L'IMPÉNITENCE FINALE

A Catulle Mendès.

La petite marquise Osine est toute belle,

Elle pourrait aller grossir la ribambelle

Des folles de Watteau sous leur chapeau de fleurs

Et de soleil, mais comme on dit, elle aime ailleurs.

Parisienne en tout, spirituelle et bonne

Et mauvaise à ne rien redouter de personne,

Avec cet air mi-faux qui fait que l'on vous croit,

C'est un ange fait pour le monde qu'elle voit,

Un ange blond, et même on dit qu'il a des ailes.

Vingt soupirants, brûlés du feu des meilleurs zèles

Avaient en vain quêté leur main à ses seize ans,

Quand le pauvre marquis, quittant ses paysans

Comme il avait quitté son escadron, vint faire

Escale au Jockey; vous connaissez son affaire

Avec la grosse Emma de qui—l'eussions-nous cru?

Le bon garçon était absolument féru,

Son désespoir après le départ de la grue,

Le duel avec Contran, c'est vieux comme la rue;

Bref il vit la petite un jour dans un salon,

S'en éprit tout d'un coup comme un fou; même l'on

Dit qu'il en oublia si bien son infidèle

Qu'on le voyait le jour d'ensuite avec Adèle.

Temps et moeurs! La petite (on sait tout aux Oiseaux)

Connaissait le roman du cher, et jusques aux

Moindres chapitres: elle en conçut de l'estime.

Aussi quand le marquis offrit sa légitime

Et sa main contre sa menotte, elle dit: Oui,

Avec un franc parler d'allégresse inouï.

Les parents, voyant sans horreur ce mariage

(Le marquis était riche et pouvait passer sage),

Signèrent au contrat avec laisser-aller.

Elle qui voyait là quelqu'un à consoler

Ouït la messe dans une ferveur profonde.

Elle le consola deux ans. Deux ans du monde!

Mais tout passe!

Si bien qu'un jour elle attendait

Un autre et que cet autre atrocement tardait,

De dépit la voilà soudain qui s'agenouille

Devant l'image d'une Vierge à la quenouille

Qui se trouvait là, dans cette chambre en garni,

Demandant à Marie, en un trouble infini,

Pardon de son péché si grand, si cher encore,

Bien qu'elle croie au fond du coeur qu'elle l'abhorre.

Comme elle relevait son front d'entre ses mains,

Elle vit Jésus-Christ avec les traits humains

Et les habits qu'il a dans les tableaux d'église.

Sévère, il regardait tristement la marquise,

La vision flottait blanche dans un jour bleu

Dont les ondes, voilant l'apparence du lieu,

Semblaient envelopper d'une atmosphère élue

Osine qui semblait d'extase irrésolue

Et qui balbutiait des exclamations.

Des accords assoupis de harpe de Sions

Célestes descendaient et montaient par la chambre,

Et des parfums d'encens, de cinnamome et d'ambre.

Fluaient, et le parquet retentissait des pas

Mystérieux de pieds que l'on ne voyait pas,

Tandis qu'autour c'était, en décadences soyeuses,

Un grand frémissement d'ailes mystérieuses

La marquise restait à genoux, attendant,

Toute admiration peureuse, cependant.

Et le Sauveur parla:

«Ma fille, le temps passe,

Et ce n'est pas toujours le moment de la grâce.

Profitez de cette heure, ou c'en est fait de vous.»

La vision cessa.

Oui certes, il est doux

Le roman d'un premier amant. L'âme s'essaie,

C'est un jeune coureur à la première haie.

C'est si mignard qu'on croit à peine que c'est mal.

Quelque chose d'étonnamment matutinal.

On sort du mariage habitueux. C'est comme

Qui dirait la fleur aurorale de l'homme,

Et les baisers parmi cette fraîche clarté

Sonnent comme des cris d'alouette en été,

O le premier amant! Souvenez-vous, mesdames?

Vagissant et timide élancement des âmes

Vers le fruit défendu qu'un soupir révéla...

Mais le second amant d'une femme, voilà!

Ou a tout su. La faute est bien délibérée

Et c'est bien un nouvel état que l'on se crée,

Un autre mariage à soi-même avoué.

Plus de retour possible au foyer bafoué.

Le mari, débonnaire ou non, fait bonne garde

Et dissimule mal. Déjà rit et bavarde

Le monde hostile et qui sévirait au besoin.

