9°. Je vous envoie un ordre pour que le général Gentili vous remette 50,000 fr. pour la solde des marins vénitiens destinés à l'armement des vaisseaux vénitiens.
10°. L'ordre pour qu'on vous fournisse les blés, riz et vins pour deux mois, pour deux mille hommes; la nourriture journalière pour votre escadre vous sera fournie à Corfou.
11°. Je vous enverrai la solde des marins de votre escadre pour un mois, dès l'instant que la caisse de l'armée le permettra, et que la solde de fructidor sera payée à l'armée.
12°. Quant aux dépenses qu'auraient faites les équipages à Corfou, vous aurez soin de les liquider, de vérifier toutes les pièces et de les envoyer au commissaire ordonnateur de la marine à Venise, qui y pourvoira.
13°. Je vous fais passer une ordonnance de 10,000 fr., que le citoyen Haller vous fera payer: cette somme est destinée à vos frais extraordinaires et qui vous sont particuliers.
14°. Une ordonnance de 30,000 fr., que le citoyen Haller mettra à votre disposition entre les mains de votre payeur, pour les dépenses extraordinaires de votre escadre, pour servir à compenser aux matelots l'incomplet des fournitures que vous pourriez ne pas recevoir des magasins de Corfou.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Passeriano, le 1er vendémiaire an 6 (22 septembre 1797).
Au général Kellermann.
J'ai reçu, citoyen général, votre lettre du 2 fructidor; J'avais déjà reçu précédemment quelques exemplaires de votre lettre imprimée au directoire.
Puisque vous vous êtes donné la peine de répondre à des calomnies auxquelles des personnes raisonnables ne pouvaient prêter l'oreille, vous avez dû le faire, sans doute, d'une manière aussi convaincante. Les personnes qui connaissent les services distingués que vous avez rendus à la liberté par vos victoires, sont indignées de penser que vous avez pu croire votre justification nécessaire. Cependant vous avez bien fait de le faire, sans doute, en pensant à ce grand nombre d'hommes qui ne désirent que le mal.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Passeriano, le 1er vendémiaire an 6 (22 Septembre 1797).
Au commissaire ordonnateur de la marine à Toulon.
Je reçois, citoyen ordonnateur, votre lettre du 17 fructidor. J'apprends avec plaisir que vous reprenez vos fonctions importantes et que vous avez déjà gérées avec distinction. Je vous remercie des choses extrêmement obligeantes contenues dans votre lettre: je les mérite par la sollicitude que j'ai toujours eue de faire quelque chose qui pût être avantageux à notre marine.
L'escadre de l'amiral Brueys est ici: elle a reçu son approvisionnement de trois mois, pour 400,000 francs d'habillement, 600,000 francs pour la solde, ainsi que des câbles, des cordages et autres objets qui lui étaient nécessaires. Il me paraît que l'amiral Brueys et son équipage sont très-satisfaits. Il part, demain ou après, pour se rendre à Corfou, où il prendra six vaisseaux vénitiens qu'il vous amènera. Le citoyen Roubaud, votre préposé à Venise, vous aura sans doute donné sur tout cela des détails plus circonstanciés.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Passeriano, le 2 vendémiaire an 6 (13 septembre 1797).
Au directoire exécutif.
Vous trouverez ci-joint la copie de l'ordre que je donne au contre-amiral Brueys; vous verrez que par là il se trouvera à même d'exécuter vos ordres, quels qu'ils soient.
Le contre-amiral Brueys a 1º. six vaisseaux de guerre français; 2º. six frégates, id.; 3º. six corvettes, id. parfaitement équipées: j'ai fait habiller à neuf les équipages et les garnisons; je lui ai fait payer plusieurs mois de solde, et les arsenaux de Corfou et de Venise ont fourni toutes les pièces de rechange et les câbles dont il peut avoir besoin.
Lorsque vous lirez cette lettre, le contre-amiral Brueys sera bien près de Corfou, où j'ai fait établir des batteries à boulets rouges pour défendre la rade, et où il est parfaitement en sûreté.
Il y a à Corfou six bâtimens de guerre vénitiens et six frégates qu'il peut armer en guerre dans un mois: ils sont déjà montés par des officiers mariniers et des garnisons françaises.
À Corfou, Zante, Céphalonie, il trouvera les 2,000 matelots qui lui sont nécessaires, tant pour l'équipement desdits vaisseaux, que pour le complément des siens.
Les frégates la Muiron et la Carrère, ainsi que les trois autres bâtimens de guerre qui sont en armement à Venise, pourront également augmenter son escadre d'ici à deux mois.
Je pense donc que, si vous m'autorisez à garder l'escadre de l'amiral Brueys à Corfou, vous pourrez disposer, d'ici au 1er frimaire, 1º. de six vaisseaux de guerre français parfaitement bien en équipages, approvisionnés pour quatre mois et abondamment pourvus de tous les objets nécessaires, même de cordages; 2º. six frégates françaises; 3º. six bricks français; 4º. huit vaisseaux de guerre vénitiens; 5º. huit frégates, id.; 6º. huit bricks, id.: tous approvisionnés pour quatre mois.
Voudriez-vous faire filer le contre-amiral Brueys dans l'Océan, il partira de Corfou en meilleur état qu'il ne partirait de Toulon; il partira de Corfou plus vite que de Toulon, car ses équipages seront toujours complets et exercés, ce qui ne sera jamais à Toulon.
Vous pourrez même, à mesure qu'un vaisseau de guerre sera armé à Toulon, faire ramasser les équipages et les faire partir pour Corfou.
Voudrez-vous vous servir des vaisseaux vénitiens? Ils seront tout prêts à seconder notre escadre.
Voulez-vous, au contraire, que les vaisseaux vénitiens soient sur-le-champ armés en flûte et envoyés à Toulon? Le contre-amiral Brueys les fera filer en les escortant jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien à craindre.
Si vous voulez que votre escadre prenne un bon esprit, devienne manoeuvrière et se prépare à faire de grandes choses, tenez-la loin de Toulon: sans quoi, les équipages ne se formeront jamais et vous n'aurez jamais de marine.
Enfin, de Corfou, cette escadre peut partir pour aller partout où vous voudrez, et vous devez la laisser à Toulon: elle sera beaucoup plus utile dans l'Adriatique, parce que, 1º. ne se trouvant qu'à vingt lieues de la côte de Naples, elle tiendra en respect ce prince; 2º. elle me servira à boucher entièrement tout l'Adriatique à nos ennemis; 3º. enfin, elle prendra les îles de l'Adriatique, reconquerra l'Istrie et la Dalmatie en cas de rupture, et sera, sous ce point de vue, très-utile à l'armée.
Si nous avons la guerre, votre escadre vous rapportera plus de dix millions, et fera une bonne diversion à l'avantage de l'armée d'Italie. Quand vous voudrez la faire aller dans un point quelconque, elle sera, à Corfou, à portée d'exécuter vos ordres en vingt-quatre heures, pour s'y rendre.
Enfin, si nous avons la paix, votre escadre, en abandonnant ces mers et en s'en retournant en France, pourra prendre quelques troupes, et, en passant, mettre 2,000 hommes de garnison à Malte: île qui, tôt ou tard, sera aux Anglais si nous avons la sottise de ne pas les prévenir.
Quant à la sûreté, quatre-vingts vaisseaux anglais viendraient dans l'Adriatique, qu'ils ne pourraient rien contre notre escadre, qui est aussi sûre dans le golfe de Corfou qu'à Toulon.
Je vous demande donc: 1º. un ordre au ministre de la marine de faire armer tous les vaisseaux qu'il a à Toulon, et de les envoyer, un à un, à Corfou; 2º. un ordre au ministre de la marine de faire partir une trentaine d'officiers et encore soixante ou quatre-vingts officiers mariniers, pour être distribués sur les vaisseaux vénitiens; 3º. que vous m'autorisiez à garder cette escadre dans l'Adriatique jusqu'à nouvel ordre; 4º. que vous preniez un arrêté qui m'autorise à cultiver les intelligences que j'ai déjà à Malte, et, au moment où je le jugerai propre, de m'en emparer et d'y mettre garnison.
