Ou me mande de Rosette qu'on a envoyé à Rahmanieh trois mille quintaux de blé pour Alexandrie; j'en ai envoyé une grande quantité du Caire: si la navigation était commode, il serait facile de pouvoir payer en blé ce que nous devons à une grande partie du convoi.

Le sévère blocus que veulent établir les Anglais ne produira aucun résultat; les vents de l'équinoxe nous en feront bonne raison. J'imagine que M. Hood veut tout bonnement se faire payer pour la sortie et pour l'entrée, comme cela est arrivé quarante fois sur les côtes de Provence. Je désirerais qu'il n'y eût plus de parlementaires, et que le commandant des armes et l'ordonnateur de la marine cessassent enfin d'écrire des lettres ridicules et qui n'ont point de but. Il est fort peu important que les Anglais gardent prisonnier un commissaire, ou non: ces gens-là me paraissent déjà assez orgueilleux de leur victoire, sans les enfler encore davantage. Quand les circonstances vous feront croire nécessaire de leur envoyer un parlementaire, qu'il n'y ait que vous qui écriviez.

Mourad-Bey est toujours dans la même position entre le Fayoum et le désert. Je me suis porté à Gizeh pour surveiller ses mouvemens.

BONAPARTE.



Au Caire, le 1er vendémiaire an 7 (22 septembre 1798).

À l'armée.

Soldats!

Nous célébrons le premier jour de l'an 7 de la république.

Il y a cinq ans, l'indépendance du peuple français était menacée: mais vous prîtes Toulon, ce fut le présage de la ruine de nos ennemis.

Un an après, vous battiez les Autrichiens à Dego.

L'année suivante, vous étiez sur le sommet des Alpes.

Vous luttiez contre Mantoue il y a deux ans, et vous remportiez la célèbre victoire de Saint-George.

L'an passé, vous étiez aux sources de la Drave et de l'Isonzo, de retour de l'Allemagne.

Qui eût dit alors que vous seriez aujourd'hui sur les bords du Nil, au centre de l'ancien continent?

Depuis l'Anglais, célèbre dans les arts et le commerce, jusqu'au hideux et féroce Bédouin, vous fixez les regards du monde.

Soldats, votre destinée est belle, parce que vous êtes dignes de ce que vous avez fait et de l'opinion que l'on a de vous. Vous mourrez avec honneur comme les braves dont les noms sont inscrits sur cette pyramide, ou vous retournerez dans votre patrie couverts de lauriers et de l'admiration de tous les peuples.

Depuis cinq mois que nous sommes éloignés de l'Europe, nous avons été l'objet perpétuel des sollicitudes de nos compatriotes. Dans ce jour, quarante millions de citoyens célèbrent l'ère des gouvernemens représentatifs; quarante millions de citoyens pensent à vous. Tous disent: c'est à leurs travaux, à leur sang, que nous devrons la paix générale, le repos, la prospérité du commerce, et les bienfaits de la liberté civile.

BONAPARTE.



Au Caire, le 2 vendémiaire an 7 (23 septembre 1798).

Au général Dugua.

Il faut faire partir, citoyen général, le premier bataillon de la soixante quinzième avec une chaloupe canonnière; mon aide-de-camp Duroc, sur l'aviso le Pluvier, et le troisième bataillon de la seconde d'infanterie légère, qui sont partis avant-hier, doivent être arrivés.

J'attends, à chaque instant, des nouvelles de l'opération du général Damas; s'il n'a que trois à quatre cents hommes, il est un peu faible.

À Mit-el-Kouli, le lundi 1er complémentaire à neuf heures du matin, on a égorgé quinze Français qui étaient sur un bateau qui venait de Damiette. Les cinq villages qui sont immédiatement après Mit-el-Kouli, se sont réunis pour cette opération. Les habitans de Mit-el-Kouli ont trois ou quatre mauvaises pièces de canon; ils ont fait quelques retranchemens. La première chose que vous aurez faite sans doute, aura été de vous emparer de ces canons, détruire ces retranchemens et désarmer ces villages: celui de Mit-el-Kouli a plus de quatre-vingts fusils. J'imagine qu'à l'heure qu'il est, vous êtes arrivé à Damiette. Il faut demander des otages dans tous les villages qui se sont mal comportés, et avoir sur le lac Menzalé des djermes armées avec des pièces de 5 ou de 3.

Depuis cinq mois que nous sommes éloignés de l'Europe, nous avons été l'objet perpétuel des sollicitudes de nos compatriotes. Dans ce jour, quarante millions de citoyens célèbrent l'ère des gouvernemens représentatifs; quarante millions de citoyens pensent à vous. Tous disent: c'est à leurs travaux, à leur sang, que nous devrons la paix générale, le repos, la prospérité du commerce, et les bienfaits de la liberté civile.

BONAPARTE.



Au Caire, le 2 vendémiaire an 7 (23 septembre 1798).

Au général Dugua.

Il faut faire partir, citoyen général, le premier bataillon de la soixante quinzième avec une chaloupe canonnière; mon aide-de-camp Duroc, sur l'aviso le Pluvier, et le troisième bataillon de la seconde d'infanterie légère, qui sont partis avant-hier, doivent être arrivés.

J'attends, à chaque instant, des nouvelles de l'opération du général Damas; s'il n'a que trois à quatre cents hommes, il est un peu faible.

À Mit-el-Kouli, le lundi 1er complémentaire à neuf heures du matin, on a égorgé quinze Français qui étaient sur un bateau qui venait de Damiette. Les cinq villages qui sont immédiatement après Mit-el-Kouli, se sont réunis pour cette opération. Les habitans de Mit-el-Kouli ont trois ou quatre mauvaises pièces de canon; ils ont fait quelques retranchemens. La première chose que vous aurez faite sans doute, aura été de vous emparer de ces canons, détruire ces retranchemens et désarmer ces villages: celui de Mit-el-Kouli a plus de quatre-vingts fusils. J'imagine qu'à l'heure qu'il est, vous êtes arrivé à Damiette. Il faut demander des ôtages dans tous les villages qui se sont mal comportés, et avoir sur le lac Menzalé des djermes armées avec des pièces de 5 ou de 3 naître les canaux et pris des mesures pour soumettre la province.

Vous aurez vu, par ma lettre d'hier, différentes mesures que je vous ai prescrites concernant le désarmement, et pour prendre des ôtages dans les différens villages révoltés.

Faites passer dans le lac Menzalé quatre où cinq djermes armées de canon, que vous avez à Damiette, et, si vous pouvez, une chaloupe canonnière; enfin, armez le plus de bateaux que vous pourrez, pour être entièrement maître du lac. Tâchez d'avoir Hassan-Thoubar dans vos mains, et pour cela faire, employez la ruse s'il le faut.

Sur-le-champ, faites partir une forte colonne pour s'emparer d'El-Menzalé; faites-en partir une autre pour accompagner le général Andréossi, et s'emparer de toutes les îles du lac. J'imagine que vous aurez donné une leçon sévère au gros village de Mit-el-Kouli. Mon intention est qu'on fasse tout ce qui est nécessaire pour être souverainement maître du lac de Menzalé, et dussiez-vous y faire marcher toute votre division, il faut que le général Andréossi arrive à Peluse.

Je vous ai écrit, dans une de mes lettres, de faire une proclamation; faites-la répandre avec profusion dans le pays.

Il faut faire des exemples sévères, et comme votre division ne peut pas être destinée à rester dans les provinces de Damiette et de Mansoura, il faut profiter du moment pour les soumettre entièrement, et pour cela il faut le désarmement, des têtes coupées et des ôtages.

BONAPARTE.



Au Caire, le 4 vendémiaire an 7 (25 septembre 1798).

Au général Dupuy.

Vu les intelligences que la femme d'Osman-Bey a continué d'avoir avec le camp de Mourad-Bey, et, vu aussi l'argent qu'elle y a fait, et voulait encore y faire passer, j'ordonne que la femme d'Osman-Bey restera en prison jusqu'à ce qu'elle ait versé dans la caisse du payeur de l'armée dix mille talaris.

BONAPARTE.



Au Caire, le 4 vendémiaire an 7 (25 septembre 1798).