Ah! que l'aise de l'autre intrigue se fait loin,

Mais aussi cette fois comme on vit, comme on aime.

Tout le coeur est éclos en une fleur suprême.

Ah! c'est bon! Et l'on jette à ce feu tout remords,

On ne vit que pour lui, tous autres soins sont morts.

On est à lui, on n'est qu'à lui, c'est pour la vie,

Ce sera pour après la vie, et l'on défie

Les lois humaines et divines, car on est

Folle de corps et d'âme, et l'on ne reconnaît

Plus rien, et l'on ne sait plus rien, sinon qu'on l'aime!

Or cet amant était justement le deuxième

De la marquise, ce qui fait qu'un jour après,

—O sans malice et presque avec quelques regrets,—

Elle le revoyait pour le revoir encore.

Quant au miracle, comme une odeur s'évapore

Elle n'y pensa plus bientôt que vaguement.

Un matin, elle était dans son jardin charmant,

Un matin de printemps, un jardin de plaisance.

Les fleurs vraiment semblaient saluer sa présence,

Et frémissaient au vent léger, et s'inclinaient

Et les feuillages, verts tendrement, lui donnaient

L'aubade d'un timide et délicat ramage

Et les petits oiseaux volant à son passage,

Pépiaient à plaisir dans l'air tout embaumé

Des feuilles, des bourgeons et des gommes de mai.

Elle pensait à lui; sa vue errait, distraite,

A travers l'ombre jeune et la pompe discrète

D'un grand rosier bercé d'un mouvement câlin,

Quand elle vit Jésus en vêtement de lin

Qui marchait, écartant les branches de l'arbuste

Et la couvait d'un long regard triste. Et le Juste

Pleurait. Et en tout un instant s'évanouit.

Elle se recueillait

Soudain un petit bruit

Se fit. On lui portait en secret une lettre,

Une lettre de lui, qui lui marquait peut-être

Un rendez-vous.

Elle ne put la déchirer.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Marquis, pauvre marquis, qu'avez-vous à pleurer

Au chevet de ce lit de blanche mousseline?

Elle est malade, bien malade.

«Soeur Aline,

A-t-elle un peu dormi?»

—«Mal, Monsieur le marquis.»

Et le marquis pleurait.

«Elle est ainsi depuis

Deux heures, somnolente et calme. Mais que dire

De la nuit? Ah! Monsieur le marquis, quel délire?

Elle vous appelait, vous demandait pardon

Sans cesse, encor, toujours, et tirait le cordon

De sa sonnette.»

Et le marquis frappait sa tête

De ses deux poings et, fou dans sa douleur muette,

Marchait à grands pas sourds sur les tapis épais.

(Dès qu'elle fut malade, elle n'eut pas de paix

Qu'elle n'eût avoué ses fautes au pauvre homme

Qui pardonna.) La soeur reprit pâle: «Elle eut comme

Un rêve, un rêve affreux, Elle voyait Jésus,

Terrible sur la nue et qui marchait dessus,

Un glaive dans la main droite et du la main gauche

Qui ramait lentement comme une faux qui fauche,

Écartant sa prière, et passait furieux.»

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Un prêtre saluant les assistants des yeux,

Entre.

Elle dort.

O ses paupières violettes!

O ses petites mains qui tremblent maigrelettes!

O tout son corps perdu dans des draps étouffants!

Regardez, elle meurt de la mort des enfants.

Et le prêtre anxieux se penche à son oreille.

Elle s'agite un peu, la voilà qui s'éveille,

Elle voudrait parler, la voilà qui s'endort

Plus pâle.

Et le marquis: «Est-ce déjà la mort?»

Et le docteur lui prend les deux mains et sort vite,

On l'enterrait hier matin. Pauvre petite!


DON JUAN PIPÉ

A François Coppée.

Don Juan qui fut grand Seigneur en ce monde

Est aux enfers ainsi qu'un pauvre immonde

Pauvre, sans la barbe faite, et pouilleux,

Et si ce n'étaient la lueur de ses yeux

Et la beauté de sa maigre figure,

En le voyant ainsi quiconque jure

Qu'il est un gueux et non ce héros fier

Aux dames comme aux poètes si cher

Et dont l'auteur de ces humbles chroniques

Vous va parler sur des faits authentiques.

Il a son front dans ses mains et paraît

Penser beaucoup à quelque grand secret.