Répondez-moi, je vous prie, le plus promptement possible à ces différens articles, afin que je sache à quoi m'en tenir; mais je vous préviens que, dans tous les cas, l'escadre ne peut partir de Corfou avec les vaisseaux vénitiens, même armés en flûte, que vers la fin de brumaire.
BONAPARTE.
Au quartier-général a Passeriano, le 2 vendémiaire an 6 (23 septembre 1797).
Au citoyen Perrée, chef de division de l'armée navale.
J'ai reçu, citoyen, les différentes lettres dans lesquelles vous me témoignez le désir de reprendre vos fonctions à la mer: la place de commandant des armes que vous occupez, n'offre pas un assez grand aliment à votre activité. En rendant justice à votre zèle, je consens à ce que vous repreniez le commandement de la frégate la Diane, que vous n'avez quitté que momentanément, et j'envoie l'ordre au citoyen Roubaud de vous remplacer dans vos fonctions. Vous rentrerez sous les ordres du contre-amiral Brueys jusqu'à son départ pour France, et vous commanderez ensuite la division qui restera dans l'Adriatique.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Passeriano, le 2 vendémiaire an 6 (23 septembre 1797).
Au citoyen Roubaud.
Le citoyen Perrée devant commander une flotte, vous remplirez les fonctions de commandant des armes, et vous aurez une autorité entière pour l'armement des trois vaisseaux et des deux frégates.
Vous organiserez le port et l'arsenal comme vous le jugerez nécessaire au bien du service.
Vous presserez, le plus possible, l'armement du brick le James; vous ferez armer les deux frégates la Muiron et la Carrère, afin qu'elles puissent se joindre le plus tôt possible à Corfou, et augmenter l'escadre du contre-amiral Brueys.
Je donne l'ordre au citoyen Haller de remettre 15,000 fr. à votre disposition pour commencer la levée des matelots pour l'armement de ces deux frégates.
Vous ferez fabriquer un câble pour chacun des vaisseaux français de l'escadre de l'amiral Brueys, ainsi que les manoeuvres de rechange qui sont les plus nécessaires. Ces objets seront pris à compte des trois millions que doit nous payer la république de Venise.
La division Bourdé se trouvant à l'escadre de l'amiral Brueys, les hardes qui lui sont destinées seront envoyées au contre-amiral Brueys, pour qu'il puisse les lui remettre.
BONAPARTE.
Note.
Le plénipotentiaire de la république française soussigné a l'honneur de faire connaître à leurs excellences MM. les plénipotentiaires de S.M. l'empereur et roi la douleur qu'il a éprouvée en apprenant que les troupes de S. M. l'empereur venaient de prendre possession de la province d'Albanie, vulgairement appelée Bouches du Cattaro.
Par l'article 1er des préliminaires secrets, S.M. l'empereur devait entrer, à la paix définitive, en possession de la Dalmatie et de l'Istrie vénitiennes. Lors donc que les troupes de S.M. ont occupé lesdites provinces, cela a été une violation des formes, mais non du fond des préliminaires.
Mais l'occupation, par les troupes de S.M. l'empereur, de l'Albanie vénitienne, dite Bouches du Cattaro, est une violation réelle et est contraire au texte comme à la nature des préliminaires. Le plénipotentiaire français soussigné ne peut donc regarder, dans les circonstances présentes, l'occupation par elles des Bouches du Cattaro que comme un acte d'hostilité.
La connaissance qu'il a des intentions qui animent leurs excellences messieurs les plénipotentiaires de S.M. l'empereur et roi, ne lui permet pas de douter qu'ils ne prennent des mesures expéditives, dont l'effet soit d'ordonner aux troupes de S.M. l'empereur l'évacuation des Bouches du Cattaro, dont l'occupation par elles est contraire à la bonne foi et aux traités. Le plénipotentiaire français assure leurs excellences messieurs les plénipotentiaires de S.M. l'empereur et roi de sa haute considération.
Passeriano, le 2 vendémiaire an 6 (23 septembre 1797).
Le général en chef,
plénipotentiaire de la république française.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Passeriano, le 2 vendémiaire an 6 (23 septembre 1797).
Au citoyen François de Neufchâteau, membre du directoire exécutif.
Quoique je n'aie pas l'avantage de vous connaître personnellement, je vous prie de recevoir mon compliment sur la place éminente à laquelle vous venez d'être nommé; je me souviens avec reconnaissance de ce que vous avez écrit dans le temps contre les apologistes des inquisiteurs de Venise.
Le sort de l'Europe est désormais dans l'union, la sagesse et la force du gouvernement.
Il est une petite partie de la nation qu'il faut vaincre par un bon gouvernement.
Nous avons vaincu l'Europe, nous avons porté la gloire du nom français plus loin qu'elle ne l'avait jamais été: c'est à vous, premiers magistrats de la république, d'étouffer toutes les factions, et à être aussi respectés au dedans que vous l'êtes au dehors. Un arrêté du directoire exécutif écroule les trônes; faites que des écrivains stipendiés, ou d'ambitieux fanatiques, déguisés sous toute espèce de masque, ne nous replongent pas dans le torrent révolutionnaire.
Croyez que, quant à moi, mon attachement pour la patrie égale le désir que j'ai de mériter votre estime.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Passeriano, le 2 vendémiaire an 6 (23 septembre 1797).
Au citoyen Merlin, membre du directoire.
J'ai appris, citoyen directeur, avec le plus grand plaisir, la nouvelle de votre nomination à la place que vous occupez.
On ne pouvait pas choisir un homme qui eût rendu constamment plus de services à la liberté: en mon particulier, je m'en félicite.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Passeriano, le 4 vendémiaire an 6 (25 septembre 1797).
Au directoire exécutif.
Un officier est arrivé avant-hier de Paris à l'armée d'Italie: il a répandu dans l'armée qu'il était parti de Paris le 25, qu'on y était inquiet de la manière dont j'aurais pris les événemens du 18; il était porteur d'une espèce de circulaire du général Augereau à tous les généraux de division de l'armée.
Il avait une lettre du ministre de la guerre à l'ordonnateur en chef, qui l'autorisait à prendre tout l'argent dont il aurait besoin pour sa route: je vous en envoie la copie.
Il est constant, d'après tous ces faits, que le gouvernement en agit envers moi à peu près comme envers Pichegru après vendémiaire.
Je vous prie, citoyens directeurs, de me remplacer et de m'accorder ma démission. Aucune puissance sur la terre ne sera capable de me faire continuer de servir après cette marque horrible de l'ingratitude du gouvernement, à laquelle j'étais bien loin de m'attendre.
Ma santé, considérablement affectée, demande impérieusement du repos et de la tranquillité.
La situation de mon âme a aussi besoin de se retremper dans la masse des citoyens. Depuis trop long-temps un grand pouvoir est confié dans mes mains, je m'en suis servi dans toutes les circonstances pour le bien de la patrie: tant pis pour ceux qui ne croient point à la vertu, et qui pourraient avoir suspecté la mienne. Ma récompense est dans ma conscience et dans l'opinion de la postérité.
Je puis, aujourd'hui que la patrie est tranquille et à l'abri des dangers qui l'ont menacée, quitter sans inconvénient le poste où je suis placé.
Croyez que s'il y avait un moment de péril, je serais au premier rang pour défendre la liberté et la constitution de l'an 3.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Passeriano, le 5 vendémiaire an 6 (26 septembre 1797).
Au ministre des relations extérieures.
Je viens de recevoir, citoyen ministre, votre lettre du 30 fructidor.
Je ne puis tirer aucune ressource de Gênes, pas plus de la république cisalpine: tout ce qu'ils pourront faire, c'est de se maintenir maîtres chez eux. Ces peuples-là ne sont point guerriers, et il faut quelques années d'un bon gouvernement pour changer leurs inclinations.
L'armée du Rhin se trouve très-loin de Vienne, pendant que j'en suis très-près. Toutes les forces de la maison d'Autriche sont contre moi, on a très-tort de ne pas m'envoyer dix ou douze mille hommes. Ce n'est que par ici que l'on peut faire trembler la maison d'Autriche.
