La Sensible que je vous expédie, conduira l'ambassadeur de la république à Constantinople.

J'espère que les trois vaisseaux vénitiens, grâce à vos soins, seront a présent en état, et que toutes les troupes restées en arrière, pourront partir sous leur escorte.

Adressez tout ce qui nous serait destiné, à Malte qui nécessairement doit être notre première échelle.

Je désirerais que ces vaisseaux prissent sous leur escorte toutes les troupes que le consul de Gènes a à nous envoyer.

Je vous prie d'expédier, deux fois par décade, un aviso pour Malte, d'où il retournera à Toulon: le commissaire de la marine, qui est à Malte, nous expédiera nos courriers là où nous serons.

BONAPARTE.



Malte, le 29 prairial an 6 (17 juin 1798).

Au citoyen Lavalette.

L'Arthémise, citoyen, a ordre de vous faire mouiller sur la côte d'Albanie, pour vous mettre à même de conférer avec Ali-Pacha. La lettre ci-jointe que vous devrez lui remettre, ne contient rien autre chose que d'ajouter foi à ce que vous lui direz, et de l'inviter à vous donner un truchement sûr pour vous entretenir seul avec lui. Vous lui remettrez vous-même ladite lettre, afin d'être assuré qu'il en prenne lui-même lecture.

Après quoi, vous lui direz que, venant de m'emparer de Malte, et me trouvant dans ces mers avec trente vaisseaux et cinquante mille hommes, j'aurai des relations avec lui, et que je désire savoir si je peux compter sur lui; que je désirerais aussi qu'il envoyât près de moi, en l'embarquant sur la frégate, un homme de marque et qui eût sa confiance; que sur les services qu'il a rendus aux Français, et sur sa bravoure et son courage, s'il me montre de la confiance et qu'il veuille me seconder, je peux accroître de beaucoup sa gloire et sa destinée.

Vous prendrez en général note de tout ce que vous dira Ali-Pacha, et vous vous rembarquerez sur la frégate pour venir me joindre et me rendre compte de tout ce que vous aurez fait.

En passant à Corfou, vous direz au général Chabot, qu'il nous envoie des bâtimens chargés de bois, et qu'il fasse une proclamation aux habitans des différentes îles pour qu'ils envoient à l'escadre, du vin, des raisins secs, et qu'ils en seront bien payés.

BONAPARTE.



Malte, le 29 prairial an 6 (17 juin 1798).

À Ali-Pacha.

Mon très-respectable ami, après vous avoir offert les voeux que je fais pour votre prospérité et la conservation de vos jours, j'ai l'honneur de vous informer que depuis long-temps je connais l'attachement que vous avez pour la république française, ce qui me ferait désirer de trouver le moyen de vous donner des preuves de l'estime que je vous porte. L'occasion me paraissant aujourd'hui favorable, je me suis empressé de vous écrire cette lettre amicale, et j'ai chargé un de mes aides-de-champ de vous la porter, pour vous la remettre en mains propres. Je l'ai chargé aussi de vous faire certaines ouvertures de ma part, et comme il ne sait point votre langue, veuillez bien faire choix d'un interprète fidèle et sûr pour les entretiens qu'il aura avec vous. Je vous prie d'ajouter foi à tout ce qu'il vous dira de ma part, et de me le renvoyer promptement avec une réponse écrite en turc de votre propre main. Veuillez-bien agréer mes voeux et l'assurance de mon sincère dévouement.

BONAPARTE.



Malte, le 29 prairial an 6 (17 juin 1798).

Au roi d'Espagne.

La république française a accepté la médiation de V.M. pour la capitulation de la ville de Malte.

M. le chevalier d'Amatti, votre résident dans cette ville, a su être à la fois agréable à la république française et au grand-maître. Mais par l'occupation du port de Malte par la république, la place de M. d'Amatti se trouve supprimée. Je le recommande à Votre Majesté, pour qu'elle veuille bien ne pas l'oublier dans la distribution de ses grâces.

Je prie Votre Majesté de croire aux sentimens d'estime et à la très-haute considération que j'ai pour elle.

BONAPARTE.



Malte, le 29 prairial an 6 (17 juin 1798).

Bonaparte, général en chef, ordonne:

ART. 1er. Les prêtres latins ne pourront pas officier dans l'église qui appartient aux Grecs.

2. Les messes que les prêtres latins ont coutume de dire dans les églises grecques seront dites dans les autres églises de la place.

3. Il sera accordé protection aux Juifs qui voudront établir une synagogue.

4. Le général commandant remerciera les Grecs établis à Malte de la bonne conduite qu'ils ont tenue pendant le siège.

5. Tous les Grecs des îles de Malte et du Gozo, et des départemens d'Ithaque, de Corcyre, et de la mer Egée, qui conserveront des relations quelconques avec les Russes, seront condamnés à mort.

6. Tous les bâtimens grecs qui naviguent sous pavillon russe, s'ils sont pris par des bâtimens français, seront coulés bas.

Ordre du 29 prairial (17 juin 1798).

ART. 1er. Les femmes et les enfans des grenadiers de la garde du grand-maître et du régiment de Malte, qui partent avec la flotte française, recevront:

Les femmes, vingt sous par décade; les enfans au-dessous de dix ans, dix sous par décade.

2. Tous les garçons au-dessus de dix ans seront embarqués sur les bâtimens de la république, comme mousses.

3. Il sera fait, par le payeur, une retenue d'un centime sur la paie de chaque grenadier ou soldat, du régiment de Malte, qui a des enfans.

4. Les femmes des sous-officiers auront trente sous par décade, et les enfans au-dessous de dix ans, quinze sous.

5. La retenue en sera faite sur les appointemens de leur mois.

6. La commission du gouvernement de Malte est chargée de l'exécution du présent ordre.

Ordre du 29 prairial (17 juin 1798).

ART. 1er. La commission du gouvernement se divisera en bureau et en conseil.

2. Le bureau sera composé de trois membres; y compris le président.

3. Le conseil nommera tous les six mois un des deux membres qui doivent composer le bureau.

4. Le bureau sera en activité constante de service; chacun des membres aura 4,000 fr. d'appointemens.

5. Le conseil ne se réunira qu'une fois par décade, pour prendre connaissance de ce qu'aura fait le bureau.

6. Il leur sera accordé à chacun un traitement de 1,000 fr. par an.

7. Les membres du bureau seront, pour cette fois, le citoyen N—— pour six mois, et le citoyen N—— pour un an.

8. Le commissaire de gouvernement aura 6,000 fr. d'appointemens: outre ses frais de bureau, il lui sera accordé, sur l'extraordinaire, une gratification pour son établissement.

Ordre du 29 prairial (17 juin 1798).

ART. 1er. Le général de division commandant à la police générale de l'île et du port; aucun bâtiment ne peut ni entrer ni sortir qu'en conséquence de son réglement.

2. La commission du gouvernement est chargée de l'organisation civile, judiciaire et administrative.

3. Elle ne peut rien faire que sur la demande du commissaire, ou après avoir ouï son rapport; les conclusions du commissaire devront être mises dans toutes les délibérations de la commission.

4. Tout ce qui est réglement ne peut être publié, ni avoir son effet, que visé par le commandant et le général de division.

5. La commission des domaines est chargée de faire l'inventaire de tous les meubles et immeubles appartenans à la république; ainsi que de l'administration de tous les biens nationaux.

6. Elle enverra tous les mois les inventaires qu'elle aura faits et le bordereau de ce qu'elle aura reçu au commissaire du gouvernement.

7. Elle ne pourra faire aucune vente qu'en conséquence d'un ordre du général en chef, et, s'il survenait des circonstances extraordinaires qui exigeassent des fonds, le général de division, le commissaire du gouvernement, le commissaire des guerres, et la commission, se réuniraient et prendraient un arrêté, en conséquence duquel on serait autorisé a vendre jusqu'à la concurrence de 150,000 fr. Le commissaire du gouvernement serait alors chargé de faire un réglement, et d'en suivre tous les détails.