Il marche à pas douloureux sur la neige,

Car c'est son châtiment que rien n'allège

D'habiter seul et vêtu de léger

Loin de tout lieu où fleurit l'oranger

Et de mener ses tristes promenades

Sous un ciel veuf de toutes sérénades

Et qu'une lune morte éclaire assez

Pour expier tous ses soleils passes.

Il songe. Dieu peut gagner, car le Diable

S'est vu réduire à l'état pitoyable

De tourmenteur et de geôlier gagé

Pour être las trop tôt, et trop âgé.

Du Révolté de jadis il ne reste

Plus qu'un bourreau qu'on paie et qu'on moleste

Si bien qu'enfin la cause de l'Enfer

S'en va tombant comme un fleuve à la mer,

Au sein de l'alliance primitive.

Il ne faut pas que cette honte arrive.

Mais lui, don Juan, n'est pas mort et se sent

Le coeur vif comme un coeur d'adolescent

Et dans sa tête une jeune pensée

Couve et nourrit une force amassée;

S'il est damné, c'est qu'il le voulut bien,

Il avait tout pour être un bon chrétien,

La foi, l'ardeur au ciel, et le baptême,

Et ce désir de volupté lui-même,

Mais s'étant découvert meilleur que Dieu,

Il résolut de se mettre en son lieu.

A cet effet, pour asservir les âmes

Il rendit siens d'abord les coeurs des femmes.

Toutes pour lui laissèrent là Jésus,

Et son orgueil jaloux monta dessus

Comme un vainqueur foule un champ de bataille.

Seule la mort pouvait être à sa taille

Il l'insulta, la défit. C'est alors

Qu'il vint à Dieu sans peur et sans remords

Il vint à Dieu, lui parla face à face

Sans qu'un instant hésitât son audace.

Le défiant, Lui, son Fils et ses saints?

L'affreux combat! Très calme et les reins ceints

D'impiété cynique et de blasphème,

Ayant volé son verbe à Jésus même,

Il voyagea, funeste pèlerin,

Prêchant en chaire et chantant au lutrin,

Et le torrent amer de sa doctrine,

Parallèle à la parole divine,

Troublait la paix des simples et noyait

Toute croyance, et, grossi, s'enfuyait.

Il enseignait: «Juste, prends patience.

Ton heure est proche. Et mets ta confiance

En ton bon coeur. Sois vigilant pourtant,

Et ton salut en sera sûr d'autant.

Femmes, aimez vos maris et les vôtres

Sans cependant abandonner les autres...

L'amour est un dans tous et tous dans un,

Afin qu'alors que tombe le soir brun

L'ange des nuits n'abrite sous ses ailes

Que coeurs mi-clos dans la paix fraternelle.»

Au mendiant errant dans la forêt

Il ne donnait un sol que s'il jurait.

Il ajoutait: «De ce que l'on invoque

Le nom de Dieu celui-ci ne s'en choque,

Bien au contraire, et tout est pour le mieux.

Tiens, prends, et bois à ma santé, bon vieux.»

Puis il disait: «Celui-là prévarique

Qui de sa chair faisant une bourrique

La subordonne au soin de son salut

Et lui désigne un trop servile but.

La chair est sainte! Il faut qu'on la vénère.

C'est notre fille, enfants, et notre mère,

Et c'est la fleur du jardin d'ici-bas!

Malheur à ceux qui ne l'adorent pas!

Car, non contents de renier leur être,

Ils s'en vont reniant le divin maître,

Jésus fait chair qui mourut sur la croix,

Jésus fait chair qui de sa douce voix

Ouvrait le coeur de la Samaritaine,

Jésus fait chair qu'aima Madeleine!»

A ce blasphème effroyable, voilà

Que le ciel de ténèbres se voila.

Et que la mer entre-choqua les îles.

On vit errer des formes dans les villes,

Les mains des morts sortirent des cercueils,

Ce ne fut plus que terreurs et que deuils.

Et Dieu voulant venger l'injure affreuse

Prit sa foudre en sa droite furieuse

Et maudissant don Juan, lui jeta bas

Son corps mortel, mais son âme, non pas!

Non pas son âme, on l'allait voir! Et pâle

De mâle joie et d'audace infernale,

Le grand damné, royal sous ses haillons,

Promène autour son oeil plein de rayons,

Et crie: «A moi l'Enfer! ô vous qui fûtes

Par moi guidés en vos sublimes chutes,

Disciples de don Juan, reconnaissez

Ici la voix qui vous a redressés.

