Vous prendrez aussi des mesures pour que l'on nous envoie de l'une de ces places des sabres, des pistolets, des fusils, dont vous savez que nous avons besoin.
Vous aurez bien soin que la frégate qui vous portera, dès l'instant qu'elle sera approvisionnée de ce qui pourrait lui manquer, reparte sur-le-champ, se dirigeant sur Jaffa, et là elle saura où je suis. Arrivée à Jaffa, elle mouillera au large et avec précaution, afin de s'assurer si l'armée y est; si elle n'y était pas, elle se dirigerait vers Damiette.
Si vous pouvez faire charger sur la frégate quelques armes, vous le ferez; si les événemens qui se passeront sur le continent font que votre présence n'y soit pas nécessaire, vous rejoindrez l'armée à la prochaine mousson.
Vous remettrez les paquets que je vous envoie au gouvernement, et vous remplirez la mission dont vous êtes chargé.
BONAPARTE.
Au Caire, le 7 pluviose an 7 (26 janvier 1799).
Au général Kléber.
J'ai reçu, citoyen général, votre lettre du 3. Comme les lettres que je reçois de Mansoura me font craindre que la maladie de la deuxième demi-brigade ne soit contagieuse, je crois qu'il serait dangereux de la mettre en libre communication avec les autres demi-brigades. Faites-vous faire un rapport détaillé sur la situation de cette demi-brigade, et, dans le cas où la maladie serait contagieuse, vous pourriez la renvoyer à Mansoura: je la ferais remplacer à votre division par un bataillon de la vingt-cinquième demi-brigade.
BONAPARTE.
Au Caire, le 9 pluviose an 7 (28 janvier 1799).
Au général Marmont.
J'imagine, citoyen général, que vous aurez changé la manière de faire le service d'Alexandrie. Vous aurez placé aux différentes batteries et aux forts de petits postes stables et permanens: ainsi, par exemple, à la hauteur de l'observatoire, à la batterie des bains, vous aurez placé douze à quinze hommes qui ne devront pas en sortir, et que vous tiendrez là sans communication. Ces douze à quinze hommes fourniront le factionnaire nécessaire pour garder le poste. La position de la mer vous dispense d'avoir aujourd'hui une grande surveillance; vous vous trouvez ainsi avoir besoin de fort peu de monde. Pourquoi avez-vous des grenadiers pour faire le service en ville? Je ne conçois rien à l'obstination du commissaire des guerres Michaux à rester dans sa maison, puisque la peste y est. Pourquoi ne va-t-il pas camper sur un monticule du côté de la colonne de Pompée?
Tous vos bataillons sont, l'un de l'autre, au moins à une demi-lieue. Ne tenez que très-peu de chose dans la ville, et, comme c'est le poste le plus dangereux, n'y tenez point de troupe d'élite... Mettez le bataillon de la soixante-quinzième sous ces arbres où vous avez été long-temps avec la quatrième d'infanterie légère. Qu'il se baraque là en s'interdisant toute communication avec la ville et l'Égypte. Mettez le bataillon de la quatre-vingt-cinquième du côté du Marabou: vous pourrez facilement l'approvisionner par mer. Quant à la malheureuse demi-brigade d'infanterie légère, faites-la mettre nue comme la main, faites-lui prendre un bon bain de mer; qu'elle se frotte de la tête aux pieds; qu'elle lave bien ses habits, et que l'on veille à ce qu'elle se tienne propre. Qu'il n'y ait plus de parade; qu'on ne monte plus de garde que chacun dans son camp. Faites faire une grande fosse de chaux vive pour y jeter les morts.
Dès l'instant que, dans une maison française, il y a la peste, que les individus se campent ou se baraquent; mais qu'ils fuient cette maison avec précaution, et qu'ils soient mis en réserve en plein champ. Enfin, ordonnez qu'on se lave les pieds, les mains, le visage tous les jours, et qu'on se tienne propre.
Si vous ne pouvez pas garantir la totalité des corps où cette maladie s'est déclarée, garantissez au moins la majorité de votre garnison. Il me semble que vous n'avez encore pris aucune grande mesure proportionnée aux circonstances. Si je n'avais pas à Alexandrie des dépôts dont je ne puis me passer, je vous aurais déjà dit: partez avec votre garnison, et allez camper à trois lieues dans le désert. Je sens que vous ne pouvez pas le faire. Approchez-en le plus près que vous pourrez. Pénétrez-vous de l'esprit des dispositions contenues dans la présente lettre; exécutez-les autant que possible, et j'espère que vous vous en trouverez bien.
BONAPARTE.
Au Caire, le 9 pluviose an 7 (28 janvier 1799).
Au contre-amiral Ganteaume.
Je reçois, citoyen général, votre lettre du 5. L'intention où vous êtes de vouloir suivre vous-même l'expédition de Cosseir fait honneur à votre zèle; mais j'ai besoin de vos lumières pour une expédition considérable. Vous savez que, lorsque je vous ai envoyé à Suez, j'espérais que vous seriez de retour du 20 au 30: nous sommes au 10, et vous n'êtes pas encore parti. Les événemens arrivés à la Castiglione me persuadent qu'une fois parti, je ne vous verrai plus d'ici à deux mois; et les événemens sont tels, que je ne puis me passer de vous. Donnez les instructions nécessaires à l'officier qui commandera l'expédition, et rendez-vous de suite au Caire, où je vous attends avant le 15. Vous pouvez ramener mes vingt-cinq guides. J'écris au général Junot de compléter votre escorte au moins à cinquante ou soixante hommes.
Donnez au commandant des armes et à Feraud toutes les instructions nécessaires à votre départ. Je désirerais que la construction de la goëlette pût être tellement en train d'ici au 20, que le citoyen Feraud, avec un petit détachement d'ouvriers, pût être disponible pour se porter ailleurs.
Un gros brick anglais a fait côte à Bourlos. Sur cinquante-six hommes d'équipage, quarante se sont noyés, et seize sont en notre pouvoir. Je les attends à chaque instant. Ils nous donneront des renseignemens sur les mouvemens des Anglais. Il paraît que, cette année, les temps sont terribles.
BONAPARTE.
Au Caire, le 10 pluviose an 7 (29 janvier 1799).
Au payeur-général.
Vous passerez, citoyen, les douze actions de la compagnie d'Égypte qui appartiennent à la république, à la disposition des citoyens: Boyer, chef de brigade de la dix-huitième; Darmagnac, id. de la trente-deuxième; Conroux, id. de la soixante-unième; Lejeune, id. de la vingt-deuxième; Delorgne, id. de la treizième; Grezins, adjudant-général; Maugras, chef de brigade de la soixante-quinzième; le chef de la neuvième; Venoux, id. de la vingt-cinquième; Duvivier, colonel du quatorzième de dragons; Bron, id. du troisième; Pinon, id. du quinzième, à titre de gratification extraordinaire.
Dix actions existent dans votre caisse; je donne à l'administrateur des finances l'ordre de s'arranger avec la compagnie d'Égypte pour avoir les deux autres.
BONAPARTE.
Au Caire, le 11 pluviose an 7 (30 janvier 1799).
Au citoyen Poussielgue.
La femme Selti-Nefsi, veuve d'Ali-Bey et femme actuelle de Mourad-Bey, conservera la partie de ses biens qui lui vient d'Ali-Bey: je veux par-là donner une marque d'estime pour la mémoire de ce grand homme.
BONAPARTE.
Au Caire, le 11 pluviose an 7 (30 janvier 1799).
Au divan du Caire.
J'ai reçu votre lettre du 10 pluviose. Non-seulement j'ai ordonné à l'aga des janissaires et aux agens de la police de publier que l'on jouira, pendant la nuit du Rhamadan, de toute la liberté d'usage, mais encore je désire que vous-même fassiez tout ce qui peut dépendre de vous pour que le Rhamadan soit célébré avec plus de pompe et de ferveur que dans les autres années.
BONAPARTE.
Au Caire, le 13 pluviose an 7 (31 janvier 1799).
Au général Kléber.