8. La commission des domaines n'aura pas d'autre payeur que celui de la division militaire, qui aura un registre et une caisse particulière pour les objets y relatifs.

10. Le général commandant l'île aura seul le droit de contrôler et de se mêler de l'administration du pays. Les généraux commandant sous lui, les commandans de place, et autres agens militaires, ne se mêleront en aucune manière des objets administratifs. Le général-commandant ne pourra jamais être représenté par un de ses subordonnés.

Ordre du 29 prairial (17 juin 1798).

ART. 1er. Les impôts établis seront provisoirement maintenus. Le commissaire du gouvernement et la commission administrative en assureront la perception.

2. Dans le plus court délai, il sera établi un système d'impositions nouvelles, de manière que le produit total, pris sur les douanes, le vin, l'enregistrement, le timbre, le tabac, le sel, les loyers de maisons et les domestiques, s'élève à 720,000 fr.

3. De cette somme, il sera versé chaque mois 50,000 fr. dans la caisse du payeur de l'armée. Ce versement n'aura lieu cependant que dans trois mois, et jusque-là la caisse des domaines nationaux y suppléera.

4. Les 120,000 fr. restans seront laissés pour fournir aux frais d'administration, justice, etc., selon l'état par aperçu ci-joint.

5. Cet état sera arrêté définitivement par la commission du gouvernement avec le commissaire de la république française, lors de l'organisation des tribunaux, et des diverses parties du service administratif.

6. Le pavé des villes, et l'entretien pour la propreté et le» lumières, sera payé par les habitans.

7. L'entretien des fontaines, par un droit qui sera établi sur les bâtimens qui font de l'eau, ainsi que les gages des employés attachés à ce service.

8. Il sera établi un droit de passe pour l'entretien des routes.

9. L'instruction publique sera payée avec les biens qui y sont déjà affectés; et, en cas d'insuffisance, avec ceux des fondations et couvens supprimés, suivant l'ordre précédent du général en chef.

10. Les gages des magistrats de santé et frais y relatifs seront payés par un droit sur les vaisseaux et sur les voyageurs.

11. Le mont-de-piété sera maintenu, et le commissaire du gouvernement pour voira à son organisation nouvelle.

12. L'établissement dit de l'Université, pour l'approvisionnement en grains de l'île, sera maintenu, en séparant l'administration ancienne à compter du premier messidor; et le commissaire du gouvernement sera tenu de l'organiser de manière à ne laisser aucune inquiétude à la république sur l'approvisionnement de l'île.

13. Les hôpitaux seront organisés sur des bases nouvelles, et il sera pourvu à leurs besoins par des biens des couvens ou fondations supprimés; ceux qui y sont déjà affectés leur seront conservés.

14. La poste aux lettres sera organisée de manière à couvrir, par la taxe des lettres, la dépense qu'elle occasionnera.

15. Les dépenses relatives au passage de l'armée, aux fournitures faites pour elle, à l'état du nouveau gouvernement, seront prises sur les fonds qui resteront disponibles pendant les trois mois où le gouvernement ne paiera rien à l'armée.

16. Le commissaire du gouvernement est autorisé à régler, provisoirement, les cas non prévus, en rendant compte de la détermination au général en chef.

Ordre du 29 prairial (17 juin 1798.)

ÉCOLES PRIMAIRES.

ART. 1er. Il sera établi dans les îles de Malte et du Gozo quinze écoles primaires.

2. Les instituteurs des écoles enseigneront aux élèves à lire et écrire en français, les élémens de calcul et du pilotage, et les principes de la morale et de la constitution française.

3. Les instituteurs seront nommés par le commissaire du gouvernement.

4. Ils seront logés dans une maison nationale à laquelle sera attaché un jardin.

5. Leur salaire en argent sera de mille francs dans les villes et de 800 fr. dans les casals.

6. Il sera affecté au paiement de chaque instituteur une portion suffisante des biens des couvens supprimés.

7. La distribution des écoles et les réglemens sur leurs administration et régime seront confiés à la commission de gouvernement.

ÉCOLE CENTRALE.

ART. 1er. Il sera établi à Malte une école centrale qui remplacera l'université et les autres chaires.

2. Elle sera composé:

1°. D'un professeur d'arithmétique, et de stéréotomie, aux appointemens de 1,800 f.; 2°. d'un professeur d'algèbre et de stéréotomie, aux appointemens de 2,000 fr.; 3°. d'un professeur de géométrie et d'astronomie, aux appointemens de 2,400 fr.; 4°. d'un professeur de mécanique et de physique, aux appointemens de 5,000 fr.; 5°. d'un professeur de navigation, aux appointemens de 2,400 fr.; 6°. d'un professeur de chimie, aux appointemens de 1,800 fr.; 7°. d'un professeur de langues orientales, aux appointemens de 1,200 francs; 8°. d'un bibliothécaire, chargé des cours de géographie, aux appointemens de 1,000 fr.

3. À l'école centrale seront attachés:

1°. La bibliothèque et le cabinet d'antiquités; 2°. un muséum d'histoire naturelle; 3°. un jardin de botanique; 4°. l'observatoire.

Une somme de 3,000 fr. sera affectée à l'entretien du matériel de l'école centrale.

5. On vendra pour 300,000 fr. de biens nationaux pour la fondation de l'approvisionnement.

6. Le commissaire du gouvernement se concertera avec le commissaire des domaines pour la vente desdits biens.

Ordre du 29 prairial (17 juin 1798.)

Le commissaire-ordonnateur ouvrira un crédit sur le payeur de la place, de 3,000 fr. par mois pour le commandant de l'artillerie; 4,000 fr. par mois pour le commandant du génie; 25,000 fr. par mois pour la marine; 3,000 fr. par mois pour l'extraordinaire, à la disposition du général-commandant.

Ordre du 29 prairial (17 juin 1798.)

ART. 1er. Les commissaires des domaines nationaux auront chacun 4,000 fr. d'appointemens par an.

2. Ceux qui ne sont pas établis dans le pays auront six mois d'appointemens en forme de gratification pour leur établissement.

3. Sur les fonds provenant des domaines, il sera accordé également une somme de 6,000 fr. au commissaire de gouvernement pour son établissement, dont 3,000 fr. seront payés sur les premiers fonds, et 3,00 fr. dans six mois.

4. les frais de logement et de bureau de la commission ne pourront pas excéder la somme de 12 à 1,500 fr. par an.

5. Les professeurs formeront ensemble un conseil qui s'occupera des moyens de perfectionner l'instruction, et proposera à la commission de gouvernement les mesures d'administration qu'il jugera nécessaires.

6. Les appointemens des professeurs, le salaire des employés, dont l'état aura été arrêté par la commission de gouvernement, et les dépenses nécessaires pour l'entretien des divers établissemens, seront payés sur les fonds ci-devant affectés à l'entretien de l'université et de la chaire des langues orientales.

7. Il sera affecté au jardin de botanique un terrain de trente arpens, que la commission de gouvernement désignera sans délai parmi les terrains les plus fertiles et les plus près de la ville.

8. Il sera fait à l'hôpital de la ville de Malte des leçons d'anatomie, de médecine et d'accouchement, par les officiers qui y sont attachés.

Ordre du 29 prairial (17 juin 1798.)

ART. 1. On affectera pour l'hôpital, des fonds des couvens ou dotations supprimées, jusqu'à la concurrence de 40,000 fr. de rentes. On prendra de préférence toutes les dotations qui existent déjà affectées aux hospices, quelques dénominations qu'elles aient.