Satan est mort, Dieu mourra dans la fête,

Aux armes pour la suprême conquête!

«Apprêtez-vous, vieillards et nouveau-nés,

C'est le grand jour pour le tour des damnés.»

Il dit. L'écho frémit et va répandre

L'appel altier, et don Juan croit entendre

Un grand frémissement de tous côtés.

Ses ordres sont à coup sûr écoutés:

Le bruit s'accroît des clameurs de victoire,

Disant son nom et racontant sa gloire.

«A nous deux, Dieu stupide, maintenant!»

Et don Juan a foulé d'un pied tonnant

Le sol qui tremble et la neige glacée

Qui semble fondre au feu de sa pensée...

Mais le voilà qui devient glace aussi

Et dans son coeur horriblement transi

Le sang s'arrête, et son geste se fige.

Il est statue, il est glace. O prodige

Vengeur du Commandeur assassiné!

Tout bruit s'éteint et l'Enfer réfréné

Rentre à jamais dans ses mornes cellules.

«O les rodomontades ridicules»,

Dit du dehors Quelqu'un qui ricanait,

«Contes prévus! farces que l'on connaît!

Morgue espagnole et fougue italienne!

Don Juan, faut-il afin qu'il t'en souvienne,

Que ce vieux Diable, encor que radoteur,

Ainsi te prenne en délit de candeur?

Il est écrit de ne tenter... personne.

L'Enfer ni ne se prend ni ne se donne.

Mais avant tout, ami, retiens ce point:

On est le Diable, on ne le devient point.»


AMOUREUSE DU DIABLE

A Stéphane Mallarmé.

Il parle italien avec un accent russe.

Il dit: «Chère, il serait précieux que je fusse

Riche, et seul, tout demain et tout après-demain.

Mais riche à paver d'or monnayé le chemin

De L'Enfer, et si seul qu'il vous va falloir prendre

Sur vous de m'oublier jusqu'à ne plus entendre

Parler de moi sans vous dire de bonne foi:

Qu'est-ce que ce monsieur Félice? Il vend de quoi?»

Cela s'adresse à la plus blanche des comtesses.

Hélas! toute grandeur, toutes délicatesses,

Coeur d'or, comme l'on dit, âme de diamant,

Riche, belle, un mari magnifique et charmant

Qui lui réalisait toute chose rêvée,

Adorée, adorable, une Heureuse, la Fée,

La Reine, aussi la Sainte, elle était tout cela,

Elle avait tout cela.

Cet homme vint, vola

Son coeur, son âme, en fit sa maîtresse et sa chose

Et ce que la voilà dans ce doux peignoir rose

Avec ses cheveux d'or épars comme du feu,

Assise, et ses grands yeux d'azur tristes un peu.

Ce fut une banale et terrible aventure

Elle quitta de nuit l'hôtel. Une voiture

Attendait. Lui dedans. Ils restèrent six mois

Sans que personne sût où ni comment. Parfois

On les disait partis à toujours. Le scandale

Fut affreux. Cette allure était par trop brutale

Aussi pour que le monde ainsi mis au défi

N'eût pas frémi d'une ire énorme et poursuivi

De ses langues les plus agiles l'insensée.

Elle, que lui faisait? Toute à cette pensée,

Lui, rien que lui, longtemps avant qu'elle s'enfuit,

Ayant réalisé son avoir (sept ou huit

Millions en billets de mille qu'on liasse

Ne pèsent pas beaucoup et tiennent peu de place).

Elle avait tassé tout dans un coffret mignon

Et le jour du départ, lorsque son compagnon

Dont du rhum bu de trop rendait la voix plus tendre

L'interrogea sur ce colis qu'il voyait pendre

A son bras qui se lasse, elle répondit: «Ça,

C'est notre bourse.»

O tout ce qui se dépensa!

Il n'avait rien que sa beauté problématique

(D'autant pire) et que cet esprit dont il se pique

Et dont nous parlerons, comme de sa beauté,

Quand il faudra... Mais quel bourreau d'argent! Prêté,

Gagné, volé! Car il volait à sa manière,

Excessive, partant respectable en dernière

Analyse, et d'ailleurs respectée, et c'était

Prodigieux la vie énorme qu'il menait

Quand au bout de six mois ils revinrent.

Le coffre

Aux millions (dont plus que quatre) est là qui s'offre

A sa main. Et pourtant cette fois—une fois

N'est pas coutume—il a gargarisé sa voix

Et remplacé son geste ordinaire de prendre

Sans demander, par ce que nous venons d'entendre.

