BONAPARTE.
Au Caire, le 20 thermidor an 6 (7 août 1798).
Au général Desaix.
Je vais m'absenter, citoyen général, pour quelques jours de la ville du Caire.
Je donne ordre au général commandant de vous instruire de tous les mouvemens qui provoqueraient des mesures extraordinaires. Votre division, dans la position où elle se trouve, a le double but: 1°. de garantir la province de Gizeh; 2°. de former une réserve pour le Caire.
La commission provisoire, composée des citoyens Monge, Berthollet et Magallon, s'adressera à vous pour avoir tous les sauf-conduits qu'elle jugera à propos d'accorder aux femmes des mameloucks, et moyennant les traités particuliers qu'elle conclura avec elles.
Vous nommerez quatre officiers pour suivre les quatre commissions chargées de faire les inventaires et de dépouiller les maisons des beys. Ces officiers me rendront compte tous les jours de la manière dont s'est faite l'opération; ils doivent d'ailleurs laisser faire entièrement les commissaires. S'ils apercevaient des abus, ils vous les dénonceraient et vous y apporteriez remède.
Le citoyen Beauvoisin a ordre de vous rendre compte tous les jours de la séance du divan.
Je donne ordre au commandant de la place de faire partir tous les jours cinquante ou soixante hommes avec un officier pour me porter de vos dépêches, les siennes, celles de la commission, de l'ordonnateur, et de l'adjudant-général qui reste à l'état-major.
Par ce moyen, vous vous trouverez instruit de la position des esprits au Caire, et vous ferez faire à votre division et à la garnison tous les mouvemens que les circonstances exigeront.
Si un courrier de France arrivait, il faudrait avoir soin de ne me l'expédier que fortement escorté.
BONAPARTE.
Au Caire, le 24 thermidor an 6 (11 août 1798).
À Ibrahim-Bey.
La supériorité des forces que je commande ne peut plus être contestée: vous voilà hors de l'Egypte et obligé de passer le désert.
Vous pouvez trouver dans ma générosité la fortune et le bonheur que le sort vient de vous ôter.
Faites-moi de suite connaître votre intention.
Le pacha du grand-seigneur est avec vous, envoyez-le moi porteur de votre réponse; je l'accepte volontiers comme médiateur.
BONAPARTE.
Le 25 thermidor an 6 (12 août 1798).
5Entrevue de Bonaparte, membre de l'Institut national,
général en chef de l'armée d'Orient, et de plusieurs
muphtis et imans, dans l'intérieur de la grande pyramide,
dite pyramide de Chéaps.
Cejourd'hui, 25 thermidor de l'an 6 de la république française, une et indivisible, répondant au 28 de la lune de Mucharem, l'an de l'hégire 1213, le général en chef, accompagné de plusieurs officiers de l'état-major de l'armée et de plusieurs membres de l'Institut national, s'est transporté à la grande pyramide, dite de Chéaps, dans l'intérieur de laquelle il était attendu par plusieurs muphtis et imans, chargés de lui en montrer la construction intérieure. À neuf heures du matin, il est arrivé avec sa suite, sur la croupe des montagnes de Gizeh, au nord-ouest de Memphis. Après avoir visité les cinq pyramides inférieures, il s'est arrêté avec une attention particulière à la pyramide de Chéaps, dont les membres de l'Institut ont à l'instant déterminé, par des figures trigonométriques, la hauteur perpendiculaire.
Cette hauteur s'est trouvée être d'environ cent cinquante-cinq mètres (près de quatre cent soixante cinq pieds), ce qui est près du double de celle des monumens les plus élevés de l'Europe6.
Le général et sa suite ayant pénétré dans l'intérieur de la pyramide, ont trouvé d'abord un canal de cent pieds de long et de trois pieds de large, qui les a conduits, par une pente rapide, vers les vallées qui servaient de tombeau au Pharaon qui érigea ce monument. Un second canal fort dégradé, et remontant vers le sommet de la pyramide, les a menés successivement sur deux plates-formes, et de là, à une galerie voûtée, de la longueur de cent dix-huit pieds, aboutissant au vestibule du tombeau. C'est une vallée voûtée, d'environ dix-sept pieds de long sur quinze de large, dans un des murs de laquelle on remarque la place d'une momie que l'on croit avoir été l'épouse du Pharaon.
On voit dans cette vallée la trace des fouilles faites avec violence par les ordres d'un calife arabe, qui fit ouvrir la pyramide, et qui croyait que ces lieux recelaient un trésor. L'effet des mêmes tentatives se remarqua dans une seconde salle, perpendiculaire à la première, et plus haute de cent pieds, où l'on croit qu'était le corps du Pharaon.
Cette dernière salle, à laquelle le général en chef est enfin parvenu, est à voûte plate, et longue de trente-deux pieds sur seize de large et dix-neuf de haut. On ignore ce que les Arabes spoliateurs découvrirent dans ce sanctuaire de la pyramide; le général n'y a trouvé qu'une caisse de granit, d'environ huit pieds de long sur quatre d'épaisseur, qui renfermait sans doute la momie d'un Pharaon. Il s'est assis sur le bloc de granit, a fait asseoir à ses côtés les muphtis et imans, Suleiman, Ibrahim et Muhamed, et il a eu avec eux, en présence de sa suite, la conversation suivante:
Bonaparte. Dieu est grand et ses oeuvres sont merveilleuses. Voici un grand ouvrage de main d'hommes! Quel était le but de celui qui fit construire cette pyramide?
Suleiman. C'était un puissant roi d'Egypte, dont on croit que le nom était Chéaps. Il voulait empêcher que des sacriléges ne vinssent troubler le repos de sa cendre.
B. Le grand Cyrus se fit enterrer en plein air, pour que son corps retournât aux élémens. Penses-tu qu'il ne fit pas mieux? le penses-tu?
S. (s'inclinant): Gloire à Dieu, à qui toute gloire est due.
B. Honneur à Allah! Quel est le calife qui a fait ouvrir cette pyramide et troubler la cendre des morts?
Muhamed. On croit que c'est le commandeur des croyans Mahmoud, qui régnait il y a plusieurs siècles à Bagdad; d'autres disent le renommé Aaroun-Al-Raschid (Dieu lui fasse paix!) qui croyait y trouver des trésors; mais quand on fut entré par ses ordres dans cette salle, la tradition porte qu'on n'y trouva que des momies, et sur le mur cette inscription en lettres d'or: l'impie commettra l'iniquité sans fruit, mais non sans remords.
B. Le pain dérobé par le méchant remplit sa bouche de gravier.
M. (s'inclinant): C'est le propos de la sagesse.
B. Gloire à Allah. Il n'y a point d'autre Dieu que Dieu; Mohamed est son prophète, et je suis de ses amis.
S. Salut de paix sur l'envoyé de Dieu. Salut aussi sur toi, invincible général, favori de Mohamed.
B. Muphti, je te remercie. Le divin Coran fait les délices de mon esprit et l'attention de mes yeux. J'aime le Prophète et je compte, avant qu'il soit peu, aller voir et honorer son tombeau dans la ville sacrée; mais ma mission est auparavant d'exterminer les mameloucks.
Ibrahim. Que les anges de la victoire balayent la poussière sur ton chemin et te couvrent de leurs ailes. Le mamelouck a mérité la mort.
B. Il a été frappé et livré aux anges noirs Moukir et Quarkir. Dieu, de qui tout dépend, a ordonné que sa domination fût détruite.
S. Il étendit la main de la rapine sur les terres, les moissons, les chevaux de l'Egypte.
B. Et sur les esclaves les plus belles, très-saint muphti. Allah a desséché sa main. Si l'Egypte est sa ferme, qu'il montré le bail que Dieu lui a fait; mais Dieu est juste et miséricordieux pour le peuple.
Ib. O le plus vaillant entre les serviteurs d'Issa7, Allah t'a fait suivre de l'ange exterminateur pour délivrer sa terre d'Egypte.