L'état-major, citoyen général, vous fera passer l'ordre de mouvement pour l'occupation d'El-Arich. Pour y arriver, vous avez deux ennemis à vaincre, la faim et la soif, et les ennemis qui sont à Gaza, et qui, en deux jours, peuvent retourner à El-Arich.
Vous direz aux gens du pays que vous pourriez rencontrer, que vous n'avez ordre d'occuper qu'El-Arich, Kan-Iounes, et de chasser Ibrahim-Bey; que c'est à lui seul que vous en voulez.
Les moyens de transport que vous avez dans ce moment-ci à Catieh peuvent seuls décider de la quantité de troupes que vous pourrez envoyer à El-Arich. L'avant-garde du général Reynier épuisera tous les moyens de transport: car il est indispensable que les soldats portent pour trois jours sur eux, et qu'il ait avec lui un convoi qui assure la subsistance pour douze jours.
Arrivé à Kan-Iounes, vous pouvez écrire à Abdallah-Pacha que le bruit public nous a instruits que le grand-seigneur l'avait nommé pacha d'Égypte; que si cela est vrai, nous avons lieu d'être étonnés qu'il ne soit pas venu; que nous sommes les amis du grand-seigneur; que vous n'avez aucune intention hostile contre lui; que vous n'avez ordre de moi que d'occuper le reste de l'Égypte, et de chasser Ibrahim-Bey; que vous ne doutez pas que, s'il me fait connaître l'ordre qui le nomme pacha d'Égypte, je ne le reçoive avec tous les honneurs dus à son poste; que, du reste, vous êtes persuadé que, s'il est véritablement officier de la Sublime-Porte, il n'a rien de commun avec un tyran tel qu'Ibrahim-Bey, à la fois ennemi de la république française et de la Sublime-Porte.
Les divisions Bon et Lannes, la cavalerie et le parc de réserve sont en mouvement; je compte partir moi-même le 17. Je suivrai la route de Birket-el-Haldji, Belbeis, Corice, Salahieh, le pont Kautaxeh et Cathieh. Vous m'enverrez par cette route les rapports que vous aurez à me faire.
BONAPARTE.
Au Caire, le 15 pluviose an 7 (3 février 1799).
Au général Desaix.
Votre dernière lettre que j'ai reçue hier, citoyen général, est datée du 16 nivose. Je n'ai eu depuis aucune nouvelle de vos opérations ultérieures.
Le général Davoust m'a écrit de Syout le 23 nivose: il m'a annoncé le succès qu'il a obtenu sur les différens rassemblemens de fellahs qui s'étaient révoltés.
Depuis le 3 nivose nous sommes à Catieh et nous y avons établi un fort et des magasins assez considérables.
Le général Reynier part le 16 de Catieh pour se rendre à El-Arich.
Une grande partie de l'armée est en mouvement pour traverser les déserts et se présenter sur les frontières de Syrie.
Le quartier-général va incessamment se mettre en marche.
Mon but est de chasser Ibrahim-Bey du reste de l'Égypte, dissiper les rassemblemens de Gaza, et punir Ibrahim-Bey de sa mauvaise conduite.
Le citoyen Collot, lieutenant de vaisseau, est parti avec quatre chaloupes canonnières de Suez, portant quatre-vingts hommes de débarquement: il a ordre de croiser devant Cosseir et même de s'en emparer. Dès l'instant qu'il aura effectué son débarquement, il vous en préviendra en vous expédiant des Arabes. De votre côté, expédiez d'Esneh des hommes, pour pouvoir être instruit de son arrivée, correspondre avec lui et lui envoyer des vivres dont il pourrait se trouver avoir besoin.
Défaites-vous, par tous les moyens et le plus tôt possible, de ces vilains mameloucks.
BONAPARTE.
Au Caire, le 17 pluviose an 7 (5 février 1799).
Au général Kléber.
Nous avons reçu enfin, citoyen général, des nouvelles de France. Un bâtiment ragusais, chargé de vins, est arrivé, ayant à son bord les citoyens Hamelin et Liveron. Ils apportent des lettres que je n'ai pas encore reçues, parce que Marmont m'a écrit par un Arabe.
Jourdan a quitté le corps législatif, et commande l'armée sur le Rhin. Le congrès de Rastadt était toujours au même point: on y parlait beaucoup sans avancer.
Joubert commande l'armée d'Italie. Schawenburg commande à Malte. Pléville est parti pour Corfou. Passwan-Oglou a détruit entièrement l'armée du capitan-pacha, et est maître d'Andrinople.
La Marguerite, expédiée après la prise d'Alexandrie, et la Petite-Cisalpine, expédiée de Rosette un mois après le combat d'Aboukir, sont toutes deux arrivées.
Descoutes était en route pour Constantinople.
Au commencement de novembre, l'ambassadeur turc à Paris faisait encore ses promenades à l'ordinaire.
Les Espagnols, au nombre de vingt-quatre vaisseaux, se laissent bloquer par seize vaisseaux anglais.
On a pris des mesures pour recruter les armées: il paraît que l'on a requis tous les jeunes gens de dix-huit ans, que l'on a appelés les conscrits.
Les choses de l'intérieur sont absolument dans le même état que lorsque nous sommes partis: on ne remarque, dans l'allure du gouvernement, que le changement qu'a pu y apporter le nouveau membre qui y est entré.
Le général Humbert, avec quinze cents hommes, est arrivé en Irlande. Il a réuni quelques Irlandais autour de lui, et, quinze jours après, a été fait prisonnier avec toute sa troupe.
On arme en Europe de tous côtés; cependant on ne fait encore que se regarder.
Je retarde mon départ de deux jours, afin de recevoir des lettres avant de partir.
La trente-deuxième doit être arrivée à Catieh. Le général Bon, avec le reste de sa division, est à Salahieh. Si des événemens pressans vous rendaient un secours nécessaire, vous lui écririez: il n'aurait pas besoin de mon ordre pour marcher à vous.
BONAPARTE.
Au Caire, le 17 pluviose an 7 (5 février 1799).
Au général Marmont.
J'ai reçu, citoyen général, la lettre que vous m'avez écrite le 7, m'annonçant l'arrivée du citoyen Hamelin à Alexandrie. Toutes les troupes dans ce moment-ci traversent le désert, et j'étais moi-même sur le point de partir. Je retarde mon départ pour voir le citoyen Hamelin, ou recevoir au moins les lettres de Livourne et de Gênes que vous m'annoncez.
Vous ferez sortir un parlementaire, par lequel vous préviendrez le commandant anglais que plusieurs avisos anglais ont, à différentes époques, échoué sur la côte; que nous avons sauvé les équipages; qu'ils sont dans ce moment-ci au Caire, où ils sont traités avec tous les égards possibles; que, ne les regardant pas comme prisonniers, je les lui enverrai incessamment.
BONAPARTE.
Au Caire, le 20 pluviose an 7 (8 février 1799).
Au citoyen Poussielgue.
Je donne ordre au payeur d'envoyer un de ses préposés sur une djerme armée à Mehal-el-Kebir et Menouf, pour ramasser l'argent et le rapporter au Caire le plus promptement possible.
Donnez ordre à l'agent de la province de Gizeh de se mettre en course pour lever le deuxième tiers du miri.
Pressez de tous vos moyens la rentrée du premier tiers que doivent payer les adjudicataires. Joignez-y tout ce que rend la monnaie et tout ce que doit rendre l'enregistrement; car il est indispensable que vous ramassiez, d'ici au 1er ventose, 500,000 fr., et que vous me les fassiez passer à l'armée. Ils seront escortés par un adjudant-général de l'état-major et le troisième bataillon de la trente-deuxième, qui ont ordre de partir le 30.
Envoyez des exprès de tous côtés, et écrivez que l'on active la rentrée des impositions.
Donnez ordre à Damiette pour que l'on recouvre les 150,000 fr. qui restent à recouvrer, et que l'on fasse rentrer le deuxième tiers du miri; de manière que le payeur de cette place puisse nous envoyer le 30, par Tineh et Catieh, 200,000 fr.
Donnez ordre également que les impositions se lèvent dans la Scharkieh, de manière que l'on puisse nous envoyer, d'ici au 1er du mois prochain, 100,000 fr.
