À l'adjudant-général Grezieux.
Vous aurez, citoyen, le commandement de la province de Jaffa et de celle de Ramleh.
Votre première opération sera de faire placer une pièce de canon sur chacune des tours, et de disposer les quatre plus grosses du côté du front, pour sa défense.
L'officier du génie a ordre de réparer sur-le-champ la brèche.
Vous vous assurerez que les portes puissent se fermer facilement. Comme les deux qui existent me paraissent très-rapprochées l'une de l'autre, il suffirait d'en tenir une ouverte.
Les Grecs doivent fournir des secours à l'hôpital des blessés.
Les chrétiens latins et les Arméniens doivent fournir des secours à l'hôpital des fiévreux.
Vous formerez un divan, composé de sept personnes; vous y mettrez des mahométans et des chrétiens.
Vous seconderez toutes les opérations du citoyen Gloutier, tendant à établir les finances et à procurer de l'argent à la caisse.
Aucun bâtiment de ceux qui sont actuellement dans le port, ne doit en sortir sous quelque prétexte que ce soit.
Le commerce avec Damiette et l'Égypte sera encouragé le plus possible.
Vous enverrez dans tous les villages une proclamation afin que les habitans vivent tranquilles. J'ai chargé le général Reynier d'organiser un divan à Ramleh.
Il reste ici un officier de marine.
Si vous aviez des nouvelles plus intéressantes à me faire passer, et que le temps fût beau, vous pourriez profiter à la fois de la terre et de la mer.
Toutes les fois qu'il y aura des occasions pour l'Égypte, vous ne manquerez pas de donner des nouvelles de l'armée à l'adjudant-général Almeyras, à Damiette, et au général Dugua, au Caire.
Ayez bien soin que les magasins soient tenus en bon état et ne soient pas gaspillés. Faites toutes les recherches possibles pour en découvrir de nouveaux.
BONAPARTE.
Jaffa, le 23 ventose an 7 (13 mars 1799).
Au directoire exécutif.
Le 5 fructidor, j'envoyai un officier à Djezzar, pacha d'Acre: il l'accueillit mal et ne répondit pas.
Le 29 brumaire, je lui écrivis une autre lettre: il fit couper la tête au porteur.
Les Français étaient arrêtés à Acre et traités cruellement.
Les provinces d'Égypte étaient inondées de firmans, dans lesquels Djezzar ne dissimulait point ses intentions hostiles et annonçait son arrivée.
Il fit plus: il envahit les provinces de Jaffa, Ramleh et Gaza. Son avant-garde prit position à El-Arich, où il y a quelques bons puits et un fort situé dans le désert à dix lieues dans le territoire de l'Égypte.
Je n'avais donc plus le choix: j'étais provoqué à la guerre; je ne crus pas devoir tarder à la lui porter moi-même.
Le général Reynier rejoignit le 16 pluviose son avant-garde, qui, sous les ordres de l'infatigable général Lagrange, était à Catieh, situé à trois journées dans le désert, où j'avais réuni des magasins considérables.
Le général Kléber arriva le 18 pluviose de Damiette sur le lac Menzaleh, sur lequel on avait construit plusieurs barques canonnières, débarqua à Peluse et se rendit à Catieh.
Combat d'El-Arich.
Le général Reynier partit le 18 pluviose de Catieh avec sa division, pour se rendre à El-Arich. Il fallut marcher plusieurs jours à travers le désert sans trouver d'eau; des difficultés de toute espèce furent vaincues: l'ennemi fut attaqué, forcé, le village d'El-Arich enlevé, et toute l'avant-garde ennemie bloquée dans le fort d'El-Arich.
Attaque de nuit.
Cependant la cavalerie de Djezzar-Pacha, soutenue par un corps d'infanterie, avait pris position sur nos derrières à une lieue, et bloquait l'armée assiégeante.
Le général Kléber fit faire un mouvement au général Reynier; à minuit, le camp ennemi fut cerné, attaqué et enlevé; un des beys fut tué. Effets, armes, bagages, tout fut pris: la plupart des hommes eurent le temps de se sauver, plusieurs mameloucks d'Ibrahim-Bey furent faits prisonniers.
Siège du fort d'El-Arich.
La tranchée fut ouverte devant le fort d'El-Arich: une de nos mines avait été éventée et nos mineurs délogés. Le 28 pluviose, une batterie de brèche fut construite, ainsi que deux batteries d'approche: on canonna toute la journée du 29. Le 30 à midi, la brèche était praticable; je sommai le commandant de se rendre, il le fit. Nous avons trouvé a El-Arich trois cents chevaux, beaucoup de biscuit, de riz, cinq cents Albanais, cinq cents Maugrabins, deux cents hommes de l'Adonie et de la Caramanie; les Maugrabins ont pris du service avec nous: j'en ai fait un corps auxiliaire.
Nous partîmes d'El-Arich le 4 ventose; l'avant-garde s'égara dans le désert et souffrit beaucoup du manque d'eau: nous manquâmes de vivres, nous fûmes obligés de manger des chevaux, des mulets, des chameaux.
Nous étions le 6 aux colonnes placées sur les limites de l'Afrique et de l'Asie; nous couchâmes en Asie le 6.
Le jour suivant, nous étions en marche sur Gaza: à dix heures du matin, nous découvrîmes trois ou quatre mille hommes de cavalerie qui marchaient à nous.
Combat de Gaza.
Le général Murat, commandant la cavalerie, fit passer les différens torrens qui se trouvaient en présence de l'ennemi par des mouvemens exécutés avec précision.
