.

Une autre voiture à carrosserie de limousine, équipée aussitôt après dans mon laboratoire m'a été d'un secours précieux pendant toute la guerre. Elle m'a permis de transporter fréquemment du matériel radiologique demandé par des hôpitaux de l'armée et du territoire, ainsi que d'assurer un service temporaire dans diverses circonstances. La planche IV représente l'une des voitures suivantes qui a fourni un service particulièrement intensif dans la zone des armées.

En même temps que des voitures relativement légères étaient offertes par l'initiative privée, le Service de Santé équipait des camions radiologiques à groupes électrogènes dont le nombre, peu à peu, devint important. Ces équipages, munis d'un matériel très complet, furent distribués principalement dans la zone des armées où ils assurèrent, quand ils furent assez nombreux, un service radiologique permanent et régulier. Toutefois, dans les dernières années de la guerre, ce service ne comportait que peu de déplacements. J'ai déjà eu l'occasion de parler des grands centres hospitaliers qui ont été établis dans la zone des armées et qui utilisaient le personnel de plusieurs ambulances immobilisées. A ces formations venaient se joindre les postes radiologiques mobiles, pour travailler sur place, souvent pendant plusieurs mois.