Vous sentez combien il est nécessaire que, surtout dans ce premier moment, nous ayons de quoi subvenir à l'extraordinaire de l'expédition.
BONAPARTE.
Au Caire, le 20 pluviose an 7 (8 février 1799).
Au Directoire exécutif.
Plusieurs généraux et officiers m'ayant fait connaître que leur santé ne leur permettait point de continuer à servir dans ce pays-ci, surtout la campagne redevenant plus active, je leur ai accordé la permission de passer en France.
Je vous ai expédié et je vous expédie ces jours-ci plusieurs bâtimens avec des courriers: j'espère que quelques-uns vous arriveront.
L'on nous annonce à l'instant l'arrivée à Alexandrie d'un bâtiment ragusais chargé de vins, et porteur de lettres pour moi de Gênes et d'Ancône: depuis huit mois c'est la première nouvelle d'Europe qui nous arrive. Je ne recevrai ces lettres que dans deux ou trois jours, et je désire bien vivement qu'il y en ait de vous, et du moins que je puisse être instruit de ce qui se passe en Europe, afin de pouvoir guider ma conduite en conséquence.
BONAPARTE.
Au Caire, le 21 pluviose an 7 (9 février 1799).
Au général Marmont.
Vous verrez par l'ordre du jour, citoyen général, que tous les fonds des provinces d'Alexandrie, de Rosette et de Bahhireh doivent être versés dans la caisse du payeur d'Alexandrie. Le citoyen Baude a été investi de toute l'autorité du citoyen Poussielgue.
Le commissaire Michaud est investi de toute l'autorité de l'ordonnateur en chef sur l'administration de ces trois provinces, dont les fonds seront exclusivement destinés à pourvoir à vos services.
Ordonnez que le troisième bataillon de la soixante-quinzième se réunisse, avec deux bonnes pièces d'artillerie, à Damanhour; que cette colonne puisse se porter dans toute cette province, et même dans celle de Rosette, pour lever les impositions et punir ceux qui ce comporteraient mal. Cette mesure aura l'avantage de tirer tout le parti possible de ces deux provinces; détenir une bonne réserve éloignée de l'épidémie d'Alexandrie; et, selon les événemens, vous la feriez revenir à Alexandrie, où sa présence relèverait le moral de toute la garnison: car il est d'axiome que, dans l'esprit de la multitude, lorsque l'ennemi reçoit des renforts, elle doit en recevoir pour se croire égalité de force; et, enfin, s'il arrivait quelque événement dans le Delta, ce bataillon pourrait s'y porter, et être d'un grand secours.
Mettez-vous en correspondance avec le général Lanusse, qui commande à Menouf, et le général Fugières, qui commande à Mehal-el-Kebir. Ne vous laissez point insulter par les Arabes. Le bon moyen de faire finir votre épidémie, est peut-être de faire marcher vos troupes. Saisissez l'occasion, et calculez une opération de quatre à cinq cents hommes sur Mariout: cela sera d'autant plus essentiel, que, partant demain pour me rendre en Syrie, l'idée de mon absence pourrait les enhardir.
Si des événemens supérieurs arrivaient, le commandant de Rosette doit se retirer dans le fort de Catieh, qui doit être approvisionné pour cinq ou six mois. Maître de ce fort, il le serait de la bouche du Nil, et dès-lors empêcherait de rien faire de grand contre l'Égypte. Faites donc armer et approvisionner le fort de Raschid; mettez dans le meilleur état celui d'Aboukir, et profitez de tous les moyens possibles et du temps qui vous reste d'ici au mois de juin, pour mettre Alexandrie à l'abri d'une attaque de vive force pendant, 1°. cinq a six jours qu'une armée puisse débarquer et l'investir; 2°. quinze jours pour qu'elle commence le siège; 3°. quinze à vingt jours de siège.
Vous sentez que, lorsque cette opération pourrait être possible, je ne serais pas éloigné de dix jours de marche d'Alexandrie.
Faites lever exactement la carte des provinces de Bahhireh, Rosette et Alexandrie, et dès l'instant qu'elle sera faite, envoyez-la moi, afin qu'elle puisse me servir si votre province devenait le théâtre de plus grands événemens.
Dans ce moment-ci, la saison ne permet pas aux Anglais de rien faire de dangereux. Envoyez-moi des Arabes par Damiette et par le Caire pour me donner de vos nouvelles: dans ces deux villes, on saura où je me trouve.
Je vous envoie la relation de la fête du Rhamadan et une proclamation du divan du Caire. Il est bon de répandre l'une et l'autre non-seulement dans votre province, mais encore par les bâtimens qui partiront.
Je ne puis pas vous donner une plus grande marque de confiance qu'en vous laissant le commandement du poste le plus essentiel de l'armée.
Le citoyen Hamelin est arrivé hier: j'ai trouvé beaucoup de contradictions dans tout ce qu'il a appris en route et j'ajoute peu de foi à toutes les nouvelles qu'il donne comme les ayant apprises en route: la situation de l'Europe et de la France jusqu'au 10 novembre me paraissait assez satisfaisante.
J'apprends qu'il est arrivé un nouveau bâtiment venant de Candie: interrogez-le avec le plus grand soin, et envoyez-moi les demandes et les réponses. Informez-vous de l'escadre russe.
Quoique je croie que nous soyons en paix avec Naples et l'empereur, cependant je vous autorise à retarder, sous différens prétextes, le départ des bâtimens napolitains, impériaux, livournais; concertez-vous avec le citoyen Leroy, et envoyez-en moi l'état: nous acquerrons tous les jours des renseignemens plus certains.
BONAPARTE.
Au Caire, le 21 pluviose an 7 (9 février 1799).
Au général Dugua.
Vous prendrez, citoyen général, le commandement de la province du Caire.
Les dépôts des divisions Bon et Reynier gardent la citadelle avec deux compagnies de vétérans.
Il y a à la citadelle des approvisionnemens de réserve pour nourrir pendant cinq à six mois la garnison et l'hôpital qui s'y trouvent.
Il y a au fort Dupuy un détachement de la légion maltaise et de canonniers.
Le fort Sullowski est gardé par les dépôts du septième de hussards et du vingt-deuxième de chasseurs.
Le fort Camin est gardé par un détachement du quatorzième de dragons.
La tour du fort de l'institut est gardée par un détachement des dépôts de la division Lannes, ainsi que le fort de la Prise d'eau, et de la maison d'Ibrahim-Bey. Dans cette dernière est notre grand hôpital.
Tous nos établissemens d'artillerie sont à Gizeh, ainsi que les dépôts de la division du général Desaix.
Tous les Français sont logés autour de la place Esbequieh. J'y laisse un bataillon de la soixante-neuvième, un de la quatrième légère et un de la trente-deuxième.
Le bataillon de la quatrième partira le 24, une compagnie de canonniers marins, le 27, et le bataillon de la trente-deuxième, le 30 pluviose. J'ai désigné le 30 pour le départ de ce bataillon, parce que je suppose que le général Menou sera arrivé à cette époque avec la légion nautique. Si elle n'était pas arrivée, vous garderez ce bataillon jusqu'à son arrivée, et dans ce cas vous feriez escorter le trésor qu'on doit envoyer à l'armée, par un détachement qui ira jusqu'à Belbeis.
Je laisse à Boulac tous les dépôts de dragons, ce qui, avec les dépôts des régimens de cavalerie légère, forme près de 300 hommes. Il leur reste à tous quelques chevaux; il en arrive d'ailleurs journellement que vous leur ferez distribuer.
La première opération que vous aurez à faire est de réunir chez vous les commandans des différens dépôts, de passer la revue de leurs magasins, et de prendre toutes les mesures afin que chacun de ces régimens puisse, en cas d'alerte, monter, tant bien que mal, un certain nombre de chevaux.
Ce sont principalement les selles qui manquent. Il y a à Boulac un atelier qui a déjà reçu 6,000 fr. et qui doit en fournir quatre cents, à trente par décade. Vous ne recevrez que des selles très-bonnes, puisqu'on les paie très-cher. Le quatorzième de dragons a deux cents selles qui sont en quarantaine à Rosette depuis vingt-cinq jours, et qui doivent être ici avant la fin du mois.
