«Je me résume. Mes amis et moi, nous ne voterons pas le premier paragraphe de l'adresse en réponse au discours du trône...
—On se passera de vous», dit une voix.
Une hilarité bruyante courut sur les bancs.
«Nous ne voterons pas le premier paragraphe de l'adresse, recommença paisiblement l'orateur, si notre amendement n'est pas adopté. Nous ne saurions nous associer à des remerciements exagérés, lorsque la pensée du chef de l'État nous apparaît pleine de restrictions. La liberté est une; on ne peut la couper par morceaux et la distribuer en rations, ainsi qu'une aumône.» Ici, des exclamations partirent de tous les coins de la salle.
«Votre liberté est de la licence!
—Ne parlez pas d'aumône, vous mendiez une popularité malsaine!
—Et vous, ce sont les têtes que vous coupez!
—Notre amendement, continua-t-il, comme s'il n'entendait pas, réclame l'abrogation de la loi de sûreté générale, la liberté de la presse, la sincérité des élections...» Les rires reprenaient. Un député avait dit, assez haut pour être entendu de ses voisins: «Va, va, mon bonhomme, tu n'auras rien de tout ça!» Un autre ajoutait des mots drôles à chaque phrase tombée de la tribune.
Mais le plus grand nombre, pour s'amuser, scandait les périodes à coups précipités de couteau à papier, tapés sournoisement sous leur pupitre; ce qui produisait un roulement de baguettes de tambour, dans lequel la voix de l'orateur se trouvait étouffée. Celui-ci pourtant lutta jusqu'au bout. Il s'était redressé, il lançait puissamment ces dernières paroles, par-dessus le tumulte:
«Oui, nous sommes des révolutionnaires, si vous entendez par là des hommes de progrès, décidés à conquérir la liberté! Refusez la liberté au peuple, un jour le peuple la reprendra.» Et il descendit de la tribune, au milieu d'un nouveau déchaînement. Les députés ne riaient plus comme une bande de collégiens échappés. Ils s'étaient levés, tournés vers la gauche, poussant une fois encore le cri: «A l'ordre! à l'ordre!» L'orateur avait regagné son banc, et restait debout, entouré de ses amis. Il y eut des poussées. La majorité sembla vouloir se jeter sur ces cinq hommes, dont les faces pâles les défiaient. Mais M. de Marsy, fâché, sonnait d'une main saccadée, en regardant les tribunes où des dames se reculaient, l'air peureux.
«Messieurs, dit-il, c'est un scandale...» Et le silence s'étant fait, il continua, de très haut, avec son autorité mordante:
«Je ne veux pas prononcer un second rappel à l'ordre. Je dirai seulement qu'il est vraiment scandaleux d'apporter à cette tribune des menaces qui la déshonorent.» Une triple salve d'applaudissements accueillit ces paroles du président. On criait bravo, et les couteaux à papier marchaient ferme, cette fois en manière d'approbation. L'orateur de la gauche voulut répondre; mais ses amis l'en empêchèrent. Le tumulte alla en s'apaisant, se perdit dans le brouhaha des conversations particulières.
«La parole est à Son Excellence M. Rougon», reprit M. de Marsy d'une voix calmée.
Un frisson courut, un soupir de curiosité satisfaite qui fit place à une attention religieuse. Rougon, les épaules arrondies, était monté pesamment à la tribune.
Il ne regarda pas d'abord la salle; il posait devant lui un paquet de notes, reculait le verre d'eau sucrée, promenait ses mains, comme pour prendre possession de l'étroite caisse d'acajou. Enfin, adossé au bureau, au fond, il leva la face. Il ne vieillissait pas. Son front carré, son grand nez bien fait, ses longues joues sans rides, gardaient une pâleur rosée, un teint frais de notaire de petite ville. Seuls ses cheveux grisonnants, si rudement plantés, s'éclaircissaient vers les tempes et découvraient ses larges oreilles. Les yeux à demi clos, il jeta un regard vers la salle, attendant encore. Un instant, il parut chercher, rencontra le visage attentif et penché de Clorinde, puis commença, la langue lourde et pâteuse:
«Nous aussi nous sommes des révolutionnaires, si l'on entend par ce mot des hommes de progrès, décidés à rendre au pays, une à une, toutes les sages libertés...
