Le citoyen Leroy ne m'envoie aucun état, de sorte que j'ignore absolument le nombre des matelots qui se trouvent dans le port d'Alexandrie. Les uns disent que les Anglais ont rendu tous les prisonniers de guerre: dès-lors, il devrait y avoir cinq ou six mille personnes de l'escadre à Alexandrie; je vous prie de me rendre un compte très-détaillé de l'événement qui a eu lieu, afin que je puisse en instruire le gouvernement. De tout ce que j'ai reçu jusqu'à présent, je n'ai pas de quoi faire la moindre relation. Quelle était la force des Anglais? avaient-ils des vaisseaux à trois ponts? combien de quatre-vingt? combien de soixante-quatorze? À l'heure qu'il est, j'imagine qu'ils sont partis. Combien et quels sont les vaisseaux qui ont été emmenés ou brûlés? qui sont ceux de nos principaux officiers qui se sont sauvés, qui sont tués ou qui sont prisonniers? Pourquoi le Franklin s'est-il rendu presque sans se battre?

Le Généreux, que le contre-amiral a emmené avec lui, est-il un bon vaisseau? Un vaisseau de quatre-vingts peut-il décidément entrer dans le port d'Alexandrie? L'amiral m'écrivait, le 11, qu'il croyait qu'il pouvait y entrer.

J'ai envoyé le citoyen Perrée à Rosette pour observer la position des Anglais et me rendre compte de son côté de ce qu'il verra.

Lorsque les Anglais auront quitté ces parages, s'ils n'y laissent pas une forte croisière, comme je pense qu'ils ne pourront le faire, ayant besoin de leur monde pour emmener tous nos vaisseaux, j'enverrai trois à quatre cents matelots à Ancône pour augmenter l'équipage des trois vaisseaux vénitiens qui s'y trouvent, et les conduire à Corfou et ensuite à Alexandrie. Vous les ferez accompagner d'un officier intelligent, et vous lui donnerez une instruction sur la route qu'il devra suivre.

Nous avons un vaisseau à Corfou, envoyez-y une trentaine de matelots pour augmenter les équipages, et donnez-lui des ordres pour, s'il y a possibilité, le faire réunir aux trois autres et le faire venir ici.

J'ai écrit au général Villeneuve de tâcher de réunir à Malte les trois vaisseaux vénitiens et les deux frégates que nous avons à Toulon, ce qui, joint aux deux vaisseaux, à la frégate maltaise, et à ce qu'il a avec lui, fera cinq vaisseaux de guerre et cinq frégates. Nos forces de la Méditerranée étant dans ces deux masses, nous verrons, dans le courant de l'hiver, ce qu'il nous sera possible de faire pour leur réunion et pour seconder l'opération ultérieure de l'armée.

BONAPARTE.



Au Caire, le 4 fructidor an 6 (21 août 1798).

À l'ordonnateur Leroy.

Je suis extrêmement mécontent, citoyen ordonnateur, de votre correspondance; deux ou trois lettres que je reçois de vous ne m'apprennent rien. Vous ne m'envoyez ni l'état approximatif des blessés, des morts, ni celui des prisonniers que nous ont rendus les Anglais; j'ignore absolument le nombre d'hommes réfugiés de notre escadre qui se trouvent dans ce moment à Alexandrie.

J'ignore également ce qui a été fait pour l'armement des deux bâtimens vénitiens, pour l'armement des deux frégates, et dans quelle situation se trouve le convoi.

Je vous prie de vouloir bien m'envoyer tous ces états dans le plus court délai.

BONAPARTE.



Au Caire, le 4 fructidor an 6 (21 août 1798).

Au contre-amiral Ganteaume.

Dès l'instant que vous aurez, citoyen général, expédié les ordres pour Corfou, et que vous aurez pris les états de situation du personnel et du matériel dans les ports d'Alexandrie, vous vous rendrez au Caire: avant de partir, conférez avec le citoyen Dumanoir.

Vous aurez soin d'écrire par toutes les occasions en France, et de rendre compte au directoire du combat naval qui a eu lieu. Notre position au Caire est extrêmement satisfaisante puisque nous avons perdu peu de monde, et que nos prisonniers nous sont tous rendus. Cet échec, si considérable qu'il soit, se réparera. Croyez à l'estime et à l'amitié que j'ai pour vous.

BONAPARTE.



Au Caire, le 4 fructidor an 6 (21 août 1798).

Au même.

Vous ferez partir, citoyen, aussitôt que cela sera possible., d'Alexandrie; sept ou huit avisos dans le genre du Cerf, du Pluvier, pour remonter le Nil à Rosette, et se rendre au Caire; vous y ferez embarquer deux cents matelots de surplus, pour pouvoir armer quelques bricks qui se trouvent ici.

BONAPARTE.



Au Caire, le 4 fructidor an 6 (21 août 1798).

Au général Menou.

Ni moi ni l'état-major, nous ne recevons aucun compte de vous; vous ne dites rien de ce qui se passe à Aboukir et à Rosette: cela en mérite pourtant bien la peine; et je ne suis instruis que par les oui-dire.

Je vous prie de vouloir bien envoyer a l'état-major un état de situation des corps qui composent la garnison, les hôpitaux; de m'instruire des mouvemens que feraient l'escadre à Aboukir ou les bâtimens anglais au Bogaz. Je n'ai aucun détail sur la communication de Rosette à Aboukir, quoique je sache d'un autre côté qu'elle est ouverte.

Je vous prie également de me faire connaître ce que sont devenues les lettres à l'amiral Brueys, que vous avez dû avoir dans les mains, et qui ne sont arrivées à Rosette que lorsque l'amiral n'y était plus.

Le citoyen Croizier a porté des lettres pour le général Kléber: ont-elles été remises au courrier? ce courrier avait aussi des lettres à l'amiral Brueys, les a-t-il emportées avec lui?

J'aurais dû être instruit dans le plus grand détail de tout ce qui se disait et se faisait d'essentiel. Dès l'instant que les Anglais seront partis d'Aboukir, ce qui ne peut tarder, si cela n'est pas déjà fait, favorisez autant qu'il vous sera possible l'arrivée de quelques pièces de 24 pour les mettre au Bogaz. Rosette est le seul point de l'armée sur lequel je n'aie aucune espèce de détails.

Vous pouvez faire partir pour le Caire tous les meubles de la commission des arts. Je ne vous enverrai des ordres pour quitter Rosette, que lorsque la province sera organisée et que l'embouchure du Nil pourra ne pas craindre d'insulte de quelque corsaire.

BONAPARTE.



Au Caire, le 4 fructidor an 6 (21 août 1798).

Au général Dommartin.

Je crois nécessaire, citoyen général, que votre partiez ce soir pour vous rendre à Rosette et de là à Alexandrie. Vous profiterez du moment où les Anglais laisseront libre la communication de Rosette à Alexandrie, pour faire passer une pièce de gros calibre et quatre mortiers à établir à l'embouchure de cette rivière, et enfin faire passer, indépendamment de ce que vous avez, du Caire à Damiette, huit autres pièces de gros calibre et quatre mortiers; pour faire également armer le fort d'Aboukir avec une très-bonne batterie de côte, et enfin augmenter et inspecter les fortifications et batteries d'Alexandrie, en ayant soin qu'on occupe le poste de l'île du Marabou. Votre présence sera d'ailleurs utile pour détruire beaucoup de faux bruits que l'on fait courir sur l'armée et sa position, et pour ranimer autant qu'il vous sera possible, les espérances et le courage de ceux qui en auront besoin.

BONAPARTE.



Au Caire, le 4 fructidor an 6 (21 août 1798).

À l'ordonnateur de la marine à Toulon.

L'amiral Ganteaume vous aura sans doute instruit, citoyen ordonnateur, de l'événement arrivé à l'escadre. Le général Villeneuve est allé, avec tout ce qu'il a sauvé, à Malte. L'ordonnateur Leroy vous rendra sans doute un compte détaillé du nombre des blessés et morts, et vous enverra l'état des marins qui sont à Alexandrie.