2. On affectera des biens nationaux pour 300,000 fr., pour les créanciers du grand-maître.

3. On vendra pour 300,000 fr. de biens nationaux pour subvenir aux besoins de la garnison et de la marine.

Ordre du 29 prairial (17 juin 1798.)

ART. 1er. L'évêque n'exercera d'autre justice qu'une police sur les ecclésiastiques; toutes procédures relatives au mariages seront du ressort de la justice civile et criminelle.

Il est expressément défendu à l'évêque, aux ecclésiastiques et aux habitans de l'île, de rien recevoir pour l'administration des sacremens, le devoir de leur état étant de les administrer gratis. Ainsi les droits d'étole, et autres pareils, restent abolis.

3. Aucun prince étranger ne pourra avoir d'influence ni dans l'administration de la religion, ni dans celle de la justice. Ainsi aucun ecclésiastique ni habitant ne pourra avoir recours au pape ni à aucun métropolitain.

BONAPARTE.



Le 30 prairial (18 juin 1798).

Au directoire exécutif.

Je vous envoie, citoyens directeurs,

1°. Un réglement pour la répression des délits à bord de l'escadre.

2°. Copie d'une lettre écrite au citoyen Najac, pour les différens avancemens dans l'arsenal.

Le citoyen Najac a mis autant d'activité que de zèle dans l'exécution de vos ordres pour l'expédition; c'est un homme de mérite, qui entend parfaitement sa besogne.

3°. Un ordre pour la punition des matelots qui se seraient débarqués de dessus l'escadre.



(Cette lettre a été écrite a différentes reprises, tant à bord

De la flotte qu'à Malte. Nous la classons à sa dernière date.)

Le 8 prairial (27 mai 1798).

Nous sommes depuis deux jours en calme, à dix lieues au large du détroit de Bonifaccio.

Le convoi de Corse vient de se réunir à nous; les troupes de ce convoi sont commandées par le général Vaubois. J'attends à chaque instant le convoi de Civita-Vecchia.

Un brick anglais a été poursuivi par l'aviso le Corcyre, commandé par le citoyen Renould, et obligé de se jeter sur les côtes de Sardaigne, où il s'est brûlé. L'équipage de ce bâtiment nous parle toujours d'une escadre anglaise.

Le convoi de l'escadre n'a encore eu aucune espèce d'avaries ni de maladies; tout continue à fort bien aller. Nos soldats travaillent nuit et jour, soit pour apprendre à grimper sur les mâtures, soit à l'exercice du canon.

Le 9, à huit heures du soir.

Le troisième bataillon de la soixante-dix-neuvième, auquel vous aviez depuis long-temps donné l'ordre de passer à Corfou, est encore à Ancône. J'écris a Brune pour qu'il ne perde pas un instant pour l'y faire passer. Il est bien essentiel que nos îles soient suffisamment gardées, surtout dans le premier moment.

Malte, le 25 prairial an 6 (13 juin 1798).

Nous sommes arrivés le 21, à la pointe du jour, à la vue de l'île de Gozo. Le convoi de Civita-Vecchia y était arrivé depuis trois jours.

Le 21 au soir, j'ai envoyé un de mes aides-de-camp pour demander au grand-maître la faculté de faire de l'eau dans différens mouillages de l'île. Le consul de la république à Malte vint me porter sa réponse, qui était un refus absolu, ne pouvant, disait-il, laisser entrer plus de deux bâtimens de transport à la fois: ce qui, calcul fait, aurait exigé plus de trois cents jours pour faire de l'eau.

Le besoin de l'armée était urgent et me faisait un devoir d'employer la force pour m'en procurer.

J'ordonnai à l'amiral Brueys de faire des préparatifs pour la descente. Il envoya le contre-amiral Blanquet avec son escadre et le convoi de Civita-Vecchia, pour l'effectuer dans la calle de Marsa-Siroco. Le convoi de Gênes débarqua à la calle Saint-Paul, celui de Marseille à l'île de Gozo.

Le général de brigade Lannes, le chef de brigade Marmont, descendirent à la portée du canon de la place. Le général Desaix fit débarquer le général Belliard avec la vingt-unième. Il s'empara de toutes les batteries et de tous les forts qui défendaient la rade et le mouillage de Marsa-Siroco.

Le 22, à la pointe du jour, nos troupes étaient à terre sur tous les points, malgré l'obstacle d'une canonnade vive, mais extrêmement mal exécutée.

Le 22 au soir, la place était investie de tous les côtés, et le reste de l'île était soumis.

Le général Reynier venait de s'emparer de l'île de Gozo; le général Baraguey-d'Hilliers de tout le midi de l'île de Malte, après avoir fait plusieurs chevaliers et deux cents hommes prisonniers. Le général Desaix était à une portée de pistolet du glacis de la Cottonère et du fort Riccazoli: il avait aussi fait plusieurs chevaliers prisonniers.

Les malheureux habitans, effrayés au-delà de ce qu'on peut imaginer, s'étaient réfugiés dans la ville de Malte, qui se trouva par ce moyen suffisamment garnie de monde.

Pendant toute la soirée du 22, la ville canonna avec la plus grande activité. Les assiégés voulurent faire une sortie; mais le chef de brigade Marmont, à la tête de la dix-neuvième, leur enleva le drapeau de l'ordre.

Le 22, je commençai à faire débarquer l'artillerie. Nous avons peu de places en Europe aussi fortes et aussi soignées que celle de Malte. Je ne m'en tins pas aux seuls moyens militaires, et j'entamai différentes négociations: le résultat en a été heureux.

Le grand-maître m'envoya demander, le 22 au matin, une suspension d'armes.

J'ai envoyé mon aide-de-camp chef de brigade Junot au grand-maître, avec la faculté de signer une suspension d'armes, s'il consentait, pour préliminaires, à négocier de la reddition de la place.

J'envoyai les citoyens Poussielgue et Dolomieu pour sonder les intentions du grand-maître.

Le 22 à minuit, les chargés de pouvoir du grand-maître vinrent à bord de l'Orient, où ils conclurent dans la nuit la convention dont je vous envoie les articles.

À la tête de la députation du grand-maître était le commandeur Bosredon-Ransigeat, chevalier de la ci-devant langue d'Auvergne, qui, du moment où il vit que l'on prenait les armes contre nous, a sur-le-champ écrit au grand-maître que son devoir, comme chevalier de Malte, était de faire la guerre aux Turcs, et non à sa patrie; qu'en conséquence il déclarait ne vouloir prendre aucune part à la mauvaise conduite de l'Ordre dans cette circonstance. Il fut sur-le-champ mis en prison, et il n'en sortit que pour être chargé de venir négocier.

Hier, 24, nous sommes entrés dans la place, et nous avons pris possession de tous les forts. Aujourd'hui, à midi, l'escadre y est venue mouiller.

Je suis extrêmement satisfait de la conduite de l'amiral Brueys, de l'harmonie et de l'ensemble qui régnent dans toute l'escadre. J'ai beaucoup à me louer du zèle et de l'activité du citoyen Gantheaume, chef de division de l'état-major de l'escadre.

Le citoyen Motard, capitaine de frégate, a commandé les chaloupes de débarquement. C'est un jeune officier d'espérance.

Nous avons trouvé à Malte deux vaisseaux de guerre, une frégate, quatre galères, douze cents pièces de canon, quinze cents milliers de poudre, quarante mille fusils, etc. On vous en enverra incessamment l'état.

Je vous envoie copie des différens ordres que j'ai donnés pour l'établissement du gouvernement dans cette île.

Je vous envoie la liste des Français résidant à Malte, dont la plupart chevaliers, qui, un mois avant notre arrivée, ont fait des dons pour la descente en Angleterre.

Je vous prie d'accorder le grade de général de brigade au citoyen Marmont.

Malte, le 28 prairial an 6 (16 juin 1798).