Au citoyen Poussielgue.

Je vous prie d'envoyer chez les marchands de café, les Cophtes et les marchands de Damas, des gardes, si dans la journée de demain ils n'ont pas payé ce qu'ils doivent de leur contribution.

Si la femme de Mourad-Bey n'a pas versé dans la journée de demain les huit mille talaris qu'elle doit, sa contribution sera portée a dix mille talaris.

Sur les quinze mille talaris imposés sur le Saga, il n'en a encore été perçu que mille cinquante-cinq; il en reste treize mille neuf cent quarante-cinq. Trois mille neuf cent quarante-cinq seront versés dans la journée de demain, et les dix mille restant, mille par jour.

Faites verser dans la caisse du payeur, dans la journée d'aujourd'hui, l'argent que vous auriez des cotons, café, des morts sans héritiers ou de tout autre objet. Le Caire se trouve absolument dépourvu de fonds, et l'armée a déjà de grands besoins.

BONAPARTE.



Au Caire, le 5 vendémiaire an 7 (26 septembre 1798).

Au général Dugua.

Soit par terre, soit par le canal, il faut absolument, citoyen général, parvenir à Menzalé; faites-y marcher votre avant-garde en la renforçant de ce que vous jugerez nécessaire; je désire qu'elle prenne position à Menzalé. En réunissant la quantité de bateaux nécessaires pour pouvoir se porter rapidement soit à Damiette, soit à Salahieh, soit à Mansoura, essayez de prendre par la ruse Hassan-Thoubar, et, si jamais vous le tenez, envoyez-le moi au Caire. Désarmez le plus que vous pourrez; n'écoutez point ce qu'ils pourraient vous dire, que, par le désarmement, vous les exposez aux incursions des Arabes: tous ces gens-là s'entendent; surtout il faut que le village de Mit-el-Kouli vous fournisse au moins cent armes et des pièces de canon: ils les ont cachées; mais je suis sûr qu'ils en ont. Concertez-vous avec le général Vial pour faire désarmer Damiette et faire arrêter les hommes suspects.

Prenez des ôtages, exigez que les villages vous remettent leurs fusils, tâchez d'avoir leurs canons, et faites entrer dans le lac de Menzalé des djermes armées ou armées de leurs bateaux.

Envoyez un officier de génie à Menzalé, afin de bien établir sa position par rapport a Damiette, à Mansoura et surtout à Salahieh.

Faites faire des reconnaissances le long de la mer à droite et à gauche jusqu'au cap Bourlos d'un côté, et aussi loin que vous pourrez de l'autre.

Ordonnez aussi que les troupes soient désarmées. Je vous ai envoyé une djerme armée, la Carniole; vous devez en avoir deux à Damiette. Je vous ai envoyé deux avisos; il y avait une chaloupe canonnière; et cela fait six bâtimens armés. BONAPARTE.

Au Caire, le 6 vendémiaire an 7 (27 septembre 1798).

Au général Dupuis.

Faites couper la tête aux deux espions et faites-les promener dans la ville avec un écriteau pour faire connaître que ce sont des espions du pays. Faites connaître à l'aga que je suis très-mécontent des propos que l'on tient dans la ville contre les chrétiens. Il doit y avoir en ce moment des ôtages de Menouf à la citadelle.

BONAPARTE.



Au Caire, le 11 vendémiaire an 7 (2 octobre 1798).

Au commandant de la Caravelle.

J'ai reçu la lettre que vous vous êtes donné la peine de m'écrire. J'ai appris avec peine que vous aviez éprouvé à Alexandrie quelques désagrémens. J'ai donné les ordres au Caire pour que tout votre monde vous rejoignît. Tenez-vous prêt a partir a l'époque à laquelle vous aviez l'habitude de quitter Alexandrie. Faites-moi connaître le temps où vous comptez partir; j'en profiterai pour vous donner des dépêches pour la Porte.

Croyez aux sentimens d'estime, et au désir que j'ai de vous être agréable.

BONAPARTE.



Au Caire, le 13 vendémiaire an 7 (4 octobre 1798).

Au général Kléber.

Le général Caffarelli, citoyen général, m'a fait connaître votre désir.

Je suis extrêmement fâché de votre indisposition: j'espère que l'air du Nil vous fera du bien, et, sortant des sables d'Alexandrie, vous trouverez peut-être notre Égypte moins mauvaise qu'on peut le croire d'abord. Nous avons eu différentes affaires avec les Arabes de Scharkieh et du lac Menzalé: ils'ont été battus à Damette et avant-hier à Mit-Kamar.

Desaix a été jusqu'à Syouth: il a poussé les mameloucks dans le désert; une partie d'eux a gagné les oasis.

Ibrahim-Bey est à Gaza: il nous menace d'une invasion; il n'en fera rien; mais nous qui ne menaçons pas, nous pourrons bien le déloger de là.

Croyez au désir que j'ai devons voir promptement rétabli, et au prix que j'attache à votre estime et à votre amitié. Je crains que nous ne soyons un peu brouillés: vous seriez injuste si vous doutiez de la peine que j'en éprouverais.

Sur le sol de l'Égypte, les nuages, lorsqu'il y en a, passent dans six heures; de mon côté, s'il y en avait, ils seraient passés dans trois: l'estime que j'ai pour vous est au moins égale à celle que vous m'avez témoignée quelquefois.

J'espère vous voir sous peu de jours au Caire, comme vous le mande le général Caffarelli.

BONAPARTE.



Au Caire, le 24 vendémiaire an 7 (15 octobre 1798).

Au général Fugières.

Il est nécessaire, citoyen général, que vous portiez le plus grand respect au village de Tenta, qui est un objet de vénération pour les Mahométans. Il faut surtout éviter de faire tout ce qui pourrait leur donner lieu de se plaindre que nous ne respectons pas leur religion et leurs moeurs.

BONAPARTE.



Au Caire, le 25 vendémiaire an 7 (15 octobre 1798).

Au même.

J'ai appris avec peine, citoyen général, ce qui est arrivé à Tenta: je désire que l'on respecte cette ville, et je regarderais comme le plus grand malheur qui pût arriver, que de voir ravager ce lieu saint aux yeux de tout l'Orient. J'écris aux habitans de Tenta, et je vais faire écrire par le divan général: je désire que tout se termine par la négociation.

Quant aux Arabes, tâchez de les faire se soumettre et qu'ils vous donnent des ôtages: écrivez leur à cet effet, et, s'ils ne se soumettent pas, tâchez de leur faire le plus de mal que vous pourrez.

BONAPARTE.



Au Caire, le 26 vendémiaire an 7 (17 octobre 1798).

Au directoire exécutif.

Citoyens directeurs, je vous fais passer le détail de quelques combats qui ont eu lieu à différentes époques et en différens lieux contre les mameloucks, diverses tribus d'Arabes, et quelques villages révoltés.

Combat de Rémeryeh.

Le général de brigade Fugières, avec un bataillon de la dix-huitième demi-brigade, est arrivé à Menouf dans le Delta, le 28 thermidor, pour se rendre à Mehalleh-el-kébyr, capitale de la Gharbyéh. Le village de Rémeryeh lui refusa le passage. Après une heure de combat, il repoussa les ennemis dans le village, les investit, les força, en tua deux cents, et s'empara du village. Il perdit trois hommes, et eut quelques blessés. Le citoyen Chênet, sous-lieutenant de la dix-huitième, s'est distingué.

Combat de Djémyleh.

Le général Dugua envoya, le premier jour complémentaire, le général Damas, avec un bataillon de la soixante-quinzième, reconnaître le canal d'Achmoun, et soumettre les villages qui refusaient obéissance. Arrivé au village de Djémyleh, un parti d'Arabes, réuni aux fellahs ou habitans, attaqua nos troupes. Les dispositions furent bientôt faites, et les ennemis repoussés. Le chef de bataillon du génie, Cazalès, s'est spécialement distingué.

Combat de Myt-Qamar.