Elle s'étonne avec douceur et dit: «Prends tout

Si tu veux.»

Il prend tout et sort.

Un mauvais goût

Qui n'avait de pareil que sa désinvolture

Semblait pétrir le fond même de sa nature,

Et dans ses moindres mots, dans ses moindres clins d'yeux,

Faisait luire et vibrer comme un charme odieux.

Ses cheveux noirs étaient trop bouclés pour un homme

Ses yeux très grands, très verts, luisaient comme à Sodome.

Dans sa voix claire et lente, un serpent s'avançait,

Et sa tenue était de celles que l'on sait:

Du vernis, du velours, trop de linge, et des bagues.

D'antécédents, il en avait de vraiment vagues

Ou, pour mieux dire, pas. Il parut un beau soir,

L'autre hiver, à Paris, sans qu'aucun pût savoir

D'où venait ce petit monsieur, fort bien du reste

Dans son genre et dans son outrecuidance leste.

Il fit rage, eut des duels célèbres et causa

Des morts de femmes par amour dont on causa.

Comment il vint à bout de la chère comtesse,

Par quel philtre ce gnome insuffisant qui laisse

Une odeur de cheval et de femme après lui

A-t-il fait d'elle cette fille d'aujourd'hui?

Ah! ça, c'est le secret perpétuel que berce

Le sang des dames dans son plus joli commerce,

A moins que ce ne soit celui du DIABLE aussi.

Toujours est-il que quand le tour eut réussi

Ce fut du propre!

Absent souvent trois jours sur quatre,

Il rentrait ivre, assez lâche et vil pour la battre,

Et quand il voulait bien rester près d'elle un peu,

Il la martyrisait, en matière de jeu,

Par étalage de doctrines impossibles.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

«Mia, je ne suis pas d'entre les irascibles,

Je suis le doux par excellence, mais tenez

Ça m'exaspère, et je le dis à votre nez,

Quand je vous vois l'oeil blanc et la lèvre pincée

Avec je ne sais quoi d'étroit dans la pensée

Parce que je reviens un peu soûl quelquefois.

Vraiment, en seriez-vous à croire que je bois

Pour boire, pour licher, comme vous autres chattes,

Avec vos vins sucrés dans vos verres à pattes

Et que l'Ivrogne est une forme du Gourmand?

Alors l'instinct qui vous dit ça ment plaisamment

Et d'y prêter l'oreille un instant, quel dommage!

Dites, dans un bon Dieu de bois est-ce l'image

Que vous voyez et vers qui vos voeux vont monter?

L'Eucharistie est-elle un pain à cacheter

Pur et simple, et l'amant d'une femme, si j'ose

Parler ainsi, consiste-t-il en cette chose

Unique d'un monsieur qui n'est pas son mari

Et se voit de ce chef tout spécial chéri!

Ah! si je bois, c'est pour me soûler, non pour boire.

Être soûl, vous ne savez pas quelle victoire

C'est qu'on remporte sur la vie, et quel don c'est!

On oublie, on revoit, on ignore et l'on sait;

C'est des mystères pleins d'aperçus, c'est du rêve

Qui n'a jamais eu de naissance et ne s'achève

Pas, et ne se meut pas dans l'essence d'ici;

C'est une espèce d'autre vie en raccourci,

Un espoir actuel, un regret qui «rapplique»,

Que sais-je encore? Et quand la rumeur publique.

Au préjugé qui hue un homme dans ce cas,

C'est hideux, parce que bête, et je ne plains pas

Ceux ou celles qu'il bat à travers son extase,

O que nenni!

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Voyons, l'amour, c'est une phrase

Sous un mot,—avouez, un écoute-s'il-pleut,

Un calembour dont un chacun prend ce qu'il veut,

Un peu de plaisir fin, beaucoup de grosse joie

Selon le plus ou moins de moyens qu'il emploie,

Ou, pour mieux dire, au gré de son tempérament,

Mais, entre nous, le temps qu'on y perd! Et comment!

Vrai, c'est honteux que des personnes sérieuses

Comme nous deux, avec ces vertus précieuses

Que nous avons, du coeur, de l'esprit,—de l'argent,

Dans un siècle que l'on peut dire intelligent

Aillent!...»

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ainsi de suite, et sa fade ironie

N'épargnait rien de rien dans sa blague infinie.