On doit monter à Gizeh au moins cinq à six cents sabres par jour; vous les ferez donner aux dépôts de cavalerie qui en ont le plus besoin. Vous passerez une réforme des chevaux, et je vous autorise à faire vendre au profit des masses des régimens de cavalerie tous les chevaux hors d'état de servir.
Il y a dans la province du Caire cinq tribus principales d'Arabes:
Les Billy: c'est la plus nombreuse; elle est en paix avec nous, elle a dans ce moment-ci son chef et plus de deux cents chameaux à l'armée.
Les Joualka: nous sommes en paix avec eux. Les fils des deux principaux scheicks sont en ce moment en ôtage chez Zulvekias, commissaire près le divan.
Les Terrabins; nous sommes en paix avec eux. Ils ont leurs scheicks et presque tous leurs chameaux dans les convois de l'armée.
Enfin, les Aouatah et les Haydé, qui sont nos ennemis. Nous avons brûlé leurs villages, détruit leurs troupeaux. Ils sont dans le fond du désert, mais ils pourraient revenir faire des brigandages aux environs du Caire.
Il faut que les forts Camin, Sullowski et Dupuy leur tirent des coups de canon, quand ils approchent de trop près.
Il faut toujours avoir un bâtiment armé, embossé plus bas que la ville, près du rivage, de manière à pouvoir tirer dans la plaine.
Il faut de temps en temps envoyer cent hommes à Kelioubeh, avec une petite pièce de canon, tant pour lever le miri, que pour connaître si ces Arabes sont retournés, et pouvoir les investir et surprendre leur camp.
Il faut aussi, de temps en temps, réunir une centaine d'hommes à Giza, faire une tournée surtout dans le nord de la province, lever le miri, et donner la chasse aux Arabes.
Je désirerais que, dès que le général Leclerc sera arrivé à Gizeh, vous l'envoyassiez avec cent hommes de Jerich et cinquante hommes de la garnison du Caire, faire, dans le nord de sa province, une tournée de cinq à six jours. Vous régleriez sa marche de manière à être instruit tous les jours où il se trouverait, afin de pouvoir le rappeler, si les circonstances l'exigeaient.
Le divan du Caire a une influence réelle dans la ville, et est composé d'hommes bien intentionnés; il faut le traiter avec beaucoup d'égards et avoir une confiance particulière dans le commissaire Zulvekias et dans le scheick Madich.
L'intendant-général cophte, le chef des marchands de Damas, Michaël-Kebil, que vous pouvez consulter secrètement lorsque vous aurez quelques inquiétudes, pourront vous donner des renseignemens sur ce qui se passerait dans la ville.
S'il y avait des troubles dans la ville, il faudrait vous adresser au petit divan, réunir même le divan général. Ils réussiront à tout concilier en leur témoignant de la confiance; enfin, prendre toujours des mesures de sûreté, telles que consigner la troupe, redoubler les gardes du quartier français, y placer quelques petites pièces de canon, mais n'arriver à faire bombarder la ville par le fort Dupuy et la citadelle qu'à la dernière extrémité: vous sentez le mauvais effet que doit produire une telle mesure sur l'Égypte et dans tout l'Orient.
S'il arrivait des événemens imprévus à Alexandrie et à Damiette, vous y feriez marcher le général Lanusse et même le général Fugières.
Si vous veniez à craindre quelque ruse de la populace du Caire, vous feriez venir le général Lanusse de Menouf; il viendrait sur l'une et l'autre rive, et son arrivée ferait beaucoup d'effet dans la ville.
J'ai donné des fonds au génie, à l'artillerie et à l'ordonnateur pour tout le service de ventose.
Vous correspondrez avec moi par des Arabes, et par tous les convois qui partiront.
Quels que soient les événemens qui se passent dans la Scharkieh, vingt-cinq hommes partant de nuit arriveront toujours à Birket-el-Hadji, à Belbeis et à Salahieh.
Le commandant des armes à Boulac vous remettra l'état des bâtimens armés que vous avez sur le Nil. Il est nécessaire que ces bâtimens fassent un service de plus en plus actif.
Le payeur a ordre de tenir à votre disposition 2,000 fr. par décade, pour payer les courriers que vous m'expédierez.
BONAPARTE.
Au Caire, le 22 pluviose an 7 (10 février 1799).
Au général Desaix.
Je suis fort impatient de recevoir de vos nouvelles, quoique la voix publique nous apprenne que vous ayez battu les mameloucks; et que vous en ayiez détruit un grand nombre.
Les généraux Kléber et Reynier sont à El-Arich; je pars à l'instant même pour m'y rendre. Mon projet est de pousser Ibrahim-Bey au-delà des confins de l'Égypte, et de dissiper les rassemblemens du pacha qui sont faits à Gaza.
Écrivez-moi par le Caire, en m'envoyant des Arabes droit à El-Arich.
Le citoyen Collot, lieutenant de vaisseau, est parti le 12 de ce moi, avec un très-bon vent, de Suez avec les chaloupes canonnières, portant quatre-vingts hommes de débarquement pour se rendre à Cosseir: on m'écrit de Suez, qu'à en juger par le temps qu'il a fait, il doit être arrivé le 16. Écrivez-lui par des Arabes, et procurez-lui tous les secours que vous pourrez.
Les citoyens Hamelin et Liveron sont arrivés, le 7 pluviose, à Alexandrie: ils étaient partis le 24 octobre de Trieste; le 3 novembre, d'Ancône, et le 28 nivose, de Navarino, en Morée, où ils ont resté mouillés fort long-temps; ils sont venus sur un bâtiment chargé de vin, d'eau-de-vie et de draps. À leur départ d'Europe, tout était parfaitement tranquille en France; le congrès de Rastadt durait toujours; le corps législatif paraissait avoir repris un peu plus de dignité et de considération, et avoir dans les affaires un peu plus d'influence que lorsque nous sommes partis. On avait fait une loi pour le recrutement de l'armée. Tous les jeunes gens, depuis dix-huit ans, avaient été divisés en cinq conscriptions militaires.
Voulant activer les négociations de Rastadt, on avait envoyé Jourdan commander l'armée du Rhin, Joubert, celle d'Italie, et on avait demandé à la première conscription 200,000 hommes: cela paraissait s'effectuer.
Presque tous les avisos que j'avais envoyés en France, étaient arrivés.
On avait appris en Europe la prise d'Alexandrie un mois avant la bataille des Pyramides, et la bataille des Pyramides toujours avant le combat d'Aboukir.
Le vaisseau le Généreux, qui s'était retiré à Corfou, a pris, en différentes occasions, deux frégates anglaises et le vaisseau le Leander, de 64: ce dernier s'est battu quatre heures.
Au 5 novembre, la Cisalpine et deux autres avisos que j'avais expédiés, étaient en rade à Corfou, attendant, à chaque instant, le retour de leur courrier pour remettre à la voile et revenir ici.
Une escadre russe bloquait Corfou; les habitans s'étaient réunis à la garnison, forte de quatre mille hommes. Le blocus n'a pas empêché la frégate la Brune d'y entrer le 20 novembre. L'ancien ministre de la marine Pléville est à Corfou, où il cherche à réunir le reste de notre marine. Descoutes est parti, le 15 octobre, pour Constantinople, comme ambassadeur extraordinaire.
Dès l'instant que l'on a su à Londres que toute notre armée avait débarqué en Égypte, il y a eu en Angleterre une espèce de délire.
Nos dignes alliés, les Espagnols, avaient vingt-quatre vaisseaux dans le port de Cadix, et ils étaient bloqués par seize.
L'Angleterre a déclaré la guerre à toutes les républiques italiennes.
Le général Humbert, que vous connaissez bien, a eu la bonté de doubler l'Écosse et de débarquer avec deux à trois mille hommes en Irlande. Après avoir obtenu quelques avantages, il s'est laissé investir et a été fait prisonnier; l'adjudant-général Sarrasin était avec lui. Il me fâche de voir, dans une opération aussi ridicule, le brave troisième de chasseurs.
L'escadre de Brest était très-belle.
Les Anglais bloquaient Malte, mais plusieurs bâtimens chargés de vivres y étaient déjà entrés.