—Très bien! très bien!
—Eh! messieurs, quel gouvernement mieux que l'empire a jamais réalisé les réformes libérales dont vous venez d'entendre tracer le séduisant programme?
Je ne combattrai pas le discours de l'honorable préopinant. Il me suffira de prouver que le génie et le grand cœur de l'empereur ont devancé les réclamations des adversaires les plus acharnés de son règne. Oui, messieurs, de lui-même, le souverain a remis à la nation ce pouvoir dont elle l'avait investi, dans un jour de danger public. Magnifique spectacle, si rare dans l'histoire!
Oh! nous comprenons le dépit de certains hommes de désordre. Ils en sont réduits à attaquer les intentions, à discuter la quantité de liberté rendue.... Vous avez compris le grand acte du 24 novembre. Vous avez voulu, dans le premier paragraphe de l'adresse, témoigner à l'empereur votre profonde reconnaissance de sa magnanimité et de sa confiance en la sagesse du Corps législatif. L'adoption de l'amendement qui vous est soumis, serait une injure gratuite, je dirai même une mauvaise action. Consultez vos consciences, messieurs, demandez-vous si vous vous sentez libres. La liberté est aujourd'hui complète, entière, je m'en porte le garant...» Des applaudissements prolongés l'interrompirent. Il s'était lentement approché du bord de la tribune. Maintenant, le corps un peu penché, le bras droit étendu, il haussait sa voix, qui se dégageait avec une puissance extraordinaire. Derrière lui, M. de Marsy, allongé au fond de son fauteuil, l'écoutait, de l'air vaguement souriant d'un amateur émerveillé par l'exécution magistrale de quelque tour de force. Dans la salle, au milieu du tonnerre des bravos, des membres se penchaient, chuchotaient, surpris, les lèvres pincées. Clorinde avait abandonné ses bras sur le velours rouge de la rampe, toute sérieuse.
Rougon continuait.
«Aujourd'hui, l'heure que nous avons tous attendue avec impatience a enfin sonné. Il n'y a plus aucun danger à faire de la France prospère une France libre. Les passions anarchiques sont mortes. L'énergie du souverain et la volonté solennelle du pays ont pour toujours refoulé dans le néant les époques abominables de perversion publique. La liberté est devenue possible, le jour où a été vaincue cette faction qui s'obstinait à méconnaître les bases fondamentales du gouvernement. C'est pourquoi l'empereur a cru devoir retirer sa puissante main; refusant les prérogatives excessives du pouvoir comme un fardeau inutile, estimant son règne indiscutable au point de le laisser discuter. Et il n'a pas reculé devant la pensée d'engager l'avenir; il ira jusqu'au bout de sa tâche de délivrance, il rendra les libertés une à une, aux époques marquées par sa sagesse. Désormais, c'est ce programme de progrès continu que nous avons la mission de défendre dans cette assemblée...» Un des cinq députés de la gauche se leva indigné, en disant:
«Vous avez été le ministre de la répression à outrance!» Et un autre ajouta avec passion:
«Les pourvoyeurs de Cayenne et de Lambessa n'ont pas le droit de parler au nom de la liberté!» Une explosion de murmures monta. Beaucoup de députés ne comprenaient pas, se penchaient, interrogeant leurs voisins. M. de Marsy feignit de ne pas avoir entendu; et il se contenta de menacer les interrupteurs, de les rappeler à l'ordre.
«On vient de me reprocher...», reprit Rougon.
Mais des cris s'élevèrent à droite, l'empêchèrent de continuer. «Non, non, ne répondez pas!
—Ces injures ne sauraient vous atteindre!» Alors, il apaisa la Chambre d'un geste; et, s'appuyant des deux poings au bord de la tribune, il se tourna vers la gauche, d'un air de sanglier acculé.
«Je ne répondrai pas», déclara-t-il tranquillement.