Les Arabes de Derneh occupaient le village de Doundeh; environnés de tous côtés par l'inondation, ils se croyaient inexpugnables, et infestaient le Nil par leurs pirateries et leurs brigandages. Les généraux de brigade, Murat et Lanusse, eurent ordre d'y marcher, et arrivèrent le 7 vendémiaire. Les Arabes furent dispersés après une légère fusillade. Nos troupes les suivirent pendant cinq lieues, ayant de l'eau jusqu'à la ceinture. Leurs troupeaux, chameaux, et effets, sont tombés en notre pouvoir. Plus de deux cents de ces misérables ont été tués ou noyés. Le citoyen Niderwood, adjoint à l'état-major, s'est distingué dans ce combat.

Les Arabes sont à l'Égypte ce que les Barbets sont au comté de Nice; avec cette grande différence qu'au lieu de vivre dans les montagnes ils sont tous à cheval, et vivent au milieu des déserts. Ils pillent également les Turcs, les Égyptiens et les Européens. Leur férocité est égale à la vie misérable qu'ils mènent, exposés des jours entiers, dans des sables brûlans, à l'ardeur du soleil, sans eau pour s'abreuver. Ils sont sans pitié et sans foi. C'est le spectacle de l'homme sauvage le plus hideux qu'il soit possible de se figurer.

Le général Desaix est parti du Caire le 8 fructidor, pour se rendre dans la Haute-Égypte, avec une flottille de deux demi-galères, et six avisos. Il a remonté le Nil, et est arrivé à Benéçouef le 14 fructidor. Il mit pied à terre, et se porta par une marche forcée à Behnéce, sur le canal de Joseph. Mourad-Bey évacua à son approche. Le général Desaix prit quatorze barques chargées de bagage, de tentes, et quatre pièces de canon.

Il rejoignit le Nil le 21 fructidor, et arriva à Acyouth le 29 fructidor, se trouvant alors à plus de cent lieues du Caire, poussant devant lui la flottille des beys, qui se réfugia du côté de la cataracte.

Le cinquième jour complémentaire, il retourna à l'embouchure du canal de Joseph. Après une navigation difficile et pénible, il arriva le 12 vendémiaire à Behnéce.

Le 14 et le 15, il y eut diverses escarmouches qui préludèrent à la journée de Sédyman.

Bataille de Sédyman.

Le 16, à la pointe du jour, la division du général Desaix se mit en marche, et se trouva bientôt en présence de l'armée de Mourad-Bey, forte de cinq à six mille chevaux, la plus grande partie Arabes, et un corps d'infanterie qui gardait les retranchements de Sédyman, où il avait quatre pièces de canon.

Le général Desaix forma sa division, toute composée d'infanterie, en bataillon carré qu'il fit éclairer par deux petits carrés de deux cents hommes chacun.

Les mameloucks, après avoir longtemps hésité, se décidèrent, et chargèrent, avec d'horribles cris et la plus grande valeur, le petit peloton de droite que commandait le capitaine de la vingt-unième, Valette. Dans le même temps, ils chargèrent la queue du carré de la division, où était la quatre-vingt-huitième, bonne et intrépide demi-brigade.

Les ennemis sont reçus partout avec le même sang-froid. Les chasseurs de la vingt-unième ne tirèrent qu'à dix pas, et croisèrent leurs baïonnettes. Les braves de cette intrépide cavalerie vinrent mourir dans, le rang, après avoir jeté masses et haches d'armes, fusils, pistolets, à la tête de nos gens. Quelques-uns, ayant eu leurs chevaux tués, se glissèrent le ventre contre terre pour passer sous les baïonnettes, et couper les jambes de nos soldats; tout fut inutile: ils durent fuir. Nos troupes s'avancèrent sur Sédyman, malgré quatre pièces de canon, dont le feu était d'autant plus dangereux que notre ordre était profond; mais le pas de charge fut comme l'éclair, et les retranchemens, les canons et les bagages, nous restèrent.

Mourad-Bey a eu trois beys tués, deux blessés, et quatre cents hommes d'élite sur le champ de bataille; notre perte se monte à trente-six hommes tués et quatre-vingt-dix blessés.

Ici, comme à la bataille des Pyramides, les soldats ont fait un butin considérable. Pas un mamelouck sur lequel on n'ait trouvé quatre ou cinq cents louis.

Le citoyen Conroux, chef de la soixante-unième, a été blessé; les citoyens Rapp, aide-de-camp du général Desaix, Valette, et Sacro, capitaines de la vingt-unième, Geoffroy, de la soixante-unième, Géromme, sergent de la quatre-vingt-huitième, se sont particulièrement distingués.

Le général Friant a soutenu dans cette journée la réputation qu'il avait acquise en Italie et en Allemagne.

Je vous demande le grade de général de brigade pour le citoyen Robin, chef de la vingt-unième demi-brigade. J'ai avancé les différens officiers et soldats qui se sont distingués. Je vous en enverrai l'état par la première occasion.

BONAPARTE.



Le 26 vendémiaire an 6 (17 octobre 1798).

Au citoyen Barré, capitaine de frégate.

J'ai reçu, citoyen, le travail sur les passes d'Alexandrie, que vous m'avez envoyé. Vous avez dû depuis vous confirmer davantage dans les sondes que vous aviez faites. Je vous prie de me répondre à la question suivante:

Si un bâtiment de soixante-quatorze se présente devant le port d'Alexandrie, vous chargez-vous de le faire entrer?

BONAPARTE.



Au Caire, le 16 vendémiaire an 7 (17 octobre 1798).

Au général Marmont.

L'intrigant Abdalon, intendant de Mourad-Bey, est passé il y a trois jours à Chouara avec trente Arabes; on croit qu'il se rend dans les environs d'Alexandrie: je désirerais que vous pussiez le faire prendre; je donnerais bien 1,000 écus de sa personne; ce n'est pas qu'elle les vaille; mais ce serait pour l'exemple: c'est le même qui était à bord de l'amiral anglais. Si l'on pouvait parler à des Arabes, ces gens-là feraient beaucoup de choses pour 1,000 sequins.

BONAPARTE.



Au Caire, le 3 brumaire an 7 (23 octobre 1798).

Au même.

Nous avons eu hier et avant-hier beaucoup de tapage ici: mais tout est aujourd'hui tranquille. Le général Dupuy a été tué dans une rue, au premier moment de la révolte; Sullowski a été tué hier matin: j'ai été obligé de faire tirer des bombes et des obus sur la grande mosquée, pour soumettre un quartier qui s'était barricadé: cela a fait un effet très-considérable. Plus de quinze obus sont entrés dans la mosquée. Nous avons eu en différens points quarante ou cinquante hommes de tués. La ville a eu une bonne leçon, dont elle se souviendra long-temps, je crois.

J'ai reçu votre lettre du 26. Faites-nous passer le plus d'artillerie que vous pourrez: je vous ai demandé quelques pièces de 24 et quelques mortiers; il serait bien essentiel qu'il nous en arrivât.

BONAPARTE.



Au Caire, le 6 brumaire an 7 (27 octobre 1798).

Au général Reynier.

J'ai reçu, citoyen général, votre lettre du 4 brumaire, avec différens extraits des lettres du général Lagrange. Vous devez avoir reçu un convoi avec des cartouches et quatre pièces de canon, dont deux pour votre équipage de campagne, deux pour Salahieh, dans le cas que l'équipage par eau tardât à y arriver. La tranquillité est parfaitement rétablie au Caire. Notre perte se monte exactement à huit hommes tués dans les différens combats, vingt-cinq hommes malades qui, revenant de votre division, ont été assassinés en route, et une vingtaine d'autres personnes de différentes administrations et de différens corps, assassinées isolément. Les révoltés ont perdu un couple de milliers d'hommes. Toutes les nuits nous faisons couper une trentaine de têtes et beaucoup de celles des chefs: cela, je crois, leur servira d'une bonne leçon.

Ibrahim-Bey ne tardera pas, je crois, à se jeter dans le désert. Si quelques Arabes ont été le joindre, cela a été pour lui porter du blé et autres provisions. Il paraît qu'il y a à Gaza une grande disette. Au reste, si nous pouvions être prévenus à temps, il n'échapperait que difficilement.