On était très-indisposé à Paris contre le roi de Naples.
Ne donnez pas de relâche aux mameloucks, détruisez-les par tous les moyens possibles.
Faites construire un petit fort capable de contenir deux à trois cents hommes, et capable d'en contenir un plus grand nombre dans l'occasion, dans l'endroit le plus favorable que vous pourrez, et il faut le choisir près d'un pays fertile.
Le but de ce fort serait de pouvoir réunir là nos magasins et nos bâtimens armés, afin que dans le mois de mai ou de juin, votre division devenant nécessaire ailleurs, on puisse laisser un général avec quatre ou cinq djermes armées, qui, de là, tiendra en respect toute la Haute-Égypte. Il y aura des fours et des magasins, de sorte que quelques bataillons de renfort le mettraient dans le cas de soumettre les villages qui se seraient révoltés, ou de chasser les mameloucks qui seraient revenus. Sans cela, vous sentez que si votre division est nécessaire ailleurs, cent mameloucks peuvent revenir et s'emparer de la Haute-Égypte; ce qui n'arrivera pas si les habitans voient toujours des troupes françaises, et dès-lors peuvent penser que votre division n'est absente que momentanément. Je désirerais, si cela est possible, qu'un fort fût à même de correspondre facilement avec Cosseir.
Je fais construire, dans ce moment, deux corvettes à Suez, qui porteront chacune douze pièces de canon de 6. Mettez la main, le plus tôt possible, à la construction de votre fort; prenez là vos larges. Assurez le nombre de pièces nécessaires pour armer votre fort. Je désire, si cela est possible, qu'il soit en pierre.
BONAPARTE.
Au Caire, le 11 pluviose an 7 (10 février 1799).
Au Directoire exécutif.
Un bâtiment ragusais est entré le 7 pluviose dans le port d'Alexandrie: il avait à bord les citoyens Hamelin et Liveron, propriétaires du chargement du bâtiment, consistant en vins, vinaigre et draps: il m'a apporté une lettre du consul d'Ancône en date du 11 brumaire, qui ne me donne point d'autre nouvelle que de me faire connaître que tout est tranquille en Europe et en France; il m'envoie la série des journaux de Lugano depuis le n°. 36 (3 septembre) jusqu'au n°. 43 (22 octobre), et la série du Courrier de l'armée d'Italie, qui s'imprime à Milan, depuis le n°. 219 (14 vendémiaire) jusqu'au n°. 280 (6 brumaire).
Le citoyen Hamelin est parti de Trieste le 24 octobre, a relâché à Ancône le 3 novembre et est arrivé a Navarino, d'où il est parti le 22 nivose.
J'ai interrogé moi-même le citoyen Hamelin, et il a déposé les faits ci-joints.
Les nouvelles sont assez contradictoires: depuis le 18 messidor je n'avais pas reçu de nouvelles d'Europe.
Le 1er. novembre, mon frère est parti sur un aviso. Je lui avais ordonné de se rendre à Crotone ou dans le golfe de Tarente: j'imagine qu'il est arrivé.
L'ordonnateur Sucy est parti le 26 frimaire.
Je vous expédie plus de soixante bâtimens de toutes les nations et par toutes les voies: ainsi vous devez être bien au fait de notre position ici.
Nous avons appris par Suez que six frégates françaises, qui croisent à l'entrée de la mer Rouge, avaient fait pour plus de 20,000,000 de prises aux Anglais.
Je fais construire dans ce moment-ci une corvette à Suez, et j'ai ma flottille de quatre avisos, qui navigue dans la mer Rouge.
Les Anglais ont obtenu de la Porte que Djezzar-Pacha aurait, outre son pachalic d'Acre, celui de Damas. Ibrahim-Pacha, Abdallah-Pacha et d'autres pachas sont à Gaza, et menacent l'Égypte d'une invasion: je pars dans une heure pour aller les trouver. Il faut passer neuf jours d'un désert sans eau ni herbes; j'ai ramassé une quantité assez considérable de chameaux, et j'espère que je ne manquerai de rien. Quand vous lirez cette lettre, il serait possible que je fusse sur les ruines de la ville de Salomon.
Djezzar-Pacha est un vieillard de soixante-dix ans, homme féroce, qui a une haine démesurée contre les Français; il a répondu avec dédain aux ouvertures amicales que je lui ai fait faire plusieurs fois. J'ai, dans l'opération que j'entreprends, trois buts:
1°. Assurer la conquête de l'Égypte en construisant une place forte au-delà du désert, et dès-lors éloigner tellement les armées de quelque nation que ce soit, de l'Égypte, qu'elles ne puissent rien combiner avec une armée européenne qui viendrait sur les côtes.
2°. Obliger la Porte à s'expliquer, et par-là appuyer la négociation que vous avez sans doute entamée, et l'envoi que je fais à Constantinople du citoyen Beauchamp sur la caravelle turcque.
3°. Enfin ôter à la croisière anglaise les subsistances qu'elle tire de Syrie, en employant les deux mois d'hiver qui me restent à me rendre, par la guerre et la diplomatie, toute cette côte amie.
Je me fais accompagner dans cette course du molah, qui est, après le muphti de Constantinople, l'homme le plus révéré dans l'empire musulman;
Des quatre scheicks des principales sectes; de l'émir Hadji ou prince de la caravane.
Le rhamadan, qui a commencé hier, a été célébré de ma part avec la plus grande pompe. J'ai rempli les mêmes fonctions que remplissait le pacha.
Le général Desaix est à plus de cent soixante lieues du Caire, près des Cataractes. Il fait des fouilles sur les ruines de Thèbes. J'attends à chaque instant les détails officiels d'un combat qu'il aurait eu contre Mourad-Bey, qui aurait été tué et cinq à six beys faits prisonniers.
L'adjudant-général Boyer a découvert dans le désert, du côté du Fayoum, des mines qu'aucun Européen n'avait encore vues.
Le général Andréossi et le citoyen Berthollet sont de retour de leur tournée aux lacs de Natron et aux couvens des Cophtes. Ils ont fait des découvertes extrêmement intéressantes; ils ont trouvé d'excellent natron que l'ignorance des exploiteurs empêchait de découvrir. Cette branche de commerce de l'Égypte deviendra encore par-là plus importante. Par le premier courrier, je vous enverrai le nivellement du canal de Suez, dont les vestiges se sont parfaitement conservés.
Il est nécessaire que vous nous fassiez passer des armes et que vos opérations militaires et diplomatiques soient combinées de manière que nous recevions des secours: les événemens naturels font mourir du monde.
Une maladie contagieuse s'est déclarée depuis deux mois à Alexandrie: deux cents hommes en ont été victimes. Nous avons pris des mesures pour qu'elle ne s'étende pas: nous la vaincrons.
Nous avons eu bien des ennemis à combattre dans cette expédition: déserts, habitans du pays; Arabes, mameloucks, Russes, Turcs, Anglais.
Si, dans le courant de mars, le rapport du citoyen Hamelin m'était confirmé, et que la France fût en guerre contre les rois, je passerais en France.
Je ne me permets, dans cette lettre, aucune réflexion sur les affaires de la république, puisque, depuis dix mois, je n'ai plus aucune nouvelle.
Nous avons tous une entière confiance dans la sagesse et la vigueur des déterminations que vous prendrez.
BONAPARTE.
Belbeis, le 23 pluviose an 7 (11 février 1799).
Au général Kléber.
Je suis parti hier soir à dix heures et je suis arrivé à minuit à Belbeis. Je reçois votre lettre du 19, et, deux heures après, celle du 20. Le parc d'artillerie est arrivé hier à Salahieh. J'ai ordonné que le reste de la division Bon partît demain de Salahieh pour se rendre à Catieh; la division Lannes ira ce soir à Corain, et demain à Salahieh; toute la division de cavalerie du général Murat, forte de plus de mille chevaux, part également, et sera demain soir à Salahieh; deux cents chameaux chargés d'orge doivent être arrivés ou sont en chemin pour Catieh. Nous ramassons dans la Scharkieh tous les chameaux nécessaires, et nous cherchons tous les vivres que nous pouvons. Si les officiers de marine ont trouvé un point de débarquement près d'El-Arich, et que l'un des deux convois y arrive, je crois que nous serons bien, grâce au mouvement que vous avez donné à Damiette pendant le peu de temps que vous y êtes resté.