Ce n'était encore que l'exorde. Bien qu'il eût promis de ne pas réfuter le discours du député de la gauche, il entra ensuite dans une discussion minutieuse. Il fit d'abord un exposé très complet des arguments de son adversaire; il y mettait une sorte de coquetterie, une impartialité dont l'effet était immense, comme dédaigneux de toutes ces bonnes raisons et prêt à les écarter d'un souffle. Puis, il parut oublier de les combattre, il ne répondit à aucune, il s'attaqua à la plus faible d'entre elles avec une violence inouïe, un flot de paroles qui la noya. On l'applaudissait, il triomphait. Son grand corps emplissait la tribune. Ses épaules, balancées, suivaient le roulis de ses phrases. Il avait l'éloquence banale, incorrecte, toute hérissée de questions de droit, enflant les lieux communs, les faisant crever en coups de foudre. Il tonnait, il brandissait des mots bêtes. Sa seule supériorité d'orateur était son haleine, une haleine immense, infatigable, berçant les périodes, coulant magnifiquement pendant des heures, sans se soucier de ce qu'elle charriait.
Après avoir parlé une heure sans un arrêt, il but une gorgée d'eau, il souffla un peu, en rangeant les notes placées devant lui.
«Reposez-vous!» dirent plusieurs députés.
Mais il ne se sentait pas fatigué. Il voulut terminer.
«Que vous demande-t-on, messieurs?
—Écoutez! écoutez!» Une profonde attention tint de nouveau les faces muettes, tournées vers lui. A certains éclats de sa voix, des mouvements agitaient la Chambre d'un bout à l'autre, comme sous un grand vent.
«On vous demande, messieurs, d'abroger la loi de sûreté générale. Je ne rappellerai pas l'heure à jamais maudite où cette loi fut une arme nécessaire; il s'agissait de rassurer le pays, de sauver la France d'un nouveau cataclysme. Aujourd'hui, l'arme est au fourreau.
Le gouvernement, qui s'en est toujours servi avec la plus grande modération...
—C'est vrai!
—Le gouvernement ne l'applique plus que dans certains cas tout à fait exceptionnels. Elle ne gêne personne, si ce n'est les sectaires qui nourrissent encore la coupable folie de vouloir retourner aux plus mauvais jours de notre histoire. Parcourez nos villes, parcourez nos campagnes, vous y verrez partout la paix et la prospérité; interrogez les hommes d'ordre, aucun ne sent peser sur ses épaules ces lois d'exception dont on nous fait un si grand crime. Je le répète, entre les mains paternelles du gouvernement, elles continuent à sauvegarder la société contre des entreprises odieuses dont le succès, d'ailleurs, est désormais impossible. Les honnêtes gens n'ont pas à se préoccuper de leur existence.
Laissons-les où elles dorment, jusqu'au jour où le souverain croira devoir les briser lui-même.... Que vous demande-t-on encore, messieurs? la sincérité des élections, la liberté de la presse, toutes les libertés imaginables. Ah! laissez-moi me reposer ici dans le spectacle des grandes choses que l'empire a déjà accomplies.
Autour de moi, partout où je porte les yeux, j'aperçois les libertés publiques croître et donner des fruits splendides. Mon émotion est profonde. La France, si abaissée, se relève, offre au monde l'exemple d'un peuple conquérant son émancipation par sa bonne conduite. A cette heure, les jours d'épreuve sont passés. Il n'est plus question de dictature, de gouvernement autoritaire.
Nous sommes tous les ouvriers de la liberté...
—Bravo! bravo!
—On demande la sincérité des élections. Le suffrage universel, appliqué sur sa base la plus large, n'est-il pas la condition primordiale d'existence de l'empire? Sans doute le gouvernement recommande ses candidats.
Est-ce que la révolution n'appuie pas les siens avec une audace impudente? On nous attaque, nous nous défendons, rien de plus juste. On voudrait nous bâillonner, nous lier les mains, nous réduire à l'état de cadavre.