B. Cette terre était livrée à vingt-quatre oppresseurs rebelles au grand sultan notre allié (que Dieu l'entoure de gloire), et à dix mille esclaves venus du Caucase et de la Géorgie. Adriel, ange de la mort, a soufflé sur eux; nous sommes venus, et ils ont disparu.
M. Noble successeur de Scander8, honneur à tes armes invincibles et à la foudre inattendue qui sort du milieu de tes guerriers à cheval9.
B. Crois-tu que cette foudre soit une oeuvre des enfans des hommes? le crois-tu? Allah l'a fait mettre en mes mains par le génie de la guerre.
Ib. Nous reconnaissons à tes oeuvres, Allah qui t'envoie. Serais-tu vainqueur si Allah ne l'avait permis? Le Delta et tous les pays voisins retentissent de tes miracles.
B. Un char céleste montera par mes ordres jusqu'au séjour des nuées10 et la foudre descendra vers la terre le long d'un fil de métal11 dès que je l'aurai commandé.
S. Et le grand serpent sorti du pied de la colonne de Pompée, le jour de ton entrée triomphale à Scanderieh12, et qui est resté desséché sur le socle de la colonne, n'est-ce pas encore un prodige opéré par ta main?
B. Lumière des fidèles, vous êtes destinés à voir, encore de plus grandes merveilles; car les jours de la régénération sont venus.
Ib. La divine unité te regarde d'un oeil de prédilection, adorateur d'Issa, et te rend le soutien des enfans du prophète.
B. Mohamed n'a-t-il pas dit: tout homme qui adore Dieu et qui fait de bonnes oeuvres, quelle que soit sa religion, sera sauvé?
Suleiman, Muhamed, Ibrahim (ensemble en s'inclinant): Il l'a dit.
B. Et si j'ai tempéré par ordre d'en haut l'orgueil du vicaire d'Issa, en diminuant ses possessions terrestres pour lui amasser des trésors célestes, dites, n'était-ce pas pour rendre gloire à Dieu, dont la miséricorde est infinie?
M. (d'un air interdit): Le muphti de Rome était riche et puissant; mais nous ne sommes que de pauvres muphtis.
B. Je le sais: soyez sans crainte; vous avez été pesés dans la balance de Balthazar et vous avez été trouvés légers. Cette pyramide ne renfermait donc aucun trésor qui vous fût connu?
S. (ses mains sur l'estomac): Aucun, seigneur; nous le jurons par la cité sainte de la Mecque.
B. Malheur, et trois fois malheur à ceux qui recherchent les richesses périssables, et qui convoitent l'or et l'argent, semblables à la Loue!
S. Tu as épargné le vicaire d'Issa et tu l'as traité avec clémence et bonté.
B. C'est un vieillard que j'honore (que Dieu accomplisse ses désirs quand ils seront réglés par la raison et la vérité); mais il a tort de condamner au feu éternel tous les Musulmans, et Allah défend à tous l'intolérance.
Ib. Gloire à Allah et à son prophète qui t'a envoyé au milieu de nous pour réchauffer la foi des faibles et rouvrir aux fidèles les portes du septième ciel.
B. Vous l'avez dit, très-zélés muphtis, soyez fidèles à Allah, le souverain maître des sept d'eux merveilleux, à Mohamed son vizir, qui parcourut tous ces cieux dans une nuit. Soyez amis des Francs, et Allah, Mohamed et les Francs vous récompenseront.
Ib. Que le prophète lui-même te fasse asseoir à sa gauche le jour de la résurrection, après le troisième sou de la trompette.
B. Que celui-là écoute, qui a des oreilles pour entendre. L'heure de la résurrection politique est arrivée pour tous les peuples qui gémissaient dans l'oppression. Muphtis, imans, mullahs, derviches, kalenders, instruisez le peuple d'Egypte. Encouragez-le à se joindre à nous pour achever d'anéantir les beys et les mameloucks. Favorisez le commerce des Francs dans vos contrées, et leurs entreprises pour parvenir d'ici à l'ancien pays de Brama. Offrez-leur des entrepôts dans vos ports, et éloignez de vous les insulaires d'Albion, maudite entre les enfans d'Issa; telle est la volonté de Mohamed. Les trésors, l'industrie et l'amitié des Francs seront votre partage, en attendant que vous montiez au septième ciel, et qu'assis aux côtés des houris aux yeux noirs, toujours jeunes et toujours pucelles, vous vous reposiez à l'ombre du laba, dont les branches offriront d'elles-mêmes aux vrais Musulmans tout ce qu'ils pourront désirer.
S. (s'inclinant): Tu as parlé comme le plus docte des mullahs. Nous ajoutons foi à tes paroles, nous servirons ta cause, et Dieu nous entend.
B. Dieu est grand et ses oeuvres sont merveilleuses. Salut de paix sur vous, très-saints muphtis!
Le général est alors ressorti, avec sa suite, de la pyramide de Chéaps, et il est retourné au Caire, laissant les autres membres de l'institut national occupés à terminer leurs Observations.
Footnote 5: (return) Ce morceau a été publié dans le no. LXVII du Moniteur, le 7 frimaire an VII (27 novembre 1798). Quoique son authenticité ait été discutée, nous n'avons pas cru devoir omettre une pièce aussi curieuse et qui donne une si juste idée du caractère de Bonaparte et des moyens qu'il employait avec tant d'habileté pour rapper l'imagination déjà si irritable des habitans de l'Egypte.
Footnote 6: (return) Cette assertion n'est pas exacte. La flèche de Strasbourg, qui est le monument le plus élevé de l'Europe, a quatre cent vingt-huit pieds quatre pouces, on à peu près cent trente-huit mètres de hauteur, y compris la croix. Saint-Pierre de Rome, au-dessus de la croix, à quatre cent vingt-un pieds d'élévation, ou à peu près cent trente-six mètres. On voit donc qu'il n'y a que dix-sept mètres de différence entre la pyramide de Chéaps et la flèche de Strasbourg. Voyez à ce sujet les mesures des principaux édifices de l'Europe, consignées dans le Voyage d'Italie, par Lalande; édition de 1769, tome IV, pages 62 et suivantes.
Footnote 7: (return) Jésus-Christ.
Footnote 8: (return) Alexandre.
Footnote 9: (return) L'artillerie volante, qui a beaucoup étonné les mameloucks.
Footnote 10: (return) Les aérostats, inconnus en Egypte.
Footnote 11: (return) Les phénomènes de l'électricité, les paratonnerres.
Footnote 12: (return) Alexandrie.
Le 25 thermidor an 6 (12 août 1798).
Au général Leclerc.
Je vous prie, citoyen général, de vouloir bien témoigner aux septième de hussards, vingt-deuxième de chasseurs, troisième et cinquième de dragons ma satisfaction de la conduite qu'ils ont tenue dans la charge glorieuse qu'ils ont faite sur l'arrière-garde des mameloucks13, auxquels ils ont tué et blessé beaucoup de monde, entre autres le chef Aly-Bey, et pris deux pièces de canon.
Je donne l'ordre à l'état-major pour qu'on fasse reconnaître comme chef de brigade le citoyen d'Estrées, comme chef d'escadron le capitaine Renaud, comme capitaine le citoyen Leclerc, lieutenant du septième de hussards, et comme lieutenant le sous-lieutenant des guides, Dallemagne.
Je vous prie de me faire passer dans la journée la liste des officiers et des soldats des quatre corps qui se sont distingués et qui méritent un avancement particulier.
BONAPARTE.
Footnote 13: (return) Il est question du combat de Salchich.
Le 25 thermidor an 6 (12 août 1798).
Au citoyen Leturq.
Le général Leclerc m'a rendu compte, citoyen, de la bravoure que vous avez montrée et de la conduite que vous avez tenue dans la journée d'hier. Vous vous êtes souvent distingué dans la campagne d'Italie, et je vous donnerai incessamment l'avancement que vous méritez.
BONAPARTE.
Le 25 thermidor an 6 (12 août 1798).
À la commission de commerce.