Pour le moment, tenez-vous concentré à Salahieh et à Belbeis; punissez les différentes tribus arabes qui se sont révoltées contre vous; tâchez d'en obtenir des chevaux et des ôtages; faites activer, par tous les moyens possibles, les travaux de Belbeis, afin que l'on puisse y confier, d'ici à quelques jours, quelques pièces de canon; approvisionnez Salahieh le plus qu'il vous sera possible. La meilleure manière de punir les villages qui se sont révoltés, c'est de prendre le scheick El-Beled et de lui faire couper le cou, car c'est de lui que tout dépend.

Le général Andréossi est reparti de Peluse le 28; il y a trouvé de très-belles colonnes et quelques camées.

BONAPARTE.



Au Caire, le 6 brumaire an 7 (27 octobre 1798).

Au directoire exécutif.

Le 30 vendémiaire, à la pointe du jour, il se manifesta quelques rassemblemens dans la ville du Caire.

À sept heures du matin, une populace nombreuse s'assembla à la porte du cadhi, Ibrahim Ehctem Efendy, homme respectable par son caractère et ses moeurs. Une députation de vingt personnes des plus marquantes se rendit chez lui, et l'obligea à monter à cheval, pour, tous ensemble, se rendre chez moi. On partait, lorsqu'un homme de bon sens observa au cadhi que le rassemblement était trop nombreux et trop mal composé pour des hommes qui ne voulaient que présenter une pétition. Il fut frappé de l'observation, descendit de cheval, et rentra chez lui. La populace mécontente tomba sur lui et sur ses gens à coups de pierre et de bâton et ne manqua pas cette occasion pour piller sa maison.

Le général Dupuy, commandant la place, arriva sur ces entrefaites; toutes les rues étaient obstruées.

Un chef de bataillon turc, attaché à la police, qui venait deux cents pas derrière, voyant le tumulte et l'impossibilité de le faire cesser par douceur, tira un coup de tromblon. La populace devint furieuse; le général Dupuy la chargea avec son escorte, culbuta tout ce qui était devant lui, s'ouvrit un passage. Il reçut sous l'aisselle un coup de lance qui lui coupa l'artère: il ne vécut que huit minutes.

Le général Bon prit le commandement. Les coups de canon d'alarme furent tirés; la fusillade s'engagea dans toutes les rues; la populace se mit à piller les maisons des riches. Sur le soir, toute la ville se trouva à-peu-près tranquille, hormis le quartier de la grande mosquée, où se tenait le conseil des révoltés, qui en avaient barricadé les avenues.

À minuit, le général Dommartin se rendit avec quatre bouches à feu sur une hauteur, entre la citadelle et la qoubbeh, qui domine à cent cinquante toises la grande mosquée. Les Arabes et les paysans marchaient pour secourir les révoltés. Le général Lannes fit attaquer par le général Vaux quatre à cinq mille paysans qui se sauvèrent plus vite qu'ils n'auraient voulu; beaucoup se noyèrent dans l'inondation.

À huit heures du matin, j'envoyai le général Dumas avec de la cavalerie battre la plaine. Il chassa les Arabes au-delà de la qoubbeh.

À deux heures après midi, tout était tranquille hors des murs de la ville. Le divan, les principaux scheicks, les docteurs de la loi, s'étant présentés aux barricades du quartier de la grande mosquée, les révoltés leur en refusèrent l'entrée; on les accueillit à coups de fusil. Je leurs fis répondre à quatre heures par les batteries de mortiers de la citadelle, et les batteries d'obusiers du général Dommartin. En moins de vingt minutes de bombardement, les barricades furent levées, le quartier évacué, la mosquée entre les mains de nos troupes, et la tranquillité fut parfaitement rétablie.

On évalue la perte des révoltés de deux mille à deux mille cinq cents hommes; la nôtre se monte à seize hommes tués en combattant, un convoi de vingt-un malades revenant de l'armée, égorgés dans une rue, et à vingt hommes de différens corps et de différens états.

L'armée sent vivement la perte du général Dupuy, que les hasards de la guerre avaient respecté dans cent occasions.

Mon aide-de-camp Sullowsky allant, à la pointe du jour, le premier brumaire, reconnaître les mouvemens qui se manifestaient hors la ville, a été à son retour attaqué par toute la populace d'un faubourg; son cheval ayant glissé, il a été assommé. Les blessures qu'il avait reçues au combat de Salahieh n'étaient pas encore cicatrisées; c'était un officier de la plus grande espérance.

BONAPARTE.



Au Caire, le 9 brumaire an 7 (30 octobre 1798).

Au citoyen Braswich, chancelier interprète.

Vous vous embarquerez, citoyen, avec Ibrahim-Aga; vous vous rendrez avec lui à bord de la caravelle. Vous tâcherez de prendre tous les renseignemens possibles sur notre situation avec la Porte, et sur celle de notre ambassadeur à Constantinople et de l'ambassadeur ottoman à Paris.

Vous ferez connaître à l'officier qui commande la flottille turque le désir que j'aurais qu'il m'envoyât au Caire un officier distingué, pour conférer avec lui d'objets importans; que si les Anglais ne les laissent pas entrer à Alexandrie, ni à Rosette, il peut envoyer une frégate à Damiette, et que j'en profiterai pour écrire à Constantinople des choses également avantageuses aux deux puissances.

Je compte, pour cette mission importante, sur votre zèle et sur votre capacité.

BONAPARTE.



Au Caire, le 9 brumaire an 7 (30 octobre 1798).

Au général commandant à Alexandrie.

Vous ferez sortir, citoyen général, deux parlementaires, l'un sera le canot de la caravelle, sur lequel seront embarqués le turc Ibrahim Aga et le citoyen Braswich, qui s'habillera à la turque, s'il ne l'est pas.

Le second portera un officier de terre.

Vous ferez commander le canot par un officier intelligent qui puisse tout observer sans se mêler de rien.

Ces deux parlementaires sortiront en même temps du port: l'un portera pavillon tricolore et pavillon blanc; l'autre pavillon turc et pavillon blanc.

Sortis du port, le parlementaire français ira aborder l'amiral anglais; le parlementaire turc ira aborder l'amiral turc.

Vous écrirez à l'amiral anglais une lettre, dans laquelle vous lui direz que vous vous êtes empressé d'envoyer au Caire la lettre qu'il vous a écrite le 19 octobre; que la caravelle qui est à Alexandrie étant à la disposition du pacha d'Égypte, elle suivra les ordres que lui donnera ledit pacha; que celui-ci ayant jugé à propos d'envoyer un de ses officiers a bord de l'amiral turc, avant de donner ledit ordre, vous avez autorisé la sortie du parlementaire qui porte la chaloupe de la caravelle.

Vous aurez soin qu'aucun individu de la caravelle ne s'embarque sur son parlementaire, hormis les rameurs, qui devront être matelots.

L'officier de terre que vous enverrez à bord de l'amiral anglais se comportera avec la plus grande honnêteté: il remettra à l'amiral, comme par hasard, quelques journaux d'Égypte, et cherchera à tirer toutes les nouvelles possibles du continent. Il lui dira que je l'ai spécialement chargé de lui offrir tous les rafraîchissemens dont il pourrait avoir besoin.

Dans la nuit, le général Murat partira avec une partie de la soixante-quinzième; il se rendra à Rahmanieh, de là à Rosette, et de là à Aboukir ou à Alexandrie. Je juge cet accroissement de forces nécessaire pour vous mettre à même de vous opposer à toutes les entreprises que pourraient former les ennemis. Je fais disposer d'autres bâtimens pour vous envoyer d'autres troupes, et m'y transporter moi-même, si les nouvelles que je recevrai demain me le font penser nécessaire.

BONAPARTE.



Au Caire, le 14 brumaire an 7 (4 novembre 1798).

Au général Marmont.

Je reçois, citoyen général, vos lettres des 6 et 7. Puisque les Anglais ne tentaient leur descente qu'avec une vingtaine de chaloupes, il était évident qu'ils ne pouvaient débarquer que huit ou neuf cents hommes: c'eût donc été une bonne affaire de les laisser débarquer, vous nous auriez envoyé quelque colonel anglais prisonnier, qui nous aurait donné quelques nouvelles du continent.