L'escadre commence à sortir du port; et, le 30, nous comptons être tous à la voile pour suivre notre destination.

J'ai laissé, pour commander l'île, le général de division Vaubois; c'est lui qui a commandé le débarquement, et il s'est concilié les habitans de l'île par sa sagesse et sa douceur.

Le grand-maître part demain pour se rendre à Trieste. Sur les six cent mille francs que nous lui avons accordés, il laisse ici trois cent mille francs pour payer ses dettes. Je ferai prévaloir ces trois cent mille francs sur les terres que nous avons appartenant à l'Ordre.

Je lui ai donné cent mille francs comptant, et le payeur lui a remis quatre traites sur celui de Strasbourg, de cinquante mille francs chacune, faisant les deux cent mille francs. Je vous prie d'ordonner qu'elles soient acquittées.

Toute l'argenterie d'ici, y compris le trésor de Saint-Jean, ne nous donnera pas un million. Je laisse cet argent pour subvenir aux dépenses de la garnison et à l'achèvement du vaisseau le Saint-Jean.

Vous trouverez ci-joint les noms que j'ai donnés aux deux vaisseaux, à la frégate et aux galères que nous avons trouvés ici.

Je vous envoie copie de plusieurs ordres que j'ai donnés. Je n'ai rien oublié de ce qui pouvait nous assurer cette île.

Je vous prie d'y envoyer le reste de la septième demi-brigade d'infanterie légère, de la quatre-vingtième et de la vingt-troisième. Cette dernière est en Corse.

Nous avons besoin ici d'un bon corps de troupes. Rien n'égale l'importance de cette place. Elle est soignée et dans le meilleur état; mais les fortifications sont très-étendues.

Je vous prie de faire rejoindre tous les hommes de nos demi-brigades qui sont restés en arrière: cela se monte à plusieurs milliers. Malte aurait besoin aussi de quatre compagnies d'artillerie à pied.

J'ai fait embarquer comme matelots tous les esclaves turcs qui étaient ici: ils nous seront utiles.

Le nombre des chevaliers de Malte français se monte à trois cents. Une partie ayant plus de soixante ans pourra rester ici. J'emmène avec moi tout ce qui avait moins de trente ans. Le reste se rend à Antibes, afin que ceux qui n'ont pas porté les armes contre la France puissent rentrer, conformément à l'article 3 de la capitulation.

Malte, le 29 prairial an 6 (17 juin 1798).

Du moment que le convoi de Civita-Vecchia nous a joints, j'ai été instruit que les ordres que vous aviez donnés pour arrêter les instigateurs des troubles de Rome n'avaient pas été exécutés, et que tous les officiers avaient donné leur parole d'honneur de ne pas souffrir leur arrestation; ce qui avait obligé le général Saint-Cyr à se relâcher de l'exécution de vos ordres. J'ai sur-le-champ fait arrêter quatre officiers du septième de hussards, et quatre de la soixante-unième, qui sont désignés par les chefs comme les principaux meneurs. Je les ai destitués et renvoyés en France, comme indignes de servir dans les troupes de la république. N'ayant pas le temps de faire faire leur procès, j'ordonne qu'on les tienne au fort Lamalgue, jusqu'à ce qu'on ait reçu vos ordres.

Malte, le 29 prairial an 6 (17 juin 1798).

Je vous envoie l'original du traité que venait de conclure l'ordre de Malte avec la Russie. Il n'y avait que cinq jours qu'il était ratifié, et le courrier, qui est le même que celui que j'ai arrêté, il y a deux ans, à Ancône, n'était pas encore parti. Ainsi, sa majesté l'empereur de Russie nous doit des remercimens, puisque l'occupation de Malte épargne à son trésor quatre cent mille roubles. Nous avons mieux entendu que lui-même les intérêts de sa nation.

Cependant, si son but avait été de préparer les voies pour s'établir dans le port de Malte, sa majesté aurait dû, ce me semble, faire les choses un peu plus en secret, et ne pas mettre ses projets tant à découvert. Mais enfin, quoi qu'il en soit, nous avons, dans le centre de la Méditerranée, la place la plus forte de l'Europe, et il en coûtera cher à ceux qui nous en délogeront.

Malte, le 30 prairial an 6 (18 juin 1798).

Le général Baraguey-d'Hilliers vous porte le grand drapeau de l'Ordre et ceux de plusieurs des régimens de Malte.

La santé de cet officier l'obligeait de retourner à Paris.

Le général Baraguey-d'Hilliers s'est conduit toujours avec distinction à l'armée d'Italie, et s'est fort bien acquitté des différentes missions que je lui ai confiées.

Malte, le 30 prairial an 6 (18 juin 1798).

Je vous envoie copie de nouveaux ordres pour l'organisation de l'île. Vous en trouverez, entre autres, un pour l'instruction publique.

Je vous prie d'envoyer ici trois élèves de l'école polytechnique, qui pourront vous être désignés par le citoyen Guyton.

Le premier montrera l'arithmétique et la géométrie descriptive; le second l'algèbre; le troisième la mécanique et la physique. Ils seront logés et bien payés.

Vous trouverez aussi ci-joint plusieurs des meilleures vues de l'île de Malte.

Je vous envoie une galère en argent. Cest le modèle de la première galère qu'a eue l'ordre de Rhodes: ainsi cela est curieux par son ancienneté.

Je vous envoie un surtout de table venant de Chine. Il servait au grand-maître dans les grandes cérémonies; il est assez bien travaillé.



Malte, le 30 prairial an 6 (18 juin 1798).

Bonaparte, général en chef, ordonne:

ART. 1er. Le général Vaubois fera déporter à Rome, sous quarante-huit heures, les consuls d'Angleterre et de Russie.

2. Si ces deux consuls sont naturels du pays, la déportation sera d'une année, au bout de laquelle ils pourront rentrer, si la république française n'a pas a se plaindre d'eux.

BONAPARTE.



À bord de l'Orient, le 3 messidor an 6 (21 juin 1798).

Bonaparte, général en chef, ordonne:

ART. 1. Tout individu de l'armée qui aura pillé ou violé, sera fusillé.

2. Tout individu de l'armée qui, de son chef, mettra des contributions sur les villes, villages, sur les individus, ou commettra des extorsions de quelque genre que ce soit, sera fusillé.

3. Lorsque des individus d'une division auront commis du désordre dans une contrée, la division entière en sera responsable; si les coupables sont connus, le général de division les fera fusiller; s'ils sont inconnus, le général de division préviendra à l'ordre que l'on ait à lui faire connaître les coupables, et, s'ils restent inconnus, il sera retenu, sur le prêt de la division, la somme nécessaire pour indemniser les habitans de la perte qu'ils auront soufferte.

4. Lorsque des individus d'un corps auront commis du désordre dans une contrée, le corps entier en sera responsable; si le chef a connaissance des coupables, il les dénoncera au général de division qui les fera fusiller; s'ils sont inconnus, le chef fera battre à l'ordre pour qu'on les lui fasse connaître; et s'ils continuent à être inconnus, il sera retenu sur le prêt du corps, la somme nécessaire pour indemniser les habitans de la perte qu'ils auront soufferte.

5. Aucun individu de l'armée n'est autorisé à faire des réquisitions ni lever des contributions, que muni d'une instruction du commissaire ordonateur en chef, en conséquence d'un ordre du général en chef.

6. Dans le cas d'urgence, comme il arrive souvent à la guerre, si le général en chef et le commissaire ordonnateur en chef se trouvaient éloignés d'une division, le général de division enverra sur-le-champ copie au général en chef de l'autorisation qu'il aura donnée, et le commissaire des guerres enverra une copie au commissaire ordonnateur en chef des objets qu'il aura requis.