Quand je suis parti du Caire, le général Desaix avait détruit une partie des mameloucks à trois journées des Cataractes. On disait trois beys pris et Mourad-Bey tué depuis trois jours: cette nouvelle était celle du Caire, et l'intendant-général l'avait presque reçue officiellement. Ainsi, il est sûr qu'il y a eu une affaire.
BONAPARTE.
À Belbeis, le 23 pluviose an 7 (11 février 1799).
Au général Bon.
Vous aurez reçu, citoyen général, l'ordre de vous rendre à Catieh: nous passerons sans doute par la route du fort, où il y a de l'eau. Je suis arrivé ici hier soir, et je repars ce matin. Je serai demain à Salahieh, où j'espère recevoir de vos nouvelles.
Plusieurs convois de chameaux sont en route, et vont arriver à Catieh: donnez les ordres pour qu'ils soient déchargés. Envoyez a Tineh pour y prendre les vivres venant de Damiette qui y seraient en dépôt, et faites-les filer le plus possible sur El-Arich.
BONAPARTE.
Catieh, le 26 pluviose an 7 (14 février 1799).
Au général Ganteaume.
Il est nécessaire, citoyen général, que vous vous rendiez demain à Tineh et à la bouche d'Omin Faredge.
Vous ferez passer des ordres au commandant de la marine, à Damiette, pour le départ, par El-Arich, du citoyen Slendelet avec sa flottille.
Vous ferez partir pour El-Arich le convoi qui est à Tineh ou Omin-Faredge, et qui est destiné pour El-Arich.
Vous activerez par tous les moyens possibles la navigation du lac Menzaleh, qui, dans ce moment, est notre moyen principal pour l'approvisionnement de l'armée.
Dès le moment que vous croirez que votre présence n'est plus nécessaire, vous viendrez par terre à Catieh, et de-là au quartier-général.
BONAPARTE.
Catieh, le 26 pluviose an 5 (14 février 1799).
Au général Kléber.
Le général Bon, avec le reste de sa division, citoyen général, part ce matin pour se rendre à la première journée.
La cavalerie part ce matin pour le même endroit.
J'ignore encore si le convoi par mer pour El-Arich est parti; je ne sais pas même si le convoi d'Omin-Faredge est arrivé à Tineh; cependant je le présume, la journée d'hier ayant été favorable.
On a envoyé hier quarante chameaux à Tineh: je les attends ce matin, et je ne partirai moi-même que lorsque je les aurai vu filer sur El-Arich.
Je fais partir deux cents chameaux appartenans au quartier-général, qui viennent du Caire pour se charger à Tineh de tout ce qui pourrait y rentrer, et, dans le cas où le convoi ne serait pas arrivé a Tineh, ils iront jusqu'à Omin-Faredge.
Vous devez avoir reçu un convoi commandé par l'adjudant-général Gillyvieux, un autre par l'adjudant-général Fouler: celui-ci est le troisième Arabe que je vous expédie sur un dromadaire depuis que je suis ici.
Je n'ai point de vos nouvelles depuis la lettre du général Reynier, que vous m'avez envoyée il y a trois jours.
BONAPARTE.
Catieh, le 27 pluviose an 7 (15 février 1799).
À l'adjudant-général Grezieux.
Vous allez partir pour Tineh, citoyen, avec 200 chameaux et cinquante hommes d'escorte et une compagnie de dromadaires. Arrivé à Tineh, vous ferez charger sur ces chameaux tout l'orge, le riz et le biscuit que vous pourrez; vous presserez le départ du bataillon de la quatrième et des trois compagnies de grenadiers de la dix-neuvième; vous écrirez à l'adjudant-général Almeyras, commandant à Damiette, et vous lui marquerez d'activer le plus possible le départ des convois de subsistances pour Tineh. Vous m'expédierez de Tineh un Arabe sur un dromadaire pour me rendre compte exactement de la situation des magasins de Tineh, et me donner des nouvelles du Caire et de Damiette.
Vos chameaux chargés, vous vous rendrez à Catieh; vous y trouverez un convoi de chameaux revenant à vide d'El-Arich; vous ferez charger dessus cinquante mille rations de riz, de biscuit, et si le nombre des chameaux n'était pas suffisant, vous prendriez dans les deux cents chameaux de quoi assurer le transport de ces cinquante mille rations; vous partirez avec ce convoi pour El-Arich, et vous remettrez les chameaux dont vous n'aurez plus besoin. Avant de partir, vous donnerez l'ordre au commandant de Catieh de faire filer continuellement sur El-Arich les vivres qui arriveraient de Tineh, et de m'envoyer des exprès pour m'instruire de sa situation, de celle de ses magasins et de celle de Tineh.
BONAPARTE.
P.S. Si, à Tineh, il y avait des denrées pour charger plus de deux cents chameaux, vous feriez un second voyage avec vos chameaux.
Le parc d'artillerie a ordre, dès l'instant qu'il sera arrivé, d'envoyer cent chameaux à Tineh.
Catieh, le 27 pluviose an 7 (15 février 1799).
À l'ordonnateur en chef.
L'adjudant-général Grezieux, qui part avec deux cents chameaux pour Tineh, a ordre de faire un second voyage, si cela est nécessaire, pour l'entière évacuation des magasins de Tineh. Le parc d'artillerie qui arrive ce soir enverra cent chameaux à Tineh, et, si cela est nécessaire, ces chameaux feront deux voyages.
Vous donnerez ordre au commissaire Sartelon de rester à Catieh jusqu'à nouvel ordre, et de faire filer, avec la plus grande activité, sur El-Arich tous les objets de subsistance qui se trouveraient à Catieh.
Il doit y avoir à Damiette, Menouf, Mehal-el-Kebir, une grande quantité de son; faites filer le tout sur Catieh: ce point est le plus essentiel tant pour avancer que pour la retraite, et doit être approvisionné par tous les moyens possibles.
Vous renouvellerez les ordres à Salahieh, Belbeis et au Caire, de faire filer avec activité des convois de biscuit, orge, fèves, son et riz sur Catieh.
BONAPARTE.
Kan-Jounes, le 6 ventose an 7 (24 février 1799).
Aux scheicks et ulemas de Gaza.
Arrivé à Kan-Jounes avec mon armée, j'apprends qu'une partie des habitans de Gaza ont eu peur et ont évacué la ville. Je vous écris la présente pour qu'elle vous serve de sauvegarde, et pour faire connaître que je suis ami du peuple, protecteur des ulemas et des fidèles.
Si je viens avec mon armée à Gaza, c'est pour en chasser les troupes de Djezzar-Pacha, et le punir d'avoir fait une invasion en Égypte.
Envoyez donc au devant de moi des députés, et soyez sans inquiétude pour la religion, pour votre vie, vos propriétés et vos femmes.
BONAPARTE.
Ramleh, le 12 ventose an 7 (2 mars 1799).
Au général Kléber.
Je pense que la lettre que vous avez fait écrire par votre capitaine des Maugrabins pourra faire un bon effet. Joignez-y une sommation en règle pour leur faire sentir que la place ne peut pas tenir.
Si vous pensez qu'un mouvement de votre division sur Jaffa en accélère la reddition, je vous autorise à le faire. Si vous entrez dans la ville, prenez toutes les mesures pour empêcher le pillage; vous placerez la cavalerie en avant sur le chemin de Saint-Jean d'Acre.
Nous avons trouvé ici une assez grande quantité de magasins, surtout beaucoup d'orge.
BONAPARTE.
Jaffa, le 12 ventose an 7 (2 mars 1799).
Au contre-amiral Ganteaume.
Vous donnerez l'ordre qu'on fasse partir d'Alexandrie les troupes qui s'y trouveraient sur les bâtimens de transport que l'on jugera les plus propices.