Il est bien évident que les Anglais ne veulent tenter leur débarquement à Aboukir qu'en conséquence de quelque projet mal ourdi, où Mourad-Bey, ou de nombreuses cohortes d'Arabes, ou peut-être même des habitans, devaient combiner leurs mouvemens avec le leur. Puisque rien de tout cela n'est arrivé et que cependant ils tentaient de débarquer, c'était une bonne occasion dont on pouvait profiter. J'espère toujours que si le 9 ils ont voulu descendre, vous aurez eu le temps de vous préparer: vous pourrez les attirer dans quelque embuscade et leur faire un bon nombre de prisonniers.

Quant au fort d'Aboukir, ayant une enceinte et un fossé, il est à l'abri d'un coup de main, quand même les Anglais auraient effectué leur débarquement: cent hommes s'y renfermeraient dans le temps que l'on marcherait d'Alexandrie et de Rosette pour écraser les Anglais.

J'ai reçu des nouvelles de Constantinople: la Porte se trouve dans une position très-critique, et il s'en faut beaucoup qu'elle soit contre nous. L'escadre russe a demandé le passage par le détroit; la Porte le lui a refusé avec beaucoup de décision.

BONAPARTE.



Au Caire, le 19 brumaire an 7 (9 novembre 1798).

À son excellence le grand-visir.

J'ai eu l'honneur d'écrire à votre excellence le 13 messidor, à mon arrivée à Alexandrie; je lui ai écrit également le 5 fructidor par un bâtiment que j'ai expédié exprès de Damiette; je n'ai reçu aucune réponse à ces différentes lettres.

Je réitère cette troisième lettre pour faire connaître à votre excellence l'intention de la république française de vivre en bonne intelligence avec la sublime Porte. La nécessité de punir les mameloucks des insultes qu'ils n'ont cessé de faire au commerce français, nous a conduits en Égypte, tout comme, à différentes époques, la France a dû faire la même chose pour punir Alger et Tunis.

La république française est, par inclination comme par intérêt, amie du sultan, puisqu'elle est l'ennemie de ses ennemis; elle s'est positivement refusée à entrer dans la coalition qui a été faite avec les deux empereurs contre la Sublime Porte: les puissances qui se sont déjà précédemment partagé la Pologne ont le même projet contre la Turquie. Dans les circonstances actuelles la Sublime Porte doit voir l'armée française comme une amie qui lui est dévouée et qui est toute prête à agir contre ses ennemis.

Je prie votre excellence de croire que personnellement je désire concourir et employer mes moyens et mes forces à faire quelque chose qui soit utile au sultan, et puisse prouver à votre excellence l'estime et la considération avec laquelle je suis,

BONAPARTE.



Au Caire, le 21 brumaire an 7 (11 novembre 1798).

Au général Menou.

S'il se présentait, citoyen général, une ou deux frégates turques pour entrer dans le port d'Alexandrie, vous devez les laisser entrer. S'il se présentait plusieurs bâtimens de guerre turcs pour entrer dans le port d'Alexandrie, vous ferez connaître à celui qui les commande qu'il est nécessaire que vous me fassiez part de sa demande; vous pourrez même l'engager à envoyer quelqu'un au Caire, et, s'il persistait, vous emploierez la force pour l'empêcher d'entrer.

Si une escadre turque vient croiser devant le port et qu'elle communique directement avec vous, vous serez à même de prendre toute espèce d'information: vous lui ferez toute sorte d'honnêtetés.

Si elle ne communique avec nous que par des parlementaires anglais, vous ferez connaître à celui qui la commande combien cela est indécent et contraire au respect que l'on doit à la dignité du sultan, et vous l'engagerez à communiquer avec vous directement sans parlementaire anglais, lui faisant connaître que vous regarderez comme nulles toutes les lettres qui vous viendront par les parlementaires anglais.

BONAPARTE.



Au Caire, le 26 brumaire an 7 (16 novembre 1798).

Au citoyen Guibert, lieutenant des guides.

Vous vous rendrez, citoyen, à Rosette, en vous embarquant de suite sur la Diligence. Vous remettrez les lettres ci-jointes, au général Menou; vous aurez avec vous un Turc nommé Mohammed-Tehaouss, lieutenant de la caravelle qui est à Alexandrie.

Vous vous embarquerez à Rosette sur un canot parlementaire, que le contre-amiral Perrée vous fournira. Vous vous rendrez à bord de l'amiral anglais avec votre Turc, qui remettra une lettre dont il est porteur à l'officier qui commande la flottille turque.

Vous resterez quelques heures avec l'amiral anglais: vous lui remettrez sans prétention les différens journaux égyptiens et les numéros de la décade; vous tâcherez qu'il vous remette les journaux qu'il pourrait avoir reçus d'Europe; vous laisserez échapper dans la conversation que je reçois souvent des nouvelles de Constantinople par terre. S'il vous parle de l'escadre russe qui assiége Corfou, vous lui laisserez d'abord dire tout ce qu'il voudra, après quoi vous lui direz que j'ai des nouvelles en date de vingt jours de Corfou; vous lui ferez sentir que vous ne croyez pas à la présence de l'escadre russe devant Corfou, parce que, si les Russes avaient des forces dans ces mers, ils ne seraient pas assez dupes de ne pas être devant Alexandrie; vous lui direz, comme par inadvertance, qu'il attribuera facilement à votre jeunesse, que, depuis les premiers jours de septembre, tous les jours, je fais partir un officier pour la France; que plusieurs de mes aides-de-camp ont été expédiés, et entre autres, mon frère, que vous direz parti depuis vingt-cinq jours. S'il vous demande d'où ils partent, vous direz que vous ne savez pas d'où tous sont partis; mais que, pour mon frère, il est parti d'Alexandrie.

Vous leur demanderez des nouvelles de la frégate la Justice, sur laquelle vous direz avoir un cousin; vous demanderez où elle se trouve: s'il ne la connaissait pas, vous la lui désigneriez comme une de celles qui s'en sont allées avec l'amiral Villeneuve.

Vous leur direz que je suis dans ce moment-ci à Suez et que vous croyez que vous me trouverez de retour; vous lui direz, mais très-légèrement, que vous croyez qu'il est arrivé un très-grand nombre de bâtimens à Suez, venant de l'Île de France.

Vous lui direz que le premier parlementaire qu'il aurait à m'envoyer, je désirerais qu'il vînt à Rosette, et que j'avais donné l'ordre qu'il vînt au Caire, et que, dans ce cas, je désirerais qu'il nommât quelqu'un qui eût sa confiance et qui fût intelligent.

Vous lui direz également que, s'ils ont de la difficulté à faire de l'eau ou qu'ils aient difficilement des choses qui puissent leur être agréables, vous savez que mon intention est de les leur faire fournir; vous leur raconterez que devant Mantoue, sachant que le maréchal de Wurmser avait une grande quantité de malades, je lui avais envoyé beaucoup de médicamens, générosité qui avait beaucoup étonné le vieux maréchal; que je lui faisais passer tous les jours six paires de boeufs et toutes sortes de rafraîchissemens; que j'avais été très-satisfait de la manière dont ils avaient traité nos prisonniers.

Enfin, vous rentrerez à Rosette avec votre Turc sans toucher Alexandrie. Si le contre-amiral Perrée préférait vous faire partir d'Aboukir sur la chaloupe de l'Orient, vous vous y rendriez.

Vous reviendriez à Aboukir, et de là à Rosette, et descendrez avec votre Turc au quartier-général.

BONAPARTE.



Au Caire, le 26 brumaire an 7 (16 novembre 1798).

Au directoire exécutif.

Je vous fais passer la note des combats qui ont eu lieu à différentes époques et sur différens points de l'armée.

Les Arabes du désert de la Lybie harcelaient la garnison d'Alexandrie. Le général Kléber leur fit tendre une embuscade; le chef d'escadron Rabasse, à la tête de cinquante hommes du quatorzième de dragons, les surprit le 5 thermidor et leur tua quarante-trois hommes.