C'est ce que nous n'accepterons jamais. Par amour pour le pays, nous serons toujours là, à le conseiller, à lui dire où sont ses véritables intérêts. Il reste, d'ailleurs, le maître absolu de son sort. Il vote, et nous nous inclinons. Les membres de l'opposition qui appartiennent à cette assemblée, où ils jouissent d'une entière liberté de parole, sont une preuve de notre respect pour les arrêts du suffrage universel. Les révolutionnaires doivent s'en prendre au pays, si le pays acclame l'empire par des majorités écrasantes.... Dans le parlement, toutes les entraves au libre contrôle sont aujourd'hui brisées; Le souverain a voulu donner aux grands corps de l'État une participation plus directe à sa politique et un témoignage éclatant de sa confiance. Vous pourrez désormais discuter les actes du pouvoir, exercer dans son plein le droit d'amendement, émettre des vœux motivés. Chaque année, l'adresse sera comme un rendez-vous entre l'empereur et les représentants de la nation, où ceux-ci auront la faculté de tout dire avec franchise. C'est de la discussion au grand jour que naissent les États forts. La tribune est rétablie, cette tribune illustrée par tant d'orateurs dont l'histoire a gardé les noms. Un parlement qui discute est un parlement qui travaille. Et voulez-vous connaître toute ma pensée? je suis heureux de voir ici un groupe de députés opposants. Il y aura toujours parmi nous des adversaires qui chercheront à nous prendre en faute, et qui mettront ainsi en pleine lumière notre honorabilité.
Nous réclamons pour eux les immunités les plus larges.
Nous ne craignons ni la passion, ni le scandale, ni les abus de la parole, si dangereux qu'ils puissent être.... Quant à la presse, messieurs, elle n'a jamais joui d'une liberté plus entière, sous aucun gouvernement décidé à se faire respecter. Toutes les grandes questions, tous les intérêts sérieux ont des organes. L'administration ne combat que la propagation des doctrines funestes, le colportage du poison. Mais, entendez-moi bien, nous sommes tous pleins de déférence pour la presse honnête, qui est la grande voix de l'opinion publique. Elle nous aide dans notre tâche, elle est l'outil du siècle. Si le gouvernement l'a prise dans ses mains, c'est uniquement pour ne pas la laisser aux mains de ses ennemis...» Des rires approbateurs s'élevèrent. Rougon, cependant, approchait de la péroraison. Il empoignait le bois de la tribune de ses doigts crispés. Il jetait son corps en avant, balayait l'air de son bras droit. Sa voix roulait avec une sonorité de torrent. Brusquement, au milieu de son idylle libérale, il parut pris d'une fureur haletante. Son poing tendu, lancé en manière de bélier, menaçait quelque chose, là-bas, dans le vide. Cet adversaire invisible, c'était le spectre rouge. En quelques phrases dramatiques, il montra le spectre rouge secouant son drapeau ensanglanté, promenant sa torche incendiaire, laissant derrière lui des ruisseaux de boue et de sang. Tout le tocsin des journées d'émeute sonnait dans sa voix, avec le sifflement des balles, les caisses de la Banque éventrées, l'argent des bourgeois volé et partagé. Sur les bancs, les députés pâlissaient. Puis, Rougon s'apaisa; et, à grands coups de louanges qui avaient des bruits balancés d'encensoir, il termina en parlant de l'empereur.
«Dieu merci! nous sommes sous l'égide de ce prince que la Providence a choisi pour nous sauver dans un jour de miséricorde infinie. Nous pouvons nous reposer à l'abri de sa haute intelligence. Il nous a pris par la main, et il nous conduit pas à pas vers le port, au milieu des écueils.» Des acclamations retentirent. La séance fut suspendue pendant près de dix minutes. Un flot de députés s'était précipité au-devant du ministre qui regagnait son banc, le visage en sueur, les flancs encore agités de son grand souffle. M. La Rouquette, M. de Combelot, cent autres, le félicitaient, allongeaient le bras pour tâcher de lui prendre une poignée de main au passage.
C'était comme un long ébranlement qui se continuait dans la salle. Les tribunes elles-mêmes parlaient et gesticulaient. Sous la baie ensoleillée du plafond, parmi ces dorures, ces marbres, ce luxe grave tenant du temple et du cabinet d'affaires, une agitation de place publique roulait, des rires de doute, des étonnements bruyants, des admirations exaltées, la clameur d'une foule secouée de passion. Les regards de M. de Marsy et de Clorinde s'étant rencontrés, ils eurent tous deux un hochement de tête; ils avouaient la victoire du grand homme. Rougon, par son discours, venait de commencer la prodigieuse fortune qui devait le porter si haut.