Mais puisque le gouvernement ne m'envoie pas de renfort, il faut au moins que les armées du Rhin commencent leurs opérations quinze jours avant nous, afin que nous puissions nous trouver à peu près dans le même temps dans le coeur de l'Allemagne. Dès l'instant que j'aurai battu l'ennemi, il est indispensable que je le poursuive rapidement, ce qui me conduit dans le coeur de la Carinthie, où l'ennemi n'aura pas manqué, comme il s'y prépare déjà, de réunir toutes les divisions qu'il a en échelons sur l'armée du Rhin, qu'il peut éviter pendant plus de vingt jours; et je me trouverais avoir encore en tête toute les forces qui, dans l'ordre de bataille naturel, devraient être opposées à l'armée du Rhin. Il ne faut pas être capitaine pour comprendre tout cela: un seul coup d'oeil sur une carte, avec un compas, convaincra, à l'évidence, de ce que je vous dis là. Si on ne veut pas le sentir, je n'y sais que faire.
Le roi de Sardaigne, si l'on ne ratifie pas le traité d'alliance qu'on a fait avec lui, se trouve à l'instant même notre ennemi, puisque, dès cet instant, il comprend que nous avons médité sa perte.
Pendant mon absence, il se chicanera nécessairement avec la république cisalpine, qui n'est pas dans le cas de résister à un seul de ses régimens de cavalerie: d'ailleurs, je me trouve alors obligé de calculer, en regardant comme suspectes les intentions du roi de Sardaigne: dès-lors il faut que je mette deux mille hommes à Coni, deux mille à Tortone, autant à Alexandrie.
Je pense donc que si l'on s'indispose avec le roi de Sardaigne, on m'affaiblit de cinq mille hommes de plus que l'on m'oblige à mettre dans la garnison des places que j'ai chez lui, et de cinq à six mille hommes qu'il faut que je laisse pour protéger le Milanais, et, à tout événement, la citadelle de Milan, le château de Pavie et la place de Pizzigithone.
Ainsi donc, vous perdez, en ne ratifiant pas le traité avec le roi de Sardaigne:
1º. Dix mille hommes de très-bonnes troupes qu'il nous fournit;
2º. Dix mille hommes de nos troupes qu'on est obligé de laisser sur nos derrières, et, outre cela, de très-grandes inquiétudes en cas de défaite et d'événemens malheureux.
Quel inconvénient y a-t-il à laisser subsister une chose déjà faite?
Est-ce le scrupule d'être allié d'un roi? Nous le sommes bien du roi d'Espagne et peut-être du roi de Prusse!
Est-ce le désir de révolutionner le Piémont et de l'incorporer à la Cisalpine? Mais le moyen d'y parvenir sans choc, sans manquer au traité, sans même manquer à la bienséance, c'est de mêler à nos troupes et d'allier à nos succès un corps de dix mille Piémontais, qui, nécessairement, sont l'élite de la nation: six mois après, le roi de Piémont se trouve détrôné.
C'est un géant qui embrasse un pygmée, le serre dans ses bras et l'étouffe sans qu'il puisse être accusé de crime. C'est le résultat de la difficulté extrême de leur organisation. Si l'on ne comprend pas cela, je ne sais qu'y faire non plus; et si à la politique sage et vraie qui convient à une grande nation, qui a de grandes destinées à remplir, des ennemis très-puissans devant elle, on substitue la démagogie d'un club, l'on ne fera rien de bon.
Que l'on ne s'exagère pas l'influence des prétendus patriotes cisalpins et génois, et que l'on se convainque bien que, si nous retirions d'un coup de sifflet notre influence morale et militaire, tous ces prétendus patriotes seraient égorgés par le peuple. Il s'éclaire tous les jours et s'éclairera bien davantage; mais il faut le temps et un long temps.
Je ne conçois pas, lorsque, par une bonne politique, on s'était conduit de manière que ce temps est toujours en notre faveur, qu'en tirant tout le parti possible du moment présent, nous ne faisons qu'accélérer la marche du temps en assurant et épurant l'esprit public, je ne conçois pas comment l'on peut hésiter.
Ce n'est pas lorsqu'on laisse dix millions d'hommes derrière soi, d'un peuple foncièrement ennemi des Français par préjugés, par l'habitude des siècles et par caractère, que l'on doit rien négliger.
Il me paraît que l'on voit très-mal l'Italie, et qu'on la connaît très-mal. Quant à moi, j'ai toujours mis tous mes soins à faire aller les choses selon l'intérêt de la république: si l'on ne me croit pas, je ne sais que faire.
Tous les grands événemens ne tiennent jamais qu'à un cheveu. L'homme habile profite de tout, ne néglige rien de ce qui peut lui donner quelques chances de plus. L'homme moins habile, quelquefois en en méprisant une seule, fait tout manquer.
J'attends le général Meerweldt. Je tirerai tout le parti dont je suis capable des événemens qui viennent d'arriver en France, des dispositions formidables où se trouve notre armée, et je vous ferai connaître la véritable position des choses, afin que le gouvernement puisse décider et prendre le parti qu'il jugera à propos.
Il ne faut pas que l'on méprise l'Autrichien comme on paraît le faire; ils ont recruté leurs armées et les ont organisées mieux que jamais.
Je viens de prendre des mesures pour l'incorporation à la république cisalpine, du Brescian et du Mantouan.
Je vais aussi m'occuper à organiser la république de Venise. Je ferai tout arranger de manière que la république, en apparence, ne se mêle de rien.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Passeriano, le 5 vendémiaire an 6 (26 septembre 1797).
Au ministre des relations extérieures.
J'attendais, citoyen ministre, pour vous parler du général Clarke, que vous-même m'en eussiez écrit. Je ne cherche pas s'il est vrai que ce général ait été envoyé dans l'origine pour me servir d'espion: si cela était, moi seul aurais le droit de m'en offenser, et je déclare que je lui pardonne.
Je l'ai vu, dans sa conduite passée, gémir le premier sur la malheureuse réaction qui menaçait d'engloutir la liberté avec la France. Sa conduite dans la négociation a été bonne et loyale: il n'y a pas déployé de grands talens, mais il y a mis beaucoup de volonté, de zèle et même une sorte de caractère. On l'ôte de la négociation, peut-être fait-on bien; mais, sous peine de commettre la plus grande injustice, on ne doit pas le perdre. Il a été porté principalement par Carnot. Auprès d'un homme raisonnable, lorsqu'on sait qu'il est depuis près d'un an à trois cents lieues de lui, cela ne peut pas être une raison de proscription. Je vous demande donc avec instance pour lui une place diplomatique du second ordre, et je garantis que le gouvernement n'aura jamais à s'en repentir. Il est chargé d'une très-grande mission; il connaît tous les secrets comme toutes les relations de la république, il ne convient pas à notre dignité qu'il tombe dans la misère et se trouve proscrit et disgracié.
J'entends dire qu'on lui reproche d'avoir écrit ce qu'il pensait des généraux de l'armée d'Italie. Si cela est vrai, je n'y vois aucun crime: depuis quand un agent du gouvernement serait-il accusé d'avoir fait connaître à son gouvernement ce qu'il pensait des généraux auprès desquels il se trouvait?
On dit qu'il a écrit beaucoup de mal de moi. Si cela est vrai, il l'a également écrit au gouvernement: dès-lors il avait droit de le faire; cela pouvait même être nécessaire, et je ne pense pas que ce puisse être un sujet de proscription.
La morale publique est fondée sur la justice, qui, bien loin d'exclure l'énergie, n'en est au contraire que le résultat.
Je vous prie donc de vouloir bien ne pas oublier le général Clarke auprès du gouvernement: on pourrait lui donner une place de ministre auprès de quelque cour secondaire.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Passeriano, le 7 vendémiaire an 6 (28 septembre 1797).
Au ministre des relations extérieures.
M. le comte de Cobentzel, citoyen ministre, est arrivé de Vienne avec le général Meerweldt; il m'a remis la lettre dont je vous envoie copie, et à laquelle je ne répondrai que dans trois ou quatre jours, lorsque je verrai la tournure que prendra la négociation.