Elle écoutait le tout avec les yeux baissés

Des coeurs aimants à qui tous torts sont effacés,

Hélas!

L'après-demain et le lendemain se passent.

Il rentre et dit: «Altro! Que voulez-vous que fassent

Quatre pauvres petits millions contre un sort?

Ruinés, ruinés, je vous dis! C'est la mort

Dans l'âme que je vous le dis.»

Elle frissonne

Un peu, mais sait que c'est arrivé.

—«Ça, personne,

Même vous, diletta, ne me croit assez sot

Pour demeurer ici dedans le temps d'un saut

De puce.»

Elle pâlit très fort et frémit presque,

Et dit: «Va, je sais tout.»—«Alors c'est trop grotesque

Et vous jouer là sans atouts avec le feu.»

—«Qui dit non?»—«Mais JE SUIS SPÉCIAL à ce jeu.»

—«Mais si je veux, exclame-t-elle, être damnée?»

—«C'est différent, arrange ainsi ta destinée,

Moi je sors.»—«Avec moi!»—«Je ne puis aujourd'hui.»

Il a disparu sans autre trace de lui

Qu'une odeur de soufre et qu'un aigre éclat de rire.

Elle tire un petit couteau.

Le temps de luire

Et la lame est entrée à deux lignes du coeur.

Le temps de dire, en renfonçant l'acier vainqueur;

«A toi, je t'aime!» et la JUSTICE la recense.

Elle ne savait pas que l'Enfer c'est l'absence.




TABLE



POÈMES SATURNIENS

PROLOGUE

MELANCHOLIA

I. Résignation.

II. Nevermore.

III. Après trois ans.

IV. Voeu.

V. Lassitude.

VI. Mon rêve familier.

VII. A une femme.

VIII. L'angoisse.

EAUX-FORTES

I. Croquis parisien.

II. Cauchemar.

III. Marine.

IV. Effet de nuit.

V. Grotesques.

PAYSAGES TRISTES

I. Soleils couchants.

II. Crépuscule du soir mystique.

III. Promenade sentimentale.

IV. Nuit de Walpurgis classique.

V. Chanson d'automne.

VI. L'heure du berger.

VII. Le rossignol.

CAPRICES

I. Femme et chatte.

II. Jésuitisme.

III. La chanson des ingénues.

IV. Une grande dame.

V. Monsieur Prudhomme.

INITIUM

ÇAVITRI

SUB URBE

SÉRÉNADE

UN DAHLIA

NEVERMORE

IL BACIO

DANS LES BOIS

NOCTURNE PARISIEN

MARCO

CÉSAR BORGIA

LA MORT DE PHILIPPE II

EPILOGUE


FÊTES GALANTES


CLAIR DE LUNE

PANTOMIME

SUR L'HERBE

L'ALLÉE

A LA PROMENADE

DANS LA GROTTE

LES INGÉNUS

CORTÈGE

LES COQUILLAGES

EN PATINANT

FANTOCHES

CYTHÈRES

EN BATEAU

LE FAUNE

MANDOLINE

A CLYMÈNE

LETTRE

LES INDOLENTS

COLOMBINE

L'AMOUR PAR TERRE

EN SOURDINE

COLLOQUE SENTIMENTAL


LA BONNE CHANSON


I Le soleil du matin doucement chauffe et dore.

II Toute grâce et toutes nuances.

III En robe grise et verte avec des ruches.

IV Puisque l'aube grandit, puisque voici l'aurore.

V Avant que tu ne t'en ailles.

VI La lune blanche.

VII Le paysage dans le cadre des portières.

VIII Une sainte en son auréole.

IX Son bras droit, dans un geste aimable de douceur.

X Quinze longs jours encore et plus de six semaines.

XI La dure épreuve va finir.

XII Va, chanson, à tire-d'aile.

XIII Hier, on parlait de choses et d'autres.

XIV Le foyer, la lueur étroite de la lampe.

XV J'ai presque peur en vérité.

XVI Le bruit des cabarets, la fange des trottoirs.

XVII N'est-ce pas? en dépit des sots et des méchants.

XVIII Nous sommes en des temps infâmes.

XIX Donc, ce sera pour un clair jour d'été.

XX J'allais par des chemins perfides.

XXI L'hiver a cessé: la lumière est tiède.


ROMANCES SANS PAROLES

I C'est l'extase langoureuse.