Je vous autorise, citoyens, à conclure définitivement et à signer les arrangemens que vous ferez avec les différentes femmes des beys et des autres mameloucks pour le rachat de leurs effets: vous délivrerez des sauf-conduits à celles qui consentiront à un accommodement.
BONAPARTE.
Le 26 thermidor an 6 (13 août 1798).
Au général du génie.
Mon intention est, citoyen général, de réunir à Salehieh des magasins de bouche et de guerre suffisans pour pourvoir aux besoins d'une armée de trois cent mille hommes pendant un mois.
Vous sentez qu'il est indispensable que des magasins aussi précieux soient contenus dans une forteresse qui les mette à l'abri d'être enlevés par une attaque de vive force, et qui fasse que les sept ou huit cents hommes de garnison obligent l'ennemi à un siége d'autant plus pénible, qu'il ne peut charrier son artillerie qu'après un passage de neuf jours dans le désert.
Une fois cette forteresse construite, on pourra, si on le juge nécessaire, y appuyer un camp retranché, soit pour tenir pendant long-temps les corps de l'ennemi éloignés, soit pour pouvoir protéger un corps d'armée inférieur, mais trop considérable pour y tenir garnison.
Il serait essentiel que vous dirigeassiez vos travaux de manière à ce que, d'ici à quatre ou cinq décades, cette forteresse eût déjà l'avantage d'un fort poste de campagne, et qu'avec une garnison plus nombreuse que celle que l'on sera obligé d'y tenir, lorsqu'elle sera achevée, les magasins pussent déjà être à l'abri d'une attaque de vive force.
Vous laisserez à Salehieh assez d'ingénieurs pour confectionner lesdits travaux avec promptitude, et pour pouvoir suffire aux reconnaissances qui serviront à déterminer la position précise de Salehieh par rapport à la mer, à Mansoura, a Damiette, à l'inondation du Nil, et aux canaux du Nil qui peuvent porter bateau.
Vous trouverez l'ordre que j'envoie au payeur du quartier-général qui est à Salehieh, de verser 10,000 fr. à la disposition de l'officier supérieur du génie que vous laisserez à Salehieh pour le commencement desdits travaux.
BONAPARTE.
Le 26 thermidor an 6 (13 août 1798).
Au général de l'artillerie.
Mon intention, citoyen général, est d'établir une forteresse à Salehieh qui puisse mettre à l'abri de toute insulte les magasins de bouche et de guerre que j'ai l'intention d'y réunir: vous vous concerterez avec le général du génie pour tous les établissemens d'artillerie, indépendamment des magasins nécessaires à l'approvisionnement pour trois ou quatre pièces de campagne et cinq ou six cent mille cartouches.
Je vous envoie une ordonnance de 2,000 fr. que vous laisserez à la disposition de l'officier d'artillerie que vous chargerez dudit établissement, pour commencer à travailler de suite.
BONAPARTE.
Le 16 thermidor an 6 (13 août 1798).
Au général Reynier.
Mon intention est, citoyen général, que le génie et l'artillerie travaillent à la construction d'une forteresse qui mette les magasins que j'ai l'intention de réunir à Salehieh à l'abri d'une attaque de vive force, et dans le cas d'être gardés par moins de mille hommes.
Jusqu'alors vous sentez qu'il est indispensable que vous occupiez en force le point désigné, et que vous envoyiez des espions en Syrie pour vous tenir au fait de tous les mouvemens que l'on pourrait faire de ce côté-là.
Vous vous mettrez en correspondance suivie avec Damiette, qui est plus à même d'en recevoir par mer, et vous reconnaîtrez bien la position de Salehieh par rapport à la mer et aux différens canaux du Nil.
Le général Dugua, avec sa division, va à Mansoura, et le général Vial va à Damiette. Quand vous aurez reconnu la route qui de la mer conduit à Salehieh, on pourra ordonner à une frégate et à un ou plusieurs avisos de se tenir toujours à portée de ce point, et l'on pourra par là vous faire passer du vin, du canon, des outils, que nous avons à Alexandrie, ainsi que les bagages de votre division.
Vous répandrez, soit dans votre province, soit en Syrie, le plus de mes proclamations que vous pourrez, et vous prendrez des mesures pour que tous les voyageurs qui arrivent de Syrie vous soient amenés, afin que vous puissiez les interroger.
Indépendamment de ces fonctions militaires, vous en aurez encore d'administratives à remplir, en organisant la province de Salehieh dont le chef-lieu est à Belbeis.
Il faut commencer par vous mettre en correspondance avec toutes les tribus arabes, afin de connaître les camps qu'ils occupent, les champs qu'ils cultivent, et dès lors le mal que vous pourrez leur faire lorsqu'ils désobéiront à vos ordres.
Cela fait, il faudra remplir deux buts: le premier de leur ôter le plus de chevaux possible; le second de les désarmer.
Vous ne leur laisserez entrevoir l'intention de leur ôter leurs chevaux que peu à peu, en en demandant d'abord une certaine quantité pour remonter notre cavalerie, et, cela obtenu, il sera possible de prendre d'autres mesures; mais auparavant il faut que vous vous occupiez de connaître les intérêts qui les lient à nous; ce qui seul vous fera connaître les menaces et le mal que vous pouvez leur faire.
Je vous envoie une ordonnance de 2,000 fr. pour pouvoir subvenir aux dépenses extraordinaires d'espions à envoyer en Syrie.
BONAPARTE.
Le 28 thermidor an 6 (15 août 1798).
Au général Dupuy.
Vous voudrez bien, citoyen général, prendre de nouvelles précautions pour vous assurer que Coraïm ne vous échappera pas: après quoi vous lui ferez subir un interrogatoire, dans lequel vous lui demanderez qu'il réponde positivement: 1°. a-t-il écrit à Mourad-Bey depuis qu'il nous a juré fidélité? 2°. à quels mameloucks a-t-il écrit depuis qu'il nous a juré fidélité? 3°. quelle espèce de correspondance a-t-il eue avec les Arabes de Bahiré?
BONAPARTE.
Le 28 thermidor an 6 (15 août 1798).
Au général Dupuy.
Je vous prie, citoyen général, de me faire connaître ce qu'a produit le désarmement.
Je désirerais également connaître les mesures efficaces que vous pensez qu'on pourrait prendre pour se procurer des chevaux: vous pourrez faire prendre tous les chevaux, armes et chameaux qui pourraient se trouver dans les maisons des femmes avec lesquelles nous avons traité. Ces trois objets sont objets de guerre.
BONAPARTE.
Le 28 thermidor an 6 (15 août 1798).
Au général Ganteaume.
Le tableau de la situation dans laquelle vous vous êtes trouvé, citoyen général, est horrible. Quand vous n'avez point péri dans cette circonstance, c'est que le sort vous destine à venger un jour notre marine et nos amis; recevez-en mes félicitations: c'est le seul sentiment agréable que j'aie éprouvé depuis avant-hier. J'ai reçu, à mon avant-garde, à trente lieues du Caire, votre rapport, qui m'a été apporté par l'aide-de-camp du général Kléber.
BONAPARTE.
Le 28 thermidor an 6 (15 août 1798).
Au contre-amiral Ganteaume.
Vous prendrez, citoyen général, le commandement de tout ce qui reste de notre marine, et vous vous concerterez avec l'ordonnateur Leroy pour l'armement et l'approvisionnement des frégates l'Alceste, la Junon, la Carrère, la Muiron, les vaisseaux le Dubois et le Causse, et toutes les autres frégates, bricks ou avisos qui nous restent.
Vous nommerez tous les commandans; vous ferez tout ce qu'il vous sera possible pour retirer de la rade d'Aboukir les débris qui peuvent y rester.
Vous ferez partir de suite sur un aviso, pour Corfou et de là pour Ancolie, les dépêches que porte le courrier que j'ai expédié il y a quinze jours du Caire, et que l'on m'assure être encore à Rosette. Vous adresserez au ministre de la marine une relation de l'affaire, telle qu'elle a eu lieu.