Pour ma première visite, j'ai eu une prise très-vive avec M. de Cobentzel, qui, à ce qu'il m'a paru, n'est pas très-accoutumé à discuter, mais bien à vouloir toujours avoir raison.
Nous sommés entrés en congrès.
Je vous ferai passer: 1º. Copie des pleins pouvoirs donnés à M. le comte de Cobentzel;
2º. Copie du protocole d'hier;
3º. Copie de la réponse que je vais faire insérer au protocole d'aujourd'hui. Je les attends dans un quart d'heure.
Il est indispensable que le directoire exécutif donne les ordres qu'on se tienne prêt sur le Rhin: ces gens-ci ont de grandes prétentions. Au reste, il paraît, par la lettre de l'empereur, par la contexture des pleins-pouvoirs de M. de Cobentzel, même par son arrivée, que l'empereur accéderait au projet d'avoir pour lui Venise et la rive de l'Adige, de nous donner Mayence et les limites constitutionnelles.
Je dis il paraît, parce qu'en réalité notre conversation avec M. le comte de Cobentzel n'a été, de son côté, qu'une extravagance.
C'est tout au plus s'ils veulent nous donner la Belgique. Je vous fais grâce de ma réponse là-dessus comme de notre discussion, qui vous ferait connaître ce que ces gens-ci appellent diplomatie.
À minuit.
Le courrier devait partir à midi, il n'est pas parti. Ces messieurs sortent à l'instant même d'ici. Nous avons été à peu près quatre ou cinq heures en conférences réglées. M. de Cobentzel et nous avons beaucoup argumenté, beaucoup rabâché les mêmes choses.
Il n'a été question dans le protocole que des deux notes annoncées dans ma lettre ci-dessus, auxquelles ces messieurs répondront demain.
Après le dîner, moment où les Allemands parlent volontiers, j'ai causé quatre ou cinq heures de suite avec M. Cobentzel; il a laissé entrevoir, au milieu d'un très-grand bavardage, qu'il désire fort que S.M. l'empereur réunisse son système politique au nôtre, afin de nous opposer aux projets ambitieux de la Prusse. Il m'a paru que le cabinet de Vienne adoptait le projet des limites de l'Adige et de Venise, et pour nous les limites à peu près comme elles sont portées dans notre note et spécialement Mayence: ce n'est pas qu'il n'ait dit qu'il lui paraissait tout simple que nous donnions à S.M. l'empereur les Légations.
Mais lorsque je lui ai dit que le gouvernement français venait de reconnaître le ministre de la république de Venise, et que dès-lors je me trouvais dans l'impossibilité de pouvoir, sous aucun prétexte et dans aucune circonstance, consentir à ce que S.M. devînt maîtresse de Venise, je me suis aperçu d'un mouvement de surprise qui décèle assez la frayeur, à laquelle a succédé un assez long silence, interrompu à peu près par ces mots: Si vous faites toujours comme cela, comment voulez-vous qu'on puisse négocier? Je me tiendrai dans cette ligne jusqu'à la rupture. Je ne leur bonifierai point Venise jusqu'à ce que j'aie reçu de nouvelles lettres du gouvernement.
Demain, à midi, nous nous verrons de nouveau, et je vous expédierai demain au soir un autre courrier. Je n'entre pas dans d'autres détails sur les propositions réciproques que nous nous faisons; mais il y a la négociation officielle, qui est, comme vous l'avez vu par le protocole, une suite d'extravagances de leur part, et la confidentielle qui, quoiqu'elle n'ait pas été mise clairement en discussion avec M. de Cobentzel, est basée cependant sur le projet que M. de Meerweldt apporté de Vienne. Vous vous apercevrez, par la note que je vais leur présenter aujourd'hui, que je veux les conduire à dire dans le protocole qu'on ne peut pas exécuter les préliminaires, et regarder, si le gouvernement le juge à propos, ces préliminaires comme nuls. J'ai pensé qu'il n'y avait pas d'autre moyen de sauver les apparences, que de leur faire dire d'eux-mêmes que les préliminaires sont impossibles: ce qui nous est très-facile.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Passeriano, le 8 vendémiaire an 6 (29 septembre 1797).
Au citoyen Canelaux, ministre de la république à Naples.
J'apprends, citoyen ministre, qu'il y a des mouvemens sur les frontières de Naples, en même temps qu'un général autrichien vient commander à Rome. Je ne saurais penser que, si cela était, vous ne soyez pas instruit des mouvemens et des desseins que pourrait avoir la cour de Naples, et vous me les auriez fait connaître par un courrier extraordinaire. L'intention du directoire exécutif de la république française n'est point que la cour de Naples empiète sur le territoire romain. Soit que le pape continue à vivre, soit qu'il meure au qu'il soit remplacé par un autre pape ou par une république, vous devez déclarer, lorsque vous serez assuré que la cour de Naples a intention de faire des mouvemens, que le directoire exécutif de la république française ne restera pas tranquille spectateur de la conduite hostile du roi de Naples, et que, quelque événement qu'il arrive, la république française s'entendra avec plaisir avec la cour de Naples pour lui faire obtenir ce qu'elle désire, mais non pour autoriser le roi de Naples à agir hostilement.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Passeriano, le 8 vendémiaire an 6 (29 septembre 1797).
À l'ambassadeur de la république française à Rome.
Je reçois, citoyen ambassadeur, votre lettre du 13 vendémiaire. Vous signifierez sur-le-champ à la cour de Rome, que si le général Provera n'est pas renvoyé de suite de Rome, la république française regardera cela de la part de Sa Sainteté comme un commencement d'hostilités. Faites sentir combien il est indécent, lorsque le sort de Rome a dépendu de nous, qu'elle n'a dû son existence qu'à notre générosité, de voir le pape renouer encore des intrigues et se montrer sous des couleurs qui ne peuvent être agréables à la république française. Dites même dans vos conversations avec le secrétaire d'état, et, s'il le faut, même dans votre note: La république française a été généreuse à Tolentino, elle ne le sera plus si les circonstances recommencent.
Je fais renforcer la garnison d'Ancône d'un bataillon de Polonais. L'escadre de l'amiral Brueys me répond de la conduite de la cour de Naples.
Vous ne devez avoir aucune espèce d'inquiétude, ou, si elle agit, je détruirai son commerce, avec l'escadre de l'amiral Brueys, et, lorsque les circonstances le permettront, je ferai marcher une colonne pour leur répondre. Je verrai dans une heure M. de Gallo, et je m'expliquerai avec vous en termes si forts, que messieurs les Napolitains n'auront pas la volonté de faire marcher des troupes sur Rome.
Enfin, s'il n'y a encore aucun changement à Rome, ne souffrez pas qu'un général aussi connu que M. Provera prenne le commandement des troupes de Rome. L'intention du directoire exécutif n'est pas de laisser renouer les petites intrigues des princes d'Italie. Pour moi, qui connais bien les Italiens, j'attache la plus grande importance à ce que les troupes romaines ne soient pas commandées par un général autrichien.
Dans la circonstance, vous devez dire au secrétaire d'état: «La république française, continuant ses sentimens de bienveillance au pape, était peut-être sur le point de lui restituer Ancône: vous gâtez toutes vos affaires, vous en serez responsable. Les provinces de Macerata et le duché d'Urbin se révolteront, vous demanderez le secours des Français, ils ne vous répondront pas.»
Effectivement, plutôt que de donner le temps à la cour de Rome d'ourdir de nouvelles trames, je la préviendrai.
Enfin, exigez non-seulement que M. Provera ne soit point général des troupes romaines, mais que, sous vingt-quatre heures, il soit hors de Rome. Développez un grand caractère; ce n'est qu'avec la plus grande fermeté, la plus grande expression dans vos paroles, que vous vous ferez respecter de ces gens-là: timides lorsqu'on leur montre les dents, ils sont fiers lorsqu'on a trop de ménagemens pour eux.
Dites publiquement dans Rome que, si M. Provera a été deux fois mon prisonnier de guerre dans cette campagne, il ne tardera pas à l'être une troisième fois: s'il vient vous voir, refusez de le recevoir. Je connais bien la cour de Rome, et cela seul, si c'est bien joué, perd cette cour.