Je vous envoie une lettre pour madame Brueys: je vous prie de la lui remettre avec tous les ménagemens possibles. L'armée de terre est dans la plus brillante position, nous sommes maîtres de toute l'Égypte, et dès l'instant que nous aurons reçu le convoi que vous devez nous envoyer, il ne nous restera plus rien à désirer. J'ordonne au général Villeneuve de réunir dans le port de Malte et sous son commandement les deux vaisseaux maltais, les trois vaisseaux vénitiens et les frégates que nous avons à Toulon.

Je réunirai les vaisseaux vénitiens que nous avons à Ancône et celui que nous avons à Corfou, ainsi que les deux vaisseaux et les six frégates qui sont dans le port d'Alexandrie. Il n'y a eu que fort peu de blessés: ceux-ci ne montent qu'à huit cents. Tous les équipages qui ont été pris par les Anglais, sont presque tous rendus et existans à Alexandrie. Les trente ou quarante ouvriers que vous avez envoyés sont arrivés également.

Soyez assez aimable, je vous prie, pour faire connaître à ma femme, dans quelque lieu qu'elle se trouve, et à ma mère en Corse, que je me porte fort bien. J'imagine bien que l'on m'aura dit, en Europe, tué une douzaine de fois.

BONAPARTE.



Au Caire, le 4 fructidor an 6 (21 août 1798).

Au citoyen Menars, commissaire de la marine à Malte.

Je vois avec plaisir, citoyen commissaire, par votre lettre du 5 thermidor, que le Dego et la Carthaginoise sont prêts à partir. À l'heure qu'il est, le contre-amiral Villeneuve aura mouillé dans le port de Malte avec son escadre. J'espère aussi que vous travaillerez avec la plus grande activité à l'armement du troisième vaisseau, et qu'avant un mois il pourra augmenter l'escadre de l'amiral Villeneuve. Je vous prie de mettre dans cette circonstance plus de zèle et d'activité que dans toutes les autres. J'ai écrit en France pour qu'on vous fît passer 600,000 fr. et j'écris au général Vaubois pour qu'il vous aide de tous ses moyens. J'espère que vous serez bientôt joint par le reste de nos vaisseaux qui sont à Toulon.

Faites-nous parvenir par toutes les occasions des nouvelles de France; les petits bateaux qui côtoient la côte d'Afrique doivent pouvoir arriver sans difficultés.

BONAPARTE.



Au Caire, le 4 fructidor an 6 (21 août 1798).

Au général Kléber.

Je vous remercie, citoyen général, de votre sollicitude sur ma santé: elle n'a jamais, je vous assure, été meilleure. Les affaires ici vont parfaitement bien, et le pays commence à se soumettre.

J'ai appris la nouvelle de l'escadre onze jours après l'événement, et dès-lors ma présence n'y pouvait plus rien. Quant à Alexandrie, je n'ai jamais eu la moindre inquiétude; il n'y aurait personne que les Anglais n'y entreraient pas. Ils ont bien assez à faire de garder leurs vaisseaux, et sont trop empressés à profiter de la bonne saison pour regagner Gibraltar.

J'ai reçu des lettres du contre-amiral Villeneuve à six lieues du cap de Celidonia: il va à Malte. J'ai reçu des lettres de cette île. Les deux bâtimens et la frégate sont prêts; les trois bâtimens sont aussi prêts à Toulon: ainsi j'espère que, dans le courant de septembre, nous aurons sept bâtimens de guerre et cinq frégates équipés à Malte, tout comme nous aurons six, sept à huit frégates à Alexandrie. J'espère que les quatre d'Ancône nous y joindront.

Je n'ai pas encore reçu la revue, au moins approximative, des matelots qui se trouvent à Alexandrie. Je voudrais qu'au lieu de trois, vous y gardassiez pour six mois de riz. Ne vous sachant pas si bien pourvu, j'avais ordonné que l'on en achetât cinq mille quintaux à Damiette et cinq mille à Rosette, pour faire passer à Alexandrie.

J'ai envoyé le général Marmont avec la quatrième demi-brigade d'infanterie légère et deux pièces de canon pour soumettre la province de Bahiré, maintenir libre la communication de Rosette à Alexandrie, et rester sur la côte pour empêcher la communication de l'escadre avec la terre.

Je ferai partir cette nuit le général Dommartin pour profiter du moment favorable et accélérer le départ de l'artillerie de campagne pour l'armée: avec six pièces de 24 à boulets rouges et deux mortiers, toutes les escadres de la terre n'approcheraient pas. Il faut, dans ce cas, recommander qu'on tire lentement et très-peu; il faut avoir quelques gargousses de parchemin bien faites. Il faut le plus promptement possible mettre en état le fort d'Aboukir et occuper la tour du Marabou, où nous avons descendu: occupez-la avec un poste et quelques pièces de canon.

Le turc Passwan-Oglou est plus fort que jamais, et les Turcs y penseront à deux fois avant de faire un mouvement contre nous: au reste ils trouveront à s'en repentir. Tous les mois, tous les jours, notre position s'améliore par les établissemens propres à nourrir l'armée, par les fortifications que nous établissons sur différens points; et dès l'instant que nos approvisionnemens de campagne qui sont à Alexandrie, seront en état d'être transportés au Caire, je vous assure que je ne crains pas cent mille Turcs.

Si les Anglais relèvent cette escadre-ci par une autre et continuent à inonder la Méditerranée, ils nous obligeront peut-être à faire de plus grandes choses que nous n'en voulions faire. Au milieu de ce tracas, je vois avec plaisir que votre santé se rétablit, que votre blessure est guérie. Vous sentez que votre présence est encore nécessaire dans le poste où vous êtes; vous voyez que la blessure que vous avez reçue a tourné à bien pour l'armée. Faites-moi passer de suite tous les hommes qui viendraient de Malte ou de France, quand même ils n'auraient pas de dépêches. Vous me ferez connaître quels sont les bâtimens que vous m'envoyez. Je vous fais passer l'ordre pour le commerce; il faut rependant prendre garde qu'aucun négociant d'Alexandrie ne profite de cette liberté de commerce pour faire transporter ses richesses, et de ne le mettre à exécution que lorsque la plus grande partie de l'escadre anglaise sera partie.

Encouragez, autant qu'il vous sera possible, les barques de Tripoli qui transportent des moutons à Alexandrie. J'ai écrit à ce bey et au consul français, par le désert; écrivez lui de votre côté par mer, et surtout au bey de Bengazé. Quant aux bâtimens de guerre turcs, il faut nous tenir dans la position où nous sommes jusqu'aux nouvelles de Constantinople, afin qu'aux premières hostilités du capitan pacha, nous puissions nous en emparer; ils équivaudront toujours dans nos mains à une de leurs caravelles.

J'imagine qu'à l'heure qu'il est la masse de l'escadre anglaise sera partie. Aujourd'hui que les chemins sont ouverts, écrivez-moi souvent et faites-moi envoyer exactement les états de situation. J'espère que l'arrêté du conseil pour couler les soixante bâtimens de transport n'aura pas eu lieu. Avec six pièces de 24, deux grils à boulets rouges et quarante canonniers, j'ai lutté pendant quatre jours contre l'escadre anglaise et espagnole au siège de Toulon, et après lui avoir brûlé une frégate et plusieurs bombardes, je l'ai forcée à prendre le large. Si le génie de l'armée voulait qu'ils tentassent de se frotter contre notre port, ils pourraient, par ce qui leur arriverait, nous consoler un peu de l'événement arrivé à notre flotte. Le parti que vous avez pris de renforcer la batterie des Figuiers et du fort triangulaire est extrêmement sage.

J'ai envoyé, par votre aide-de-camp, une assez forte somme à l'ordonnateur Leroy. Faites-moi connaître ce que l'opinion dit sur la conduite du Francklin: il paraît qu'il ne s'est pas battu.