Je brûle du désir de conférer avec vous; mais, avant de vous donner l'ordre de venir au Caire, j'attendrai quelques jours, mon intention étant, s'il est possible, de me porter moi-même à Alexandrie.
Envoyez-moi l'état des officiers, des matelots et des bâtimens qui nous restent.
Vous sentez qu'il est essentiel que vous fassiez prévenir de suite Malte et Corfou de ce qu'aura fait le général Villeneuve, afin que ces îles se tiennent en surveillance et à l'abri d'une surprise.
Je pense bien qu'à l'heure qu'il est, les Anglais se seront retirés avec leur proie.
BONAPARTE.
Le 28 thermidor an 6 (15 août 1798)
Au citoyen Leroy,
Je vous envoie par une chaloupe canonnière 100,000 fr. pour servir aux travaux les plus pressans de la marine. Il est indispensable que vous vous concertiez avec le contre-amiral Ganteaume pour armer en guerre le Dubois, le Causse, la Carrère, la Muiron; il faudra doubler en cuivre les deux dernières, qui doivent avoir le doublage. Le contre-amiral Ganteaume nommera au commandement de ces différens bâtimens. Vous ne devez pas être embarrassé d'en organiser les équipages avec les débris de l'escadre.
J'imagine que l'Alceste n'a besoin de rien. Vous aurez déjà sans doute fait travailler à la Junon. Dès l'instant que vous aurez des nouvelles de la route qu'aura tenue le contre-amiral Villeneuve, vous me la ferez connaître. Envoyez-moi aussi l'état de tous les bâtimens et de tous les matelots échappés, soit de l'escadre, soit des convois qui se trouvent à Rosette.
Indépendamment des sommes que le général Kléber vous fera remettre des contributions d'Alexandrie et de celles qui nous reviendront de la contribution frappée à Damiette, je vous ferai toucher toutes les décades 100,000 fr. Il est arrivé à Rosette cinquante djermes chargées de blés et de légumes, que, dès mon arrivée au Caire, j'avais envoyées à l'amiral Brueys pour approvisionner l'escadre; je donne ordre au général Menou de les tenir à votre disposition, et de faire tout ce qu'il pourra pour les faire passer à Alexandrie. Faites de votre côté tout ce qui sera possible pour favoriser ce passage, afin que vous ayez à Alexandrie les approvisionnemens nécessaires pour cette grande quantité d'hommes.
BONAPARTE.
Le 18 thermidor an 6 (15 août 1798).
Au général Kléber.
Vous devez sans doute, à l'heure qu'il est, avoir reçu la réponse a toutes vos lettres, et vous aurez vu mon aide-de-camp Julien, qui est parti d'ici, il y a douze jours.
J'ai appris la journée du 14, avant-hier 26, par votre aide-de-camp, qui m'a trouvé à Salehieh, à trente-trois lieues du Caire. Je n'ai pas perdu un instant à m'y rendre.
Je vous ai écrit souvent, et comme la plupart de vos lettres me sont parvenues toutes à la fois, j'espère qu'il en aura été de même des miennes.
J'ai envoyé l'adjudant-général Brives à Rahmanieh avec un bataillon.
Vous devez avoir reçu une grande quantité de monde aujourd'hui à Alexandrie.
J'envoie 100,000 fr. à l'ordonnateur Leroy pour les premiers besoins de l'armement.
J'ordonne que l'on vous fasse passer de Rosette tous les vivres que l'on y avait envoyés pour l'approvisionnement de l'escadre.
Après cinq ou six marches, nous avons poussé Ibrahim-Bey dans les déserts de Syrie; nous avons dégagé une partie de la caravane qu'il avait retenue, et lui-même avec tous ses trésors et ses femmes a failli tomber en notre pouvoir.
Il nous reste encore à détruire Mourad-Bey, qui occupe la Haute-Égypte, et à soumettre l'intérieur du Delta, où plusieurs partisans des beys se trouvent encore les armes à la main.
L'argent est extrêmement rare dans ce pays, et j'ai ordonné à l'ordonnateur Leroy et au contre-amiral Ganteaume de pousser le plus vivement qu'ils pourront l'armement des vaisseaux le Dubois et le Causse, et celui des avisos, bricks ou frégates qui nous restent encore.
L'adjudant-général Brives et sa colonne sont à vos ordres: si les Anglais laissent des forces dans ces parages et interceptent nos communications avec Rosette, il devient indispensable d'occuper les villages d'Aboukir en force, afin que vous puissiez communiquer avec Rosette par terre.
Le général Manscourt se rend à Alexandrie: c'est un général d'artillerie qui pourra vous servir pour l'armement de la côte; il pourra d'ailleurs prendre des renseignemens sur le pays, pour vous remplacer lorsque les circonstances permettront que vous nous rejoigniez.
Je ferai filer des troupes dès l'instant que cela sera possible, du côté de Rosette, pour pouvoir vous seconder; mais vous devez, d'ici à plusieurs jours, ne pas y compter: ainsi tirez parti de vos propres forces.
Je n'ai point reçu de vos lettres depuis celles que m'a remises votre aide-de-camp: ainsi j'ignore jusqu'à quel point les Anglais ont été maltraités, et quelle est la quantité de troupes et d'équipages qui s'est réfugiée à Alexandrie.
J'ai écrit à Ganteaume d'instruire Malte et Corfou de tous les détails de cette affaire, afin que ces îles restent en surveillance. L'on m'apprend que le courrier que j'ai expédié d'ici, il y a quinze jours, est encore à Rosette. J'ai écrit au contre-amiral de l'expédier le plus tôt possible pour Corfou, d'où il passera en Italie. Coraïm est arrivé ici; je l'ai fait enfermer. Vous ne devez pas avoir eu de difficulté à avoir les 300,000 fr auxquels j'ai imposé Alexandrie; il faudra cependant soustraire de cette somme 100,000 fr. que vous avez déjà touchés.
Les choses dans ce pays ne sont pas encore assises, et chaque jour y porte une amélioration considérable. Je suis fondé à penser que, quelques jours encore, nous commencerons à être maîtres du pays.
L'expédition que nous avons entreprise exige du courage de plus d'un genre. Le général de brigade Vial occupe Damiette.
BONAPARTE.
Au Caire, le 28 thermidor an 6 (15 août 1798).
Au général Menou.
Vous ferez partir, citoyen général, pour Alexandrie tous les blés et autres approvisionnemens qui étaient chargés sur les djermes, et qui étaient destinés pour l'escadre.
Vous devez avoir reçu plusieurs de mes lettres par mon aide-de-camp Jullien, qui est parti d'ici il y a quinze jours.
Dans une, je vous disais de percevoir une contribution de 100,000 fr. sur le commerce de Rosette, pour subvenir à nos besoins.
La djerme de poste vient d'arriver et ne porte aucune de vos lettres: veillez, je vous prie, à ce qu'aucun courrier ne parte de Rosette sans aller vous demander vos ordres, et qu'il y ait toujours un billet de vous ou d'un officier de votre état-major.
L'aide-de-camp du général Kléber ne m'a appris que le 26, à Salehieh, où je me trouvais, la nouvelle de la journée du 14.
Je ne fais que d'arriver au Caire; j'espère cette nuit recevoir de vos lettres qui m'instruisent de la perte réelle des Anglais.
BONAPARTE.
Au Caire, le 28 thermidor an 6 (15 août 1798).
Au contre-amiral Ganteaume.
Je vous préviens, citoyen général, que j'ai donné ordre de vous envoyer 15,000 fr., qui sont partis aujourd'hui dans la même caisse que les 100,000 fr. de l'ordonnateur Leroy.
Vous vous servirez de ces 15,000 fr. pour distribuer aux officiers de l'armée navale qui auraient le plus de besoins. Vous garderez 3,000 fr. pour vos besoins particuliers.
BONAPARTE.
Au Caire, le 28 thermidor an 6 (15 août 1798).
Au général Menou.