L'aide-de-camp qui vous portera cette lettre a ordre de continuer jusqu'à Naples pour voir le citoyen Canclaux; il s'assurera par lui-même des mouvemens des troupes napolitaines, auxquels je ne peux pas croire, quoique je m'aperçoive qu'il y a depuis quelque temps une espèce de coalition entre les cours de Naples, de Rome, et même celle de Florence; mais c'est la ligue des rats contre les chats.
Si vous le jugez à propos, mon aide-de-camp présentera une lettre, que vous trouverez ci-jointe, au secrétaire d'état, et lui dira, d'un ton qui convient aux vainqueurs de l'Italie, que si, sous vingt-quatre heures, M. Provera n'est point hors de Rome, ils nous obligeront à une visite.
Si le pape était mort, vous devez faire tout ce qu'il vous est possible pour qu'on n'en nomme pas un autre, et qu'il y ait une révolution. Le roi de Naples ne fera aucun mouvement: s'il en faisait lorsque la révolution serait faite, vous déclareriez au roi de Naples, à l'instant où il franchirait les limites, que le peuple romain est sous la protection de la république française; ensuite, en vous rendant de votre personne auprès du général napolitain, vous lui diriez que la république française ne voit point d'inconvénient à entamer une négociation avec la cour de Naples sur les différentes demandes qu'elle a faites, et spécialement sur celle qu'a faite à Paris M. Balbo, et auprès de moi M. de Gallo, mais qu'il ne faut pas qu'elle prenne les armes, la république regardant cela comme une hostilité.
Enfin, vous emploieriez en ce double sens beaucoup de fierté extérieure pour que le roi de Naples n'entre pas dans Rome, et beaucoup de souplesse pour lui faire comprendre que c'est son intérêt; et si le roi de Naples, malgré tout ce que vous pourriez faire, ce que je ne saurais penser, entrait dans Rome, vous devez continuer à y rester, et affecter de ne reconnaître en aucune manière l'autorité qu'y exercerait le roi de Naples, de protéger le peuple de Rome, et faire publiquement les fonctions de son avocat, mais d'avocat tel qu'il convient a un représentant de la première nation du monde.
Vous pensez bien, sans doute, que je prendrai bien vite dans ce cas les mesures qui seraient nécessaires pour vous mettre à même de soutenir la déclaration, que vous auriez faite de vous opposer à l'invasion du roi de Naples.
Si le pape est mort, et qu'il n'y ait aucun mouvement à Rome, de sorte qu'il n'y ait aucun moyen d'empêcher le pape d'étre nommé, ne souffrez pas que le cardinal Albani soit nommé; vous devez employer non-seulement l'exclusion, mais encore les menaces sur l'esprit des cardinaux, en déclarant qu'à l'instant même je marcherai sur Rome, ne nous opposant pas à ce qu'il soit pape, mais ne voulant pas que celui qui a assassiné Basseville soit prince. Au reste, si l'Espagne lui donne aussi l'exclusion, je ne vois pas de possibilité à ce qu'il réussisse.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Passeriano, le 8 vendémiaire an 6 (29 septembre 1797).
Au directoire exécutif.
Le pape est très-malade et peut-être mort à l'heure qu'il est.
Le roi de Naples fait beaucoup de mouvemens.
Je vous enverrai copie des lettres que j'ai écrites à nos ministres à Rome et à Naples.
Je ne dissimule pas que depuis quelque temps il y a une espèce de coalition entre le pape, le roi de Naples, et même la Toscane. Le pape n'a-t-il pas eu l'insolence de confier le commandement de ses troupes au général autrichien Provera!
Je pense que tout cela, est une nouvelle raison pour que vous ratifiez le traité d'alliance avec le roi de Sardaigne. Le général Berthier, que j'ai envoyé à Novare pour passer la revue des troupes piémontaises, m'écrit que ce corps est dans une situation superbe. Je vous ferai passer copie de la lettre que m'écrit M. Priocca.
Vous m'aviez écrit, il y a quatre mois, qu'en cas que le roi de Naples se rendît à Rome, de l'y laisser aller: quant à moi, je crois que ce serait une grande sottise. Quand il sera à Rome, il fera emprisonner une soixantaine de personnes, il fera prêcher les prêtres, se prosternera devant un pape dont il aura en vérité la puissance, et nous aurons tout perdu. Vous verrez dans mes lettres aux ministres de la république a Rome et à Naples la conduite que je leur ai dit de tenir. Je vous prie de me faire connaître positivement vos instructions sur ce point.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Passeriano, le 10 vendémiaire an 6 (1er octobre 1797).
Au ministre des relations extérieures.
Messieurs les plénipotentiaires de l'empereur sortent d'ici; nos différentes entrevues n'avancent pas encore beaucoup: c'est toujours la même exagération de prétentions.
Je les renverrai demain, et vous ferai connaître le projet qu'ils doivent me remettre avec ma réponse.
BONAPARTE.
Au quartier-général a Passeriano, le 10 vendémiaire an 6 (1er octobre 1797).
Au ministre de la marine.
Je reçois, citoyen ministre, votre lettre du 28 fructidor; j'ai fait passer à l'amiral Brueys celle qui était pour lui. J'ai écrit, il y a quelques jours, au directoire exécutif pour lui demander une autorisation pour garder la flotte dans ces mers, d'où vous pourrez lui donner la destination qu'il vous plaira, quelle qu'elle soit. L'amiral Brueys vous a écrit par le même courrier. L'escadre se trouve bien approvisionnée et ses équipages fort contens. J'espère que, si nous rompons, elle nous sera du plus grand service. Recevez mes remercimens pour les choses honnêtes renfermées dans votre lettre, et croyez que mon plus grand plaisir sera de mériter votre estime.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Passeriano, le 10 vendémiaire an 6 (1er octobre 1797).
À S.A.R. le duc de Parme.
La caisse de l'armée d'Italie aurait besoin du crédit de votre A.R., afin de ne pas retarder le prêt du soldat, et pour subvenir aux dépenses les plus indispensables à l'armée. Comme je connais les sentimens de bienveillance que votre A.R. a pour l'armée française, je la prie d'ordonner à son ministre de seconder l'opération que lui proposera le citoyen Haller, administrateur des finances de l'armée, pour assurer les comptes.
Croyez aux sentimens d'estime, etc., etc.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Passeriano, le 10 vendémiaire an 6 (1er octobre 1797).
Au ministre de la police générale.
J'ai reçu, citoyen ministre, votre lettre du 27 fructidor. Je vous remercie de l'avis que vous me donnez; je souhaite à messieurs les royalistes de ne pouvoir faire plus de mal à la république que celui qu'ils feraient en tuant un de ses citoyens; d'ailleurs il est plus facile d'en faire le projet que de l'exécuter.
Permettez que je saisisse cette occasion pour vous faire mon compliment sur votre nomination au ministère, que vous avez déjà signalée par un rehaussement de l'esprit public.
Je vous prie de croire aux sentimens d'estime et de considération que j'ai pour vous.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Passeriano, le 10 vendémiaire an 6 (1er octobre 1797).
Au ministre des relations extérieures.
Vous verrez, par la lettre que j'écris au directoire exécutif, les nouvelles de Rome: la santé du pape chancelle de nouveau. J'ai eu une conversation avec M. de Gallo, et je lui ai fait connaître que le directoire exécutif de la république française ne souffrirait jamais que le roi de Naples se mêlât des affaires de Rome sans sa participation. Nous avons eu hier une conférence: je vous envoie la copie du protocole, et vous vous convaincrez que les choses continuent à prendre mauvaise tournure.
J'ai eu, après le dîner, une conférence avec M. le comte de Cobentzel; il m'a dit que l'empereur pourrait nous céder le Rhin, si nous lui faisions de grands avantages en Italie: ce qu'il articulait est extravagant. Il me remettra demain un projet confidentiel; je vous l'enverrai, et j'y ferai une réponse qui sera en moins ce que lui aura fait en plus.
Nous sommes convenus, en cas de rupture, d'établir la manière dont l'un ou l'autre gouvernement se signifierait la rupture, afin que les deux armées ne pussent pas être surprises, et que les deux nations continuent a être liées par le droit des gens.