Faites-moi connaître la date de toutes les lettres que vous avez reçues de moi, afin que je vous envoie copie de toutes celles qui ne vous seraient point parvenues.

BONAPARTE.



Au Caire, le 5 fructidor an 6 (22 août 1798).

Instructions remises au citoyen Beauvoisin, chef de bataillon d'état-major, commissaire près le divan du Caire.

Le citoyen Beauvoisin se rendra à Damiette; de là il s'embarquera sur un vaisseau turc ou grec; il se rendra à Jaffa; il portera la lettre que je vous envoie à Achmet-Pacha; il demandera à se présenter devant lui, et il réitérera de vive voix que les musulmans n'ont pas de plus vrais amis en Europe que nous; que j'ai entendu avec peine que l'on croyait en Syrie que j'avais dessein de prendre Jérusalem et de détruire la religion mahométane; que ce projet est aussi loin de notre coeur que de notre esprit; qu'il peut vivre en toute sûreté, que je le connais de réputation comme un homme de mérite; qu'il peut être assuré que, s'il veut se comporter comme il le doit envers les hommes qui ne lui font rien, je serai son ami, et bien loin que notre arrivée en Égypte soit contraire à sa puissance, elle ne fera que l'augmenter; que je sais que les mameloucks que j'ai détruits étaient ses ennemis, et qu'il ne doit pas nous confondre avec le reste des Européens, puisque, au lieu de rendre les musulmans esclaves, nous les délivrons; et enfin il lui racontera ce qui s'est passé en Égypte et ce qui peut être propre à lui ôter l'envie d'armer et de se mêler de cette querelle. Si Achmet-Pacha n'est pas à Jaffa, le citoyen Beauvoisin se rendra à Saint-Jean-d'Acre; mais il aura soin auparavant de voir les familles européennes, et principalement le vice-consul français, pour se procurer des renseignemens sur ce qui se passe à Constantinople et sur ce qui se fait en Syrie.

BONAPARTE.



Au Caire, le 5 fructidor an 6 (11 août 1798).

À Achmet-Pacha14, gouverneur de Séid et d'Acra (Saint-Jean-d'Acre.)

En venant en Égypte faire la guerre aux beys, j'ai fait une chose juste et conforme à tes intérêts, puisqu'ils étaient tes ennemis; je ne suis point venu faire la guerre aux musulmans. Tu dois savoir que mon premier soin, en entrant à Malte, a été de faire mettre en liberté deux mille Turcs, qui, depuis plusieurs années, gémissaient dans l'esclavage. En arrivant en Égypte, j'ai rassuré le peuple, protégé les muphtis, les imans et les mosquées; les pèlerins de la Mecque n'ont jamais été accueillis avec plus de soin et d'amitié que je ne l'ai fait, et la fête du prophète vient d'être célébrée avec plus de splendeur que jamais.

Je t'envoie cette lettre par un officier qui te fera connaître de vive voix mon intention de vivre en bonne intelligence avec toi, en nous rendant réciproquement tous les services que peuvent exiger le commerce et le bien des états: car les musulmans n'ont pas de plus grands amis que les Français.

BONAPARTE.

Footnote 14: (return) Le même que le célèbre Djessar pacha.



Au Caire, le 5 fructidor an 6 (22 août 1798).

Au grand-visir.

L'armée française que j'ai l'honneur de commander est entrée en Égypte pour punir les beys mameloucks des insultes qu'ils n'ont cessé de faire au commerce français.

Le citoyen Talleyrand-Périgord, ministre des relations extérieures à Paris, a été nommé, de la part de la France, ambassadeur à Constantinople, pour remplacer le citoyen Aubert, Dubayet, et il est muni des pouvoirs et instructions nécessaires de la part du directoire exécutif pour négocier, conclure et signer tout ce qui est nécessaire pour lever les difficultés provenant de l'occupation de l'Égypte par l'armée française, et consolider l'ancienne et nécessaire amitié qui doit exister entre les deux puissances. Cependant, comme il pourrait se faire qu'il ne fût pas encore arrivé à Constantinople, je m'empresse de faire connaître à votre excellence l'intention où est la république française, non-seulement de continuer l'ancienne bonne intelligence, mais encore de procurer à la Porte l'appui dont elle pourrait avoir besoins contre ses ennemis naturels, qui, dans ce moment, viennent de se liguer contre elle.

L'ambassadeur Talleyrand-Périgord doit être arrivé. Si, par quelque accident, il ne l'était pas, je prie votre excellence d'envoyer ici (au Caire), quelqu'un qui ait votre confiance et qui soit muni de vos instructions et pleins-pouvoirs, ou de m'envoyer un firman, afin que je puisse envoyer moi-même un agent, pour fixer invariablement le sort de ce pays, et arranger le tout à la plus grande gloire du sultan et de la république française, son alliée la plus fidèle, et à l'éternelle confusion des beys et mameloucks, nos ennemis communs.

Je prie votre excellence de croire aux sentimens d'amitié et de haute considération, etc.

BONAPARTE.



Au Caire, le 8 fructidor an 6 (25 août 1798).

Au schérif de la Mecque.

En vous faisant connaître l'entrée de l'armée française en Égypte, je crois devoir vous assurer de la ferme intention où je suis de protéger de tous mes moyens le voyage de pélerins de la Mecque: les mosquées et toutes les fondations que la Mecque et Médine possèdent en Égypte, continueront à leur appartenir comme par le passé. Nous sommes amis des musulmans et de la religion du prophète; nous désirons faire tout ce qui pourra vous plaire et être favorable à la religion.

Je désire que vous fassiez connaître partout que la caravane des pèlerins ne souffrira aucune interruption, qu'elle n'aura rien à craindre des Arabes.

BONAPARTE.



Au Caire, le 10 fructidor an 6 (27 août 1798).

Au même.

Je m'empresse de vous faire connaître mon arrivée, à la tête de l'armée française, au Caire, ainsi que les mesures que j'ai prises pour conserver aux saintes mosquées de la Mecque et de Médine les revenus qui leur étaient affectés. Par les lettres que vous écriront le divan et les différens négocians de ce pays, vous verrez avec quel soin je protège les imans, les schérifs et tous les hommes de loi; vous y verrez également que j'ai nommé pour emir-adji Mustapha-Bey, kiaya de Seid-Aboukekir, pacha gouverneur du Caire, et qu'il escortera la caravane avec des forces qui la mettront à l'abri des incursions des Arabes.

Je désire beaucoup que, par votre réponse, vous me fassiez connaître si vous souhaitez que je fasse escorter la caravane par mes troupes, ou seulement par un corps de cavalerie de gens du pays; mais, dans tous les cas, faites connaître à tous les négocians et fidèles que les musulmans n'ont pas de meilleurs amis que nous, de même que les schérifs et tous les hommes qui emploient leur temps et leurs moyens à instruire les peuples n'ont pas de plus zélés protecteurs, et que le commerce non-seulement n'a rien à craindre, mais sera spécialement protégé.

J'attends votre réponse par le retour de ce courrier.

Vous me ferez connaître également les besoins que vous pourriez avoir, soit en blé, soit en riz, et je veillerai à ce que tout vous soit envoyé.

BONAPARTE.



Au Caire, le 10 fructidor an 6 (27 août 1798).

Aux négocians français à Jaffa.

Je n'ai reçu, citoyens, qu'aujourd'hui votre lettre du 7 thermidor. Je vois avec peine la position dans laquelle vous vous trouvez; mais les nouvelles ultérieures que l'on aura eues de nos principes, auront, j'en suis persuadé, dissipé toutes les alarmes qui vous entouraient.

Je suis fort aise de la bonne conduite de l'aga, gouverneur de la ville: les bonnes actions trouvent leur récompense, et celle-là aura la sienne.

Malheur, au reste, à qui se conduira mal envers vous! Conformément à vos désirs, le divan, composé des principaux schérifs du Caire, le kiaya du pacha, le mollah d'Égypte, et celui de Damas, qui se trouvent ici, écrivent en Syrie pour dissiper toutes les alarmes. Les vrais musulmans n'ont pas de meilleurs amis que nous.