La division Kléber se porta par la gauche sur Gaza; le général Lannes, avec son infanterie légère, appuyait les mouvemens de la cavalerie, qui était rangée sur deux lignes. Chaque ligne avait derrière elle un escadron de réserve: nous chargeâmes l'ennemi près de la hauteur qui regarde Nebron, et où Samson porta les portes de Gaza. L'ennemi ne reçut point la charge et se replia: il eut quelques hommes tués, entre autres le kiaya du pacha.
La vingt-deuxième d'infanterie légère s'est fort bien conduite: elle suivait les chevaux au pas de course; il y avait cependant bien des jours qu'elle n'avait fait un bon repas ni bu de l'eau a son aise.
Nous entrâmes dans Gaza: nous y trouvâmes quinze milliers de poudre, beaucoup de munitions de guerre, des bombes, des outils, plus de deux cent mille rations de biscuit et six pièces de canon.
Le temps devint affreux: beaucoup de tonnerre et de pluie; depuis notre départ de France, nous n'avions pas vu d'orage.
Nous couchâmes le 10 a Eswod, l'ancienne Azot.
Nous couchâmes le 11 à Ramleh; l'ennemi l'avait évacué avec tant de précipitation, qu'il nous laissa cent mille rations de biscuit, beaucoup plus d'orge, et quinze cents outres que Djezzar avait préparées pour passer le désert.
Siège de Jaffa.
La division Kléber investit d'abord Jaffa, et se porta ensuite sur la rivière de la Hhayah, pour couvrir le siége; la division Bon investit les fronts droits de la ville, et la division Lannes les fronts gauches.
L'ennemi démasqua une quarantaine de pièces de canon de tous les points de l'enceinte, desquelles il fit un feu vif et soutenu.
Le 16, deux batteries d'approche, la batterie de brèche, une de mortiers, étaient en état de tirer. La garnison fit une sortie; on vit alors une foule d'hommes diversement costumés, et de toutes les couleurs, se porter sur la batterie de brèche: c'étaient des Maugrabins, des Albanais, des Kurdes, des Natoliens, des Caramaniens, des Damasquyns, des Alepins, des noirs de Tekrour; ils furent vivement repoussés, et rentrèrent plus vite qu'ils n'auraient voulu. Mon aide-de-camp Duroc, officier en qui j'ai grande confiance, s'est particulièrement distingué.
À la pointe du jour, le 17, je fis sommer le gouverneur; il fit couper la tête à mon envoyé, et ne répondit point. À sept heures, le feu commença; à une heure je jugeai la brèche praticable. Le général Lannes fit les dispositions pour l'assaut; l'adjoint aux adjudans-généraux, Netherwood, avec dix carabiniers, y monta le premier et fut suivi de trois compagnies de grenadiers de la treizième et de la soixante-neuvième demi-brigade, commandées par l'adjudant-général Rambaud, pour lequel je vous demande le grade de général de brigade.
À cinq heures, nous étions maîtres de la ville, qui, pendant vingt-quatre heures, fut livrée au pillage et à toutes les horreurs de la guerre, qui jamais ne m'a paru si hideuse.
Quatre mille hommes des troupes de Djezzar ont été passés au fil de l'épée; il y avait huit cents canonniers: une partie des habitans a été massacrée.
Les jours suivans, plusieurs bâtimens sont venus de Saint-Jean d'Acre avec des munitions de guerre et de bouche; ils ont été pris dans le port: ils ont été étonnés de voir la ville en notre pouvoir; l'opinion était qu'elle nous arrêterait six mois.
Abd-Oullah, général de Djezzar, a eu l'adresse de se cacher parmi les gens d'Égypte, et de venir se jeter à mes pieds.
J'ai renvoyé à Damas et à Alep plus de cinq cents personnes de ces deux villes, ainsi que quatre a cinq cents personnes d'Égypte.
J'ai pardonné aux mameloucks et aux kachefs que j'ai pris à El-Arich; j'ai pardonné à Omar Makram, cheikh du Caire; j'ai été clément envers les Égyptiens, autant que je l'ai été envers le peuple de Jaffa, mais sévère envers la garnison qui s'est laissé prendre les armes à la main.
Nous avons trouvé à Jaffa cinquante pièces de canon, dont trente formant l'équipage de campagne, de modèle européen, et des munitions, plus de quatre cent mille rations de biscuit, deux mille quintaux de riz, et quelques magasins de savon.
Les corps du génie et de l'artillerie se sont distingués.
Le général Caffarelli, qui a dirigé ces sièges, qui a fait fortifier les différentes places de l'Égypte, est officier recommandable par une activité, un courage et des talens rares.
Le chef de brigade du génie Samson a commandé l'avant-garde qui a pris possession de Cathieh, et a rendu dans toutes les occasions les plus grands services.
Le capitaine du génie Sabatier a été blessé au siége d'El-Arich.
Le citoyen Aimé est entré le premier dans Jaffa, par un vaste souterrain qui conduit dans l'intérieur de la place.
Le chef de brigade Songis, directeur du parc d'artillerie, n'est parvenu à conduire les pièces qu'avec de grandes peines; il a commandé la principale attaque de Jaffa.
Nous avons perdu le citoyen Lejeune, chef de la vingt-deuxième d'infanterie légère, qui a été tué a la brèche: cet officier a été vivement regretté de l'armée; les soldats de son corps l'ont pleuré comme leur père. J'ai nommé à sa place le chef de bataillon Magni, qui a été grièvement blessé. Ces différentes affaires nous ont coûté cinquante hommes tués et deux cents blessés.
L'armée de la république est maître de toute la Palestine.
BONAPARTE.