7. Il ne pourra être requis que des choses nécessaires aux soldats, aux hôpitaux, aux transports et à l'artillerie.

8. Une fois la réquisition frappée, les objets requis doivent être remis aux agens des différentes administrations qui doivent en donner des reçus, et en recevoir de ceux à qui ils les distribueront, afin d'avoir leur comptabilité en matière, en règle. Ainsi, dans aucun cas, les officiers et soldats ne doivent recevoir directement des objets requis.

9. Tout l'argent et matières d'or et d'argent provenant des réquisitions, des contributions et de tout autre événement, doit, sous douze heures, se trouver dans la caisse du payeur de la division, et dans le cas que celui-ci soit éloigné, il sera versé dans la caisse du quartier-maître du corps.

10. Dans les places où il y aura un commandant, aucune réquisition ne pourra être faite sans qu'auparavant, le commissaire des guerres n'ait fait connaître au commandant de la place, en vertu de quel ordre cette réquisition est frappée; le commandant de la place devra sur-le-champ en instruire l'état-major général.

11. Ceux qui contreviendraient aux articles 5, 6, 7, 8, 9 et 10, seront destitués et condamnés à deux années de fers.

12. Le général en chef ordonne au général chef de l'état-major, aux généraux, au commissaire-ordonnateur en chef, de tenir la main à l'exécution du présent ordre, son intention n'étant pas que les fonds de l'armée deviennent le profit de quelques individus; ils doivent tourner à l'avantage de tous.

BONAPARTE.



À bord de l'Orient, le 10 messidor an 6 (28 juin 1798).

Bonaparte, général en chef, ordonne:

Art. 1er. L'amiral aura la partie des ports et côtes des pays occupés par l'armée. Tous les réglemens qu'il fera, et ordres qu'il donnera, auront leur exécution.

2. Les ports de Malte et d'Alexandrie seront organisés conformément aux réglemens que fera l'amiral, ainsi que ceux de Corfou et de Damiette.

3. Le citoyen Leroy remplira les fonctions d'ordonnateur à Alexandrie; le citoyen Vavasseur, celles de directeur de l'artillerie.

4. Les agens de l'administration des ports et rades des pays occupés par l'armée, correspondront avec l'ordonnateur Leroy de qui ils recevront directement des ordres.

5. Toutes les munitions navales qui seront trouvées dans les pays conquis par l'armée, seront mises dans les magasins des ports.

6. Les classes pour les matelots seront établies à Malte, en Egypte et dans les îles de la mer Ionienne.

Tous les matelots ayant moins de trente ans, seront requis pour l'escadre.

7. La marine n'aura aucun hôpital particulier; elle se servira des hôpitaux de l'armée de terre.

BONAPARTE.



À bord de l'Orient, le 10 messidor an 6 (28 juin 1798).

Bonaparte, général en chef, ordonne:

ART. 1er. Il ne sera rien débarqué des bâtimens de transports et des convois que sur l'ordre de l'amiral, et en conséquence des réglemens qu'il fera.

2. Les bâtimens seront réduits au frêt de 18 fr. le tonneau par mois, pour ceux de cent tonneaux, et de 16 f. pour ceux au-dessus.

3. Les bâtimens hors de service, et qui ne seront pas jugés capables de retourner en Europe, seront évalués et dépecés pour le service de l'escadre.

4. Il sera fait trois états des bâtimens du convoi.

1°. De ceux au-dessus de cent tonneaux.

2°. De ceux au-dessus de deux cents.

3°. De ceux au-dessus.

On spécifiera la nation dont ils sont.

5. Tous les matelots français qui sont à bord des bâtimens du convoi, seront pris pour la flotte.

Il sera pris des matelots égyptiens pour les convois.

6. Tout bâtiment qui s'en retournera en Europe, ne pourra avoir que le nombre de matelots qui lui est nécessaire, de quelque nation qu'il soit. Le surplus sera mis à bord de l'escadre.

7. Les bâtimens du convoi, les équipages sont sous les ordres de l'amiral. Il fera tous les réglemens qu'il jugera nécessaires pour le bien de l'armée.

BONAPARTE.



À bord de l'Orient, le 11 messidor an 6 (19 juin 1798).

Bonaparte, général en chef.

En conséquence de l'autorisation spéciale du Directoire exécutif, et voulant reconnaître les services du citoyen Mesnard, commissaire de la marine:

Le nomme contrôleur de la marine pour prendre rang avec ceux des grands ports.

BONAPARTE.



À bord de l'Orient, le 12 messidor an 6 (30 juin 1798).

PROCLAMATION.

Soldats!

Vous allez entreprendre une conquête dont les effets sur la civilisation et le commerce du monde sont incalculables. Vous porterez à l'Angleterre le coup le plus sûr et le plus sensible, en attendant que vous puissiez lui donner le coup de mort.

Nous ferons quelques marches fatigantes; nous livrerons plusieurs combats; nous réussirons dans toutes nos entreprises; les destins sont pour nous. Les beys mameloucks, qui favorisent exclusivement le commerce anglais, qui ont couvert d'avanies nos négocians, et qui tyrannisent les malheureux habitans des bords du Nil, quelques jours après notre arrivée, n'existeront plus.

Les peuples avec lesquels nous allons vivre sont mahométans; leur premier article de foi est celui-ci: «il n'y a pas d'autre Dieu que Dieu, et Mahomet est son prophète». Ne les contredisez pas; agissez avec eux comme nous avons agi avec les juifs, avec les Italiens; ayez les égards pour leurs muphtis et leurs imans, comme vous en avez eu pour les rabbins et les évêques; ayez pour les cérémonies que prescrit l'alcoran, pour les mosquées, la même tolérance que vous avez eue pour les couvens, pour les synagogues, pour la religion de Moïse et celle de Jésus-Christ.

Les légions romaines protégeaient toutes les religions. Vous trouverez ici des usages différens de ceux de l'Europe: il faut vous y accoutumer.

Les peuples chez lesquels nous allons entrer traitent les femmes différemment que nous; mais, dans tous les pays, celui qui viole est un monstre.

Le pillage n'enrichit qu'un petit nombre d'hommes; il nous déshonore; il détruit nos ressources; il nous rend ennemis des peuples qu'il est de notre intérêt d'avoir pour amis.

La première ville que nous allons rencontrer a été bâtie par Alexandre: nous trouverons à chaque pas de grands souvenirs, dignes d'exciter l'émulation des Français.

BONAPARTE.



À bord de l'Orient, le 12 messidor an 6 (30 juin 1798).

Au pacha d'Egypte.

Le directoire exécutif de la république française s'est adressé plusieurs fois a la sublime Porte pour demander le châtiment des beys d'Egypte, qui accablaient d'avanies les commerçans français.

Mais la sublime Porte a déclaré que les beys, gens capricieux et avides, n'écoutaient pas les principes de la justice, et que non-seulement elle n'autorisait pas les outrages qu'ils faisaient à ses bons et anciens amis les Français, mais que même elle leur ôtait sa protection.

La république française s'est décidée à envoyer une puissante armée pour mettre fin aux brigandages des beys d'Egypte, ainsi qu'elle a été obligée de le faire plusieurs fois dans ce siècle, contre les beys de Tunis et d'Alger.

Toi qui devrais être le maître des beys, et que cependant ils tiennent au Caire sans autorité et sans pouvoir, tu dois voir mon arrivée avec plaisir.

Tu es sans doute déjà instruit que je ne viens point pour rien faire contre l'Alcoran, ni le sultan. Tu sais que la nation française est la seule et unique alliée que le sultan ait en Europe.

Viens donc à ma rencontre, et maudis avec moi la race impie des beys.

BONAPARTE.



À bord de l'Orient, le 12 messidor an 6 (30 juin 1798).

Au commandant de la Caravelle.

Les beys ont couvert nos commercans d'avanies; je viens en demander réparation.