BONAPARTE.



Au Caire, le 11 fructidor an 6 (28 août 1798).

Au général Menou.

J'ai reçu, citoyen général, votre lettre du 6 fructidor. Il sera fait incessamment un règlement général pour le traitement à accorder au divan et à la compagnie des janissaires, ainsi qu'à l'aga dans chaque province.

Faites arrêter tous les Français arrivant du Caire, qui n'auraient pas de passeports de l'état-major.

Diminuez votre service. Comment est-il possible que vous ayez trois cents hommes de garde à Rosette, lorsque nous n'en avons que quatre-vingts, au Caire?

Une garde chez vous, une de police, quelques factionnaires aux principaux magasins, et tout le reste en réserve, cela ne fait que vingt-cinq ou trente hommes de service.

L'officier du génie et l'ingénieur des ponts et chaussées doivent travailler sans instrumens: on ne demande que des croquis. Si vous pouviez nous envoyer un croquis de votre province, fait à la main, avec tous les noms des villages, cela nous serait fort utile.

Je ne puis trop vous louer d'avoir donné à dîner aux scheiks du pays. Nous avons célébré ici la fête du Prophète avec une pompe et une ferveur qui m'ont presque mérité le titre de saint. Je n'approuve pas la mesure de donner du blé aux pauvres; nous ne sommes pas encore assez riches, et il faut nous garder de les gâter.

J'imagine que vous avez opéré le désarmement de la ville, et que vous avez profité des sabres pour armer votre cavalerie. Vous aurez vu, dans l'ordre du jour, que vous devez lever dans votre province trois cents chevaux.

BONAPARTE.



Au Caire, le 11 fructidor an 6 (28 août 1798).

Au général Kléber.

Vous avez très-bien fait, citoyen général, de faire arrêter le négociant Abdel-Bachi, puisque vous avez eu des preuves qu'il était avec les mameloucks. En général, confisquez les propriétés et les biens de tous ceux qui se trouvent avec eux. Je vous envoie un ordre pour un autre habitant d'Alexandrie, qui est un des factotum de Mourad-Bey, et qui, dans ce moment-ci, est avec lui.

J'ai lu les lettres que les pilotes barbaresques, qu'avaient pris les Anglais, ont écrites à El-Messiri. C'est une plate bêtise; cependant j'aurais assez aimé que vous eussiez fait couper le cou au reis de la djerme.

Il va incessamment y avoir un règlement à l'ordre pour la solde du divan, de l'aga et de la compagnie des janissaires; employez surtout cette compagnie à protéger l'arrivage des eaux. Ménagez bien vos armes, nous en avons grand besoin; nous devons peu compter sur le second convoi: vous savez combien nos troupes en dépendent.

J'ai envoyé, par votre aide-de-camp, 100,000 fr. à l'ordonnateur Leroy; j'en fais partir demain 50,000 autres. Nous ne sommes pas ici, comme vous pourriez vous l'imaginer, au milieu des trésors, et, jusqu'à la perception, nous éprouverons toujours une certaine pénurie.

Les ressources que vous trouverez chez les différentes personnes arrêtées; la contribution que vous devez percevoir, à titre de prêt, sur les négocians; les fonds que les généraux d'artillerie et du génie envoient pour leurs services, ceux que j'envoie pour la marine, vous mettront, j'espère, à même d'aller, et vous éviteront le grand inconvénient de vendre du riz, que nous aurions tant de peine à transporter à Alexandrie, et où la prudence veut que nous en ayons pour toute l'armée pendant un an ou deux. Le général du génie a envoyé de l'argent à Rahmanieh, pour les travaux du canal.

Vous devez déclarer positivement au commandant de la caravelle, qu'il ait à vous remettre tout l'argent, tous les effets qui n'appartiennent ni à lui, ni à son équipage, sous peine d'être puni exemplairement.

J'espère que si le citoyen Delisle est à Alexandrie, vous aurez fait mettre la main dessus, et surtout que vous aurez fait prendre sa vaisselle. Je suis ici dans l'embarras de trouver de l'argent, et dans un bois de fripons.

Quant à l'administration de la justice, c'est une affaire très-embrouillée chez les musulmans; il faut encore attendre que nous soyons un peu plus mêlés avec eux. Laissez faire le divan à peu près ce qu'il veut.

J'espère que vous aurez fait célébrer la fête du Prophète avec le même éclat que nous l'avons fait au Caire.

BONAPARTE.



Au Caire, le 11 fructidor an 6 (28 août 1798).

Au scheick El-Messiri15.

Le général Kléber me rend compte de votre conduite, et j'en suis satisfait.

Vous savez l'estime particulière que j'ai conçue pour vous an premier moment que je vous ai connu, j'espère que le moment ne tardera pas où je pourrai réunir tous les hommes sages et instruits du pays, et établir un régime uniforme, fondé sur les principes de l'Alcoran, qui sont les seuls vrais, et qui peuvent seuls faire le bonheur des hommes.

Comptez en tout temps sur mon estime et mon appui.

BONAPARTE.



Footnote 15: (return) Un des notables de la ville d'Alexandrie.

Au Caire, le 11 fructidor an 6 (28 août 1798).

Ordre du jour.

Le général en chef ordonne que le 1er. vendémiaire, époque de la fondation de la république, sera célébré dans tous les différens points où se trouve l'armée, par une fête civique.

La garnison d'Alexandrie célébrera sa fête autour de la colonne de Pompée.

Les noms de tous les hommes de l'armée française qui ont été tués à la prise d'Alexandrie, seront en conséquence gravés sur cette même colonne.

L'on plantera le pavillon tricolore au haut de la colonne.

L'aiguille de Cléopâtre sera illuminée.

L'on dressera au Caire, au milieu de la place d'Esbeckieh, une pyramide de sept faces dont chacune sera destinée à contenir les noms des hommes des cinq divisions qui sont morts à la conquête de l'Égypte;

La sixième sera pour la marine;

La septième pour l'état-major, la cavalerie, l'artillerie et le génie.

La partie de l'armée qui se trouvera au Caire s'y réunira à sept heures du matin, et après différentes manoeuvres et avoir chanté des couplets patriotiques, une députation de chaque bataillon partira pour aller planter au haut de la plus grande pyramide le drapeau tricolore.

La pince d'Esbeckieh sera disposée de manière à ce que le soir, à quatre heures, il puisse y avoir course de chevaux autour de la place, et course à pied.

À ces courses seront admis ceux des habitans du pays qui voudront s'y présenter; il y aura des prix assignés pour le vainqueur.

Le soir, la pyramide sera toute illuminée; il y aura un feu d'artifice.

Les troupes qui sont dans la Haute-Égypte célébreront leur fête sur les ruines de Thèbes.

Le général du génie, le général d'artillerie et le commandant de la place du Caire se réuniront chez le général en chef de l'état-major général pour se concerter et faire un programme plus détaillé de la fête, chacun en ce qui concerne son arme.

Le général en chef ordonne qu'il ne sera fait dans l'armée qu'un seul pain; toutes les rations, soit à l'état-major, soit aux administrations, seront de pain de munition.

Il sera fait un pain plus soigné pour les hôpitaux; mais il est défendu, sous quelque prétexte que ce soit, aux administrateurs et aux garde-magasins, de donner de ce pain au général en chef, ni à aucun général, ni au munitionnaire général; à la visite que l'officier de service fait tous les jours des hôpitaux, le directeur fera connaître la quantité de pain d'hôpitaux qu'il aura reçue. Il lui est défendu, sous les peines les plus sévères, de donner de ce pain à tout autre.