Un député, cependant, était à la tribune. Il avait un visage rasé, d'un blanc de cire, avec de longs cheveux jaunes dont les boucles rares tombaient sur ses épaules.
Roide, sans un geste, il parcourait de grandes feuilles de papier, le manuscrit d'un discours qu'il se mit à lire d'une voix molle. Les huissiers jetaient leur cri:
«Silence, messieurs!... Veuillez faire silence!» L'orateur avait des explications à demander au gouvernement. Il se montrait très irrité de l'attitude expectante de la France, en présence du Saint-Siège menacé par l'Italie. Le pouvoir temporel était l'arche sainte, et l'adresse devait contenir un vœu formel, une injonction même, pour son maintien intégral. Le discours entrait dans des considérations historiques, démontrait que le droit chrétien, plusieurs siècles avant les traités de 1815, avait établi l'ordre politique en Europe. Puis, venaient des phrases d'une rhétorique terrifiée, l'orateur disait voir avec effroi la vieille société européenne se dissoudre au milieu des convulsions des peuples. Par moments, à certaines allusions trop directes contre le roi d'Italie, des rumeurs s'élevaient dans la salle. Mais à droite, le groupe compact des députés cléricaux, près d'une centaine de membres, attentifs, soulignaient les moindres passages par leur assentiment, applaudissaient chaque fois que leur collègue nommait le pape, avec une légère salutation dévote.
L'orateur, en terminant, eut une phrase couverte de bravos.
«Il me déplaît, dit-il, que Venise la superbe, la reine de l'Adriatique soit devenue l'obscure vassale de Turin.» Rougon, la nuque encore mouillée de sueur, la voix enrouée, son grand corps brisé par son premier discours, s'entêta à répondre tout de suite. Ce fut un beau spectacle. Il étala sa fatigue, la mit en scène, se traîna à la tribune, où il balbutia d'abord des paroles éteintes. Il se plaignait avec amertume de trouver parmi les adversaires du gouvernement des hommes considérables, si dévoués jusque-là aux institutions impériales. Il y avait sûrement malentendu; ils ne voudraient pas grossir les rangs des révolutionnaires, ébranler un pouvoir dont l'effort constant était d'assurer le triomphe de la religion. Et, tourné vers la droite, il leur adressait des gestes pathétiques, il leur parlait avec une humilité pleine de ruse, comme à des ennemis puissants, aux seuls ennemis devant lesquels il tremblât.
Mais peu à peu, sa voix avait repris toute son emphase. Il emplissait la salle de son mugissement, il se tapait la poitrine à grands coups de poing.
«On nous a accusé d'irréligion. On a menti! Nous sommes l'enfant respectueux de l'Église et nous avons le bonheur de croire.... Oui, messieurs, la foi est notre guide et notre soutien, dans cette tâche du gouvernement, si lourde parfois à porter. Qu'adviendrait-il de nous, si nous ne nous abandonnions pas aux mains de la Providence? Nous avons la seule prétention d'être l'humble exécuteur de ses desseins, l'instrument docile des volontés de Dieu. C'est là ce qui nous permet de parler haut et de faire un peu de bien.... Et, messieurs, je suis heureux de cette occasion pour m'agenouiller ici, avec toute la ferveur de mon cœur de catholique, devant le souverain pontife, devant ce vieillard auguste dont la France restera la fille vigilante et dévouée.» Les applaudissements n'attendirent pas la fin de la phrase. Le triomphe tournait à l'apothéose. La salle croulait.
A la sortie, Clorinde guetta Rougon. Ils n'avaient plus échangé une parole depuis trois ans. Lorsqu'il parut, rajeuni, comme allégé, ayant démenti en une heure toute sa vie politique, prêt à satisfaire, sous la fiction du parlementarisme, son furieux appétit d'autorité, elle céda à un entraînement, elle alla vers lui, la main tendue, les yeux attendris et humides d'une caresse, en disant:
«Vous êtes tout de même d'une jolie force, vous.»