Je serai demain dans Alexandrie; vous ne devez avoir aucune inquiétude; vous appartenez à notre grand ami le sultan: conduisez-vous en conséquence; mais si vous commettez la moindre hostilité contre l'armée française, je vous traiterai en ennemi, et vous en serez cause, car cela est loin de mon intention et de mon coeur.

BONAPARTE.



Alexandrie, le 13 messidor an 6 (1er juillet 1798).

PROCLAMATION.

Depuis trop long-temps les beys qui gouvernent l'Egypte insultent à la nation française, et couvrent ses négocians d'avanies: l'heure de leur châtiment est arrivée.

Depuis trop long-temps ce ramassis d'esclaves achetés dans le Caucase et la Géorgie tyrannisent la plus belle partie du monde; mais Dieu, de qui dépend tout, a ordonné que leur empire finît.

Peuples de l'Egypte, on vous dira que je viens pour détruire votre religion; ne le croyez pas: répondez que je viens vous restituer vos droits, punir les usurpateurs, et que je respecte, plus que les mameloucks, Dieu, son prophète, et le Koran.

Dites-leur que tous les hommes sont égaux devant Dieu: la sagesse, les talens et les vertus mettent seuls de la différence entre eux.

Or, quelle sagesse, quels talens, quelles vertus distinguent les mameloucks, pour qu'ils aient exclusivement tout ce qui rend la vie aimable et douce?

Y a-t-il une belle terre? elle appartient aux mameloucks. Y a-t-il une belle esclave, un beau cheval, une belle maison? cela appartient aux mameloucks.

Si l'Egypte est leur ferme, qu'ils montrent le bail que Dieu leur en a fait. Mais Dieu est juste et miséricordieux pour le peuple; tous les Egyptiens sont appelés à gérer toutes les places: que les plus sages, les plus instruits, les plus vertueux gouvernent; et le peuple sera heureux.

Il y avait jadis parmi vous de grandes villes, de grands canaux, un grand commerce: qui a tout détruit, si ce n'est l'avarice, les injustices et la tyrannie des mameloucks?

Qadhys, cheykhs, Imâms, thcorbâdjys, dites au peuple que nous sommes aussi de vrais Musulmans. N'est-ce pas nous qui avons détruit le pape, qui disait qu'il fallait faire la guerre aux Musulmans? N'est-ce pas nous qui avons détruit les chevaliers de Malte, parce que ces insensés croyaient que Dieu voulait qu'ils fissent la guerre aux Musulmans? N'est-ce pas nous qui avons été dans tous les temps les amis du grand-seigneur (que Dieu accomplisse ses desseins), et l'ennemi de ses ennemis? Les mameloucks au contraire ne sont-ils pas toujours révoltés contre l'autorité du grand-seigneur, qu'ils méconnaissent encore? Ils ne font que leurs caprices.

Trois fois heureux ceux qui seront avec nous! Ils prospéreront dans leur fortune et leur rang. Heureux ceux qui seront neutres! Ils auront le temps de nous connaître, et ils se rangeront avec nous.

Mais malheur, trois fois malheur, à ceux qui s'armeront pour les mameloucks, et combattront contre nous: il n'y aura pas d'espérance pour eux; ils périront.

ART. 1er. Tous les villages, situés dans un rayon de trois lieues des endroits où passera l'armée, enverront une députation au général commandant les troupes, pour le prévenir qu'ils sont dans l'obéissance, et qu'ils ont arboré le drapeau de l'armée (blanc, bleu et rouge.)

2. Tous les villages qui prendraient les armes contre l'armée seront brûlés.

3. Tous les villages qui se seront soumis à l'armée mettront, avec le pavillon du grand-seigneur notre ami, celui de l'armé.

4. Les cheykhs feront mettre les scellés sur les biens, maisons, propriétés qui appartiennent aux mameloueks, et auront soin que rien ne soit détourné.

5. Les cheykhs, les qadhys et les Imams, conserveront les fonctions de leurs places; chaque habitant restera chez lui et les prières continueront comme à l'ordinaire. Chacun remerciera Dieu de la destruction des mameloucks, et criera: gloire au sultan, gloire à l'armée française, son amie! malédiction aux mameloucks et bonheur au peuple d'Egypte!

BONAPARTE.



Alexandrie, le 25 messidor an 6 (3 juillet 1798).

Dans la circonstance où se trouve l'armée, il est indispensable de prendre des dispositions telles que l'escadre puisse manoeuvrer selon les événemens qui peuvent survenir, et se trouver à l'abri des forces supérieures que pourraient avoir les Anglais dans ces mers; le général en chef ordonne, en conséquence, les dispositions suivantes:

ART. 1er. L'amiral Brueys fera entrer, dans la journée de demain, son escadre dans le port vieux d'Alexandrie, si le temps le permet et s'il y a le fond nécessaire.

2. S'il n'y avait pas dans ce port le fond nécessaire pour mouiller, il prendra des mesures telles, que dans la journée de demain, il ait débarqué l'artillerie et autres effets de terre, ainsi que tous les individus composant l'armée de terre, en gardant seulement cent hommes par vaisseau de guerre et quarante par frégate, ayant soin qu'il ne se trouve parmi les troupes ni grenadiers ni carabiniers.

3. Il enverra à terre le citoyen Ganteaume, chef de l'état-major de l'escadre, pour présider et vérifier lui-même l'opération de la sonde du port, et, dans le cas où il n'y aurait pas le fond nécessaire pour que l'escadre puisse mouiller, pour accélérer le débarquement des individus et objets qui sont à bord de l'escadre. Mais, vu le peu de ressource qu'il y a dans ce port, l'amiral ne peut compter que sur les embarcations.

4. Le Dubois et le Causse entreront dans le port.

5. Le citoyen Perrée, chef de division, avec les deux galères, les bombardes et les différentes chaloupes canonnières et avisos se rendra dans le port d'Alexandrie; le général en chef lui fera passer des instructions pour seconder avec ses forces, les opérations de l'armée de terre.

6. Le citoyen Leroy et le citoyen Vavasseur, avec les employés, officiers de la marine et tous les ouvriers que l'escadre pourra fournir, se rendront également à Alexandrie pour y former un établissement maritime.

7. L'amiral fera, dans la journée de demain, connaître au général en chef, par un rapport, si l'escadre peut entrer dans le port d'Alexandrie, ou si elle peut se défendre, embossée dans la rade d'Aboukir, contre une escadre ennemie supérieure; et dans le cas où ni l'un ni l'autre ne pourraient s'exécuter, il devra partir pour Corfou, l'artillerie débarquée, laissant à Alexandrie le Dubois, le Causse, tous les effets nécessaires pour les armer en guerre; la Diane, la Junon, l'Alceste, l'Arthémise, toute la flottille légère, et toutes les frégates armées en flûte, avec ce qui est nécessaire, pour leur armement.

8. Si l'ennemi paraissait avec des forces très-supérieures, dans le cas où l'amiral ne pût entrer, ni à Alexandrie, ni au Beckier, la flotte se retirerait également à Corfou où l'amiral prendrait toutes les mesures pour exécuter les dispositions de l'article septième.

BONAPARTE.



Alexandrie, le 15 messidor an 6 (3 juillet 1798).

Bonaparte, général en chef, ordonne:

ART 1er. Tous les blés et autres comestibles et bois nécessaires à l'armée, qui se trouvent sur les bâtimens qui sont dans l'un ou l'autre port, seront sur-le-champ débarqués. L'inventaire en sera fait, et lesdits vivres seront achetés à des particuliers des nations qui ne seront pas ennemies de la France.

2. Tous les bâtimens de guerre qui appartiendraient aux mameloucks ou à des nations ennemies de la France, seront confisqués.

3. Le scellé sera mis sur toutes les maisons et autres propriétés des mameloucks.

4. Toutes les marchandises qui sont à la Douane, appartenant aux mameloucks ou à des sujets des nations ennemies de la France, qui sont la Russie, l'Angleterre et le Portugal, seront confisquées.