Le général en chef est instruit que des employés et administrateurs s'embarquent sur les diligences du Caire à Rosette et Damiette, sans être munis d'ordres, ainsi qu'il a été ordonné. Le général en chef défend expressément de laisser embarquer aucun Français, soit à Boulac, soit au Vieux-Caire, ou dans tout autre endroit, s'il n'est muni d'un passeport, soit du général chef de l'état-major général, soit de l'ordonnateur en chef Sucy. Des postes seront placés de manière à s'assurer, soit au départ, soit à l'arrivée des bateaux, de l'exécution du présent ordre. Tous les Français trouvés sur des barques sans être munis de passeports ou d'ordres, seront arrêtés.

Le conseil militaire de la division du général Bon a condamné à cinq années de fers le citoyen Vaultre, domestique du citoyen Thieriot, adjudant sous-lieutenant au vingt-deuxième de chasseurs à cheval, convaincu de vol.

BONAPARTE.



Au Caire, le 13 fructidor an 6 (30 août 1798).

Au général Zayonscheck.

Je suis fort aise d'apprendre, par votre lettre, que la dénonciation que l'on m'avait faite sur la contribution que vous aviez imposée, est fausse. Vous devez m'envoyer les noms des villages qui ont tiré sur nos troupes lors de notre marche au Caire; vous ne devez leur accorder le pardon qu'à condition:

1°. De vous rendre les armes;

2° De vous donner le nombre des chevaux et mulets qu'ils peuvent fournir;

3°. De vous remettre chacun deux ôtages pour garantir leur conduite à l'avenir. Vous m'enverrez un ôtage au Caire. Conformément à la demande que vous avez faite de revenir au Caire, j'ai nommé le général Lanusse pour vous remplacer; vous mènerez avec vous la plus grande partie de vos troupes, conformément à l'ordre que vous aura donné l'état-major.

Avant de partir, faites un croquis de tous les canaux et de tous les villages qui composent la province de Menoufié.

BONAPARTE.



Au Caire, le 13 fructidor an 6 (30 août 1798).

Au général Kléber.

Je n'approuve pas, citoyen général, la mesure que vous avez prise de retenir les 15,000 fr. que j'avais destinés au contre-amiral Ganteaume. Je vous prie, s'il est à Alexandrie, de les lui remettre: beaucoup d'officiers de marine sont dangereusement blessés, et doivent nécessairement avoir des besoins. Les officiers qui faisaient partie des garnisons, qui doivent être peu nombreux, se trouvent naturellement compris dans cette répartition. Vous devez avoir reçu l'ordre de faire partir tous les détachemens qui faisaient partie des garnisons des vaisseaux, et j'aurai soin, à leur arrivée au Caire, de les indemniser autant qu'il me sera possible.

Il est indispensable de vous procurer, sur la ville d'Alexandrie, les 185,000 fr., pour compléter la contribution de 300,000 fr. Il n'y a pas d'autre moyen de subvenir à nos besoins. Le général Menou, qui croyait trouver de grands obstacles à lever sa contribution de 100,000 fr., me mande, par le dernier courrier, qu'elle est déjà levée.

Il faut construire une batterie à Aboukir; il faudrait également défendre par deux redoutes et quelques pièces d'artillerie, l'entrée du lac, afin que les chaloupes anglaises ne viennent pas vous y inquiéter. Je crois très-nécessaire d'y travailler, ainsi que de compléter la batterie d'Aboukir, et la mettre dans une situation respectable.

BONAPARTE.



Au Caire, le 13 fructidor an 6 (30 août 1798).

Au général Menou.

J'ai reçu, citoyen général, par toutes les diligences, toutes vos lettres, que je lis avec d'autant plus d'intérêt, que j'approuve davantage vos vues et vos manières de voir. Je vous remercie des honneurs que vous avez rendus à notre prophète.

Vous devez, à l'heure qu'il est, avoir reçu l'ordre pour les limites de la province de Rosette.

BONAPARTE.



Au Caire, le 13 fructidor an 6 (30 août 1798).

Au citoyen Leroi, ordonnateur de la marine.

Il y a à Damiette, citoyen, une corvette portant vingt pièces de canon, laquelle n'est pas encore achevée. Il est indispensable que vous y envoyiez un ingénieur constructeur pour la faire terminer. Cela est extrêmement essentiel. Envoyez également reconnaître les ressources que pourra vous fournir cette place. On m'assure qu'elle renferme beaucoup de fer, de bois, tous objets qui vous sont essentiels.

BONAPARTE.



Au Caire, le 13 fructidor an 6 (30 août 1798).

Au général Kléber.

J'ai déjà répondu, citoyen général, à toutes les questions contenues dans votre lettre du 8 fructidor; mais, pour me résumer, je réponds ici à vos sept questions.

1°. Oui, vous pouvez faire lever l'embargo mis sur les bâtimens neutres, et les laisser sortir malgré la présence de l'ennemi, pourvu qu'ils ne portent aucuns vivres, et spécialement du riz.

2°. Même réponse pour les bâtimens de commerce turcs.

3°. Cela ne s'étend pas jusqu'à la caravelle et aux bâtimens de guerre turcs, auxquels il faut donner de belles paroles, et attendre, pour prendre une décision, que nous ayons des renseignemens ultérieurs.

4°. Les bâtimens auxquels on a fait des réquisitions, si les denrées qu'ils avaient appartenaient à des particuliers, doivent être soldés. Envoyez-moi l'état de tous ces bâtimens, ainsi que la valeur de leurs chargemens. Que les patrons fassent une assemblée, et qu'ils envoient ici des fondés de procuration; je leur ferai donner de l'argent pour la valeur de leurs marchandises. Ceux qui, après cette opération faite, voudraient s'en aller, en seront les maîtres. Vous leur ferez connaître qu'à leur retour, cette commission aura obtenu de moi cette demande; et qu'ils seront soldés. Voue les engagerez à nous apporter du bois et du vin.

5°. Les bâtimens neutres attachés à notre convoi ne pourront pas sortir jusqu'à nouvel ordre: j'attends un état sur leur nombre et sur ce qui leur est dû, pour prendre un parti à leur égard.

6°. Les esclaves mameloucks seront regardés comme marchandise ordinaire; vous exigerez seulement qu'ils évacuent Alexandrie, et se rendent au Caire. Cependant il faut, avant, vérifier si les beys ne les avaient pas déjà payés. L'artillerie fera des reçus des armes, estimera leur valeur, et les marchands viendront au Caire, où je les ferai solder. Si les armes sont ordinaires, elles resteront à la disposition de l'artillerie; si ce sont des armes qui passent le prix des armes ordinaires, l'artillerie m'en enverra l'inventaire, et on n'en disposera pas jusqu'à nouvel ordre.

7°. Tous les officiers de marine rendus sur parole, pourront partir, dès l'instant qu'ils ont juré de ne pas servir de cette guerre; vous excepterez du nombre quatre ou cinq, qui, par leur activité, pourraient nous être utiles sur le Nil.

BONAPARTE.



Au Caire, le 13 fructidor an 6 (30 août 1798).

Au citoyen Dubois16.

Je reçois votre lettre, citoyen, en date du 6 fructidor. Par le même courrier, le général Kléber m'apprend qu'il n'a plus besoin de pansemens. Vos talens nous sont utiles ici, et je vous prie de partir le plus tôt possible pour vous y rendre: l'air du Nil vous sera favorable. Les circonstances, d'ailleurs, ne rendent pas le passage assez sûr pour que j'expose un homme aussi utile. Vous serez content de voir de près cette grande ville du Caire; vous trouverez à l'Institut un logement passable, et une société d'amis17.

BONAPARTE.

Footnote 16: (return) C'est le célèbre Antoine Dubois, l'un des chirurgiens les plus habiles de l'Europe.
Footnote 17: (return) La santé du docteur Dubois ne lui permit pas de rester en Égypte.



Au Caire, le 14 fructidor an 6 (31 août 1798).

Au général Dugua.

J'ai reçu votre lettre, citoyen général, du 11 fructidor. Je savais bien que ce n'était pas à Mehal-el-Kebir que l'on s'était battu; mais l'on m'avait supposé que c'était le chef-lieu de tous les rassemblemens. Je désire que vous y envoyiez un bataillon, afin d'assister le général Fugières dans ses opérations, et spécialement dans le désarmement.