Je donne ordre au payeur de vous envoyer 15,000 fr. pour distribuer aux individus de l'escadre qui auraient le plus de besoins et qui se seraient réfugiés à Rosette, et pour activer l'arrivée au Caire de tous les objets nécessaires à l'armée, et à Alexandrie, de tous les objets nécessaires à son approvisionnement.
BONAPARTE.
Au Caire, le 29 thermidor an 6 (16 août 1798).
Au général Zayonscheck.
J'ai reçu, citoyen général, à mon retour de Salehieh, votre lettre. J'espère qu'après les avantages que nous avons remportés sur Ibrahim-Bey, que nous avons poussé à plus de quarante lieues, et obligé de passer le désert de Syrie, après l'avoir blessé et après avoir tué Aly-Bey, les habitans de votre province deviendront plus traitables.
Le général Dugua, qui doit être arrivé à Mansoura, se rendra lui-même à Mehal-el-Kebir, pour soumettre la province de Garbié. Le général Fugières s'y rendra dès l'instant qu'il saura que le général Dugua est en marche; cela nécessitera quelques jours encore sa présence à Menouf.
Je n'ai pas vu avec plaisir la manière avec laquelle vous vous êtes conduit envers le Cophte: mon intention est qu'on ménage ces gens-là et qu'on ait des égards pour eux. Prononcez les sujets de plainte que vous avez contre lui, je le ferai remplacer.
Je n'approuve pas non plus que vous ayez fait arrêter le divan sans avoir approfondi s'il était coupable ou non; il a fallu le relâcher douze heures après: ce n'est pas le moyen de se concilier un parti. Étudiez les peuples chez lesquels vous êtes, distinguez ceux qui sont les plus susceptibles d'être employés; faites quelquefois des exemples justes et sévères, mais jamais rien qui approche du caprice et de la légèreté. Je sens que votre position est souvent embarrassante, et je suis plein de confiance dans votre bonne volonté et votre connaissance du coeur humain; croyez que je vous rends la justice qui vous est due.
BONAPARTE.
Au Caire, le 29 thermidor an 6 (16 août 1798).
Au général Rampon.
Je vous envoie, citoyen général, des souliers et du biscuit; on vous a envoyé des cartouches.
Le général Desaix, avec sa division, s'embarque dans la nuit de demain pour se rendre à Benecouef: par-là vous vous trouverez couvert, et reprendrez sans inconvénient la position d'Alfieli, et punirez le scheick de la conduite perfide qu'il a tenue.
Je connais trop l'esprit qui anime les trois bataillons que vous commandez, pour douter qu'ils ne fussent fâchés que je donnasse à d'autres le soin de les venger de la trahison infâme des habitans d'Alfieli.
BONAPARTE.
Au Caire, le 30 thermidor an 6 (17 août 1798)
Au général Chabot.
Je reçois, citoyen général, votre lettre du 25 messidor: j'y vois que le Fortunatus est arrivé avec deux bâtimens chargés de bois; je vous prie de continuer à nous en envoyer.
Le contre-amiral Villeneuve, avec une partie de l'escadre, est arrivé à Corfou.
Je ne doute pas que vous ne lui accordiez tous les secours et approvisionnemens qu'il doit attendre. Dans ce cas, félicitez-le, de ma part, sur le service qu'il a rendu dans cette circonstance, en conservant à la république un aussi bon officier et d'aussi bons bâtimens.
Vous lui direz que je désire qu'il fasse armer le plus tôt possible le bâtiment de guerre qui est à Corfou, et qu'il envoie l'ordre a Ancône pour que les trois bâtimens de guerre et les frégates qui y sont, se rendent également à Corfou, afin de pouvoir ainsi commencer à réorganiser une escadre. Nous faisons armer les vaisseaux et les frégates qui se trouvent dans le port d'Alexandrie. Plusieurs vaisseaux de guerre et frégates, partis de Toulon, vont arriver à Malte, où il y a également quelques vaisseaux de guerre et frégates: mon intention est de réunir tous ces vaisseaux à Corfou.
Écrivez de ma part au général Brune, pour qu'il fasse mettre, sur nos vaisseaux d'Ancône, de bonnes garnisons de troupes, et mettez-en vous-même sur ceux qu'a amenés le contre-amiral Villeneuve. Je ne lui écris pas à lui-même, parce que je ne suis pas assuré qu'il se trouve à Corfou; mais s'il s'y trouve, cette lettre lui sera commune. Tout ici va parfaitement bien, et commence même à s'organiser: notre conquête se consolide tous les jours.
Faites-moi connaître, le plus souvent que vous pourrez, ce qui se passe en Turquie, et surtout du côté de Passwan-Oglou. En général, quand vous m'écrirez, envoyez-moi les journaux que vous aurez, et une note de ce que vous aurez appris, car ici nous sommes très-souvent sans nouvelles de France.
J'ai vu avec plaisir que les choses vont bien dans votre division. Les troupes qui vous sont arrivées, sont un renfort bien précieux dans ce moment-ci.
Faites faire la plus grande quantité de biscuit que vous pourrez; je vous enverrai des blés le plus tôt qu'il me sera possible; d'ailleurs, je vois par votre état de situation, que vous en avez sept cents quintaux, en approvisionnement de siège.
BONAPARTE.
Au Caire, le 1er fructidor an 6 (18 août 1798).
Au général Marmont.
Vous vous rendrez, citoyen général, le plus tôt possible à Rosette.
En passant à Rahmanieh, vous vous aboucherez avec l'adjudant-général Brives, afin d'avoir des nouvelles, soit d'Alexandrie, soit de la province de Damanhour.
Si l'expédition que j'ai ordonnée sur le Damanhour n'avait pas réussi, vous débarqueriez a Rahmanieh, et vous prendriez le commandement de toutes les colonnes mobiles; vous dissiperiez les attroupemens de toute la province de Damanhour, et puniriez les habitans de cette ville pour la manière dont ils se sont conduits avec le général Dumuy.
Si, comme je dois le présumer, il n'y a rien de nouveau à Rahmanieh, et que l'adjudant-général Brives soit à Damanhour ou à Rahmanieh, vous lui donnerez de vos nouvelles en l'instruisant que le but de votre mission est d'entretenir la communication du canal de Rahmanieh à Alexandrie, afin que les eaux y coulent; ainsi que la communication de Rosette à Alexandrie.
Arrivé a Rosette, votre premier soin sera de visiter la barre du Nil, et de vous assurer si l'on y a placé les batteries et chaloupes nécessaires pour le mettre à l'abri des corsaires et chaloupes anglaises.
Vous vous trouverez sous les ordres du général Menou pour les opérations qu'il jugera à propos de faire, soit pour la sûreté de la ville, soit pour celle des villages environnans: de là vous vous rendrez à Aboukir; vous verrez s'il y a quelque chose à faire pour perfectionner les retranchemens du fort, et rendre plus commode la rade d'Aboukir à Rosette.
De là vous vous rendrez à Alexandrie; vous vous trouverez sous les ordres du général Kléber, pendant votre séjour dans cette ville, soit pour les mesures qu'il voudrait prendre dans la ville, soit pour quelque opération contre les Arabes, soit pour quelque opération le long du canal qui va à Rahmanieh. Mon intention est que, de retour à Aboukir et à Rosette, vous restiez dans cette dernière ville, jusqu'à ce que l'escadre anglaise ait disparu, et que la communication par mer soit à peu près rétablie.
Ainsi, le but de votre opération est de former une colonne mobile propre à observer les mouvemens de l'escadre anglaise, et à assurer la bouche du Nil de la branche de Rosette, d'empêcher toute communication entre les Anglais et les Arabes par Aboukir, de rendre facile la communication de Rosette à Aboukir, d'offrir une réserve pour dissiper les rassemblemens qui se formeraient dans la province de Rahmanieh, de punir la ville de Damanhour, et enfin de protéger l'écoulement des eaux le long du canal, le seul qui procure de l'eau à Alexandrie.
Vous m'enverrez, de Rahmanieh, un mémoire sur le temps où les eaux entrent dans ce canal, sur les obstacles que les Arabes pourraient mettre à l'écoulement des eaux, et sur la situation de la province de Rahmanieh.