À la sollicitation de Mourad-Bey et des Anglais, les Arabes s'étaient réunis et avaient fait une coupure au canal d'Alexandrie, pour empêcher les eaux d'y arriver. Le chef de brigade Barthélémy, à la tête de six cents hommes de la soixante-neuvième, cerna le village de Birk et Glathas, la nuit du 27 fructidor, tua plus de deux cents hommes, pilla et brûla le village. Ces exemples nécessaires rendirent les Arabes plus sages, et, grâces aux peines et à l'activité de la quatrième d'infanterie légère, les eaux sont arrivées, le 14 brumaire, à Alexandrie en plus grande abondance que jamais. Il y en a pour deux ans. Le canal nous a servi à approvisionner de blé Alexandrie, et à faire venir nos équipages d'artillerie à Djyzéh.

Le général Andréossi, après différens combats sur le lac Menzaléh, est arrivé, le 29 vendémiaire, sur les ruines de Peluse. Il y a trouvé plusieurs antiques, entre autres un fort beau camée; il y a dressé la carte de ce lac et de ses sondes avec la plus grande exactitude. Nous avons dans ce moment beaucoup de bâtimens armés dans ce lac. Il ne reste plus que deux branches, celle d'Ommfaredje et celle de Dybéh, peu de traces de celle de Peluse.

Deux jours après que la populace du Caire se fut révoltée, les Arabes accoururent de différens points du désert, et se réunirent devant Belbeis. Le général Reynier les repoussa partout; un seul coup de canon à mitraille en tua sept: après différens petits combats ils disparurent, et quelque temps après se sont soumis.

Quelques djermes, chargées de chevaux nous appartenant, ont été pillées par les habitans du village de Ramleh, et deux dragons ont été tués. Le général Murat s'y est porté, a cerné le village, et a tué une centaine d'hommes.

Le général Lanusse, instruit que le célèbre Abouché'ir, un des principaux brigands du Delta, était à Kafr-Khaïr, l'a surpris la nuit du 29 vendémiaire, a cerné sa maison, l'a tué, lui a pris trois pièces de canon, quarante fusils, cinquante chevaux, et beaucoup de subsistances.

Les Anglais, avec quinze chaloupes canonnières et quelques petits bâtimens, se sont approchés du fort d'Aboukir, les 3, 4, 6 et 7 brumaire. Ils ont eu plusieurs chaloupes coulées bas: l'ordre était donné de les laisser débarquer; ils ne l'ont pas osé faire. Ils doivent avoir perdu quelques hommes; nous en avons eu deux blessés et un de tué: le citoyen Martinet, commandant la légion nubique, s'est distingué.

Depuis la bataille de Sédyman, le général Desaix était dans le Faïoum. Dans cette saison, on ne peut en Égypte aller ni par eau, il n'y en a pas assez dans les canaux; ni par terre, elle est marécageuse et pas encore sèche: ne pouvant donc poursuivre Mourad-Bey, le général Desaix s'occupa à organiser le Faïoum.

Cependant Mourad-Bey en profita pour faire courir le bruit qu'Alexandrie était pris, et qu'il fallait exterminer tous les Français. Les villages se refusèrent à rien fournir au général Desaix, qui se porta, le 19 brumaire, pour punir le village de Céruni (Chérùnéh) qui était soutenu par deux cents mameloucks; une compagnie de grenadiers les mit en déroute. Le village a été pris, pillé et brûlé; l'ennemi a perdu quinze à seize hommes.

Dans le même temps, cinq cents Arabes, autant de mameloucks, et un grand nombre de paysans, se portaient à Faïoum pour enlever l'ambulance. Le chef de bataillon de la vingt-unième, Epler, sortit au devant des ennemis, les culbuta par une bonne fusillade, et les poussa la baïonnette dans les reins. Une soixantaine d'Arabes, qui étaient entrés dans les maisons pour piller, ont été tués; nous n'avons eu, dans ces différens combats, que trois hommes tués et dix de blessés.

BONAPARTE.



Au Caire, le 28 brumaire an 7 (18 novembre 1798).

À l'ordonnateur Leroy.

Le capitaine du navire le Santa-Maria, qui a acheté ou volé quatre pièces de canon de 2, un câble et un grappin, de concert avec un matelot français, sera condamné a payer 6,000 fr. d'amende, qui seront versés dans la caisse du payeur.

BONAPARTE.



Au Caire, le 29 brumaire an 7 (19 novembre 1798).

À Djezzar-Pacha.

Je ne veux pas vous faire la guerre, si vous n'êtes pas mon ennemi; mais il est temps que vous vous expliquiez. Si vous continuez à donner refuge et à garder sur les frontières de l'Égypte Ibrahim-Bey, je regarderai cela comme une marque d'hostilité, et j'irai à Acre.

Si vous voulez vivre en paix avec moi, vous éloignerez Ibrahim-Bey à quarante lieues des frontières de l'Égypte, et vous laisserez libre le commerce entre Damiette et la Syrie.

Alors, je vous promets de respecter vos états, de laisser la liberté entière au commerce entre l'Égypte et la Syrie, soit par terre, soit par mer.

BONAPARTE.



Au Caire, le 3 frimaire an 7 (23 novembre 1798).

Au général Menou.

Faites sentir, citoyen général, au conseil militaire combien il est essentiel d'être sévère contre les dilapidateurs qui vendent la subsistance des soldats. C'est par ce manège-là qu'ils nous ont vendu tout le vin que nous avons apporté de France. Par la seule raison qu'il ne surveille pas des dilapidations aussi publiques, le commissaire des guerres est coupable, et mérite une punition exemplaire.

BONAPARTE.



Au Caire, le 3 frimaire an 7 (23 novembre 1798).

Au scheick El-Messiri.

J'ai vu avec plaisir votre heureuse arrivée à Alexandrie; cela contribuera à y maintenir la tranquillité et le bon ordre. Il serait essentiel que vous et les notables d'Alexandrie, prissiez des moyens pour détruire les Arabes et les forcer à une manière de vivre plus conforme à la vertu. Je vous prie aussi de faire veiller les malintentionnés qui débarquent à deux ou trois lieues d'Alexandrie, se glissent dans la ville et y répandent des faux bruits qui ne tendent qu'à troubler la tranquillité.

Sous peu, je ferai travailler au canal d'Alexandrie, et j'espère qu'avant six mois l'eau y viendra en tout temps.

Quant à la mer, persuadez-vous bien qu'elle ne sera pas long-temps à la disposition de nos ennemis. Alexandrie réacquerra son ancienne splendeur, et deviendra le centre du commerce de tout l'Orient; mais vous savez qu'il faut quelque temps. Dieu même n'a pas fait le monde en un seul jour.

BONAPARTE.



Au Caire, le 5 frimaire an 7 (25 novembre 1798).

Au directoire exécutif.

Je vous envoie, par le citoyen Sucy, ordonnateur de l'armée, un duplicata de la lettre que je vous ai écrite le 1er. frimaire, et que je vous ai expédiée par un de mes courriers, et le quadruplicata de celle que je vous ai écrite le 30 vendémiaire, et que je vous ai également expédiée par un de mes courriers, et enfin tous les journaux, ordres du jour et relations que je vous ai fait passer par mille et une occasions.

L'ordonnateur Sucy est obligé de se rendre en France pour y prendre les eaux, par suite de la blessure qu'il a reçue dans les premiers jours de notre arrivée en Égypte. Je l'engage à se rendre à Paris, où il pourra vous donner tous les renseignemens que vous pourrez désirer sur la situation politique, administrative et militaire de ce pays.

Nous attendons toujours avec une vive impatience des courriers d'Europe.

L'ordonnateur Daure remplit en ce moment les fonctions d'ordonnateur en chef.

Comme nos lazarets sont établis à Alexandrie, Rosette et Damiette, je vous prie d'ordonner qu'il ne soit pas fait de quarantaine pour les bâtimens qui viennent d'Égypte, dès l'instant qu'ils auront une patente en règle. Vous pouvez être sûrs que nous serons extrêmement prudens, et que nous ne donnerons point de patente, dès qu'il y aura le moindre soupçon.

Nous sommes, au printemps, comme en France au mois de mai.

Je me réfère, sur la situation politique et militaire de ce pays, aux lettres que je vous ai précédemment écrites.