II Je devine, à travers un murmure.

III Il pleure dans mon coeur.

IV Il faut, voyez-vous, nous pardonner les choses.

V Le piano que baise une main frêle.

VI C'est le chien de Jean Nivelle.

VII O triste, triste était mon âme.

VIII Dans l'interminable.

IX L'ombre des arbres dans la rivière embrumée.

PAYSAGES BELGES

Walcourt.

Charleroi.

Bruxelles (Simples fresques).

(Chevaux de bois).

Malines.

BIRDS IN THE NIGHT

AQUARELLES

Green.

Spleen.

Streets.

Child Wife.

A poor young shepherd.

Beams.


SAGESSE

I. Bon chevalier masqué qui chevauche en silence.

II. J'avais peiné comme Sisyphe.

III. Qu'en dis-tu, voyageur, des pays et des gares?

IV. Malheureux! Tous les dons, la gloire du baptême.

V. Beauté des femmes, leur faiblesse, et ces mains pâles.

VI. O vous, comme un qui boite au loin. Chagrins et Joies.

VII. Les faux beaux jours ont lui tout le jour, ma pauvre âme.

VIII. La vie humble aux travaux ennuyeux et faciles.

IX. Sagesse d'un Louis Racine, je t'envie.

X. Non. Il fut gallican, ce siècle, et janséniste.

XI. Petits amis, qui sûtes nous prouver.

XII. Or, vous voici promus, petits amis.

XIII. Prince mort en soldat, à cause de la France.

XIV. Vous reviendrez bientôt, les bras pleins de pardons.

XV. On n'offense que Dieu qui seul pardonne.

XVI. Écoutez la chanson bien douce.

XVII. Les chères mains qui furent miennes.

XVIII. Et j'ai revu l'enfant unique: il m'a semblé.

XIX. Voix de l'Orgueil; un cri puissant comme d'un cor.

XX. L'ennemi se déguise en l'Ennui.

XXI. Va ton chemin sans plus t'inquiéter!

XXII. Pourquoi triste, ô mon âme.

XXIII. Né l'enfant des grandes villes.

XXIV. L'âme antique était rude et vaine.

I. O mon Dieu, vous m'avez blessé d'amour.

II. Je ne veux plus aimer que ma mère Marie.

III. Vous êtes calme, vous voulez un voeu discret.

IV. Mon Dieu m'a dit: Mon fils, il faut m'aimer.

I. Désormais le Sage, puni.

II. Du fond du grabat.

III. L'espoir luit comme un brin de paille dans l'étable.

IV. Je suis venu, calme orphelin.

V. Un grand sommeil noir.

VI. Le ciel est par-dessus le toit.

VII. Je ne sais pourquoi.

VIII. Parfums, couleurs, systèmes, lois!

IX. Le son du cor s'afflige vers les bois.

X. La tristesse, langueur du corps humain.

XI. La bise se rue à travers.

XII. Vous voilà, vous voilà, pauvres bonnes pensées!

XIII. L'échelonnement des haies.

XIV. L'immensité de l'humanité.

XV. La mer est plus belle.

XVI. La «grande ville». Un tas criard de pierres blanches.

XVII. Toutes les amours de la terre.

XVIII. Sainte Thérèse veut que la Pauvreté soit.

XIX. Parisien, mon frère à jamais étonné.

XX. C'est la fête du blé, c'est la fête du pain.



JADIS ET NAGUÈRE

JADIS

Prologue.

SONNETS ET AUTRES

Pierrot.

Kaléidoscope.

Intérieur.

Dizain mil huit cent trente.

A Horatio.

Sonnet boiteux.

Le clown.

Des yeux tout autour de la tête.

Le squelette.

Et nous voilà très doux à la bêtise humaine.

Art poétique.

Le pitre.

Allégorie.

L'Auberge.

Circonspection.

Vers pour être calomnié.

Luxures.

Vendanges.

Images d'un sou.

LES UNS ET LES AUTRES

VERS JEUNES

Le soldat laboureur.

Les loups.

La pucelle.

L'angélus du matin.

La soupe du soir.

Les vaincus.

A LA MANIÈRE DE PLUSIEURS

I. La princesse Bérénice.

II. Langueur.

III. Pantoum négligé.

IV. Paysage.

V. Conseil Falot.

VI. Le poète et la muse.

VII. L'aube à l'envers.

VIII. Un pouacre.

IX. Madrigal.

NAGUÈRE