Il serait extrêmement dangereux de lever des contributions par village: cela serait capable dans ce moment-ci de décider les paysans à abandonner la culture; j'ai cependant ordonné la levée de quelques contributions sur quelques villages; je les ai mises à la disposition de l'ordonnateur eu chef. Je vous envoie ci-joint, copie de mon ordre. Vous recevrez incessamment les instructions pour les contributions à lever dans votre province, L'intendant cophte a dû recevoir des ordres de son intendant général pour la manière dont elles doivent être soldées. D'ici à quelque temps, il ne sera pas possible au général Dommartin de vous procurer l'artillerie qu'il vous avait promise; l'événement arrivé à la flotte a apporté dans toutes ses combinaisons beaucoup de changemens; faites raccommoder votre artillerie le mieux qu'il vous sera possible.

Je ne pense pas que le général Cafarelli puisse vous envoyer un autre officier du génie: il y en a beaucoup de malades.

Vous trouverez ci-joint l'ordre au général Vial de mettre trente djermes à votre disposition. Il est indispensable que vous soyez toujours en mesure pour que, vingt-quatre heures après la réception d'un ordre, vous puissiez vous porter où le besoin l'exigerait, et, dans ce moment-ci, je sens que cela ne peut s'exécuter qu'avec des bateaux. J'approuve que vous accordiez à la ville de Mansoura une amnistie. Pressez toutes les mesures pour donner de la confiance aux habitans, leur faire reprendre le commerce. Je désire que vous écriviez aux trois ou quatre villages qui se sont le plus mal comportés dans l'affaire de Mansoura, pour qu'ils reviennent à l'obéissance. Dans ce cas, vous ferez sentir aux députés les dangers qu'ils courent, et, s'ils ne veulent pas voir brûler leurs villages, qu'ils doivent faire arrêter les plus coupables et vous les livrer.

Il faut absolument que vous profitiez du moment où les circonstances me permettent de laisser votre division à Mansoura, pour soumettre définitivement tous les villages de votre province, prendre des otages des sept ou huit qui se sont mal comportés, et livrer aux flammes celui de tous qui s'est le plus mal conduit: il ne faut pas qu'il y reste une maison, Sans cet exemple, dès l'instant que votre division aurait quitté Mansoura, ces gens-ci recommenceraient. Vous trouverez facilement de petits bateaux pour vous transporter au village que vous voudrez brûler; enfin faites l'impossible pour cela.

BONAPARTE.



Au Caire, le 14 fructidor an 6 (31 août 1798).

Au pacha de Damas.

Je vous ai déjà écrit plusieurs lettres pour vous faire connaître que nous n'étions pas ennemis des musulmans, et que la seule raison qui nous avait conduits en Égypte, était pour y punir les beys et venger les outrages qu'ils avaient faits au commerce français. Je désire donc que vous restiez persuadé du désir où je suis de vivre en bonne intelligence avec vous, et de vous donner tous les signes de la plus parfaite amitié.

BONAPARTE.



Au Caire, le 14 fructidor an 6 (31 août 1798).

Au pacha du Grand-Seigneur en Égypte.

Lorsque les troupes françaises obligèrent Ibrahim à évacuer la province de Scharkieh, je lui écrivis que je vous acceptais pour médiateur, et qu'il vous envoyât vers moi. Je vous réitère aujourd'hui le désir que j'aurais que vous revinssiez au Caire pour y reprendre vos fonctions: ne doutez pas de la considération que l'on aura pour vous, et du plaisir que j'aurai à faire votre connaissance.

BONAPARTE.



Au Caire, le 15 fructidor an 6 (1er septembre 1798).

Au général Kléber.

Le citoyen Leroy me mande que toutes les dispositions que j'avais faites pour la marine sont annulées, par le parti que vous avez pris d'affecter à d'autres services les 100,000 liv. que je lui avais envoyées. Vous voudrez bien, après la réception du présent ordre, remettre les 100,000 liv. à la marine, et ne point contrarier les dispositions que je fais et qui tiennent à des rapports que vous ne devez pas connaître, n'étant pas au centre.

L'administration d'Alexandrie a coûté le double que le reste de l'armée. Les hôpitaux, quoique vous n'ayez que trois mille malades, coûtent, et ont coûté beaucoup plus que tous les hôpitaux de l'armée.

Je ne crois pas, dans les différens ordres que je vous ai donnés, vous avoir laissé maître de lever ou non la contribution à titre d'emprunt, sur les négocians d'Alexandrie: ainsi, si vous en avez suspendu l'exécution, je vous prie de vouloir bien prendre les mesures, sur-le-champ, pour la faire rentrer, quels que soient les inconvéniens qui doivent en résulter: nous n'avons point, pour ce moment-ci, d'autre manière d'exister.

BONAPARTE.



Au Caire, le 18 fructidor an 6 (4 septembre 1798).

Au général Desaix.

Votre état-major doit correspondre avec le chef de l'état-major de l'armée. Il n'est pas d'usage que je reçoive des lettres des adjudans-généraux, à moins que ce ne soit pour des réclamations qui leur soient particulières. Votre commissaire, et surtout votre agent des subsistances, sont extrêmement coupables. Les biscuits ont resté cinq ou six jours embarqués, et ils avaient bien le temps de les vérifier. Il faut avoir soin aussi qu'on ne donne pas aux corps plus de rations qu'il ne leur en revient.

La Cisalpine part ce soir avec le troisième bataillon de la vingt-unième, quarante mille rations de biscuit, deux pièces de canon et cinquante mille cartouches: ils se rendent a Abugirgé. On m'assure qu'il y a à Abugirgé un canal qui conduit à Benhecé, et j'espère que vous trouverez moyen de vous porter directement à cette position et d'atteindre Mourad-Bey. C'est le projet qui me paraît le plus simple: s'il n'était pas exécutable, je désire que vous remontiez jusqu'à Melaoni, pour descendre par le canal de Joseph.

Vous savez qu'en général je n'aime pas les attaques combinées; arrivez devant Mourad-Bey par où vous pourrez et avec toutes les forces: là, sur le champ de bataille, vous ferez vos dispositions pour lui causer le plus de mal possible.

Vous verrez, par l'ordre que vous envoie l'état-major, que je vous autorise à traiter avec les anciens beys.

Je n'envoie personne dans le Faioum, jusqu'à ce que je sache définitivement ce que veut faire Mourad-Bey, car je ne peux pas y envoyer de grandes forces, et pour y envoyer cinq ou six cents hommes, il faut que je connaisse les opérations ultérieures de Mourad-Bey.

BONAPARTE.



Au Caire, le 18 fructidor an 6 (4 septembre 1798).

Le général en chef Bonaparte ordonne:

ART. 1er La femme de Mourad-Bey paiera, dans la journée du 20, vingt mille talaris, à compte de sa contribution.

2. Si le 20 au soir ces vingt mille talaris ne sont pas soldés, elle paiera un vingtième par jour en sus, jusqu'à ce que les vingt mille talaris soient entièrement versés.

BONAPARTE.



Au Caire, le 18 fructidor an 6 (4 septembre 1798).

Au vice-amiral Thévenard.

Votre fils est mort d'un coup de canon sur son banc de quart: je remplis, citoyen général, un triste devoir en vous l'annonçant; mais il est mort sans souffrir et avec honneur. C'est la seule consolation qui puisse adoucir la douleur d'un père. Nous sommes tous dévoués à la mort: quelques jours de vie valent-ils le bonheur de mourir pour son pays? compensent-ils la douleur de se voir sur un lit environné de l'égoïsme d'une nouvelle génération? valent-ils les dégoûts, les souffrances d'une longue maladie? Heureux ceux qui meurent sur le champ de bataille! ils vivent éternellement dans le souvenir de la postérité. Ils n'ont jamais inspiré la compassion ni la pitié que nous inspire la vieillesse caduque, ou l'homme tourmenté par des maladies aiguës. Vous avez blanchi, citoyen général, dans la carrière des armes; vous regretterez un fils digne de vous et de la patrie: en accordant avec nous quelques larmes à sa mémoire, vous direz que sa mort glorieuse est digue d'envie.