Vous donnerez l'ordre au contre-amiral Perrée, s'il peut sortir d'Alexandrie avec les trois frégates la Junon, l'Alceste et la Courageuse et deux bricks, sans que l'ennemi s'en aperçoive, de se rendre à Jaffa, où il recevra de nouveaux ordres. Si le temps le poussait devant Saint-Jean d'Acre, il s'informera si nous y sommes: il est probable que nous y serons. Alors il embarquera avec lui, sur chacune de ses frégates, une pièce de 24 et un mortier avec trois cents coups à tirer, et sur chaque frégate une forge pour rougir les boulets à terre. Il ne faut pas cependant que l'embarquement desdits objets retarde en rien son départ, si le temps était propice.
S'il pensait ne pouvoir sortir sans que l'ennemi eût connaissance de son mouvement, il tacherait de m'envoyer à Jaffa deux bons bricks, tels que le Salamine et l'Alerte.
Vous enverrez cet ordre par un officier de marine qui partira sur une djerme, qui débarquera à Damiette, et par le courrier qui part demain pour le Caire.
BONAPARTE.
El-Arich, le 15 ventose an 7 (5 mars 1799).
Au général Dugua.
Le chef de l'état-major doit vous avoir tenu instruit des différens mouvemens militaires qui ont eu lieu ici.
Vous recevrez une quinzaine de drapeaux avec six cachefs et une trentaine de mameloucks: mon intention est qu'ils soient bien traités. On leur restituera leurs maisons, mais on exercera sur eux une surveillance particulière. Vous leur réitérerez la promesse que je leur ai faite de leur faire du bien si, à mon retour, vous êtes content de leur conduite.
Je désire que vous voyiez le scheik Mahdieh et les différens membres du divan, que vous vous concertiez pour faire une petite fête à la réception des drapeaux, et, si cela se peut, faire naturellement qu'ils soient placés dans la mosquée de Geuil-Azur, comme un trophée de la victoire remportée par l'armée d'Égypte sur Djezzar et sur les ennemis des Égyptiens.
Arrangez tout cela comme vous pourrez. Faites connaître aux habitans du Caire, de Damiette, qu'ils peuvent envoyer des caravanes en Syrie; qu'ils vendront bien leurs marchandises, et que leurs propriétés seront respectées.
Faites filer du biscuit par toutes les occasions.
Faites dire à Ibrahim, scheick des Billis, que je désire qu'il vienne, ainsi que le kiaya des Arabes, qui est un Maugrabin qui me serait utile. Faites-nous passer, dès que vous le pourrez, cinq ou six cents coups à boulet de 8 et trois ou quatre cents de 12.
Envoyez-moi les lettres de l'armée par des convois sûrs, et ne m'écrivez par les Arabes que des lettres par duplicata de ce que vous m'écrirez par des détachemens: le désert est fort long, et les Arabes viennent de piller toutes les dépêches que le général Rampon m'envoyait de Catieh par un Arabe.
Je n'ai reçu de vous, depuis mon départ, qu'une seule lettre du 26. S'il venait surtout des lettres importantes, soit de la Haute-Égypte, soit de France, ne les hasardez pas légèrement; mais envoyez-les-moi par un officier et une bonne escorte, en me prévenant en gros, par un Arabe, de ce qui serait parvenu à votre connaissance.
J'ai enrôlé trois à quatre cents Maugrabins, qui marchent avec nous.
BONAPARTE.
Jaffa, le 19 ventose an 7 (9 mars 1799).
Au général Kléber.
Je vous envoie, citoyen général, une lettre au scheick de Naplouse, que je vous prie de lui faire passer. Je vous prie d'en faire faire plusieurs copies, et de les envoyer successivement, afin d'être sûr qu'une d'elles arrivera.
J'ai écrit à Djezzar-Pacha: s'il prend le parti d'envoyer quelqu'un, comme je le lui propose, recommandez à vos avant-postes de le bien traiter.
À l'instant nous prenons deux bâtimens, un chargé de deux mille quintaux de poudre, et l'autre de riz.
La garnison de Jaffa était de quatre mille hommes: deux mille ont été tués dans la ville, et près de deux mille ont été fusillés entre hier et aujourd'hui.
BONAPARTE.
Jaffa, le 19 ventose an 7 (9 mars 1799).
Aux scheicks, ulémas, et autres habitans des provinces de Gaza, Ramleh et Jaffa.
Dieu est clément et miséricordieux.
Je vous écris la présente pour vous faire connaître que je suis venu dans la Palestine pour en chasser les mameloucks et l'armée de Djezzar-Pacha.
De quel droit, en effet, Djezzar a-t-il étendu ses vexations sur les provinces de Jaffa, Ramleh et Gaza, qui ne font pas partie de son pachalic? De quel droit avait-il également envoyé ses troupes à El-Arich? Il m'a provoqué à la guerre, je la lui ai apportée; mais ce n'est pas à vous, habitans, que mon intention est d'en faire sentir les horreurs.
Restez tranquilles dans vos foyers: que ceux qui, par peur, les ont quittés, y rentrent. J'accorde sûreté et sauvegarde à tous. J'accorderai à chacun la propriété qu'il possédait.
Mon intention est que les cadis continueront comme à l'ordinaire leurs fonctions et à rendre la justice, que la religion surtout soit protégée et respectée, et que les mosquées soient fréquentées par tous les bons musulmans: c'est de Dieu que viennent tous les biens, c'est lui qui donne la victoire.
Il est bon que vous sachiez que tous les efforts humains sont inutiles contre moi, car tout ce que j'entreprends doit réussir. Ceux qui se déclarent mes amis, prospèrent; ceux qui se déclarent mes ennemis, périssent. L'exemple de ce qui vient d'arriver à Jaffa et à Gaza doit vous faire connaître que si je suis terrible pour mes ennemis, je suis bon pour mes amis, et surtout clément et miséricordieux pour le pauvre peuple.
BONAPARTE.
Jaffa, le 19 ventose an 7 (9 mars 1799).
Aux scheicks, ulémas et commandant de Jérusalem.
Je vous fais connaître par la présente que j'ai chassé les mameloucks et les troupes de Djezzar-Pacha des provinces de Gaza, Ramleh et Jaffa; que mon intention n'est pas de faire la guerre au peuple; que je suis l'ami des musulmans; que les habitans de Jérusalem peuvent choisir la paix ou la guerre. S'ils choisissent la première, qu'ils envoient au camp de Jaffa des députés pour promettre de ne jamais rien faire contre moi. S'ils étaient assez insensés pour préférer la guerre, je la leur porterai moi-même. Ils doivent savoir que je suis terrible comme le feu du ciel envers mes ennemis, clément et miséricordieux envers le peuple et ceux qui veulent être mes amis.
BONAPARTE.
Jaffa, le 19 ventose an 7 (9 mars 1799).
Aux scheicks de Naplouse.
Je me suis emparé de Gaza, Ramleh, Jaffa et de toute la Palestine. Je n'ai aucune intention de faire la guerre aux habitans de Naplouse, car je ne viens ici que pour faire la guerre aux mameloucks, à Djezzar-Pacha, dont je sais que vous êtes les ennemis.
Je leur offre donc, par la présente lettre, la paix ou la guerre. S'ils veulent la paix, qu'ils chassent les mameloucks de chez eux, et me le fassent connaître, en promettant de ne commettre aucune hostilité contre moi. S'ils veulent la guerre, je la leur porterai moi-même; je suis clément et miséricordieux envers mes amis, mais terrible comme le feu du ciel envers mes ennemis.
BONAPARTE.
Jaffa, le 19 ventose an 7 (9 mars 1799).
À Djezzar-Pacha.
Depuis mon entrée en Égypte, je vous ai fait connaître plusieurs fois que mon intention n'était pas de vous faire la guerre, que mon seul but était de chasser les mameloucks; vous n'avez répondu à aucune des ouvertures que je vous ai faites.
Je vous avais fait connaître que je désirais que vous éloignassiez Ibrahim-Bey des frontières de l'Égypte: bien loin de là, vous avez envoyé des troupes à Gaza, vous avez fait de grands magasins, vous avez publié partout que vous alliez entrer en Égypte: effectivement vous avez effectué votre invasion en portant deux mille hommes de vos troupes dans le fort d'El-Arich, enfoncé à six lieues dans le territoire de l'Égypte. J'ai dû alors partir du Caire, et vous apporter moi-même la guerre que vous paraissiez provoquer.