J'ai déjà ordonné plusieurs fois que tous les magasins qui se trouvent à Rahmanieh filassent sur Rosette et sur Alexandrie. Vous me ferez connaître spécialement si le canal qui va de Rahmanieh à Alexandrie peut porter des djermes.
Je vous ordonne, à votre retour à Alexandrie, de rester à Rosette de préférence, afin que, si cela était nécessaire, vous pussiez vous porter entre les deux branches du Nil, et vous opposer aux incursions que pourraient faire les Anglais pour tenter de s'approvisionner de Rosette, d'Aboukir et d'Alexandrie.
Vous m'écrirez, dans le plus grand détail, pour me faire connaître la situation des Anglais, et la manière dont notre escadre s'est comportée dans le combat.
En parlant, soit aux généraux, soit aux marins, soit aux soldats, vous aurez soin de dire et de faire tout ce qui peut encourager.
Ayez soin surtout de voir et de conférer avec le contre-amiral Ganteaume, et vous me ferez connaître ce qu'il pense que feront les Anglais, ce qu'il pense qu'a fait Villeneuve, ce qu'il pense de la conduite de notre escadre et de celle des Anglais. Témoignez-lui l'estime que j'ai pour lui et le plaisir que j'ai eu à apprendre qu'il était sauvé.
Vous direz à Brives de faire entrer le plus de vivres qu'il pourra à Damanhour et à Rosette, en y envoyant soit du blé, soit de la viande.
Je m'en rapporte à votre zèle et à vos talens pour la conduite que vous tiendrez.
BONAPARTE.
Au Caire, le 1er. fructidor an 6 (18 août 1798).
Au général Perrée.
Vous partirez, citoyen général, cette nuit, avec deux bâtimens armés, et la quantité de djermes nécessaires pour porter la colonne du général Marmont.
Arrivé à Rosette, vous me rendrez compte si les batteries que l'on y a établies, sont suffisantes pour empêcher les avisos et chaloupes anglaises de venir nous troubler.
Vous prendrez, des officiers et matelots qui sont à Rosette, tous les détails sur le combat de l'escadre, et vous me les ferez connaître; vous irez à Aboukir avec le général Marmont, afin de prendre une connaissance exacte sur la position qu'occupe l'escadre anglaise, des vaisseaux qui sont brûlés, de ceux qui restent, et enfin de tout ce qu'ils ont fait ou de ce qu'ils ont l'air de faire.
Vous ferez partir de Rosette la Cisalpine, que vous enverrez en Italie porter un de mes courriers. Vous direz au capitaine, que s'il me rapporte la réponse de Paris à ce courrier, je lui donnerai mille louis.
Vous lui tracerez une instruction sur le chemin qu'il doit tenir.
Vous resterez, jusqu'à nouvel ordre, à Rosette, afin de faciliter autant qu'il sera possible la communication par mer d'Alexandrie à Rosette, celle de Rosette au Caire, et de me faire parvenir promptement les nouvelles intéressantes qu'il pourrait y avoir.
BONAPARTE.
Au Caire, le 1er fructidor an 6 (18 août 1798).
Au général Menait.
Ce soir, le général de brigade Marmont, avec la quatrième demi-brigade, part pour se rendre à Rosette et y observer les mouvemens des Anglais.
Le contre-amiral Perrée se rend à Rosette avec deux avisos; j'espère que dès l'instant que le général Marmont sera arrivé à Rosette, on pourra empêcher les Anglais d'avoir aucune communication avec les Arabes.
J'ai appris, par voie indirecte, qu'un de mes derniers courriers avait été arrêté par les Anglais, et qu'il n'avait pas eu l'esprit de jeter ses paquets à la mer. J'ai appris également indirectement que deux cents hommes étaient arrivés d'Alexandrie à Rosette, J'en vous veux un peu de mal de ce que ce n'est pas vous ou votre état-major qui m'ayez fait part de ces nouvelles. Vous sentez combien, dans ces circonstances, les moindres choses sont essentielles.
L'adjudant-général Jullien et l'aide-de-camp du général Kléber, avec une caisse de 130,000 fr., dont la majeure partie est destinée pour le citoyen Leroy, ordonnateur de la marine, sont partis avant-hier, sur un aviso; ils doivent être arrivés à l'heure qu'il est.
Écrivez-moi, je vous prie, citoyen général, souvent et longuement; faites passer à Alexandrie la plus grande quantité de riz qu'il vous sera possible.
Je n'ai pas encore reçu le plan que j'avais tant recommandé que l'on m'envoyât promptement, de Rosette à la mer.
Tout ici va parfaitement bien. La fête que l'on y a célébrée pour l'ouverture du canal du Nil, a paru faire plaisir aux habitans.
BONAPARTE.
Au Caire, le 1er fructidor an 6 (18 août 1798).
Au général Reynier.
Je reçois votre lettre du 26, par laquelle vous m'annoncez qu'Ibrahim-Bey était, le 27, à plusieurs journées de Salehieh.
Je vous ai envoyé du riz, de la farine et quatre mille rations de bon biscuit; j'imagine qu'à l'heure qu'il est, vos fours sont faits, et que vous ne manquez point de pain.
Le parti que vous avez pris de retrancher la mosquée est extrêmement sage; vous avez dû recevoir six pièces de canon turques qui vous serviront à cet objet.
Ne gardez pas de chameaux qui vous soient inutiles, parce que cela vous priverait des moyens de vous approvisionner.
BONAPARTE.
Au Caire, le 1er fructidor an 6 (8 août 1798).
Au consul français à Tripoli.
J'ai reçu, citoyen consul, votre lettre du 13 messidor: depuis la prise de Malte, nous avons pris Alexandrie, battu les mameloucks, pris le Caire, et nous nous sommes emparés de toute l'Égypte.
Les Anglais ayant battu notre escadre, ont dans ce moment la supériorité dans ces mers, ce qui m'engage à vous prier d'expédier un courrier pour se rendre, soit à Malte, soit à Civita-Vecchia, soit à Cagliari, d'où il regagnera facilement Toulon.
Je vous envoie une copie de la lettre à faire partir; vous direz que l'armée de terre est victorieuse et bien établie en Égypte, sans maladies et sans perte de monde, que je me porte bien, et qu'on n'ajoute pas foi en France aux bruits que l'on fait courir. Expédiez-moi de Tripoli un courrier pour me faire parvenir les nouvelles que vous aurez de France, et écrivez à Malte pour qu'on envoie toutes les gazettes que l'on y reçoit et que vous me ferez parvenir.
Il est indispensable que vous nous expédiiez, au moins une fois toutes les décades, un courrier qui ira par mer jusqu'à Derne, et de là traversera le désert. Je vous ferai rembourser tous les frais que cela vous occasionera. Je n'ose aventurer de l'argent au travers du désert; mais si vous trouvez un négociant de Tripoli qui ait besoin d'avoir 6,000 fr. au Caire, vous pouvez les prendre et tirer une lettre de change sur moi. D'ailleurs, je paierai bien tous les courriers qui m'apporteront des nouvelles intéressantes.
Faites connaître au bey que demain nous célébrons la fête du prophète avec la plus grande pompe. La caravane de Tripoli part également demain; je l'ai protégée, et elle a eu à se louer de nous.
Engagez le bey à envoyer beaucoup de vivres à Malte, des moutons à Alexandrie, et à faire savoir aux fidèles que les caravanes sont protégées par nous, et que l'émir-aga est nommé.
BONAPARTE.
Au Caire, le 2 fructidor an 6 (19 août 1798).
Au directoire exécutif.
Le 18 thermidor, j'ordonnai à la division du général Reynier de se porter à Elkhankah, pour soutenir le général de cavalerie Leclerc, qui se battait avec une nuée d'Arabes à cheval, et de paysans du pays qu'Ibrahim-Bey était parvenu à soulever. Il tua une cinquantaine de paysans, quelques Arabes, et prit position au village d'Elkhankah. Je fis partir également la division commandée par le général Lannes et celle du général Dugua.