Comme les grandes opérations dépendent ici de ce que fera l'armée du Rhin, et de l'époque où l'on entrera en campagne, je ne précipiterai rien ici; mais je mettrai le gouvernement à même de prendre le parti qu'il voudra, et de pouvoir mettre en mouvement en même temps les armées du Rhin et d'Italie.
La position de l'armée française d'Italie est superbe. Le Brescian et le Mantouan seront bientôt réunis à la république cisalpine. Je m'occupe à réunir les différentes parties de l'état de Venise dans un seul et même état, afin d'organiser robustement les derrières de l'armée, qui seront tranquilles pendant ce grand mouvement; et ce gouvernement s'engagera à donner 25,000,000 pour pouvoir sustenter l'armée pendant ses grandes opérations.
Toutes les places fortes sont approvisionnées pour un an. Palma et Osoppo, qui doivent être les pivots des armées, contiennent des dépôts pour nourrir l'armée pendant un long temps.
L'artillerie se trouve également dans une position satisfaisante.
De grandes choses pourront être faites avec cette armée.
Tout ce que je fais, tous les arrangemens que je prends dans ce moment-ci, c'est le dernier service que je puisse rendre à la patrie.
Ma santé est entièrement délabrée; et la santé est indispensable et ne peut être substituée par rien, à la guerre. Le gouvernement aura sans doute, en conséquence de la demande que je lui ai faite il y a huit jours, nommé une commission de publicistes pour organiser l'Italie libre;
De nouveaux plénipotentiaires pour continuer les négociations ou les renouer, si la guerre avait lieu, au moment où les événemens de la guerre seraient les plus propices;
Et, enfin, un général qui ait sa confiance pour commander l'armée: car je ne connais personne qui puisse me remplacer dans l'ensemble de ces trois missions, toutes trois également intéressantes.
Je donnerai aux uns et aux autres des renseignemens, soit sur les hommes, sur les moeurs, caractères, positions et les projets qui leur seront utiles, s'ils veulent en profiter.
Quant à moi, je me trouve sérieusement affecté de me voir obligé de m'arrêter dans un moment où, peut-être, il n'y a plus que des fruits à cueillir; mais la loi de la nécessité maîtrise l'inclination, la volonté et la raison.
Je puis à peine monter à cheval: j'ai besoin de deux ans de repos.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Passeriano, le 15 vendémiaire an 6 (8 octobre 1797).
Au président du gouvernement provisoire de Gênes.
J'apprends avec peine que vous êtes divisés entre vous, et que par là vous donnez un champ libre à la malveillance et aux ennemis de votre liberté. Etouffez toutes vos haines, réunissez tous vos efforts, si vous voulez éviter de grands malheurs à votre patrie et à vos familles. Les rois voient avec plaisir et fomentent peut-être une dissension dans votre gouvernement, qui ruine votre commerce, dégoûte la masse de la nation de l'égalité, et établit les privilèges et les préjugés.
Les hostilités peuvent recommencer d'un moment à l'autre, vous devez vous mettre en mesure de pouvoir aussi concourir à la cause commune: comment croyez-vous le faire lorsque vous avez même besoin des Français pour vous garder?
Si vous en croyez un homme qui prend un vif intérêt à votre bonheur, remettez en termes plus clairs dans votre constitution ce qui a pu alarmer les ministres de la religion: je dirai même plus, la superstition aux prises avec la liberté; la première l'emportera dans l'esprit du peuple.
Enfin, supprimez toutes les commissions violentes qui pourraient alarmer la masse des citoyens.
Vous ne devez pas vous gouverner par des excès, comme vous ne devez vous laisser périr par faiblesse. Éclairez le peuple, concertez-vous avec l'archevêque pour leur donner de bons curés; acquérez des titres à l'amour de vos concitoyens et à l'estime de l'Europe, qui vous fixe, et croyez qu'en tout temps je vous appuierai et prendrai un vif intérêt à tout ce qui vous concerne.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Passeriano, le 16 vendémiaire an 6 (7 octobre 1797).
Au ministre des relations extérieures.
Je vous envoie, citoyen ministre, le projet confidentiel que m'a remis M. le comte de Cobentzel; je lui ai témoigné toute l'indignation que vous sentirez en le lisant. Je lui répondrai par la note ci-jointe. Sous trois ou quatre jours, tout sera terminé, la paix ou la guerre, Je vous avoue que je ferai tout pour la paix, vu la saison très-avancée et le peu d'espérance de faire de grandes choses.
Vous connaissez peu ces peuples-ci; ils ne méritent pas que l'on fasse tuer 40,000 Français pour eux.
Je vois par vos lettres que vous partez toujours d'une fausse hypothèse: vous vous imaginez que la liberté fait faire de grandes choses à un peuple mou, superstitieux, pantalon et lâche.
Ce que vous désireriez que je fisse sont des miracles: je n'en sais pas faire.
Je n'ai pas à mon armée un seul Italien, excepté 1500 polissons ramassés dans les rues des différentes villes de l'Italie, qui pillent et ne sont bons à rien,
Ne vous laissez pas inspirer par quelque aventurier italien, peut-être par quelque ministre même, qui vous diront qu'il y a 80,000 hommes italiens sous les armes; car, depuis quelque temps, je n'aperçois pas les journaux, et ce qui me revient de l'opinion publique en France s'égare étrangement sur les Italiens.
Un peu d'adresse, un ascendant que j'ai pris, des exemples sévères, donnent seuls à ces peuples un grand respect pour la nation, et un intérêt, quoique extrêmement faible, pour la cause que nous défendons.
Je désire que vous appeliez chez vous les différents ministres cisalpins qui se trouvent à Paris, que vous leur demandiez d'un ton sévère ....., qu'ils vous déclarent sur-le-champ, par écrit, le nombre de troupes qu'a la république cisalpine à l'armée; et, s'ils vous disent que j'ai plus de 1500 hommes cisalpins et à peu près 2000 à Milan, employés à la police de leur pays, ils vous en imposeront, et réprimandez-les comme ils le méritent; car telle chose est bonne à dire dans un café ou dans un discours, mais non au gouvernement, puisque ces fausses idées peuvent le mettre dans le cas de prendre un parti différent de celui qui convient, et produire des malheurs incalculables.
J'ai l'honneur de vous le répéter, peu à peu le peuple de la république cisalpine s'enthousiasmera pour la liberté, peu à peu cette république s'organisera, et peut-être dans quatre ou cinq ans pourra-t-elle avoir 30,000 hommes de troupes passables, surtout s'ils prennent quelques Suisses; car il faudrait être un législateur habile pour leur faire venir le goût des armes: c'est une nation bien énervée et bien lâche.
Si les négociations ne prennent pas une bonne tournure, la France se repentirait à jamais du parti qu'elle a pris avec le roi de Sardaigne. Ce prince, avec un de ses bataillons et un de ses escadrons de cavalerie, est plus fort que toute la Cisalpine réunie. Si je n'ai jamais écrit au gouvernement avec cette précision, c'est que je ne pensais pas qu'on pût se former des Italiens l'idée que je vois, par vos dernières lettres, que vous en avez. J'emploie tout mon talent à les échauffer et à les aguerrir, et je ne réussis tout juste qu'à contenir et à disposer ces peuples dans de bonnes intentions.
Je n'ai point eu, depuis que je suis en Italie, pour auxiliaire, l'amour des peuples pour la liberté et l'égalité, ou du moins cela a été un auxiliaire très-faible; mais la bonne discipline de l'armée, le grand respect que nous avons tous eu pour la république, que nous avons porté jusqu'à la cajolerie pour les ministres de la justice, surtout une grande activité et une grande promptitude à réprimer les malintentionnés et à punir ceux qui se déclaraient contre nous, tel a été le véritable auxiliaire de l'armée d'Italie: voilà l'historique. Tout ce qui n'est bon qu'à dire dans des proclamations, des discours imprimés, sont des romans.