J'envoie en France une quarantaine de militaires estropiés ou aveugles: ils débarqueront en Italie ou en France: je vous prie de les recommander à nos généraux et à nos ambassadeurs en Italie, en cas qu'ils débarquent dans un port neutre.

BONAPARTE.



Au Caire, le 9 frimaire an 7 (29 novembre 1798).

Au général Marmont.

L'état-major vous ordonne, citoyen général, de prendre le commandement de la place d'Alexandrie. Je fais venir le général Manscourt au Caire, parce que j'ai appris que le 24 il a envoyé un parlementaire aux Anglais sans m'en rendre compte, et que d'ailleurs sa lettre à l'amiral anglais n'était pas digne de la nation. Je vous répète ici l'ordre que j'ai donné, de ne pas envoyer de parlementaire aux Anglais sans mon ordre. Qu'on ne leur demande rien. J'ai accoutumé les officiers qui sont sous mes ordres, à accorder des grâces et non à en recevoir.

J'ai appris que les Anglais avaient fait quatorze prisonniers à la quatrième d'infanterie légère; il est extrêmement surprenant que je n'en aie rien su.

Secouez les administrations, mettez de l'ordre dans cette grande garnison, et faites que l'on s'aperçoive du changement de commandant.

Écrivez-moi souvent et dans le plus grand détail. Je savais depuis trois jours la nouvelle que vous m'avez écrite, des lettres venues de Saint-Jean d'Acre.

Renvoyez d'Alexandrie tous les hommes isolés qui devraient être à l'armée. Ayez soin que personne ne s'en aille qu'il n'ait son passeport en règle; que ceux qui s'en vont n'emmènent point de domestiques avec eux, surtout d'hommes ayant moins de trente ans, et qu'ils n'emportent point de fusils.

BONAPARTE.



Au Caire, le 9 frimaire an 7 (29 novembre 1798).

Au général Ganteaume.

Je vous prie, citoyen général, de faire expédier d'Alexandrie à Malte un bon marcheur du convoi, avec des dépêches pour le contre-amiral Villeneuve. Vous lui ferez connaître le désir que j'aurais qu'il pût, par le moyen de ses frégates, nous envoyer des nouvelles d'Europe. Les frégates pourraient venir à Damiette où les ennemis ne croisent pas.

Vous lui ferez connaître que depuis Alexandrie jusqu'à la bouche d'Orum Faredge, à vingt heures est de Damiette, toute la côte est à nous, et qu'en reconnaissant un point quelconque de cette côte, et mettant un canot à la mer avec cinquante hommes armés dedans, les dépêches nous parviendront très-certainement.

Vous lui direz que nous ne sommes bloqués ici que par deux vaisseaux et une ou deux frégates: s'il pouvait paraître ici avec trois ou quatre vaisseaux qu'il a à Malte, et deux ou trois frégates, il pourrait enlever la croisière anglaise; que nos bâtimens de guerre qu'il sait que nous avons à Alexandrie, sont organisés et pourraient sortir pour lui donner des secours.

Vous donnerez pour instructions à ce bâtiment de ne point se présenter devant le port de Malte, mais dans la cale de Massa-Sirocco.

Expédiez un autre bâtiment grec ou du convoi à Corfou pour faire connaître à celui qui commande les forces navales dans ce port, combien il est nécessaire qu'il nous expédie un aviso avec toutes les nouvelles qu'il pourrait avoir à Corfou, d'Europe, de l'Albanie, de la Turquie, et de tout ce qui s'est passé de nouveau dans ces mers. Donnez-lui également une instruction du point où il doit aborder.

Expédiez un troisième bâtiment du convoi, si vous pouvez, un bâtiment impérial, au commandant des bâtimens de guerre à Ancône. Vous lui direz que je désire qu'il m'expédie un aviso pour me faire connaître la situation de ses bâtimens, et qu'il m'envoye toutes les nouvelles, et entre autres toutes les gazettes françaises et italiennes depuis notre départ.

Vous lui donnerez également une instruction sur la marche que doit tenir l'aviso.

Vous expédierez un quatrième bâtiment du convoi, bon voilier, pour se rendre à Toulon, avec une lettre pour le commandant des armes, dans laquelle vous lui ferez connaître notre situation dans ce pays, et la nécessité où nous nous trouvons qu'il nous fasse passer des nouvelles de France et les ordres du gouvernement, en évitant Alexandrie, et en venant aborder, soit à Bourlas, soit à Damiette, soit à la bouche d'Orum-Faredge.

Vous ordonnerez au bâtiment de Toulon de passer entre le cap Bon et Malte, d'éviter l'un et l'autre, de doubler les îles Saint-Pierre, et de passer entre la Corse et les îles Minorques. Si les vents le contrariaient ou qu'il apprît la présence des ennemis, il pourrait aborder en Corse ou dans un port d'Espagne.

Sur chacun de ces trois ou quatre bâtimens, vous mettrez un aspirant de la marine ou un officier marinier, qui sera porteur de vos dépêches, et qui devra en rapporter la réponse. Vous leur donnerez toutes les instructions nécessaires à cet égard, et vous leur ferez bien connaître la manière dont ils doivent se conduire à leur retour. Il sera promis une gratification aux patrons des navires qui retourneront et nous rapporteront des nouvelles du continent.

Je vous enverrai, dans la matinée de demain, quatre paquets, dont seront porteurs ces quatre officiers. Vous leur ordonnerez de les garder, en les cachant; s'ils étaient pris par les Anglais, je préfère qu'ils soient pris, plutôt que de les jeter à la mer.

Il n'y a que des imprimés dans ces paquets.

BONAPARTE.



Au Caire, le 10 frimaire an 7 (30 novembre 1798).

Au général Menou.

Si la contribution ne rentre pas, faites parcourir, citoyen général, une colonne mobile dans toute la province de Rosette, village par village, avec l'intendant, l'agent français et un officier intelligent; à mesure qu'ils passeront dans un village, ils exigeront les chevaux et la contribution.

Vous verrez qu'elle rentrera très-promptement.

BONAPARTE.



Au Caire, le 11 frimaire an 7 (1er décembre 1798).

Au général Bon.

Vous vous rendrez, citoyen général, demain à Birket-el-Adji. Vous partirez après-demain avant le jour de cet endroit pour vous rendre, avec la plus grande diligence possible à Suez. Il serait à désirer que vous pussiez y arriver le 14 au soir, ou le 15 avant midi.

Vous m'enverrez un exprès arabe, tous les jours, auquel vous ferez connaître que je donnerai plusieurs piastres lorsqu'ils me remettront vos lettres.

Vous aurez avec vous, indépendamment des troupes que le chef de l'état-major vous a annoncées, le citoyen Collot, enseigne de vaisseau avec dix matelots et le moallem ... qui aura aussi huit ou dix de ses gens avec lui.

Vous trouverez, à Suez, toutes les citernes, que j'ai fait remplir.

Votre premier soin sera, en arrivant, de nommer un officier pour commander la place. Le citoyen Collot remplira les fonctions de commandant des armes du port, et les officiers du génie et d'artillerie qu'y envoient les généraux Caffarelli et Dommartin, commanderont ces armes dans cette place; le moallem ... remplira les fonctions de mazir ou inspecteur des douanes.

Votre première opération sera de remplir toutes les citernes qui ne sont pas pleines, et de faire un accord avec les Arabes de Thor, pour qu'ils continuent à vous fournir toute l'eau existant dans les citernes, en réserve.

Vous ferez retrancher, autant qu'il sera possible, tout le Suez ou une partie de Suez, de manière à être à l'abri des attaques des Arabes, et avoir une batterie de gros canons qui battent la mer.

Vous vivrez dans la meilleure intelligence avec tous les patrons des bâtimens venant de Jambo ou de Djedda, et vous leur écrirez, pour les assurer qu'ils peuvent en toute sûreté continuer le commerce, qu'ils seront spécialement protégés.

Vous tâcherez de vous procurer, parmi les bâtimens qui vont à Suez, une ou deux felouques des meilleures qui se trouvent dans ce port, que vous ferez armer en guerre.

Vingt-quatre heures après votre arrivée, vous m'enverrez toujours, par des Arabes et par duplicata, un mémoire sur votre situation militaire, sur celle des citernes et sur la situation du pays et le nombre des bâtimens.