Croyez à la part que je prends à votre douleur, et ne doutez pas de l'estime que j'ai pour vous.

BONAPARTE.



Au Caire, le 20 fructidor an 6 (6 septembre 1798).

Au général Dugua.

À l'heure qu'il est, vous devez avoir reçu les cartouches: ainsi j'espère que vous aurez mis à la raison les maudits Arabes des villages de Soubat. Faites un exemple terrible, brûlez ce village et ne permettez plus aux Arabes de venir l'habiter, qu'ils n'aient livré dix otages des principaux, que vous m'enverrez pour les tenir à la citadelle du Caire.

Faites reconnaître par vos officiers de génie, d'artillerie et de l'état-major, tous vos différens canaux, et surtout faites-moi connaître quelle route vous devriez prendre si vous étiez forcé de marcher sur Salahieh.

J'ai donné les ordres pour que tous les individus de votre division qui sont au Caire, rejoignissent.

Vous devez avoir des officiers de santé, qui étaient à votre ambulance, et ceux des différens corps. L'ordonnateur en chef va vous envoyer d'ailleurs tout ce qui peut être nécessaire à votre hôpital.

On se plaint du pillage de vos troupes à Mansoura: c'est le seul point de l'armée sur lequel j'aie en ce moment des plaintes; on se plaint même des vexations que commettent plusieurs officiers d'état-major.

BONAPARTE.



Au Caire, le 24 fructidor an 6 (10 septembre 1798).

Au citoyen Regnault de Saint Jean d'Angely.

J'ai reçu, citoyen, par le courrier Lesimple, vos lettres du 14 thermidor et du 8 fructidor.

C'est avec un véritable plaisir que j'apprends la bonne conduite que vous tenez à Malte, et les services que vous rendez à la république en lui organisant ce poste important.

Les affaires ici vont parfaitement bien, tous les jours, notre établissement se consolide; la richesse de ce pays en blé, riz, légumes, coton, sucre, indigo, est égale à la barbarie du peuple qui l'habite. Mais il s'opère déjà un changement dans leurs moeurs, et deux ou trois ans ne seront pas passés, que tout aura pris une face bien différente.

Vous avez sans doute reçu les différentes lettres que je vous ai écrites, et les relations des différens événemens militaires qui se sont passés; ne négligez rien pour faire passer en France, par des spronades, toutes les nouvelles que vous avez de nous, ne fût-ce même que les rapports des neutres, pour détruire les mille et un faux bruits que les curieux d'une grande ville accueillent avec tant d'imbécillité.

BONAPARTE.



Au Caire, le 24 fructidor an 6 (10 septembre 1798).

Au général Kléber.

Un vaisseau comme le Franklin, citoyen général, qui portait l'amiral, puisque l'Orient avait sauté, ne devait pas se rendre à onze heures du soir. Je pense d'ailleurs que celui qui a rendu ce vaisseau est extrêmement coupable, puisqu'il est constaté par son procès-verbal qu'il n'a rien fait pour l'échouer et pour le mettre hors d'état d'être amené: voilà ce qui fera à jamais la honte de la marine française. Il ne fallait pas être grand manoeuvrier ni un homme d'une grande tête pour couper un câble et échouer un bâtiment; cette conduite est d'ailleurs spécialement ordonnée dans les instructions et ordonnances que l'on donne aux capitaines de vaisseau. Quant à la conduite du contre-amiral Duchaila, il eût été beau pour lui de mourir sur son banc de quart, comme du Petit-Thouars.

Mais ce qui lui ôte toute espèce de retour à mon estime, c'est sa lâche conduite avec les Anglais depuis qu'il a été prisonnier. Il y a des hommes qui n'ont pas de sang dans les veines. Il entendra donc tous les soirs les Anglais, en se soûlant de punch, boire à la honte de la marine française! Il sera débarqué à Naples pour être un trophée pour les lazzaronis: il valait beaucoup mieux pour lui rester à Alexandrie ou à bord des vaisseaux comme prisonnier, sans jamais souhaiter ni demander rien. Ohara, qui d'ailleurs était un homme très-commun, lorsqu'il fut fait prisonnier à Toulon, sur ce que je lui demandais de la part du général Dugommier ce qu'il désirait, répondit: être seul, et ne rien devoir à la pitié. La gentillesse et les traitemens honnêtes n'honorent que le vainqueur, ils déshonorent le vaincu, qui doit avoir de la réserve et de la fierté.

BONAPARTE.



Au Caire, le 26 fructidor an 6 (12 septembre 1798).

Instruction pour le citoyen Mailly.

Le citoyen Mailly partira sur une djerme qui lui sera fournie à Damiette, directement pour Lataquie; la première attention qu'il doit avoir, c'est d'éviter les croisières anglaises. Il engagera le patron à changer de route lorsqu'il s'en verra menacé; il ne s'approchera même qu'avec précaution des petits bâtimens venant de la côte, et ne les hélera que lorsqu'il sera sûr que ce ne sont pas des corsaires. Les patrons de la barque reconnaissent facilement au large les djermes de leur pays.

Il cachera soigneusement les paquets en cas de visite, et fera en pareil cas ce que la prudence lui dictera. Son habit oriental pourra lui être utile dans cette occasion, et il aura soin de ne parler qu'en langue turque avec son interprète arabe, lors d'une visite.

Arrive à la marine de Lataquie, il demandera à parler à Codja-Hanna-Coubbé, intendant du gouverneur, et noligataire du brigantin français la Marie, arrivé à bon port à la rade de Damiette le 11 fructidor de cette année. Il lui fera valoir la permission qu'a donnée le général en chef à son correspondant, de faire son retour en riz, pour alimenter son échelle et la ville d'Alep.

Il demandera de suite la permission de communiquer avec le citoyen Geoffroi, proconsul de la république française à Lataquie, distant d'un demi-quart de lieue de la marine. Assisté de cet officier, il se rendra chez le gouverneur, à qui il remettra la lettre du général en chef.

Le citoyen Mailly devra bien prévoir qu'il y a des espions anglais à Lataquie: ainsi, pour mieux masquer l'expédition de son paquet pour Constantinople, il aura soin de dire au gouverneur et de répandre dans le public, que le général en chef a envoyé sur toute la côte divers officiers pour engager les pachas à laisser toute liberté de commerce avec l'Égypte, et que sa mission particulière se borne à Lataquie et Alep.

Cette ouverture donnera au proconsul la facilité d'expédier sur-le-champ un messager qui se rendra en deux jours a Alep. Le citoyen Chos-de-Clos, notre consul, le gardera un jour ou deux tout au plus, pendant lequel temps il donnera au général en chef les nouvelles les plus authentiques qu'il aura pu recueillir de la légation de Constantinople, soit aussi de diverses lettres particulières sur la situation de cette capitale, de même que les mouvemens en Romélie, Syrie, etc., et en général tout ce qui peut intéresser le général en chef.

Le citoyen Mailly attendra chez le proconsul de la république, le retour du message; il se tiendra très-réservé sur les nouvelles de l'Égypte, autant qu'elles pourront entraver sa mission, et, dans le cas qu'il trouve le peuple de Lataquie en fermentation, il pourra dire comme de lui-même: «Le bruit constant au Caire est que l'expédition des Français est terminée, et, sans l'échec arrivé à notre escadre, notre armée se serait déjà retirée; mais qu'en attendant de nouvelles forces maritimes, les ports de l'Égypte sont ouverts aux négocians musulmans, et que ceux de Lataquie peuvent en toute sûreté y envoyer leur tabac, qui fait toute leur richesse.»