Comme j'espère que les négociations iront bien, je n'entrerai pas dans de plus grands détails pour vous déclarer beaucoup de choses qu'il me paraît qu'on saisit mal. Ce n'est qu'avec de la prudence, de la sagesse, beaucoup de dextérité, que l'on parvient à de grands buts, et que l'on surmonte tous les obstacles: autrement on ne réussit en rien. Du triomphe à la chute il n'est qu'un pas. J'ai vu, dans les plus grandes circonstances, qu'un rien a toujours décidé des plus grands événemens.
S'il arrivait que nous adoptassions la politique extérieure que nous avions en 1793, nous aurions d'autant plus tort, que nous nous sommes bien trouvés de la politique contraire, et que nous n'avons plus ces grandes masses, ces moyens de recrutement, et ce premier élan d'enthousiasme qui n'a qu'un temps.
Le caractère distinctif de notre nation est d'être beaucoup trop vif dans la prospérité. Si l'on prend pour base de toutes les opérations la vraie politique, qui n'est que le résultat du calcul, des combinaisons et des chances, nous serons pour long-temps la grande nation et l'arbitre de l'Europe; je dis plus, nous tenons la balance, nous la ferons pencher comme nous voudrons, et même, si tel est l'ordre du destin, je ne vois pas d'impossibilité à ce que l'on arrive en peu d'années à ces grands résultats que l'imagination échauffée et enthousiaste entrevoit, et que l'homme extrêmement froid, constant et raisonné, atteindra seul. Ne voyez, citoyen ministre, je vous prie, dans la présente lettre, que le désir de contribuer autant qu'il est en moi au succès de la patrie.
Je vous écris comme je pense, c'est la plus grande marque d'estime que je puisse vous donner.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Passeriano, le 19 vendémiaire an 6 (10 octobre 1797).
Au directoire exécutif.
Les négociations de paix sont enfin sur le point de se terminer. La paix définitive sera signée cette nuit, ou la négociation rompue.
En voici les conditions principales:
1º. Nous aurons sur le Rhin la limite tracée sur la carte que je vous envoie, c'est-à-dire la Nethe jusqu'à Kerpen, et passe de là à Juliers, Venloo;
2º. Mayence et ses fortifications en entier et tel qu'il est;
3º. Les îles de Corfou, Zante, Céphalonie, etc., et l'Albanie vénitienne;
4º. La Cisalpine sera composée de la Lombardie, du Bergamasque, du Cremasque, du Brescian, de Mantoue, de Peschiera, avec les fortifications, jusqu'à la rive droite de l'Adige et du Pô; du Modenais, du Ferrarais, du Bolonais, de la Romagne:
Cela fait à peu près trois millions cinq à six cent mille habitans.
5º. Gênes aura les fiefs impériaux;
6º. L'empereur aura la Dalmatie et l'Istrie, les états de Venise jusqu'à l'Adige et le Pô, la ville de Venise;
7º. Le prince d'Orange, conformément au traité secret avec la Prusse, obtiendra une indemnité. Le duc de Modène sera indemnisé par le Brisgaw, et en place l'Autriche prendra Salzburg et une partie de la Bavière comprise entre la rivière d'Inn, la rivière de Salza, l'évêché de Salzburg, faisant cinquante mille habitans;
8º. Nous ne céderons les pays que doit occuper l'empereur que trois semaines après l'échange des ratifications et lorsqu'il aura évacué Manheim, Ingolstadt, Ulm, Ehrenbreistein et tout l'Empire;
9º. La France aura ce que la république de Venise avait de meilleur, etc., et les limites du Rhin, auxquelles il ne manquera que deux cent mille habitans que l'on pourra avoir à la paix de l'Empire. Elle gagnera de ce côté quatre millions de population;
10º. La république cisalpine aura de très-belles limites militaires, puisqu'elle aura Mantoue, Peschiera, Ferrare.
11º. La liberté gagne donc: république cisalpine, trois millions cinq cent mille habitans; nouvelles limites de la France, quatre millions: en tout sept millions cinq cent mille habitans;
12º. La maison d'Autriche gagnera un million neuf cent mille habitans:
Elle en perdra, en Lombardie, un million cinq cent mille; à Modène, trois cent mille; en Belgique, deux millions cinq cent mille: en tout quatre millions trois cent mille habitans; sa perte sera donc encore assez sensible.
J'ai profité des pouvoirs que vous m'avez donnés et de la confiance dont vous m'avez revêtu pour conclure ladite paix; j'y ai été conduit:
1º. Par la saison avancée, contraire à la guerre offensive, surtout de ce côté-ci, où il faut repasser les Alpes et entrer dans des pays très-froids;
2º. La faiblesse de mon armée, qui cependant a toutes les forces de l'empereur contre elle;
3º. La mort de Hoche, et le mauvais plan d'opérations adopté;
4º. L'éloignement des armées du Rhin des états héréditaires de la maison d'Autriche;
5º. La nullité des Italiens. Je n'ai avec moi au plus que quinze cents Italiens qui sont le ramassis des polissons dans les grandes villes;
6º. La rupture qui vient d'éclater avec l'Angleterre;
7º. L'impossibilité où je me trouve, par la non ratification du traité d'alliance avec le roi de Sardaigne, de me servir des troupes sardes, et la nécessité d'augmenter de six mille hommes de troupes françaises les garnisons du Piémont et de la Lombardie;
8º. L'envie de la paix qu'a toute la république, envie qui se manifeste même dans les soldats, qui se battraient, mais qui verront avec plus de plaisir encore leurs foyers, dont ils sont absens depuis bien des années, et dont l'éloignement ne serait bon que pour établir le gouvernement militaire;
9º. L'inconvenance d'exposer des avantages certains et le sang français pour des peuples peu dignes et peu amans de la liberté, qui, par caractère, habitude et religion, nous haïssent profondément. La ville de Venise renferme, il est vrai, trois cents patriotes: leurs intérêts seront stipulés dans le traité, et ils seront accueillis dans la Cisalpine. Le désir de quelques centaines d'hommes ne vaut pas la mort de vingt mille Français;
10º. Enfin, la guerre avec l'Angleterre nous ouvrira un champ plus vaste, plus essentiel et plus beau d'activité. Le peuple anglais vaut mieux que le peuple vénitien, et sa libération consolidera à jamais la liberté et le bonheur de la France, ou, si nous obligeons ce gouvernement à la paix, notre commerce, les avantages que nous lui procurerons dans les deux mondes, seront un grand pas vers la consolidation de la liberté et le bonheur public.
Si, dans tous ces calculs, je me suis trompé, mon coeur est pur, mes intentions sont droites: j'ai fait taire l'intérêt de ma gloire, de ma vanité, de mon ambition; je n'ai vu que la patrie et le gouvernement; j'ai répondu d'une manière digne de moi à la confiance illimitée que le directoire a bien voulu m'accorder depuis deux ans.
Je crois avoir fait ce que chaque membre du directoire eût fait en ma place.
J'ai mérité par mes services l'approbation du gouvernement et de la nation; j'ai reçu des marques réitérées de son estime. «Il ne me reste plus qu'à rentrer dans la foule, reprendre le soc de Cincinnatus, et donner l'exemple du respect pour les magistrats et de l'aversion pour le régime militaire, qui a détruit tant de républiques et perdu plusieurs états.»
Croyez à mon dévouement et à mon désir de tout faire pour la liberté de la patrie.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Passeriano, le 19 vendémiaire an 6 (10 octobre 1797).
Au directoire exécutif.
Le citoyen Botot m'a remis votre lettre du premier jour complémentaire; il m'a dit, en conséquence, de votre part, de révolutionner l'Italie: je lui ai demandé comment cela se devait entendre; si le duc de Parme, par exemple, était compris dans cet ordre. Il n'a pu me donner aucune explication. Je vous prie de me faire connaître vos ordres plus clairement.
J'ai retenu quelques jours ici le citoyen Botot, pour qu'il pût s'assurer par lui-même de l'esprit qui anime mon état-major et tout ce qui m'environne. Je serais bien aise qu'il en fit autant dans les différentes divisions de l'armée, il y trouverait un esprit de patriotisme qui distingue ces braves soldats.