Vous ferez tout ce qui sera possible pour encourager le commerce et rien pour l'alarmer.

Dès l'instant que je saurai votre arrivée, je vous enverrai un second convoi de biscuit.

Vous ferez commencer sur-le-champ les travaux nécessaires pour mettre tout le Suez ou une partie de Suez à l'abri des attaques des Arabes, et si vous ne trouvez pas dans cette place un assez grand nombre de pièces pour mettre en batterie, indépendamment des deux que vous emmènerez avec vous, je vous en ferai passer d'autres.

Mon intention est que vous restiez dans cette place assez de temps pour faire des fortifications, afin que la compagnie Omar, les marins et les canonniers suffisent pour la défense contre les entreprises des Arabes, et si ces forces n'étaient pas suffisantes, vous me le manderez: alors je les renforcerai de quelques troupes grecques.

Je vous recommande de m'écrire, par les Arabes, deux fois par jour.

Vous m'enverrez toutes les nouvelles que vous pourrez recueillir, soit sur la Syrie, soit sur Djedda ou la Mecque.

BONAPARTE.



Au Caire, le 12 frimaire an 7 (2 décembre 1798).

Au général Marmont.

Vous ferez réunir chez vous, citoyen général, dans le plus grand secret, le contre-amiral Perrée, le chef de division Dumanoir, le capitaine Barré.

Vous dresserez un procès-verbal de la réponse qu'ils feront aux questions suivantes, que vous signerez avec eux.

Première question. Si la première division de l'escadre sortait, pourrait-elle, après une croisière, rentrer dans le port neuf ou dans le port vieux, malgré la croisière actuelle des Anglais?

Seconde question. Si le Guillaume-Tell paraissait avec le Généreux, le Dégo, l'Arthémise, et les trois vaisseaux vénitiens que nous avons laissés à Toulon et qui sont actuellement réunis à Malte, la croisière anglaise serait obligée de se sauver: se charge-t-on de faire entrer l'amiral Villeneuve dans le port?

Troisième question. Si la première division sortait pour favoriser sa rentrée, malgré la croisière anglaise, ne serait-il pas utile, indépendamment du fanal que j'ai ordonné qu'on allumât au phare, d'établir un nouveau fanal sur la tour du Marabou? Y aurait-il quelques autres précautions à prendre?

Si, dans la solution de ces trois questions, il y avait différence d'opinions, vous ferez mettre dans le procès-verbal l'opinion de chacun.

Je vous ordonne qu'il n'y ait à cette conférence que vous quatre. Vous commencerez par leur ordonner le plus grand secret.

Après que le conseil aura répondu à ces trois questions et que le procès-verbal sera clos, vous poserez cette question:

Si l'escadre du contre-amiral Villeneuve partait le 15 frimaire de Malte, de quelle manière s'apercevrait-on de son arrivée à la hauteur de la croisière? Quels secours les forces navales actuelles du port pourraient elles lui procurer? et de quel ordre aurait besoin le contre-amiral Perrée pour se croire suffisamment autorisé à sortir?

Combien de temps faudrait-il pour jeter les bouées pour désigner la passe?

Les frégates la Carrère, la Muiron et le vaisseau le Causse seraient-ils dans le cas de sortir?

Après quoi vous poserez cette question:

Les frégates la Junon, l'Alceste, la Carrère, la Courageuse, la Muiron, les vaisseaux le Causse, le Dubois, renforcés chacun par une bonne garnison de l'armée de terre et de tous les matelots européens qui existent à Alexandrie, seraient-ils dans le cas d'attaquer la croisière anglaise, si elle était composée de deux vaisseaux et d'une frégate?

Vous me ferez passer le procès-verbal de cette séance dans le plus court délai.

BONAPARTE.



Au Caire, le 13 frimaire an 7 (3 décembre 1798).

Au même.

J'ai donné, citoyen général, plusieurs ordres pour que tous les matelots existant à bord du convoi et ayant moins de vingt-cinq ans, de quelque nation qu'ils soient, fussent envoyés au Caire, ainsi que tous les matelots napolitains provenant des bâtimens brûlés par les Anglais. L'un et l'autre de ces ordres ont été mal exécutés, puisque les Napolitains étaient seuls plus de trois cents, et qu'il était impossible que tout le convoi ne contînt au moins cinq ou six cents personnes dans le cas de la réquisition que je fais.

Vous sentez facilement combien il est essentiel, dans la position où est l'armée, qu'elle trouve dans les convois qui sont sur le point de passer en Europe, de quoi se recruter des pertes que peut lui avoir occasionnées, en différons événemens, la conquête de l'Égypte.

Indépendamment de cette raison, j'attachais une grande importance à intéresser à notre opération un grand nombre de marins de nations différentes, lesquelles, par-là, se trouveraient plus à portée de nous donner des nouvelles, et ce que nous avons besoin de France. Je vous prie donc, citoyen général, de vous concerter avec le citoyen Dumanoir, commandant des armes, et de prendre des mesures efficaces pour que, dans le plus court délai, tous les jeunes matelots, italiens, espagnols, français, etc., évacuent Alexandrie et soient envoyés a Boulac.

Veillez à ce qu'aucun bâtiment, en sortant du port, n'emmène avec lui de jeunes matelots qui pourraient nous servir.

BONAPARTE.



Au Caire, le 15 frimaire an 7 (5 décembre 1798).

Au général Leclerc.

Comme nous avons grand besoin d'argent, citoyen général, faites verser dans la caisse du payeur général les 30,000 fr. que vous avez dans votre caisse.

Les souliers vont vous arriver, ainsi que les deux harnois pour votre pièce.

Occupez-vous sans relâche à vous procurer des chevaux: vous savez le besoin que nous en avons.

Douze cents hommes de cavalerie bien montés et bien armés partent demain pour se mettre aux trousses de Mourad-Bey. J'espère, moyennant les chevaux que toutes les provinces envoient, en avoir bientôt encore autant.

BONAPARTE.



Au Caire, le 15 frimaire an 7 (5 décembre 1798).

Au général Marmont.

Je vous ai fait connaître, par mes dernières lettres, l'importance extrême qu'il y avait à retenir tous les matelots napolitains, génois, espagnols, etc.: cette mesure a été exécutée en partie par le citoyen Dumanoir; mais elle est bien loin de l'être entièrement, puisque les Napolitains seuls étaient trois cent quatre-vingt. Les états que l'on m'a remis de la force du convoi, portaient deux cent soixante-dix-sept bâtimens et deux mille cinq cent soixante-quatorze matelots. Je pense qu'aujourd'hui il sera réduit à deux mille. Il est indispensable que vous parveniez à me procurer encore huit cents hommes.

Si les nouvelles recherches que vous ferez pour trouver des jeunes gens ayant moins de vingt-cinq ans, ne suffisent pas, pour trouver ce nombre vous aurez recours à une réquisition, d'un quart de chaque équipage, ayant soin de prendre les plus jeunes: ceci doit avoir lieu pour tous les bâtimens du convoi, soit français ou étrangers.

Ne donnez communication de cette lettre qu'au citoyen Dumanoir, et concertez-vous avec lui pour nous procurer huit cents hommes. Ce ne sera qu'après l'exécution préalable de cet ordre, que je lèverai l'embargo mis sur une partie du convoi.

Visez vous-même tous les passeports de ceux qui s'en vont, et ne laissez partir personne qui puisse faire un soldat. Ceux qui s'en vont n'ont pas besoin de domestiques, à moins qu'ils n'aient plus de vingt-cinq ans.

BONAPARTE.



Au Caire, le 15 frimaire an 7 (5 décembre 1798).

Au même.

Je vous envoie, citoyen général, un ordre que je vous prie d'exécuter avec la plus grande exactitude. Après que vous aurez fait arrêter ce citoyen, faites venir chez vous tous les administrateurs de la marine, et lisez-leur mon ordre. Vous leur direz que je reçois des plaintes de tous côtés sur leur conduite, et qu'ils ne secondent en rien le citoyen Leroy; que je punirai les lâches avec la dernière sévérité, et avec d'autant moins d'indulgence, qu'un homme qui manque de courage n'est pas français.