Nous marchâmes à grandes journées sur la Syrie, poussant toujours devant nous Ibrahim-Bey et l'armée qu'il commandait.
Avant d'arriver à Belbeis, nous délivrâmes une partie de la caravane de la Mecque, que les Arabes avaient enlevée et conduisaient dans le désert, où ils étaient déjà enfoncés de deux lieues. Je l'ai fait conduire au Caire sous bonne escorte. Nous trouvâmes à Qouréyn une autre partie de la caravane, toute composée de marchands qui avaient été arrêtés d'abord par Ibrahim-Bey, ensuite relâchés et pillés par les Arabes. J'en fis réunir les débris et je la fis également conduire au Caire. Le pillage des Arabes à dû être considérable; un seul négociant m'assura qu'il perdait en schalls et autres marchandises des Indes, pour deux cent mille écus. Le négociant avait avec lui, suivant l'usage du pays, toutes ses femmes. Je leur donnai à souper, et leur procurai les chameaux nécessaires pour leur voyage ou Caire. Plusieurs paraissaient avoir une assez bonne tournure; mais le visage était couvert, selon l'usage du pays, usage auquel l'armée s'accoutume le plus difficilement,
Nous arrivâmes à Ssalehhyeh, qui est le dernier endroit habité de l'Égypte où il y ait de bonne eau. Là commence le désert qui sépare la Syrie de l'Égypte.
Ibrahim-Bey, avec son armée, ses trésors et ses femmes, venait de partir de Ssalehhyeh. Je le poursuivis avec le peu de cavalerie que j'avais. Nous vîmes défiler devant nous ses immenses bagages. Un parti d'Arabes de cent cinquante hommes, qui étaient avec eux, nous proposa de charger avec nous pour partager le butin. La nuit approchait, nos chevaux étaient éreintés, l'infanterie très-éloignée; nous leur enlevâmes les deux pièces de canon qu'ils avaient, et une cinquantaine de chameaux chargés de tentes et de différens effets. Les mameloucks soutinrent la charge avec le plus grand courage. Le chef d'escadron d'Estrées, du septième régiment de hussards, a été mortellement blessé; mon aide-de-camp Shulkouski a été blessé de sept à huit coups de sabre et de plusieurs coups de feu. L'escadron monté du septième de hussards et du vingt-deuxième de chasseurs, ceux des troisième et quinzième de dragons, se sont parfaitement conduits. Les mameloucks sont extrêmement braves et formeraient un excellent corps de cavalerie légère; ils sont richement habillés, armés avec le plus grand soin, et montés sur des chevaux de la meilleure qualité. Chaque officier d'état-major, chaque hussard a soutenu un combat particulier. Lasalle, chef de brigade du vingt-deuxième, laissa tomber son sabre au milieu de la charge; il fut assez adroit et assez heureux pour mettre pied à terre et se trouver à cheval pour se défendre et attaquer un des mameloucks les plus intrépides. Le général Murat, le chef de bataillon, mon aide-de-camp Duroc, le citoyen Leturcq, le citoyen Colbert, l'adjudant Arrighi, engagés trop avant par leur ardeur dans le plus fort de la mêlée, ont couru les plus grands dangers.
Ibrahim-Bey traverse dans ce moment-ci le désert de Syrie; il a été blessé dans ce combat.
Je laissai à Salehieh la division du général Reynier et des officiers du génie, pour y construire une forteresse, et je partis le 26 thermidor pour revenir au Caire. Je n'étais pas éloigné de deux lieues de Salehieh, que l'aide-de-camp du général Kléber arriva et m'apporta la nouvelle de la bataille qu'avait soutenue notre escadre, le 14 thermidor. Les communications sont si difficiles, qu'il avait mis onze jours pour venir.
Je vous envoie le rapport que m'en fait le contre-amiral Ganteaume. Je lui écris, par le même courrier, à Alexandrie, de vous en faire un plus détaillé.
Le 18 messidor, je suis parti d'Alexandrie. J'écrivis à l'amiral d'entrer sous les vingt-quatre heures, dans le port d'Alexandrie, et, si son escadre ne pouvait pas y entrer, de décharger promptement toute l'artillerie et tous les effets appartenans à l'armée de terre, et de se rendre a Corfou.
L'amiral ne crut pas pouvoir achever le débarquement dans la position où il était, étant mouillé dans le port d'Alexandrie sur des rochers, et plusieurs vaisseaux ayant déjà perdu leurs ancres; il alla mouiller à Aboukir, qui offrait un bon mouillage. J'envoyai des officiers du génie et d'artillerie qui convinrent avec l'amiral que la terre ne pouvait lui donner aucune protection, et que, si les Anglais paraissaient pendant les deux ou trois jours qu'il fallait qu'il restât à Aboukir, soit pour décharger notre artillerie, soit pour sonder et marquer la passe d'Alexandrie, il n'y avait pas d'autre parti à prendre que de couper ses câbles, et qu'il était urgent de séjourner le moins possible à Aboukir.
Je suis parti d'Alexandrie dans la ferme croyance que, sous trois jours, l'escadre serait entrée dans le port d'Alexandrie, ou aurait appareillé pour Corfou. Depuis le 18 messidor jusqu'au 6 thermidor, je n'ai reçu aucune nouvelle ni de Rosette, ni d'Alexandrie, ni de l'escadre. Une nuée d'Arabes, accourus de tous les points du désert, étaient constamment à cinq cents toises du camp. Le 9 thermidor, le bruit de nos victoires et différentes dispositions rouvrirent nos communications. Je reçus plusieurs lettres de l'amiral, où je vis avec étonnement qu'il se trouvait encore à Aboukir. Je lui écrivis sur-le-champ pour lui faire sentir qu'il ne devait pas perdre une heure à entrer à Alexandrie, ou à se rendre à Corfou.
L'amiral m'instruisit, par une lettre du 2 thermidor, que plusieurs vaisseaux anglais étaient venus le reconnaître, et qu'il se fortifiait pour attendre l'ennemi, embossé à Aboukir. Cette étrange résolution me remplit des plus vives alarmes; mais déjà il n'était plus temps, car la lettre que l'amiral écrivait le 2 thermidor ne m'arriva que le 12. Je lui expédiai le citoyen Jullien, mon aide-de-camp, avec ordre de ne pas partir d'Aboukir qu'il n'eût vu l'escadre à la voile. Parti le 12 il n'aurait jamais pu arriver à temps; cet aide-de-camp a été tué en chemin par un parti arabe qui a arrêté sa barque sur le Nil, et l'a égorgé avec son escorte.
Le 8 thermidor, l'amiral m'écrivit que les Anglais s'étaient éloignés; ce qu'il attribuait au défaut de vivres. Je reçus cette lettre par le même courrier, le 12.
Le 11, il m'écrivait qu'il venait enfin d'apprendre la victoire des Pyramides et la prise du Caire, et que l'on avait trouvé une passe pour entrer dans le port d'Alexandrie; je reçus cette lettre le 18.
Le 14, au soir, les Anglais l'attaquèrent; il m'expédia, au moment où il aperçut l'escadre anglaise, un officier pour me faire part de ses dispositions et de ses projets: cet officier a péri en route.
Il me paraît que l'amiral Brueys n'a pas voulu se rendre à Corfou, avant qu'il eût été certain de ne pouvoir entrer dans le port d'Alexandrie, et que l'armée dont il n'avait pas de nouvelles depuis long-temps, fût dans une position à ne pas avoir besoin de retraite. Si dans ce funeste événement il a fait des fautes, il les a expiées par une mort glorieuse.