L'ordonnateur en chef nommera une commission de trois personnes spécialement chargées de faire les recherches, les inventaires, et même les évaluations. Elle remettra aux commissaires des guerres les différens objets à la disposition des diverses administrations.

BONAPARTE.



Alexandrie, le 15 messidor an 6 (3 juillet 1798).

Bonaparte, général en chef, ordonne:

ART. 1er. Demain à midi, il se tiendra un conseil chez le général du génie, composé du commissaire-ordonnateur en chef, du général d'artillerie, du commandant de la place, du citoyen Dumanoir, commandant du port, et de l'ordonnateur Leroy: l'officier du génie, chargé du casernement, fera les fonctions de secrétaire.

2. On établira dans ce conseil les emplacemens qui doivent être donnés pour les différens services.

3. Pour l'artillerie: l'arsenal de construction, les magasins à poudre, le parc, le logement du personnel. Il faudrait que tout cela fût à peu près réuni dans un même endroit.

4. Le logement du personnel: un petit atelier de construction et quelques magasins pour les outils.

5. Pour le service de l'ordonnateur: différens magasins pour les vivres et autres parties de l'administration, au moins douze fours, des hôpitaux.

6. Pour la place et le service des troupes: le logement des officiers de l'état-major, un cachot, deux prisons, une pour les gens du pays, une pour les militaires.

Pour la marine: les lazarets, l'arsenal, le logement du personnel.

8. On fera une organisation particulière pour les différentes parties.

Pour le fort du Phare, pour le grand fort, pour le pharillon, pour le fort d'Aboukir, pour le Marabou.

BONAPARTE.



Alexandrie, le 15 messidor an 6 (3 juillet 1798).

Bonaparte, général en chef, ordonne:

ART 1er. Tous les matelots turcs qui étaient esclaves à Malte et qui ont été mis en liberté, et qui sont de Syrie, des îles de l'Archipel ou du Bey de Tripoli, seront sur-le-champ mis en liberté.

2. L'amiral les fera débarquer demain à Alexandrie, d'où l'état-major leur donnera des passeports pour se rendre chez eux, et des proclamations en arabe.

BONAPARTE.



Alexandrie, le 15 messidor an 6 (3 juillet 1798).

À l'ordonnateur Najac.

Nous sommes arrivés, citoyen ordonnateur, à Alexandrie, après différentes opérations militaires. Nous avons déjà fait divers établissemens militaires. Nous sommes maîtres d'Alexandrie, de Rosette et de Damanhour, qui sont trois grandes villes éloignées de douze lieues.

Nous avons bien besoin que le second convoi que vous préparez nous arrive promptement. Faites, je vous prie, imprimer un écrit dans nos différens ports de la Provence et du Languedoc, et même au consul de Gênes, pour engager tous les négocians à nous envoyer à Alexandrie des chargemens de vin et d'eau-de-vie qui seront payés, soit en marchés d'échange, soit en argent comptant. Les négocians ne doivent avoir désormais aucune inquiétude, puisque le port de Malte leur offre une retraite aussi sûre que commode.

Notre premier soin a été d'établir ici un lazaret auquel nous avons donné la même organisation qu'à celui de Marseille. Ainsi, dès ce moment, il n'y a plus rien à craindre de la peste qui, heureusement dans ce moment-ci, n'existe plus ni à Alexandrie, ni à Rosette, ni dans aucun endroit de l'Égypte.

Je vous recommande de nouveau de nous envoyer promptement tout ce qui est de la suite de l'armée.

BONAPARTE.



Alexandrie, le 17 messidor an 6 (5 juillet 1798).

Bonaparte, général en chef, ordonne:

ART 1er. Les noms de tous les hommes de l'armée française qui ont été tués a la prise d'Alexandrie, seront gravés sur la colonne de Pompée.

2. Ils seront enterrés au pied de la colonne. Les citoyens Costas et Dutertre feront un plan qu'ils me présenteront pour l'exécution du présent ordre.

3. Cela sera mis à l'ordre de l'armée.

4. L'état-major remettra à cette commission l'état des noms des hommes tués à la prise d'Alexandrie.

BONAPARTE.



Alexandrie, le 17 messidor an 6 (5 juillet 1798).

Au citoyen Ferrée.

Vous ferez partir de suite tous les bâtimens de votre flottille qui ne tirent que quatre ou cinq pieds d'eau. Vous en donnerez le commandement à l'officier qui aura votre confiance. Il se rendra à Aboukir; il mettra embargo sur tous les bâtimens qui pourraient s'y trouver. Il correspondra avec le commandant du fort, pour savoir si la division Dugua est passée, et se mettra sur-le-champ en marche pour arriver au bord du Nil par la Barre, et se portera à Rosette.

Un de ces bâtimens fera sonder l'embouchure, et y restera pour la désigner aux bâtimens qui arriveront après.

Les bâtimens arrivés de Rosette seront à la disposition du général Dugua.

Vous partirez le plus tôt possible avec le reste de votre flottille. Vous laisserez deux avisos ici, à la disposition du général Dumanoir.

Quand vous serez à l'embouchure du Nil, vous ferez entrer tous les bâtimens que vous pourrez, en vous servant de tous les moyens que vous suggéreront vos connaissances et votre expérience.

Vous laisserez cependant deux de vos plus grands bâtimens en dehors, que vous enverrez croiser au canal de Damiette, avec ordre d'amener à l'escadre, mouillée au Beckier, tous les bâtimens qui voudraient sortir du Nil. Vous leur recommanderez de respecter les pêcheurs et les djermes, de leur faire beaucoup d'honnêtetés, et leur donner des proclamations dont je vous envoie ci-joint une trentaine d'exemplaires.

BONAPARTE.



Alexandrie, le 18 messidor an 6 (6 juillet 1798)

Au directoire exécutif.

L'armée est partie de Malte le 1er messidor, et est arrivée le 13, à la pointe du jour devant Alexandrie. Une escadre anglaise que l'on dit être très-forte, s'y était présentée trois jours avant et avait remis un paquet pour les Indes.

Le vent était grand frais, et la mer très-houleuse. Cependant je crus devoir débarquer de suite; la journée se passa à faire les préparatifs du débarquement. Le général Menou, à la tête de sa division, débarqua le premier près du Marabou, à une lieue et demie d'Alexandrie.

Je débarquai avec le général Kléber, et une autre partie des troupes, à onze heures du soir. Nous nous mîmes sur-le-champ en marche pour nous porter sur Alexandrie; nous aperçûmes à la pointe du jour la colonne de Pompée. Un corps de mameloucks et arabes commençait à escarmoucher avec nos avant-postes; mais nous nous portâmes rapidement, la division du général Bon à la droite, celle du général Kléber au centre, et celle du général Menou à la gauche, sur les différens points d'Alexandrie. L'enceinte de la ville des Arabes était garnie de monde; le général Kléber partit de la colonne de Pompée, pour escalader la muraille; dans le temps que le général Bon forçait la porte de Rosette, le général Menou bloquait le château triangulaire avec une partie de sa division, se portait avec le reste sur une autre partie de l'enceinte, et la forçait. Il entra le premier dans la place; il y reçut six blessures dont heureusement aucune n'est dangereuse.

Le général Kléber, au pied de la muraille, désignait l'endroit où il voulait que ses grenadiers montassent; mais il reçut une balle au front qui le jeta par terre; sa blessure, quoique très-grave, n'est pas mortelle; les grenadiers de sa division en doublèrent de courage et entrèrent dans la place. La quatrième demi-brigade, commandée par le général Marmont, enfonça à coups de hache la porte de Rosette, et toute la division du général Bon entra dans l'enceinte des Arabes.