Ma santé considérablement affaiblie, mon moral non moins affecté, ont besoin de repos et me rendent incapable de remplir les grandes choses qui restent à faire. Je vous ai déjà demandé un successeur: si vous n'avez pas obtempéré à ma demande, je vous prie, citoyens directeurs, de le faire. Je ne suis plus en état de commander. Il ne me reste qu'un vif intérêt, qui ne m'abandonnera jamais, pour la prospérité de la république et la liberté de la patrie.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Passeriano, le 22 vendémiaire an 6 (13 octobre 1797).
Au directoire exécutif de la république cisalpine.
J'ai reçu, citoyens directeurs, le projet que vous m'avez envoyé pour la formation du département de Mantoue. Faites faire une loi par les comités réunis, pour joindre Mantoue, la partie du Véronais que vous désirez dans votre plan, et le Brescian à la république cisalpine. Si vous le croyez nécessaire, envoyez-la moi, je la signerai: surtout que chaque département n'excède pas cent quatre-vingt mille habitans. Je crois qu'il sera bon de mettre une partie du Brescian dans le départemens de Mantoue, pour pouvoir faire une bonne limite. La ville de Mantoue continuera cependant à être en état de siége, et immédiatement sous les ordres du général commandant la place.
Les fortifications de Mantoue seront désormais aux frais de votre gouvernement, ainsi que celles de Pizzighittone et de Peschiera. Il est indispensable que vous envoyiez un de vos officiers du génie à Mantoue, lequel se concertera avec l'officier français, et prendra des mesures pour augmenter, autant que possible, les fortifications de cette place. J'ordonne au général Chasseloup de faire faire des projets en grand pour des fortifications permanentes.
Il est également indispensable que l'on commence à travailler à un bon fort à la roche d'Anfous, entre Brescia et le Tyrol. Ce poste est des plus importans pour la république cisalpine, et il demande toute votre sollicitude. Envoyez un officier du génie à Brescia.
Je donne l'ordre au général Chasseloup d'en envoyer également un pour se concerter avec le vôtre, et présenter un projet pour établir une bonne forteresse dans cette position.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Passeriano, le 27 vendémiaire an 6 (18 octobre 1797).
Au directoire exécutif.
Le général Berthier et le citoyen Monge vous portent le traité de paix définitif qui vient d'être signé entre l'empereur et nous.
Le général Berthier, dont les talens distingués égalent le courage et le patriotisme, est une des colonnes de la république, comme un des plus zélés défenseurs de la liberté. Il n'est pas une victoire de l'armée d'Italie à laquelle il n'ait contribué. Je ne craindrai pas que l'amitié me rende partial en retraçant ici les services que ce brave général a rendus à la patrie; mais l'histoire prendra ce soin, et l'opinion de toute l'armée fondera le témoignage de l'histoire.
Le citoyen Monge, un des membres de la commission des sciences et arts, est célèbre par ses connaissances et son patriotisme. Il a fait estimer les Français par sa conduite en Italie. Il a acquis une part distinguée dans mon amitié. Les sciences, qui nous ont révélé tant de secrets, détruit tant de préjugés, sont appellées à nous rendre de plus grands services encore. De nouvelles vérités, de nouvelles découvertes nous révéleront des secrets plus essentiels encore au bonheur des hommes; mais il faut que nous aimions les savans et que nous protégions les sciences.
Accueillez, je vous prie, avec une égale distinction, le général distingué et le savant physicien: tous les deux illustrent la patrie et rendent célèbre le nom français. Il m'est impossible de vous envoyer le traité de paix par deux hommes plus distingués dans un genre différent.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Passeriano, le 27 vendémiaire an 6 (18 octobre 1797).
Au ministre des relations extérieures.
La paix a été signée hier après minuit. J'ai fait partir, à deux heures, le général Berthier et le citoyen Monge pour vous porter le traité en original. Je me suis référé à vous en écrire ce matin, et je vous expédie, à cet effet, un courrier extraordinaire qui vous arrivera en même temps, et peut-être avant le général Berthier: c'est pourquoi j'y inclus une copie collationnée de ce traité.
1°. Je ne doute pas que la critique ne s'attache vivement à déprécier le traité que je viens de signer. Tous ceux cependant qui connaissent l'Europe et qui ont le tact des affaires, seront bien convaincus qu'il était impossible d'arriver à un meilleur traité sans commencer par se battre, et sans conquérir encore deux ou trois provinces de la maison d'Autriche. Cela était-il possible? oui. Préférable? non.
En effet, l'empereur avait placé toutes ses troupes contre l'armée d'Italie, et, nous, nous avons laissé toute la force de nos troupes sur le Rhin. Il aurait fallut trente jours de marche à l'armée d'Allemagne pour pouvoir arriver sur les lisières des états héréditaires de la maison d'Autriche, et pendant ce temps-là j'aurais eu contre moi les trois quarts de ses forces. Je ne devais pas avoir les probabilités de les vaincre, et, les eusse-je vaincues, j'aurais perdu une grande partie des braves soldats qui ont à seuls vaincu toute la maison d'Autriche et changé le destin de l'Europe. Vous avez cent cinquante mille hommes sur le Rhin, j'en ai cinquante mille en Italie.
2°. L'empereur, au contraire, a cent cinquante mille hommes contre moi, quarante mille en réserve, et au plus quarante mille au-delà du Rhin.
3°. Le refus de ratifier le traité du roi de Sardaigne me privait de dix mille hommes et me donnait des inquiétudes réelles sur mes derrières, qui s'affaiblissaient par les armemens extraordinaires de Naples.
4°. Les cimes des montagnes sont déjà couvertes de neige: je ne pouvais pas, avant un mois, commencer les opérations militaires, puisque, par une lettre que je reçois du général qui commande l'armée d'Allemagne, il m'instruit du mauvais état de son armée, et me fait part que l'armistice de quinze jours qui existait entre les armées n'est pas encore rompu. Il faut dix jours pour qu'un courrier se rende d'Udine à l'armée d'Allemagne annoncer la rupture; les hostilités ne pouvaient donc en réalité commencer que vingt-cinq jours après la rupture, et alors nous nous trouvions dans les grandes neiges.
5°. Il y aurait eu le parti d'attendre au mois d'avril et de passer tout l'hiver à organiser les armées et à concerter un plan de campagne, qui était, pour le dire entre nous, on ne peut pas plus mal combiné; mais ce parti ne convenait pas à la situation intérieure de la république, de nos finances et de l'armée d'Allemagne.
6°. Nous avons la guerre avec l'Angleterre: cet ennemi est assez considérable.
Si l'empereur répare ses pertes dans quelques années de paix, la république cisalpine s'organisera de son côté, et l'occupation de Mayence et la destruction de l'Angleterre nous compenseront de reste et empêcheront bien ce prince de penser à se mesurer avec nous.
7°. Jamais, depuis plusieurs siècles, on n'a fait une paix plus brillante que celle que nous faisons. Nous acquérons la partie de la république de Venise la plus précieuse pour nous. Une autre partie du territoire de cette république est acquise à la Cisalpine, et le reste à l'empereur.
8°. L'Angleterre allait renouveler une autre coalition. La guerre, qui a été nationale et populaire lorsque l'ennemi était sur nos frontières, semble aujourd'hui étrangère au peuple, et n'est devenue qu'une guerre de gouvernement. Dans l'ordre naturel des choses, nous aurions fini par y succomber.
9°. Lorsque la Cisalpine a les frontières les plus militaires de l'Europe, que la France a Mayence et le Rhin, qu'elle a dans le Levant Corfou, place extraordinairement bien fortifiée, et les autres îles, que veut-on davantage? Diverger nos forces, pour que l'Angleterre continue à enlever à nous, a l'Espagne, à la Hollande leurs colonies, et éloigner encore pour long-temps le rétablissement de notre commerce et de notre marine?
10°. Les Autrichiens sont lourds et avares: aucun peuple moins intrigant et moins dangereux pour nos affaires militaires qu'eux; l'Anglais, au contraire, est généreux, intrigant, entreprenant. Il faut que notre gouvernement détruise la monarchie anglicane, ou il doit s'attendre lui-même à être détruit par la corruption et l'intrigue de ces actifs insulaires. Le moment actuel nous offre un beau jeu. Concentrons toute notre activité du côté de la marine, et détruisons l'Angleterre: cela fait, l'Europe est à nos pieds.