Les destins ont voulu dans cette circonstance, comme dans tant d'autres, prouver que, s'ils nous accordent une grande prépondérance sur le continent, ils ont donné l'empire des mers à nos rivaux. Mais ce revers ne peut être attribué à l'inconstance de notre fortune; elle ne nous abandonne pas encore: loin de là, elle nous a servis dans toute cette opération au-delà de tout ce qu'elle a jamais fait. Quand j'arrivai devant Alexandrie avec l'escadre, et que j'appris que les Anglais y étaient passés en force supérieure quelques jours avant; malgré la tempête affreuse qui régnait, au risque de me naufrager, je me jetai à terre. Je me souvins qu'à l'instant où les préparatifs du débarquement se faisaient, on signala dans l'éloignement, au vent, une voile de guerre: c'était la Justice. Je m'écriai: «Fortune, m'abandonneras-tu? quoi, seulement cinq jours!» Je débarquai dans la journée; je marchai toute la nuit; j'attaquai Alexandrie à la pointe du jour avec trois mille hommes harrassés, sans canons et presque pas de cartouches; et, dans les cinq jours, j'étais maître de Rosette, de Damanhour, c'est-à-dire déjà établi en Égypte. Dans ces cinq jours, l'escadre devait se trouver à l'abri des forces des Anglais, quel que fût leur nombre. Bien loin de là elle reste exposée pendant tout le reste de messidor. Elle reçoit de Rosette, dans les premiers jours de thermidor, un approvisionnement de riz pour deux mois. Les Anglais se laissent voir en nombre supérieur pendant dix jours dans ces parages. Le 11 thermidor, elle apprend la nouvelle de l'entière possession de l'Égypte et de notre entrée au Caire; et ce n'est que lorsque la fortune voit que toutes ses faveurs sont inutiles qu'elle abandonne notre flotte à son destin.
BONAPARTE.
Au Caire, le 2 fructidor an 6 (19 août 1798).
À la citoyenne Brueys.
Votre mari a été tué d'un coup de canon, en combattant à son bord. Il est mort sans souffrir, et de la mort la plus douce, la plus enviée par les militaires.
Je sens vivement votre douleur. Le moment qui nous sépare de l'objet que nous aimons est terrible; il nous isole de la terre; il fait éprouver au corps les convulsions de l'agonie. Les facultés de l'âme sont anéanties, elle ne conserve de relation avec l'univers, qu'au travers d'un cauchemar qui altère tout. Les hommes paraissent plus froids, plus égoïstes qu'ils ne le sont réellement. L'on sent dans cette situation que si rien ne nous obligeait à la vie, il vaudrait beaucoup mieux mourir; mais, lorsqu'après cette première pensée, l'on presse ses enfans sur son coeur, des larmes, des sentimens tendres raniment la nature, et l'on vit pour ses enfans: oui, madame, voyez dès ce premier moment qu'ils ouvrent votre coeur à la mélancolie: vous pleurerez avec eux, vous éléverez leur enfance, cultiverez leur jeunesse; vous leur parlerez de leur père, de votre douleur, de la perte qu'eux et la république ont faite. Après avoir rattaché votre âme au monde par l'amour filial et l'amour maternel, appréciez pour quelque chose l'amitié et le vif intérêt que je prendrai toujours à la femme de mon ami. Persuadez-vous qu'il est des hommes, en petit nombre, qui méritent d'être l'espoir de la douleur, parce qu'ils sentent avec chaleur les peines de l'âme.
BONAPARTE.
Au Caire, le 3 fructidor an 6 (20 août 1798).
Au général Vial.
Vous avez mal fait de laisser cent hommes à Mansoura, c'était évidemment les compromettre.
La division du général Dugua aura sans doute dissipé les attroupemens et puni sévèrement les chefs d'attroupemens.
Je donne ordre à l'artillerie de vous faire passer six pièces de gros calibre et deux mortiers pour placer à l'embouchure du Nil. Organisez votre province le plus tôt possible; tenez toujours vos troupes réunies; vous pouvez laisser libre le commerce de Damiette à la Syrie, mais ayant soin qu'on n'y transporte pas les riz qui sont nécessaires à l'armée. Écrivez a Djezzar-Pacha et au pacha de Tripoli, que je vous ai chargé de leur annoncer que nous ne leur en voulons pas, encore moins aux musulmans et vrais croyans; qu'ils peuvent se tranquilliser et vivre en repos, et que j'espère qu'ils protégeront le commerce d'Égypte en Syrie, comme mon intention est de le protéger de mon côté: envoyez-leur ces lettres par des occasions sûres.
J'imagine que vous aurez eu soin que l'on célèbre avec plus de pompe encore la fête du prophète, qui est dans quatre ou cinq jours. La fête du Nil a été très-belle ici, celle du prophète le sera encore davantage.
BONAPARTE.
Au Caire, le 3 fructidor an 6 (20 août 1798).
Bonaparte, général en chef, ordonne:
Les citoyens Monge, Berthollet, Caffarelli et Geoffroy sont membres de l'institut national, ainsi que les citoyens Desgenettes et Andréossi. Ils se réuniront demain dans la salle de l'institut pour arrêter un règlement pour l'organisation de l'institut du Caire et désigner les personnes qui doivent le composer.
BONAPARTE.
Au Caire, le 4 fructidor an 6 (21 août 1798).
Au contre-amiral Villeneuve à Malte.
J'ai reçu, citoyen général, la lettre que vous m'avez écrite en mer, à ... lieues du cap de Celidonia. Si l'on pouvait vous faire un reproche, ce serait de n'avoir pas mis a la voile immédiatement après que l'Orient a sauté, puisque, depuis trois heures, la position que l'amiral avait prise, avait été forcée et entourée de tous côtés par l'ennemi.
Vous avez rendu dans cette circonstance, comme dans tant d'autres, un service essentiel à la république eu suivant une partie de l'escadre.
Les contre-amiraux Ganteaume et Duchayla sont à Alexandrie, ainsi que tous les matelots, canonniers, soldats de l'escadre, soit blessés, soit bien portans, tous les prisonniers ayant été rendus.
Les deux vaisseaux le Causse et le Dubois sont armés, ainsi que les frégates l'Alceste, la Junon, la Muiron, la Carrère, et les autres frégates vénitiennes.
Vous trouverez à Malte deux vaisseaux et une frégate; vous y attendrez l'arrivée de trois bâtimens de guerre vénitiens et de deux frégates, qui doivent venir de Toulon avec le convoi; vous ferez tous vos efforts et tout ce que vous croyez nécessaire pour nous le faire passer.
Mon projet est de réunir trois vaisseaux neufs que nous avons à Ancône, celui que nous avons à Corfou, et les deux que nous avons à Alexandrie dans le port, afin de pouvoir contenir, à tout événement, l'escadre turque, de chercher ensuite à les joindre avec les sept vaisseaux que vous vous trouverez avoir alors sous vos ordres, et dont la principale destination est dans ce moment de favoriser le passage des convois qui nous arrivent de France.
Je donne ordre au général Vaubois de vous fournir cent Français par vaisseau de guerre de plus, afin de pouvoir avec ce renfort mieux contenir votre équipage, que vous completterez de tous les matelots maltais que vous trouverez.
BONAPARTE.
Au Caire, le 4 fructidor en 6 (21 août 1798).
Au général Vaubois.
Il est indispensable, citoyen général, que vous fournissiez à l'amiral Villeneuve tout ce qui lui sera nécessaire, soit en approvisionnemens, soit en garnison, soit en matelots pour pouvoir ravitailler sa division.
Les communications sont extrêmement difficiles. Je n'ai point reçu de lettres de vous et fort peu de France; mais je compte assez sur votre zèle, pour ne pas douter que la place de Malte se trouve dans le meilleur état, et que vous employez tous vos moyens à captiver le peuple et à nous faire passer toutes les nouvelles qui pourront vous arriver de France.
BONAPARTE.
Au Caire, le 4 fructidor an 6 (21 août 1798).
Au général Ganteaume.
Je vous envoie, citoyen général, une lettre pour le contre-amiral Villeneuve, qui m'a écrit, à la hauteur du cap de Celidonia, qu'il se rendait à Malte. Je vous prie de la lui faire passer. Je vous prie de me faire connaître dans quel port la Marguerite a eu ordre de relâcher, et si vous pensez qu'elle soit arrivée.