Les provinces de Gaza, Ramleh et Jaffa sont en mon pouvoir. J'ai traité avec générosité celles de vos troupes qui s'en sont remises à ma discrétion, j'ai été sévère envers celles qui ont violé les droits de la guerre; je marcherai sous peu de jours sur Saint-Jean d'Acre. Mais quelle raison ai-je d'ôter quelques années de vie à un vieillard que je ne connais pas? Que font quelques lieues de plus à côté des pays que j'ai conquis? et puisque Dieu me donne la victoire, je veux, à son exemple, être clément et miséricordieux, non-seulement envers le peuple, mais encore envers les grands.
Vous n'avez point de raisons réelles d'être mon ennemi, puisque vous l'étiez des mameloucks. Votre pachalic est séparé par les provinces de Gaza, Ramleh et par d'immenses déserts de l'Égypte. Redevenez mon ami, soyez l'ennemi des mameloucks et des Anglais, je vous ferai autant de bien que je vous ai fait et que je peux vous faire de mal. Envoyez-moi votre réponse par un homme muni de vos pleins pouvoirs et qui connaisse vos intentions. Il se présentera à mon avant-garde avec un drapeau blanc, et je donne ordre à mon état-major de vous envoyer un sauf-conduit, que vous trouverez ci-joint.
Le 24 de ce mois, je serai en marche sur Saint Jean d'Acre; il faut donc que j'aie votre réponse avant ce jour.
BONAPARTE.
Jaffa, le 19 ventose an 7 (9 mars 1799).
Au général Dugua.
J'ai reçu, citoyen général, fort peu de lettres de vous; elles ont, j'imagine, été interceptées par cette nuée d'Arabes qui couvrent le désert: la dernière que j'ai reçue de vous est du 6 ventose.
L'état-major vous instruira des détails de la prise de Jaffa. Les 4,000 hommes qui formaient la garnison ont tous péri dans l'assaut, ou ont été passés au fil de l'épée.
Il nous reste encore Saint-Jean d'Acre.
Avant le mois de juin, il n'y a rien de sérieux à craindre de la part des Anglais.
Quant à l'affaire de la mer Rouge, on ne comprend pas grand'chose au rapport qui vous a été envoyé. Il faut espérer que les officiers de marine qui s'y trouvent, en donneront un plus intelligible.
La victoire du général Desaix doit avoir tout tranquillisé dans la haute Égypte. Nos victoires en Syrie doivent apaiser les troubles de la Scharkieh.
BONAPARTE.
Jaffa, le 20 ventose an 7 (10 mars 1799).
Au général Marmont.
L'état-major vous aura instruit, citoyen général, des différens événemens militaires qui se sont succédé et auxquels nous devons la conquête de toute la Palestine. La prise de Jaffa a été brillante; 4,000 hommes des meilleures troupes de Djezzar et des meilleurs canonniers de Constantinople ont été passés au fil de l'épée. Nous avons trouvé dans cette ville soixante pièces de canon, des munitions, et beaucoup de magasins. Ces pièces sont toutes fondues à Constantinople et de calibre français.
Jaffa a une rade assez sûre et une petite anse où nous avons trouvé un bâtiment de cent cinquante tonneaux. Comme nous avons ici beaucoup de savon et autres objets, si quelques bâtimens de convoi de cent à cent cinquante tonneaux veulent se hasarder à venir, on les frétera.
Les dernières nouvelles que j'ai de Damiette sont du 4 ventose, d'où je conclus qu'il n'y avait rien de nouveau à Alexandrie. Le 1er ventose, il a fait des vents très-violens qui auront éloigné les Anglais.
Je vous envoie une proclamation en arabe, faite aux habitans du pays: si vous avez encore une imprimerie, faites-la imprimer et répandre dans le Levant, la Barbarie et partout où il sera possible. Dans le cas où vous n'auriez plus d'imprimerie, je donne ordre qu'on l'imprime au Caire et que l'on vous envoie deux cents exemplaires de cette proclamation.
S'il partait des bâtimens pour France, je vous autorise à écrire au gouvernement ce que vous savez de notre position: vous sentez qu'il ne doit rien y avoir de politique, mais seulement des faits.
BONAPARTE.
Jaffa, le 20 ventose an 7 (10 mars 1799).
Au général du génie.
Des personnes arrivées d'El-Arich m'instruisent qu'on n'y a rien fait, pas même rétabli la brèche: veuillez donner des ordres pour que les réparations d'un fort si essentiel n'éprouvent aucun retard. Vous sentez qu'il peut arriver des événemens tels qu'El-Arich devienne notre tête de ligne, laquelle pouvant tenir quinze jours ou un mois, pourrait donner des résultats incalculables.
BONAPARTE.
Jaffa, le 20 ventose an 7 (10 mars 1799).
À l'adjudant-général Almeyras.
L'état-major vous aura instruit, citoyen général, de la prise de Jaffa, où nous avons trouvé beaucoup de riz, et nous en avions besoin, car notre flottille nous manque toujours.
Nous y avons trouvé une grande quantité d'artillerie, beaucoup d'obusiers, de pièces de 4 du calibre français.
Comme il y a ici de l'huile et du savon, et d'autres objets qui sont utiles en Égypte, et que la Palestine a besoin de riz, engagez les négocians de Damiette à ouvrir un commerce avec Jaffa. Assurez-les qu'ils seront protégés et n'essuieront aucune avanie.
Si la flottille n'était pas partie, prenez toutes les mesures pour la faire sortir. Envoyez-moi aussi des djermes avec du biscuit, droit à Jaffa.
BONAPARTE.
Jaffa, le 20 ventose an 7 (10 mars 1799).
Au citoyen Poussielgue.
Je vous fais passer une proclamation que j'ai faite aux habitans de ces provinces. Faites-la imprimer et répandez-la par tous les moyens possibles; envoyez-en deux cents exemplaires à Damiette et à Alexandrie, pour qu'il s'en répande dans le Levant, à Constantinople et dans la Barbarie.
Je renvoie au Caire le chef des scheicks, celui qui avait la place que j'ai donnée au scheick El-Bekri. Vous assurerez ce dernier que cela ne doit l'inquiéter en rien, et que je sais mettre de la différence entre mes vieux amis et les nouveaux.
Engagez les négocians de Damiette à venir vendre leur riz à Jaffa. Nous avons ici une grande quantité de savon; engagez les négocians du Caire à venir en acheter. Ils savent que je protège le commerce; ils n'ont à craindre ni avanies ni tracasseries. Il y a ici des articles qui manquent en Égypte, tels que le savon, l'huile; qu'ils apportent en échange du riz et du blé; prenez toutes les mesures pour activer, autant que possible, ce commerce.
Faites imprimer en arabe tout ce que Venture écrit au divan, en y faisant mettre les ornemens que le scheick Mahdi jugera à propos, et répandez-le dans l'Égypte.
BONAPARTE.
Jaffa, le 21 ventose an 7 (11 mars 1799).
Au général Dugua.
J'ai reçu, citoyen général, par mon aide-de-camp Lavalette le duplicata des lettres que vous m'avez écrites. Vous aurez reçu des lettres de Gaza et le récit de l'affaire de Jaffa.
L'événement arrivé à Cosseir est d'autant plus inconcevable, que le contre-amiral Ganteaume avait donné pour instructions au citoyen Collot, que, s'il y avait des bâtimens à Cosseir, il s'en tînt à croiser pour les empêcher de sortir.
L'état-major envoie l'ordre au général Menou de se rendre à Jaffa pour prendre le commandement de la Palestine.
Après tous les accidens que nous apprenons de la mer, il ne vous paraîtra pas prudent que vous la traversiez dans ce moment-ci; vous penserez, sans doute, qu'il est nécessaire que vous attendiez d'autres circonstances.
Votre convoi de cent cinquante chameaux chargés de vivres et de munitions d'artillerie, nous est venu fort à propos, pour les munitions d'artillerie surtout, car nous avons grand besoin de boulets de 8 et de 12.
BONAPARTE.
Jaffa, le 23 ventose an 7 (13 mars 1799).