Le messager étant de retour d'Alep, le citoyen Mailly mettra sur-le-champ à la voile, tâchera de n'aborder aucune terre et de s'en retourner en droiture à Damiette, d'où il se rendra sur-le-champ près du général en chef.

Il mettra la même prudence à cacher ses dépêches pour le général en chef, et, dans le cas où il se verrait forcé de les jeter à la mer ou qu'elles seraient interceptées par les Anglais, son voyage ne sera pas inutile sous le rapport des nouvelles, en prenant à Lataquie la précaution de faire écrire en Arabe les nouvelles les plus saillantes, et de les confier à son interprète ou de les cacher dans un ballot de tabac.

BONAPARTE.



Au Caire, le 26 fructidor an 6 (12 septembre 1798).

Au général Murat.

Si les Arabes que vous avez attaqués sont les mêmes qui ont assassiné nos gens à Mansoura, mon intention est de les détruire. Faites-moi connaître les forces qui vous seraient nécessaires à cet effet, et étudiez la position qu'ils occupent; afin de pouvoir les attaquer, les envelopper, et donner un exemple terrible au pays.

J'imagine que, si vous avez fait la paix provisoirement avec eux, vous aurez exigé des otages, des chevaux et des armes.

BONAPARTE.



Au Caire, le 27 fructidor an 6 (13 septembre 1798).

Au général Fugières.

J'espère qu'à l'heure qu'il est, citoyen général, vous aurez, de concert avec le général Dugua, soumis le village de Soubat et exterminé ces coquins d'Arabes.

J'attends toujours des nouvelles de la réquisition des chevaux, qui n'avance pas dans votre province.

BONAPARTE.



Au Caire, le 28 fructidor an 6 (14 septembre 1798).

Au général Murat.

Je vous répète que mon intention est de détruire les Arabes que vous avez attaqués; c'est le fléau des provinces de Mansoura, de Kelioubeh et de Garbieh.

Le général Dugua doit, de concert avec le général Fugières, avoir attaqué la partie de ces Arabes qui se trouve au village de Soubat; envoyez reconnaître où se trouvent les Arabes que vous avez attaqués; faites-moi connaître les forces dont vous aurez besoin, et l'endroit d'où vous pourrez partir pour les attaquer avec succès, en tuer une partie et prendre des otages, afin de s'assurer de leur fidélité.

Faites reconnaître la route de Met-Kamao à Belbeys: vous ne devez pas, à Met-Kamao, vous en trouver éloigné.

BONAPARTE.



Au Caire, le 29 fructidor an 6 (15 septembre 1798).

À l'adjudant-général Bribes.

J'ai reçu, citoyen général, votre lettre du 25 fructidor, où vous me rendez compte de l'attaque qu'a essuyée le convoi d'Alexandrie à Damanhour. Le commandant du convoi ne mérite aucun éloge, puisqu'il a laissé prendre plusieurs bêtes chargées; il devait faire assez de haltes pour ne rien laisser en arrière: le commandant du convoi eût mérité des éloges, s'il l'eût amené sans avoir rien laissé prendre.

Donnez la chasse à ces brigands; écrivez au général Marmont à Rosette. Si vous avez besoin de lui, il s'y portera avec sa demi-brigade.

BONAPARTE.



Au Caire, le 29 fructidor an 6 (15 septembre 1798).

À l'ordonnateur Leroy.

Il est extrêmement ridicule, citoyen ordonnateur, que vous vous amusiez à payer le traitement de table, quand la solde des matelots et le matériel sont dans une si grande souffrance. Je vous prie de vous conformer strictement à mon ordre, d'employer au matériel les trois quarts de l'argent que je vous ai envoyé, et le quart seulement au personnel de la marine. En faisant de si grands sacrifices pour la marine, mon intention a été de mettre les trois frégates à même de sortir le plus tôt possible, ainsi que les deux vaisseaux.

Par votre lettre du 23, il est impossible de savoir si les deux neutres, l'Aimable Mariette et l'Alexandre sont rentrés, ou non, dans le port.

BONAPARTE.



Au Caire, le 30 fructidor an 6 (16 septembre 1798).

Au conseil d'administration de la soixante-neuvième demi-brigade.

J'ai reçu, citoyens, votre lettre du 21 fructidor; je me fais faire un rapport sur la solde qui vous est due.

L'armée, depuis son entrée en Égypte, a été soldée des mois de floréal, prairial et messidor: elle se trouve encore arriérée des mois de thermidor et fructidor.

La division dont vous faisiez partie a, ainsi que vous, un arriéré antérieur à floréal: conformément à ce qui a été mis à l'ordre du jour, il y a près d'un mois, il faut que vous vous adressiez, pour tout ce qui est antérieur à floréal, à l'ordonnateur en chef.

Si, dans le rapport que le payeur général me fera, il est constaté que vous ayez touché moins de paye que le reste de l'armée, je donnerai sur-le-champ les ordres et je prendrai les mesures pour que vous soyez mis au courant de paye de l'armée.

BONAPARTE.



Au Caire, le 1er jour complémentaire an 6 (17 septembre 1798).

À l'ordonnateur en chef.

J'avais ordonné qu'on payât quarante mille rations de biscuit au général Desaix; ou n'en a, sur la lettre de voiture, compté que trente mille, et, lorsque le biscuit est arrivé, il ne s'en est trouvé que vingt mille.

L'agent à Boulac doit avoir le reçu de celui qui a accompagné le convoi, faites-le moi présenter: si vous ne mettez point d'ordre à cet abus, il est impossible que l'armée existe.

Si l'on continue cette friponnerie malgré la plus grande surveillance, que sera-ce lorsque je serai en avant et qu'il y aura des envois multipliés à faire?

Les envoyés ont la friponnerie, lorsque l'ordonnateur donne l'ordre en quintaux, d'envoyer, en quintaux du pays de soixante livres; mais ils ne peuvent avoir cette pitoyable excuse par mon ordre, puisque je demandé toujours par rations.

BONAPARTE.



Au Caire, le 1er jour complémentaire an 6 (17 septembre 1798).

Au général Kléber.

Un officier du génie, chargé des ordres du général Caffarelli, se rend à Alexandrie pour activer autant qu'il sera possible les travaux de cette place, surtout du côté de terre.

Mourad Dey a été battu par Desaix, qui lui a pris cent cinquante barques chargées de blé, d'effets, douze pièces de canon et quelques mameloucks: nous sommes maîtres de toute l'Égypte. Mourad Bey, avec cinq à six cents mameloucks et quelques Arabes, est entre le Fayoum et le désert: il va se rendre dans les oasis ou en Barbarie. Dans ce dernier cas, il ne passerait pas loin de la province du Bahhiré.

J'ai donné ordre au général Marmont de se rendre à Rhamanieh, d'y prendre le commandement des troupes de toute la province, pour être à même, dans tous les cas, de protéger la navigation du Nil, celle du canal, et la campagne d'Alexandrie.

Ibrahim Bey est toujours à Gaza, d'où il promet et écrit beaucoup à ses partisans.

Notre fête ici sera fort belle.

BONAPARTE.



Au Caire, le 2e. jour complémentaire an 6 (18 septembre 1798).

Au même.

Je reçois, citoyen général, votre lettre du 26. Il est extrêmement urgent de débarrasser Alexandrie de cette grande quantité de pèlerins: qu'ils s'en aillent par terre à Derne, où ils pourront s'embarquer, ou faites-les embarquer sur trois bons bâtimens et partir de suite.

Une fois partis, il ne faut plus les laisser rentrer. Dans la saison où nous nous trouvons, où il ne fait grand jour qu'a six heures du matin, tous les bâtimens peuvent sortir à la barbe des Anglais. Forcez ceux qui seront chargés des hommes dont vous voulez débarrasser votre place, à sortir.

Moyennant l'expédition que vous avez faite sur le village qui s'était révolté, les choses changeront. Le général Marmont, avec l'adjudant-général Bribes, se trouve avoir près de quinze cents hommes; ce qui forme une colonne respectable, qui protégera l'arrivée des eaux à Alexandrie.