Le citoyen Mars, chef de brigade en second de la trente-deuxième, a été tué, et l'adjudant général l'Escalle dangereusement blessé.

Maîtres de l'enceinte des Arabes, les ennemis se réfugièrent dans le fort triangulaire, dans le Phare et dans la nouvelle ville. Chaque maison était pour eux une citadelle; mais avant la fin de la journée la ville fut calme, les deux châteaux capitulèrent, et nous nous trouvâmes entièrement maîtres de la ville, des forts et des deux ports d'Alexandrie.

Pendant ce temps-là les Arabes du désert étant accourus par pelotons de 30 à 50 hommes, inondaient nos derrières et tombaient sur nos traînards. Ils n'ont cessé de nous harceler pendant deux jours; mais hier je suis parvenu à conclure avec eux un traité, non-seulement d'amitié, mais même d'alliance: treize des principaux chefs sont venus hier chez moi; je m'assis au milieu d'eux et nous eûmes une très-longue conversation. Après être convenus de nos articles, nous nous sommes réunis autour d'une table et nous avons voué au feu de l'enfer celui de moi ou d'eux qui violerait nos conventions, consistantes:

Eux à ne plus harceler nos derrières, à me donner tous les secours qui dépendraient d'eux, et à me fournir le nombre d'hommes que je leur demanderais pour marcher contre les mameloucks.

Moi à leur restituer, quand je serai maître de l'Égypte, les terres qui leur avaient appartenu jadis.

Les prières se font, dans les Mosquées, comme à l'ordinaire, et ma maison est toujours pleine des imans ou cadis, des scheicks, des principaux du pays, des muphtis ou chefs de la religion.

Cette nation-ci n'est rien moins que ce que l'ont peinte les voyageurs et les faiseurs de relations, elle est calme, fière et brave.

Le port vieux d'Alexandrie peut contenir une escadre aussi nombreuse qu'elle soit; mais il y a un point de la passe où il n'y a que cinq brasses d'eau, ce qui fait penser aux marins qu'il n'est pas possible que les vaisseaux de 74 y entrent.

Cette circonstance contrarie singulièrement mes projets; les vaisseaux de construction Vénitienne pourront y entrer, et déjà le Dubois et le Causse y sont.

L'escadre sera aujourd'hui à Aboukir, pour achever de débarquer l'artillerie qu'elle a à nous.

La division du général Desaix est arrivée à Damanhour après avoir traversé quatorze lieues dans un désert aride, où elle a été bien fatiguée; celle du général Reynier doit y arriver ce soir.

La division du général Dugua est à Rosette; le chef de division Ferrée commande notre flottille légère, et va chercher à faire remonter le Nil par une partie de ses bâtimens.

Je vous demande le grade de contre-amiral pour le citoyen Gantheaume, chef de l'état-major de l'escadre, officier du plus grand mérite, aussi distingué par son zèle que par son expérience et ses connaissances.

J'ai nommé le citoyen Leroi, ordonnateur de la marine à Alexandrie.

J'ai fait dans l'armée différens avancemens dont je vous enverrai l'état dès que l'armée aura pris un peu d'assiette.

Nous avons eu à la prise d'Alexandrie trente ou quarante hommes tués, et quatre-vingts à cent blessés.

Je vous demande le grade de chef d'escadron pour le citoyen Sulkowski, qui est un officier du plus grand mérite, et qui a été deux fois culbuté de la brèche.

BONAPARTE.



Alexandrie, le 18 messidor an 6 (8 juillet 1798).

Au chargé d'affaires à Constantinople.

Je vous envoie une dépêche que je vous ai écrite à bord de l'Orient.

L'armée est arrivée: elle a débarqué près d'Alexandrie et s'est emparée de cette ville après quelques fusillades.

Nous sommes en pleine marche sur le Caire.

Vous devez convaincre la Porte de notre ferme résolution de continuer à vivre en bonne intelligence avec elle.

Un ambassadeur vient d'être nommé pour s'y rendre, et il ne tardera pas à y arriver.

Je désire que vous répondiez le plus tôt possible à ces différentes lettres et que vous m'en accusiez la réception.

BONAPARTE.



Giza, le 4 thermidor an 6 (22 juillet 1798).

Au pacha d'Égypte.

Je suis très-fâché de la violence que vous a faite Ibrahim, en vous forçant à quitter le Caire pour le suivre. Si vous en êtes le maître, revenez dans cette ville; vous y jouirez de la considération et du rang dus au représentant de notre ami le sultan.

Je vous ai écrit d'Alexandrie la lettre ci-jointe (en date du ...), et j'ai chargé le commandant de la caravelle de vous la faire remettre, et je suis assuré que vous ne l'avez pas reçue. Par la Grâce de Dieu, de qui tout dépend, les mameloucks ont été détruits. Soyez assuré que les mêmes armes que nous avons rendues victorieuses, seront toujours à la disposition du sultan. Que le ciel comble ses désirs contre ses ennemis!

BONAPARTE.



Giza, le 4 thermidor an 6 (22 juillet 1798).

Aux scheicks et notables du Caire.

Vous verrez, par la proclamation ci-jointe, les sentimens qui m'animent.

Hier, les mameloucks ont été pour la plupart tués ou faits prisonniers, et je suis à la poursuite du peu qui reste encore.

Faites passer de mon côté les bateaux qui sont sur votre rive, envoyez-moi une députation pour faire connaître votre soumission.

Faites préparer du pain, de la viande, de la paille et de l'orge pour mon armée, et soyez sans inquiétude, car personne ne désire plus contribuer à votre bonheur que moi.

BONAPARTE.



Giza, le 4 thermidor an 6 (22 juillet 1798).

Proclamation jointe à la précédente.

Peuple du Caire, je suis content de votre conduite: vous avez bien fait de ne pas prendre parti contre moi; je suis venu pour détruire la race des mameloucks, protéger le commerce et les naturels du pays. Que tous ceux qui ont peur se tranquillisent; que ceux qui se sont éloignés rentrent dans leurs maisons; que la prière ait lieu comme à l'ordinaire, comme je veux qu'elle continue toujours. Ne craignez rien pour vos familles, vos maisons, vos propriétés, et surtout pour la religion du prophète, que j'aime. Comme il est urgent qu'il y ait des hommes chargés de la police, afin que la tranquillité ne soit pas troublée, il y aura un divan composé de sept personnes qui se réuniront à la mosquée de Ver. Il y en aura toujours deux près du commandant de la place, et quatre seront occupées à maintenir la tranquillité publique et à veiller à la police.

BONAPARTE.



Giza, le 4 thermidor an 6 (22 juillet 1798).

Au général Desaix.

L'état-major a dû vous donner l'ordre, citoyen général, de vous porter avec votre division à deux lieues en avant de Giza, en suivant les bords du Nil. Vous emploierez la journée de demain, 6 thermidor, à choisir un emplacement qui ne soit pas, lors de la crue du Nil, inondé, et qui, cependant, soit près du Nil.

Mon intention est que ce point soit retranché par trois redoutes formant le triangle, et se flanquant entre elles.

Chacune de ces redoutes devra pouvoir être défendue par quatre-vingt-dix hommes, deux canonniers, et deux petites pièces de canon.

Lorsque ces redoutes seront achevées, elles seront réunies entre elles par trois bons fossés, qui formeront les courtines, et de manière à ce que ce triangle puisse contenir toute votre division et lui servir de camp retranché.

Le général du génie a ordre d'envoyer un officier supérieur du génie pour tracer ces ouvrages, et vous laisserez un officier du génie de votre division et tous vos sapeurs, et vous prendrez même à la journée le plus de paysans que vous pourrez pour pousser vivement la confection desdits travaux.

Le général d'artillerie a ordre d'y envoyer six pièces de canon pour les trois redoutes, et deux pièces de 24 pour faire une batterie qui domine la navigation du Nil.